Dieselhammer (ou, si le vieux monde ressemblait à l'europe du début 20ème)

Où s'écrivent les histoires, hors du temps et des règles compliquées du monde réel...
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Aristelle de Lancustre
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Dieselhammer (ou, si le vieux monde ressemblait à l'europe du début 20ème)

Message par Aristelle de Lancustre »

I: Le Feu du chaos


Chargé de beaux sentiments, ce no man’s land en était saturé. Le monde entier tremblait, ces tranchées malpropres se décomposaient sous le feu des obus impériaux, tandis que ceux d’en face en faisaient de même sous les obus de la république. C’était devenu le quotidien, la norme, ce que rien ne pourrait plus changer. Pas même les beaux sentiments, la hardiesse ou la détermination des soldats bretonniens, terrés dans leurs tranchées, la tête légèrement baissée pour ne laisser que le haut de leurs casques dépasser. On était supposé être en pleine période d’accalmie, les combats se faisaient de plus en plus sporadiques, et pourtant on entendait vibrer par toutes les montagnes grises le martèlement et le tonnerre des canons. Mille milliers d’obus crachés par des bouches infernales, des fracas lointains, vibrants, incessants, un instant interminable de terreur dans l’attente de l'obus qui tombe, puis une explosion, quelque part, on espérait aussi loin que possible. Chaque jour, chaque heure, l’incessant cliquetis des obusiers qu’on recharge. C’était le quotidien des soldats de la république de Bretonnie, et, même si les bretonniens refusaient de l’admettre, c'était aussi celui des impériaux en face.

Des hommes vaquaient à leurs occupations dans les tranchées, se bousculant doucement dans cet espace étroit à la promiscuité affreuse. On était tendus, conscients que la mort pouvait survenir n’importe quand, et qu’elle serait inévitablement des plus affreuses. Certains ne pouvaient pas passer un instant sans renifler l’air comme des chiens, s’attendant à sentir l’odeur d’un gaz de combat adverse, mais ce n’était que le mélange d’étrons et de rats crevés. D’autres abandonnaient cette idée et se détendaient les poumons en les empoisonnant à grand coup de tabac, fumant chaque jour autant de cigarettes que permis. Au milieu de tout ça, quelques hommes étaient en assez bon état mentalement pour occuper leurs mains à quelque artisanat, se forgeant des objets à partir du métal des douilles. C’était un art recherché, et on échangeait toute sorte d’objet à ces artistes contre du tabac ou quelques billets froissés. Les hommes maintenaient un semblant de vie dans cette misère, comme si on était encore des humains normaux.

Elle, elle était parmi ces hommes. Mieux, elle en était un. Dans ce que la logique sarcastique des lieux voulait qu’on appelle des « latrines », elle guettait attentivement que personne ne vienne dans sa direction tout en déposant sa commission au milieu de ce large trou sale à quelques pas à peine de là où ils dormaient. Ses yeux grands ouverts, aussi alerte que quand ils devaient repousser un assaut. Un mec arriverait au mauvais moment et c’en serait fini d’elle. Mais elle se débrouilla pour en avoir fini rapidement, renfila ses chausses, et laissa échapper un soupir de soulagement. Elle allait reprendre son poste, quand un autre soldat fit irruption, le nez plein de morve entachant sa barbe miteuse et répugnante. Ils faillirent se percuter l’un l’autre dans l’étroit couloir de la tranchée, et après un échange de juron, l’homme la dévisagea et sourit.

« Ah ! Aristide ! Je te cherchais justement. »

Elle cligna des yeux, plissa les paupières, le scruta… difficile de reconnaître les hommes ici, ils étaient tous tellement barbouillés de boue de crasse et couverts de poils qu’on avait du mal à faire la différence. Même la couleur de leur pilosité semblait varier bien peu tant ils étaient tous noirs crade. Elle reconnut tout de même un de ses camarades de régiment, Bidot, un bon gars.
De son côté, il n’avait pas de mal à différencier « Aristide » du reste de la troupe. Aristide était le seul à ne pas avoir le visage saturé de poils drus.

