[Snikkit] Expendables
Posté : 30 janv. 2020, 19:58
Dans l’ombre, les Eshin observaient. Rampant sous les futaies et les buissons, en prenant bien gare à ne pas agiter les feuillages qui leur servaient de couvertures, ils remontaient le latifondo pour accéder jusqu’à la villa gardée par plusieurs sbires d’un potentat local. Douze coureurs nocturnes ne faisaient qu’un avec la terre sèche d’un mois d’été caniculaire, espacés de plusieurs rangs au milieu des vignes.
Snikkit leva sa main, et sifflota. Alors, plusieurs Eshin se soulevaient du sol et se séparaient en plusieurs petit groupes, avec une synchronisation parfaite, une chorégraphie répétée encore, et encore, et encore, après chaque échec et un entraînement monotone qui devait développer des réflexes et des automatismes dans les petits cerveaux de rats. Snikkit lui-même couru à toutes vitesses, mais toujours aussi furtivement, jusqu’à une charrette, glissant au sol alors que la brute Srenq, et les nouveaux Stuxkrekch et Trul se collaient également près de lui pour rester invisibles.
Stukrekch se pencha pour regarder sous la charrette, à travers les rayons de la roue du véhicule. Il leva alors deux doigts à l’intention de Snikkit, et fit un étrange geste incompréhensible aux yeux non-exercés avec son poing. L’ombre-rouge comprit que son subordonné lui indiquait qu’il y avait deux gardes qui patrouillaient ensemble, et un dernier perché au-dessus d’une balustrade. Snikkit lui répondit par un florilège d’autres signes qui n’avaient tout autant peu de sens pour les Skavens qui n’avaient pas reçu le subtil entraînement Eshin.
Les quatre rats quittèrent la protection de la charrette et se séparèrent à nouveau. Snikkit et Srenq passaient lentement le long d’une petite route, tandis que Trul galopait, couvert par Stuxkrekch, vers une grange. À leur droite, quatre Skavens du groupe avaient jeté des grappins et commençaient l’escalade d’un mur, pour atteindre les fenêtres supérieures de la villa. À leur gauche, quatre autres déverrouillaient la serrure de la grange avec un passe-partout – C’est Vakan qui s’en chargeait, ce sale rival n’arrêtait pas de se surpasser pour prouver à tout le monde qu’il était plus Eshin que Snikkit. En l’occurrence, il était devenu au cours des dernières semaines un pro pour faire sauter des serrures, et n’arrêtait pas de passer ses nuits à violer des verrous plutôt que de dormir.
Mais Snikkit était la Grande-Cape de la douzaine. Et il ne savait que trop bien le prouver.
Un sifflement, et Trul se souleva pour souffler dans une sarbacane. L’hostile en haut de la balustrade fut touché et s’effondra. Srenq et Snikkit chargeaient les deux tangos devant eux qui venaient de soudainement tourner le dos. Snikkit se jeta à la gorge de l’un et commença à l’étourdir en l’étranglant. Srenq fut, comme d’habitude, beaucoup plus brutal et moins subtil que lui : Gros coup derrière le genou, il assomma sa cible avec un énorme coup dans le pif. Il fit un petit sourire à Snikkit, avant de lui tapoter dans le dos une fois qu’il avait terminé avec son adversaire.
« Tu t’ramollis, boss-chef. »
Nulle malice ni insulte dans ses paroles – Par on ne sait quel sortilège, Srenq s’était mit à apprécier Snikkit ces derniers temps. Étais-ce sincère ? Étais-ce parce que Snikkit l’avait impressionné durant sa mission ? Ou bien n’étais-ce que de l’hypocrisie, un moyen d’obtenir ses faveurs, ou pire, de le trahir au moment le plus propice ? Impossible à Snikkit de savoir exactement ce que le balafré avait dans sa tête de mangeur de fromages, mais toujours est-il que le rat le plus costaud de l’escouade était devenu un très bon pote, notamment fort utile lorsqu’ils allaient boire dans une taverne afin de souder les liens.
La semaine dernière, les Eshin étaient tranquillement en train de manger du fromage et sniffer leur malepierre, lorsque des Mors étaient venus les embêter, sûrement jaloux et énervés de voir ces étrangers squatter leurs avant-postes. La dispute avait dégénéré, et heureusement, Srenq était présent, en plus du grand Crulk Mange-des-Nains, un nouveau qui était un vétéran de deux déploiements à Karak-aux-Huits-Pics, un de ces théâtres d’opérations si importants pour le Conseil des Treize.
