Entre les chariots renversés contre lesquels venaient expirer les blessés, les chevaux aux pattes brisées qui piaffaient faiblement, les hommes qui se battaient dans le seul but de survivre le spectacle avait tout pour faire perdre la raison. Un homme se précipita à l'encontre du Nordien, si son fleuret rata sa cible la riposte de Daine fonctionna et son épée s'enfonça dans sa poitrine, la chemise de lin s'imbibant rapidement de sang.
La majorité de l'armée s'était rassemblée dans un carré d'infanterie, un carré bardé de piques, de hallebardes et d'arquebuses. Des chevaux abattus dans leur charge et des soldats empalés sur le fer d'une pique jonchaient les plates bandes du Tercio, des sergents gueulaient des ordres dans le dialecte estalien le plus rustique. Une lueur de peur, d'excitation ou de pure soif de sang brillait dans le regard de tous ces hommes. Ceux qui faisaient face à Daine braquèrent leurs piques, mais une voix tonna au dessus des déflagrations et des cris :
-Baissez vos armes cabrones ! Viens derrière les picas toi !
L'estramaçon de Pedro dégoulinait d'hémoglobine noircie par l'oxydation, son unique œil s'abaissa sur Daine.
-Content dé té voir en vie Niño.
Au milieu du Tercio, le Don parlait à ses officiers, sa belle tenue de diestro était entachée, déchirée. Il tourna la tête vers le Nordien.
-La guerra nous aura rattrapé bien plous vite qué prévou. Tenez vous prêts, nous n'aurons pas de répit.
On déchirait les sachets de poudre pour charger les lourdes arquebuses, on enfonçait sa picas dans le sol, ici un homme serrait le bandage engorgé de sang sur son bras, ici un gamin qui n'avait pas vu passer vingt printemps priait les Dieux pour les atteindre.
En face, se rassemblant comme autant de noirs charognards, les armées hétéroclites qui s'étaient jetées sur le convoi comme l'affamé sur un quignon de pain avancèrent dans la boue et la merde. Pour le Tercio, ce n'était plus des hommes, ce n'était que des ombres ivres de sang prêts à les mettre en pièce. Épaules contre épaules, de la sueur jusque dans la moustache, les plumes de leurs chapeaux battant au vent, les soldats de Don Emilio entonnèrent un dernier chant martial :
-Oh Myrmidia écoute notre prière
Nous les enfants de la guerre
Oh notre grande et noble déesse
Le champs de bataille sera ton grand-messe.
Les caballeros s'élancèrent sabre au clair et pistolets chargés, les sabots ferrés soulevant des trombes de terre tandis que leurs cavaliers criaient comme des barbares de la Steppe.
-Et au loin s'approchent les ténèbres
Les hommes d'Estalie se battront
Et pour leur oraison funèbre
Les enfants d'Estalie chanteront.
Don Emilio brandit son épée. Comme pour préparer un signal. Quatre cents âmes, quatre cents corps serrés pour le choc imminent. Quatre cents voix pour se donner du courage.
-Allez, allez, la victoire en chantant
Ignore le goût des larmes, ignore le goût du sang
N'entends-tu pas au loin le chant des partisans?
Elle est à nous maintenant
Elle est à nous, la victoire en chantant