« Bidot, comment tu vas ? Tu me cherches pour quoi ?
- Ben comme tu sais, je vais pas tarder à avoir ma permission, et je me rend compte que je me suis pas rasé depuis un bail.
- Et alors ?
- Ben en fait, mon rasoir est cassé, alors je voulais savoir si tu pouvais pas me prêter le tien. »
Il ponctua ses paroles d’un coup de coude amical dans le flanc de son camarade.
«  Entre nous, je t’ai jamais vraiment vu t’en servir. Tu dois avoir la bénédiction de pas avoir les poils qui poussent trop vite, toi. Allez, il te manquera pas beaucoup. »

Elle frissonna, mais maintint malgré tout sa mine la plus flegmatique. Il venait de mettre en évidence une limite de sa couverture. Même si elle avait déjà tenté de se raser, juste pour faire genre, et écoper de coupures désagréables sur le visage pour donner plus de réalisme à la chose. Mais au final elle se réjouissait que les hommes puissent juste penser qu’elle était un garçon avec peu de pilosité.
Sur le coup, elle se sentit un peu gênée, et quand elle était gênée elle saisissait son casque par la visière et le rabaissait pour couvrir ses boucles blondes - d’une saleté écœurante par ailleurs - et soufflait du nez.

« Ben, je suppose que tu peux bien l’avoir, ouais, mais il s’appelle reviens !
- Super, merci vieux, tu me sauves la vie. »

Elle sortit le rasoir de son paquetage et le lui tendit.

« T’avise pas de le casser, hein ?
- Juré craché, ptouh »


Cracher par terre dans les tranchées semblait… étrangement adapté. Même elle ne s’en offusquait pas le moins du monde. Elle retint un petit rire, et le laissa prendre le rasoir.

« Tu prévois de te faire beau pour ta femme, ou tu compte aller à Couronne visiter les maisons closes ?
- Plaisantes pas avec ça Aristide. Je sais même plus depuis combien de temps j’ai pas vu mon Églantine.
- Va va va, faut pas mal le prendre. Je suis sûr qu’elle sera ravie de te revoir.
- Pour sûr. Mais au fait, comme je rentrerai au pays, tu veux que je passe un mot à ta famille ? »
Elle réfréna un frisson, mais ne put empêcher son sang de se glacer.
« Non, c’est pas la peine…
- Ça me coûterait rien, vieux. Dis moi juste où ils habitent, je passerais les voir. Tu m’as jamais dit où tu vivais d’ailleurs…
- C’est pas la peine je te dis. C’est compliqué entre mes parents et moi. ‘Fin, tu sais...
- Quoi ? Tu t’es disputé avec eux ?
- C’est plus compliqué que ça. Va, ça t’intéresserait pas.
- D’accord, d’accord, mais si tu veux en parler, n’hésite pas.
- T’es lourd des fois, Bidot. »

Ils changèrent de sujet, et se mirent rapidement à parler de choses triviales, de politique, et enfin du sujet qui concentrait le plus les hommes ici bas dans les tranchées : la bouffe.

Justement, l’heure du rata vint, les soldats de s’assembler pour grailler comme ils pouvaient. Certains avaient fait griller des rats pour rajouter un peu de viande, mais elle ne se sentait pas encore prête à goûter à cette viande là. Au final, vint le moment du vin. Un demi litre par soldat par jour, alors on s’en foutait plein la panse. Pendant tout le repas, le capo passait et repassait au milieu de ses hommes, sans rien dire. Il tripotait le manche de son sabre, dardait ses yeux sombres partout… il avait un air triste, mais les soldats ne le remarquaient pas tant ils étaient torchés. La nuit tomba sur les montagnes grises, les tranchées sombrèrent dans les ténèbres, même si, au loin, très loin, on entendait encore ce bruit régulier des obusiers qu’on recharge et qui tirent. Non, en fait… il n’était plus aussi régulier. Le délai entre chaque tir n’était pas le même.

Le lendemain matin, sonnerie de trompette. Le capo ordonne que les hommes se rassemble, se poste au milieu d’eux, échappe un long soupir. Sa capote est barbouillée de boue et de crasse, et en plus il s’est mis à pleuvoir, à pleuvoir d’une force, c’en est terrifiant. Les soldats voudraient se planquer, mais le caporal leur adresse ces mots :

« Soldats, on a gardé l’information secrète aussi longtemps que possible, alors je suis navré de vous prévenir au dernier moment. Assaut aujourd’hui à midi pile. Préparez vos armes et vos paquetages. Nos éclaireurs sont en train de couper les barbelés en ce moment même. Bombardement de semonce à midi moins le quart, à midi pile on monte les échelles et on passe à l’assaut. Pas de commentaires, pas de questions. Juste un détail : l’état major compte beaucoup sur cet assaut, alors on ne recule pas. C’est interdit. Compris ? »

Il n’eut droit en réponse qu’à un silence, sans même le son d’une respiration. La pluie battante faisait tout vibrer avec insolence, et les hommes avaient le tournis à force que ces grosses gouttes s’écrasent sur leurs casques. Ça puait. La pluie était torrentielle et acide, le bourbier ressemblait à rien, on voyait pas à soixante mètres, on avait mal aux cheveux à cause de l’humidité, et Bidot était en train de pleurer.