Les Skavens bondirent vers la grande porte de la villa. Ils attendirent, un moment. Au-dessus d’eux, les grandes lumières au balcon s’éteignaient les unes après les autres, tandis que les Skavens des autres groupes progressaient dans la maison. C’est Uqzit au-dessus de leurs têtes, sous les ordres de Steexilk Lame-Sanglante, qui vint les prévenir.
« Ombre deux-deux, prêt à faire entrée, oui-oui. »
Snikkit hocha du chef, puis indiqué à ses sbires d’avancer.
Stuxkrekch enfonça la porte avec un pied de biche. Srenq, dégaina une épée, défonça alors la porte avec son bras et fonça à toute vitesse à l’intérieur, Trul le collant de près. Ils s’engouffraient à toute vitesse dans le hall, où ils découvraient quelques ennemis endormis.
En même temps, au-dessus de leurs têtes, Ombre deux-deux défonçait les fenêtres et entrait à toute vitesse en rappel, tuant les ennemis au-dessus des têtes de Snikkit, tandis que plus loin, à travers une galerie vitrée, quatre rats galopaient à toute vitesse, neutralisant sèchement ceux qui auraient pu tirer dans le dos de Snikkit, dos qui en plus commençait à tout juste cicatriser après le coup d’arbalète d’il y a deux mois. Vakan siffla à l’attention de Snikkit :
« Ombre deux-trois continue-progresse à travers salle-apparat !
– Ombre deux-deux va vers chambres-dodo oui ! »
Steexilk Lance-Sanglante qui avait dit cette dernière chose. Son groupe progressait synchronisé avec celui de Snikkit au rez-de-chaussée. Les Eshin Skaven avançaient comme des ombres, vite mais bien, ouvrant chaque porte à plusieurs, surveillant constamment tous les angles. C’était un exercice étrange et extrêmement difficile : un Skaven, par nature, est incapable de faire confiance à ses congénères. Il s’attend constamment à être tué dans son sommeil, ou poignardé dans le dos. Ici, on leur demandait de ne regarder que dans une seule direction, et de compter sur un camarade pour surveiller ce qui n’était pas dans leur champ de vision. Il fallait résister à chaque fois à l’envie pressante de regarder par-dessus son épaule, pour se concentrer uniquement sur ce qu’il y avait devant soi, répartir les rôles, de qui regardait quoi lorsqu’ils pénétraient dans une pièce.
Et après des semaines fort intensives, on pouvait dire que Snikkit avait plus-ou-moins bien réussit. À chaque fois qu’ils croisaient une porte, l’un d’entre eux regardait par le trou de la serrure, tentait d’identifier la structure de la pièce derrière, puis, quelques signes de main adroit, ils défonçaient la porte, et ils se déversaient à l’intérieur en un mouvement, avant de se regrouper presque aussitôt avec une impressionnante économie de mots.
C’est ainsi qu’ils remontaient, neutralisant un par un tous leurs ennemis, en ne subissant pour eux-même aucune perte, jusqu’à ce qu’ils puissent atteindre l’endroit qui les intéressait : La salle de jeux de la villa. Une immense pièce au deuxième étage, où les trois groupes se ramenaient sous les ordres de Snikkit. Vakan, dirigeant Ombre Deux-Trois, prit la gauche, en faisant :
« Oubliez pas, on a besoin de lui-lui vivant. »
Srenq ne put s’empêcher de montrer les crocs au rat à la belle fourrure.
« Oui, on était au courant-savait, merci. »
Les Skavens entouraient des portes. Se préparaient. Certains sortirent des petites sphères métalliques à mèche, dont ils enflammaient le bout. Snikkit compta intérieurement dans la tête. Se prépara.
Puis donna l’ordre.
Les portes claquèrent, leurs clenches forcées. Les sphères jetées à l’intérieur. Des explosions aveuglantes. Les Skavens défoncèrent alors leurs ouvertures, se jetèrent à l’intérieur, et se balancèrent sur les ennemis.
Le potentat était au bout de la pièce, près d’une vitre. Snikkit se jeta sur lui pour l’emprisonner.
À toute vitesse, Khisqhil Garde-les-Trésors se retourna, et colla un pistolet contre sa tempe. Snikkit ne se figea pas, tenta de le désarmer, mais, trop tard. Khisqhil appuya sur la détente.
Le coureur d’égouts avait un sourire vicieux sous son museau.
« Bien essayé-tenté.
