Il trouva son bonheur dans une espèce de bouiboui nommé « la casa del capitan ». Appeler ça une auberge aurait été mentir sur la marchandise. On était plus proche d'un entrepôt dans lequel on avait balancé à la va-vite des lits superposés de mauvaise facture ainsi que des tables. Le patron était quand à lui un type patibulaire, qui n'avait pas vu ses orteils depuis une ou deux décennies et pour qui un savon était un homme fort intelligent et bien éduqué. Et c'était lui qui préparait la bouffe.
Mais, pour quatre sous, Edmond obtenait un bol de soupe et un lit pour la nuit. Il avait certes connu mieux mais il avait aussi connu pire, bien pire. Et il trouverait difficilement moins cher sur cette île.
Si le jeune noble qu'il était sentait que patauger dans la fange avec les gueux n'était pas à son goût, il pouvait toujours retourner à la taverne d'où il venait. Pour une pistole et huit sous, il pouvait obtenir une petite chambre pour lui tout seul. Avec un lit deux places, cela aurait été l'occasion de faire des cabrioles avec une jolie rousse... Edmond se rappela toutefois qu'il avait fait choux blanc à ce niveau. Est-ce que jeter son pognon par les fenêtres, pardon, « supporter l'économie locale », en valait la peine ? Lui seul pouvait y répondre.
Une fois la nuit passée, le jeune pirate se rendit donc sur les docs au lieu de rendez vous indiqué par le quartier-maître. Il tomba sur une caraque de vingt-cinq mètres de long. Santa Bianca pouvait-on lire près de la proue. Edmond remarqua le bosco, reconnaissable à son sifflet. C'était un homme dont les cheveux commençaient déjà à grisonner mais dont la musculature sèche ne laissait aucun doute sur sa capacité à tenir le navire. Que disait le proverbe déjà ? Méfiez vous des anciens dans un monde où les hommes meurent jeunes !
Conformément aux instructions de Sanchez, Edmond se présenta à l'estalien qui répondait du nom de Maître Firenz. Edmond retint ce nom. En tant que gabier, le bosco était son patron sur le navire. C'était lui qui dirigeait le détail de la manœuvre, en particulier dans les voiles.
Un autre marin l'accueillit et lui fit visiter le navire, lui expliquant succinctement les règles à bord. Rien de bien folichon ou qui sorte de ce qu'il avait pu connaître sur la plupart des navires. Respecter la voie hiérarchique, être à l'heure sur ses quarts, ne pas s'y présenter fait comme un coin ainsi toute la litanie habituelle sur le vol, les bagarres et les filles à bord.
Edmond eut une petite heure de pause, qu'il put mettre à son profit pour soit se familiariser avec le gréement, soit se sociabiliser avec l'équipage, une petite partie de dés ayant été lancée. Il ne pouvait toutefois pas faire les deux et un choix devrait être fait.
Au terme de cette heure, le sifflet du bosco retentit sur le navire. L'équipage fut rassemblé sur le pont principal. Ils étaient une petite centaine au total. Une caraque n'avait besoin que de la moitié mais les pirates gonflaient toujours leurs équipages car leur métier n'était pas simplement la navigation. Il fallait du monde pour se battre. Le soucid était toujours de maintenir ce délicat équilibre entre avoir assez de monde pour la capture mais pas trop non plus pour ne pas trop diviser la récompense. Certains capitaines avaient trouvé la solution en envoyant leurs hommes à la mort et en prenant tous les risques. D'autres préféraient éviter d'avoir une réputation de boucher.
Edmond chercha dans sa mémoire, mais le nom de Lipari ne lui disait absolument rien. Ses méthodes resteraient donc une surprise pour lui.
Sur le château arrière, le bosco, le quartier-maître ainsi que les autres officiers étaient rassemblés. Edmond remarqua, à côté de lui, un homme, chauve, vêtu d'une chemise noire. Dans son cou, le jeune pirate reconnu le symbole de Stormfels.
-Capitaine sur le pont !
Le bosco porta son sifflet à ses lèvres. Un tiléen sur la fin de ses vingt ans fit son apparition. Il était grand, avec une longue et fine moustache à faire pâlir de jalousie certains princes de Tilée. Sur ses épaules, un long manteau rouge, agrémenté d'une bandoulière de pistolet.
-Messieurs ! Bienvenue à bord de la Santa Bianca ! Je suis Angelo Lipari, votre capitaine. Nous allons barouder au large des côtes tiléennes et estaliennes pendant environ cinq semaines. Certains d'entre nous ne reviendrons malheureusement pas. Leur corps seront confiés aux bon soins de Manaan.
Le Stormfelien à côté d'Edmond fronça les sourcils. Le jeune pirate pu même l'entendre souffler un vague grognement.
-Aussi vous demanderais-je de bien vous battre, d'être des braves ! Car chaque homme qui se battra comme cent reviendra ici couvert de gloire ou de fortunes !
Il tourna la tête vers son second, un autre tiléens, vêtu d'une chemise bleue et portant un chapeau à plume.
-Lieutenant, honorez le dieu des mers !
Celui-ci sortit ainsi un véritable guilder en or. Il s'approcha du bastingage d'un pas solennel et lâcha la pièce.
-Manaan, roi des mers, accepte notre offrande et accorde ta bénédiction à ce navire et à son équipage. Recueille les braves qui périrons dans tes tempêtes et sous les coups de hache et de sabre de nos ennemis.
Le silence retomba sur le navire. Une brève minute de silence, pour laisser le temps à chacun de prier ses dieux et de faire ses offrandes à la mer. Certains marins s'approchèrent également du bord, pour y jeter un sous, une pistole, ou même y verser un peu de vin, de bière ou d'eau de vie.
Une fois la cérémonie terminée, le capitaine Lipari prit congé, laissant la suite de la manœuvre à ses officiers. Edmond avait la chance de commencer sur un quartier libre. Il pouvait donc vaguer a ses occupations. Y avait-il quelque chose de particulier qu'il désirait faire ?
Il n'eut pas le temps d'y penser. Une main se posa sur son épaule. Se retournant, il reconnu le Stormfelien.
-Sa volonté sera faîte, jeune prince.