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L'aube d'une nouvelle ère

Posté : 17 avr. 2018, 14:29
par Le Voyageur
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Ce jour-là il y avait marché devant les portes de la ville. Des caravaniers arabéens et des nomades ainsi que des sédentaires scythiens échangeaient or, bijoux, denrées, épices et teintures sous les murs titanesques de la Cité du Scarabée. On débattait beaucoup; du prix du poisson en particulier. Le peuple du désert avait, depuis quelques temps déjà, ouvert un comptoir face à la mer intérieure d'Arabie. Une initiative de leur roi, qui se souvenait que la richesse arrivait par la mer aussi bien que par les sables chauds.
Au milieu de la foule de négociants, des patrouilles étranges parcouraient le dédale de toiles et de tentes. Des guerriers squelettiques, en armures d'or et de bronze, d'antiques lances et des boucliers de bois durcis en mains. A leur passage, le peuple vêtu de noir inclinait la tête, saluait docilement voire même appelait avec bienveillance un des squelettes "père", "cousin", "fils" ou "ami".

Les étrangers, eux, regardaient le spectacle avec un mélange de surprise et de révulsion. Un arabéen de Copher souffla même à son voisin qu'il ne comprenait pas comment les scythiens pouvaient vivre ainsi aux côtés des morts qui marche, le dit voisin approuva derechef.
Mais alors qu'une femme de bonne portance discutait tapis avec un marchand de ceux-ci, elle fût bousculée par un cavalier de son peuple, tout de noir vêtu et monté sur un pur-sang brun uniforme. Arrivé devant la porte ouverte de la ville, deux ushabtis de haute stature lui barrèrent la route de leurs lames géantes. Leurs orifices crâniens se posèrent sur l'arrivant. Il semblait exténué, sa tunique était parcourue de nombreux trous et des blessures étaient apparentes. Son teint basané laissait transparaître des gouttes de sueur et il haleté comme sous l'effet d'un effort intense. Son cheval n'était pas en meilleur état et les deux ne tiendraient sans doute pas la journée s'ils continuaient à ce rythme. L'homme prononça quelques mots dans une langue étrange et les statues relevèrent leurs armes pour lui laisser le passage.
A l'intérieur, Numas était moins peuplée. Quelques vieillards et des enfants jouaient, quelques femmes étendaient les lingues ou discutaient paisiblement. Les hommes étaient encore aux palmeraies, aux élevages ou aux pyramides à cette heure. Connaissant parfaitement le chemin, le cavalier dépassa une patrouille de morts et fonça à toute allure vers un des plus beaux monuments de la ville-nécropole: le Palais du Scarabée.

Au même moment, sa divine majesté le roi Tutankhanut se divertissait dans le harem aux côtés de ses épouses.

Pour son plaisir, le souverain de la nécropole avait demandé à ce qu'on lui amène un orchestre qui séjournerait un mois à Numas et qui saurait flatter son esprit ainsi qu'apprendre à des scythiens les arts de la musique. Evidemment, il avait, avant cela, exigé une représentation privée pour sa cour afin de juger en personne de la qualité des membres du groupe. Recouvert comme toujours d'un corps d'or parfait au visage parcouru de joyaux, le roi des tombes regardait avec intérêt la musicienne à la harpe, qui accompagnait sa petite sœur au chant. En plus d'être douée avec les cordes, la musicienne possédait un corps qu'une déesse n'aurait pas renié. D'ailleurs, parmi les onze épouses du souverain, également présentes dans leurs tenues légères de soie et de lin blanc brodé au fil d'or, il y avait nombre de jalouses.
Discrètement, à la droite du roi, le grand- prêtre Hashtep, premier conseiller et magicien de la cour, se faisait murmurer d'inquiétantes nouvelles par un prêtre-liche d'une classe légèrement inférieure.

En un bond, Hashtep se leva et s'inclina profondément devant son seigneur, demandant humblement l'autorisation de sortir s'entretenir avec un visiteur. Distraitement, un peu fâché d'avoir été interrompu dans son écoute, le roi lui offrit sa permission. Le prêtre quitta la pièce alors qu'un garde partiellement momifié, feu Mirmir, champion de Tutankhanut, prenait les coussins de plumes qui servaient aux fesses sacrées du hiérophante pour les offrir à une épouse qui se plaignait de la dureté du banc d'ivoire où elle se trouvait. La favorite du harem, confortablement assise à la gauche du roi, en profita pour lui lancer une pique.

La chanteuse termina son œuvre et chacun dans la pièce, épouses comme princes et membres de la cour, salua la performance. La scène suivante serait plus visuelle, la harpiste effectuerait la danse des Mille Voiles, une coquetterie très à la mode dans les harems d'Arabie. La dame porterait une tenue exclusivement composée de voiles semi-transparents et détachables, qu'elle retirerait à chaque nouvelle acte d'une longue musique à base de percussions et d'instruments à cordes. Comme on pouvait s'y attendre, le roi avait hâte de voir ça, contrairement à ses épouses!

La belle en était déjà à son cinquième voile et on commençait à percevoir les bouts les plus érotiques de son buste quand la voix rauque et mielleuse d'Hashtep vint tirer son maître de sa méditation. Furieux, Tutankhanut le prévint que sauf si l'information était vitale il lui donnerait des coups de trique. Mais à peine le prêtre eut-il commencé que le souverain se leva et exigea:


-"Amène moi à lui."

Dans la salle du trône, un scythien en mauvais état attendait, à genoux. Nut et Geheb, les deux lions royaux, lui tournaient autour, l'appétit exacerbé par l'odeur de sang qui s'échappait de ses plaies. Seule leur éducation stricte les empêchait de le dévorer dans l'instant. Le roi les siffla en entrant dans la salle et les deux bêtes se placèrent de part et d'autre du trône de marbre, d'ivoire et d'or du souverain de sang divin avant que le dirigeant y prenne place. De nombreux gardes des tombes accompagnés d'hommes bien vivants vêtus d'armures d'or se placèrent aux entrées et aux sorties, figés dans une posture martiale.

Soudain, la voix puissante et d'outre-tombe de Tutankhanut brisa le silence.


-"Parle."

Le scythien n'osa pas lever les yeux, de peur d'offenser son dieu ou d'être aveuglé par la puissante lumière des torches qui se répercutait sur le corps d'or du roi déchu.

-"Le comptoir... Le comptoir de Numashatit a été détruit..."

-"Zandri?"

-"Non Ô fils des dieux et souverain de la Terre... Ce sont les arabéens, les hommes d'Al-Haik et de Copher, j'ai reconnu leurs effigies sur les navires."

-"Soit. En sais-tu plus?"

-"Oui Soleil du Monde, oui... J'ai entendu une conversation entre deux soldats ivres quand je me suis extirpé des ruines... Apparemment les califes refusent de nous voir prendre une part de leurs commerces... Ils recommenceront!"

Le roi se leva, bouillonnant d'une fureur contrôlée. Il se retourna vers Hashtep.

-"Prêtre, réveille la nécropole. Ton maître part en guerre."

Appuyé sur son bâton, l'ancien prêtre-liche eut l'impudence de demander:

-"Oui Ô Grand Lion Indomptable de la Terre Infinie... Mais quelles dynasties souhaitez-vous voir éveillées?"

-"Toutes. Cette fois, Numas dominera l'Arabie, telle est ma volonté."


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