Mais t’as toujours besoin plus-plus entraînement. »
Srenq tapa dans le mur. Vakan retira sa capuche Eshin. Uqzit tenta de rassurer timidement ses collègues frustrés.
Et alors, tous les « ennemis » qu’ils avaient « neutralisés », se relevaient en faisant craquer leurs épaules : Ils n’étaient en fait que des esclaves skavens qui servaient de mannequins vivant, portant des vêtements rapiécés et déchirés qui « faisaient Tiléen ». Et la villa qu’ils venaient d’envahir, était en fait une magnifique reconstitution grandeur nature de villa des choses-hommes à la surface, spécialement construite sous la terre pour justement permettre aux Eshins de s’entraîner.
Des esclaves skavens sortirent de nulle part, et s’activaient à réparer les portes défoncées, remplacer les fenêtres brisées, et replacer les pièges et les cadenas là où il devait en avoir, selon la difficulté de l’entraînement.
Un coureur d’égouts collègue de Khisqhil se montra, et houspilla les esclaves.
« Dépêchez-grouillez ! Mon groupe passe dans quinze minutes-utes ! »
Khisqhil rangea le pistolet déchargé dans le tiroir d’une petite commode, puis donna une tape amicale dans l’épaule de Snikkit.
« Ton escouade s’améliore beaucoup-coup, oui-oui.
Je peux te parler rapidement-vite ? »
Ils traversèrent la villa pour retourner devant la porte, et respirer l’air enfermé de l’avant-poste. Depuis deux mois maintenant, depuis cette journée décisive où il était descendu du Malerail, Snikkit vivait à Cragbrow, une ville construite sur un terminus du malerail, et visiblement destinée à envahir la Tilée à la surface. La majorité des habitants appartenaient au clan Skryre, puis tout de suite après, les Mors s’étaient rajoutés. Les Eshin étaient une addition récente, un peu à part du centre-ville constitué autour d’une cloche géante devant laquelle Snikkit se rendait régulièrement pour entendre le tocsin et vénérer le Rat Cornu. Mais le plus intéressant, en ville, c’était ces commerces qui vendaient de la drogue ou de la très bonne nourriture (Srenq lui avait fait goûter un merveilleux fromage chipé à un peuple qu’on appelle « les Bretonniens », et qui ont visiblement plus de deux cents variétés de fromages différents). Mors et Skryre ne sont pas censés être des clans en lutte, mais visiblement, leur rivalité pour capturer une des villes des Tiléens avait transformé une concurrence polie en quelque chose de beaucoup plus amer. Mors et Skryre refusaient de boire à la même table, et leurs rats noirs luttaient souvent par des regards en croix lorsqu’ils se croisaient. Au moins, ils pouvaient s’unir dans leur haine mutuelle des Eshin, qui n’étaient présents que parce qu’un Prophète Gris, celui chargé des cérémonies et des messes envers le Cornu à Cragbrow, avait insisté pour qu’ils soient déployés dans la zone.
Khisqhil se baladait sur une galerie souterraine, d’où on pouvait voir l’immense bidonville de Cragbrow éclairé au loin, les parois rocheuses attaquées par les pioches de milliers d’esclaves qui travaillaient à agrandir encore plus le souterrain.
« Alors, Snikkit, comment va ta cape ? À ta taille, hm ? »
Khisqhil Surveille-les-Trésors observa son prodige avec un certain sourire de satisfaction.
« J’espère que tout va bien-bien avec ton escouade. En tant que Grande-Cape, tu as responsabilité-charge de leur réussite, oui-oui. Tu as droit de vie-et-de-mort sur eux-tous, oui, mais tu dois comprendre, tu as besoin d’eux pour accomplir tes missions-objectifs, oui-oui. »
Le coureur d’égouts posa ses mains sur ses hanches.
« Tu seras très prochainement-bientôt envoyé en mission à nouveau-encore. Je ne pourrai plus te surveiller-protéger comme d’habitude.
Il faut que tes Skavens t’obéissent-écoutent. Tu dois avoir leur confiance. Mais pas être ami avec eux non-non. Ils doivent te respecter. Mais comprendre qu’ils doivent mourir pour Rat-Cornu-et-Clan. Tu comprends ? »
Il agita la tête, en souriant.
« J’ai vu comment tu regardais Vakan. Vakan excellent. Bon Eshin. Il peut finir assassin. Mais toi aussi. Fais ce que tu peux pour arrêter-empêcher cette rivalité, ça ne sert à rien. Nos ennemis, c’est choses-hommes, pas autres Eshin, tu comprends ? »