Là où d'autres auraient abandonné, cédé à son offre, ou bien auraient mis la pression sur elle ; Surcouf, lui, avait opté pour une approche honnête, transpirant la franchise, face à quelqu'un qu'il ne connaissait même pas.
Pouvait-on dire que Dan possédait une éthique? Ou simplement du bon sens?
"Bien, dans ce cas....
Il faudra vous diriger vers les quais sud d'Elfeville, demain, à l'aube. Rappelez-vous, la Discrétion sera votre plus précieuse alliée, surtout face à la Loi, et à ceux qui la servent....
Toutes les informations vous seront données sur place."
Ce fut alors au tour de Surcouf de répondre, et il répondit, hochant positivement de la tête. L'accord fut donc conclu par un dernier geste de l'encapuchonnée:
"Et puisque vous vous en "tamponnez royalement l'oignon" du moment de votre paye, elle s'approcha de la table, prenant le jeton rougeoyant dans la bourse pour le déposer devant Dan, alors vous vous contenterez sûrement de cette pièce pour l'instant. Elle vous suffira. fit-elle, tournant désormais le dos au bordelais pour quitter le couloir, jetant un dernier regard par-dessus son épaule avant de sortir des lieux, Adieu, kegh-mon."
La nuit touche à sa fin, l'aube approche ; mais les étoiles règnent encore dans les cieux, au-dessus d'une Marienbourg quasiment endormie. La Lune, touchant l'horizon, se sait mourante, mais tente en vain d'éclairer le Pays Perdu de sa pâle lueur, encore et toujours.
Pourtant, elle échoue à le faire. La cité de Marbad lui échappe, car ce n'est pas son domaine, mais celui du Brouillard. Ce même brouillard qui maintient la ville sous son manteau brumeux, insaisissable, intangible mais en même temps bien réel.
Le port, les quartiers, les entrepôts, les maisons, les navires: le brouillard tient tout ceci, dans ses mains floues et vaporeuses.
Toutefois, sur les quais désertés, une ombre semble se moquer de tout cela, marchant rapidement jusqu'aux pontons, les brumes s'écartant devant elle tout en étouffant chacun de ses pas. Longeant le long de l'appontement, la silhouette, agile et fluide dans ses mouvements, finit par sauter sur un petit bateau.
Au bout de quelques instants, ce même navire, dans un silence presque pesant, s'écarte de la berge et ne tarde pas à disparaître au beau milieu des canaux de la cité, à la fois englouti et protégé par le brouillard.
Alors que le soleil ne s'est même pas encore levé, la journée de Dan Surcouf ne fait que commencer...
Dans toute cette purée de poix, le contrebandier navigue à vue, son sloop fendant les eaux plates de la Baie du Reik. Le bordelais n'allait pas bien vite, en fait il avançait même assez lentement, et ce malgré tout la voilure qu'il avait déployé ; car il n'y avait quasiment pas de vent à cette heure, rien, sinon un très léger souffle faisant à peine osciller ses voiles.
Mais après plusieurs minutes passées à évoluer dans les chenaux et entre les pontons, Dan finit enfin par atteindre les quais de la Voie Kislévite.
Tandis qu'il se rapproche, Surcouf peut voir que plusieurs ombres se tiennent déjà au point de rendez-vous. Il peut aussi entendre des échos de voix, qui cessent immédiatement à son arrivée, les silhouettes semblant le regarder alors qu'il accoste.
De suite après, quatre d'entre elles se dirigent vers son navire.
Dan aperçoit ainsi l'homme vêtu de blanc et masqué de noir, entouré par ses comparses. Toute cette petite bande s'adresse un dernier regard entendu, avant que le trafiquant kislévite ne rejoigne son passeur à bord du sloop, de manière assez maladroite pour le coup:
"Toi enfin arriver, lâcha-t'il en vitesse, occupé qu'il était à garder l'équilibre sur le bateau en proie au tangage,
Moi aller ici, fit-il tout en désignant la cabine du navire,
Gardes pas voir moi, toi comprendre?" dit-il de manière réthorique, joignant d'ailleurs le geste à la parole et entrant dans les entrailles du sloop.
C'est ainsi que le contrebandier, sous les regards patibulaires des autres kislévites, se détacha rapidement du quai. Il rejoignit à nouveau la rade de la cité, mettant le cap à l'ouest cette fois-ci, passant sous les hautes arches du Hoogbrug, tellement hautes en fait qu'on ne pouvait pas les voir, à cause du brouillard qui les masquait.
Longeant les quais du quartier palatial, puis de celui des grandes guildes et entreprises, ce fut au tout début de l'aube, alors que les brumes s'atténuaient à peine, que Surcouf finit par atteindre Elfeville.
D'ordinaire, on pouvait le considérer à vue d’œil comme un des plus beaux, un des plus harmonieux quartiers de Marienbourg. Mais voilà, comment Surcouf pouvait juger de la beauté des choses quand un brouillard engloutissait tout à vingt mètres de lui ?
Nesal. Quel'thalir e molareyl. Sethai."
Pourtant, le bordelais put juger d'autre chose, quelque chose de bien plus important: des elfes étaient dans les parages. Avec les brumes, on ne saurait dire où ils se trouvaient, mais leur présence était certaine. S'il restait trop longtemps ici, le contrebandier se ferait inévitablement repérer.
"Ahem. Kegh-mon? L'attention n'est pas votre point fort à ce que je vois..."
En fait, Surcouf s'est déjà fait repérer....
L'elfe ayant prononcé ces mots se tenait juste sur le quai, en parallèle par rapport au bateau. Accompagné de deux autres compères encapuchonnés, il avançait en même temps et à la même vitesse que le sloop du bordelais. Toutefois, il ignorait Dan du regard, se contentant de marcher droit devant lui, d'un air altier.
"Comme le hasard peut se révéler surprenant.
Comme cette rencontre est....intéressante, lança-t'il sur un ton presque chantant, continuant d'avancer, toujours imperturbable dans sa fierté,
Mais je pense que vous n'êtes pas au bon endroit pour pêcher, ni pour commercer, d'ailleurs.
Vous n'êtes pas au bon endroit, mais vous n'êtes pas perdu non plus....
Vous avez ainsi des raisons, des intentions....mais je ne crois pas les connaître....
Tout ceci est assez intriguant n'est-ce pas, à peine a-t'il finit de parler que l'elfe tourne enfin sa tête vers Surcouf, plongeant ses yeux en amande dans ceux du contrebandier,
Avez-vous donc quelque chose à me cacher?" demanda-t'il, poursuivant sa marche tout en penchant légèrement sa tête sur le côté.
Est-ce que c'était le regard pénétrant et étrange de l'elfe qui le déconcentrait? Ou bien autre chose?
Dans tous les cas, le contrebandier ne put rien remarquer d'autre.