Lorsqu’il arriva assez près, Andreïevitch put constater que le fuyard n’était pas un homme, mais bien un animal. Mais il ne s’agissait pas de n’importe quel animal, c’était un chien de race, un magnifique lévrier kislévite, qui s’était immobilisé quand Piotr était arrivé à se hauteur.
La bête était grièvement blessée. Elle n’avait pu que se traîner avec difficulté sur quelques mètres. Une plaie profonde au flanc avait souillé son pelage de son sang. Une sorte de casserole avait été attachée à la queue de la bête, sans doute par le même cruel homme qui lui avait infligé la blessure. Piotr savait par expérience que certains chaotiques étaient suffisamment sanguinaires pour agir de la sorte, blesser gravement une bête ou même un être humain et le laisser dépérir lentement seul dans la steppe en jouant avec eux, en s’amusant comme le chat avec la souris. En effet, sans aide, les chances de survie d’un être vivant normal seul et blessé dans l’oblast étaient quasi nulles. Cette sentence était bien plus cruelle qu’une mort plus rapide.
Par chance pour lui, le chien martyrisé avait dû réussir à échapper à ses tortionnaires malgré sa casserole attachée à la queue, et avait dû s’évanouir dans ses buissons. Il avait dû être réveillé dans la nuit par l’odeur de Piotr et des autres campeurs.
Le chien, allongé au sol, était même trop faible pour combattre. Conscient de sa faiblesse, sûr d’être à la merci de l’humain qui lui faisait face, l’animal ne montra aucun signe d’agressivité, se contentant de respirer faiblement. D’après son état, il devait certainement avoir été blessé au cours de la journée précédente. N’étant pas médecin, il était impossible à Piotr de déduire de l’état de la plaie plus précisément l’heure à laquelle l’attaque avait eu lieu. Un collier avec un petit médaillon attaché autour du cou de la bête indiquait que l’animal n’était pas sauvage, mais bien domestique.
Sans doute avait-il accompagné ses propriétaires dans la toundra, ou alors s’était-il enfui ou perdu ? Pour le moment, il était impossible de le vérifier et seules des hypothèses pouvaient être formulées. Dans la nuit noire, on ne pouvait dire d’où venait l’animal. En revanche, de jour, il serait peut-être possible de remonter ses traces.
Pour l’instant, le choix que le kislévite avait était plus simple. Il pouvait laisser l’animal à son triste sort -on pouvait estimer que sans intervention extérieur le chien agoniserait encore pendant plusieurs heures puis rendrait l’âme-, ou tenter de le soigner. Le lévrier ne s’y opposerait sûrement pas, mais c’était une contrainte supplémentaire que de s’occuper d’une bête blessée. Le choix revenait à Piotr, il pouvait à sa guise vivre ou laisser mourir.