Elle, elle avait mal partout, mais curieusement, elle se sentait presque sourire. Peut-être qu’elle était folle. En tout cas, elle avait un espoir, assez curieux, celui de voir cette guerre se mettre à ressembler à quelque chose. Elle avait été là au tout début, dans les premiers jours de cette grande candeur qu’on appelait maintenant la Foutue Guerre, celle qui balafrait le Vieux Monde. Elle avait menti sur son âge, en plus de son sexe, et comme elle était en bonne santé et en bonne forme physique, les médecins avaient pas poussé l’analyse. Aux premiers jours, on avait marché avec les uniformes bariolés, les beaux drapeaux de la république, et ses chants nationalistes qui donnaient tellement de baume au cœur qu’on se le sentait presque exploser. Elle avait été si joyeuse de marcher parmi tous ces hommes, d’aller combattre ce maudit empire totalitaire qui voulait dominer tout le Vieux Monde avec sa tyrannie et son militarisme, ces barbares d’au delà du Reik. Mais surtout, elle avait juste envie de vivre quelque chose d’intense, et intense ça l’avait été. Elle avait marché à travers les champs, en formation avec des centaines d’hommes. Ils rayonnaient tous dans leurs uniformes neufs, se pavanaient en chantant à tue tête, et brandissaient leur magnifique drapeau coloré. Il n’y avait rien de plus beau.
Elle avait rencontré des hommes de toutes la Bretonnie. Des beaux, des moches, des galants et des bourrus. Mais voir depuis les premières loges comment les hommes se comportent avec d’autres hommes, c’était tellement grisant pour elle… et croiser des gens venus de tout le pays, des gens intéressants qu’elle n’aurait jamais rencontré autrement.
Et puis le combat, le feu, les batailles. C’était bizarre. Juste bizarre. On ne savait pas ce qui se passait, où était l’ennemi, qui tirait sur qui, et quand on voyait des gens il fallait juste les tuer. Leur tirer dessus avant qu’ils vous tirent dessus. Pas de duel chevaleresque, de charge à la baïonnette, d’affrontement de volonté. En général, une salve de fusil et un camp ou l’autre s’en allait. Une rafale de mitrailleuse, et un camp ou l’autre ne ressemblait à plus rien sinon du gruyère, et encore, du gruyère dont il ne resterait que les trous.
Et puis il y avait ces foutus canons, et ces saloperies d’avions, et ces conneries de tireurs embusqués, et sans parler des grenades, et puis il y avait les cavaliers (elle était si frustrée de de ne pas avoir rejoint la cavalerie, mais n’ayant pas fait son service militaire avant la guerre elle n’avait pas pu montrer ses talents de cavalière) et tout ce bordel ne se contentai pas de se tirer dessus et de se mettre sur la tronche, non, il fallait systématiquement qu’ils tirent sur l’infanterie et qu’ils mettent sur la tronche des pauvres types pouvant à peine se défendre.

À un moment ils avaient combattu dans les montagnes grises, comme des gens normaux, en bougeant, en se battant, en se tirant dessus et en se chargeant à la baïonnette. Elle s’était plutôt bien démerdée pendant cette partie là, et elle avait même tellement bien réussi à tuer des gens à pas se faire tuer qu’on avait plus mis en doute son sexe. Maintenant, depuis qu’on les avait enterrés dans des tranchées, c’était une autre affaire.

On plaçait des échelles. On se préparait. Fusil, baïonnette, pelle, couteau, grenades, cartouchière, tabac... surtout du tabac. Même elle qui n’aimait pas trop ça, elle s’en grillai une avant chaque assaut. Au moins, ce goût dégueulasse lui ferait oublier celui du sang de la boue et de la culpabilité.
Masque à gaz autour du cou, casque vissé sur la tête, fusil à la main, elle se tenait, par chance, au troisième rang. Ils étaient entassés dans la tranchée, prêts à sortir. Ils auraient tous bien voulu discuter, échanger quelques paroles, peut-être leurs dernières, mais le tonnerre des obusiers les en empêchait. Ça tirait à un rythme frénétique, avec un boucan pire qu’infernal. La pluie aussi avait redoublé, chaque goutte vous brulant les vêtements, on ne savait même pas pourquoi. La peur vrillait les tripes, le sang bouillait. Elle, elle sentait ses yeux s’exorbiter sans savoir pourquoi. Elle se mit à siffloter pour faire passer sa tension ailleurs, puis à fredonner. Un autre homme à côté d’elle se mit à fredonner aussi, puis un autre, et bientôt on entendait vaguement, sous le hurlement sauvage des obus, comme une mélopée à la fois funeste et candide, l’air de l’hymne bretonnien.

Elle ferma les yeux, les rouvrit, et n’avait plus peur. C’était presque effrayant en soi, mais elle ne ressentait plus rien, c’était comme une transe étrange où elle savait qu’absolument tout pouvait arriver.
Le caporal Barbusse se dressa, se dirigea vers les échelles en regardant sa montre, posa un sifflet entre ses lèvres, tira son sabre, et garda les yeux rivés sur sa montre.

« Gn’un de con, un’en retard de gn’eux minutes. »

Puis, d’un coup, le bruit cessa. On mit quelques secondes à s’en apercevoir dans la pluie tonitruante, mais les canons s’étaient tut, et un silence froid, blafard s’abattait sur les montagnes grises.

Elle put voir de nombreux soldats qui avaient les paupières serrées ouvrir les yeux, avec comme un semblant d’espoir, comme un rêve que la guerre soit terminée soudainement, ou bien que tout cela n’ait jamais été autre chose qu’un grand cauchemar aux ampleurs dantesques.
Mais un long et strident son de sifflet les arracha à toute fantaisie, les plongeant et les noyant dans une réalité affreuse. Tous les muscles présents à cent mètres à la ronde se contractèrent. On devint incapable de respirer. Certains auraient voulu s’évanouir sur le coup. On mit en branle la funeste machinerie humaine tout en priant les dieux d’accorder leur miséricorde à ces frêles corps humains qui allaient se précipiter sous les balles.
Et on grimpa avec peine aux échelles, le capo sifflant de plus belle, remuant son sabre pour piquer le derrière de ceux qui ne montaient pas assez vite, et bientôt le beau monde prit pied sur le sol bourbeux, retourné par la pluie et par les obus, manquant de glisser ou d’enfoncer leurs bottes dans cette terre déchiquetée par la guerre.

« Vive la république ! Vive la Bretonnie ! »

Et les hommes désespérés d’avancer en courant presque, en zigzaguant autant que possible, en cherchant de tous côtés une couverture quelconque. Elle ne les imita pas de suite, profitant plutôt des premiers instants pour courir tout droit. Elle avait bien compris qu’il faudrait quelques secondes à l’ennemi pour ressortir ses mitrailleuses et se remettre du bombardement avant de pouvoir répliquer, alors autant prendre le plus d’avance pour diminuer le risque de se faire abattre par le capo.
Le caporal Barbusse, justement, était de l’assaut, pas en première ligne, mais il agitait son sabre en encourageant les hommes à avancer. Elle courut sur plusieurs mètres, l’oreille aux aguets. Un cliquetis qu'elle ne connaissait que trop bien... elle plongea en avant sans réfléchir, sa mâchoire s’enfonçant dans la boue, le goût de terre sur sa langue à peine repoussé par celui de la cigarette. À plat ventre sur le sol, elle sentit plus qu’elle ne vit la rafale courir sur le no man’s land, cherchant désespérément des gens à tuer. Des hommes s’effondrèrent, réellement blessés ou non, d’ailleurs. Quelques effusions de sang giclèrent ça et là, camouflées par la pluie et la poussière. Elle se releva péniblement, à quatre pattes d’abord, puis se redressa, vérifia son fusil, s’assura qu’il n’était pas encrassé de boue, fit plusieurs pas de biais, et se jeta derechef au sol. En serrant les dents, elle chercha à mesurer la distance qu’il devait lui rester avant d’arriver en vue de la tranchée en face. On ne voyait rien avec cette pluie et les nuages qui obscurcissaient le ciel, en plus la texture de l’eau de pluie était anormale, acide, chaque seconde passée dans cet enfer humide était douloureuse. Elle avait dû faire une cinquantaine de mètres… une soixantaine et elle pourrait lancer une grenade sur ces enfoirés de l’empire. Elle essaya de ramper, puisque le son de la mitraille ne cessait pas de se faire entendre. Puis elle entendit distinctement le son qui lui faisait le plus peur entre tous : un canon.

Une explosion à une soixantaine de mètres d’elle. Elle sentit tout de même le souffle sur elle. Des hommes volèrent, d’autres furent écrasés par la force de l’explosions, ceux qui se trouvaient juste en dessous ne devaient plus jamais être retrouvés. L’ennemi répliquait sérieusement, alors il n’était peut-être plus temps de réfléchir. Il fallait juste que cet assaut se termine le plus vite possible. Gagner ou perdre, la question ne se posait même pas. Si l’assaut échouait rapidement, elle aurait plus de chances de survivre que si il s’éternisait et qu’on se tirait dessus sans cesser pendant des heures.
Elle se redressa à moitié, courut, tomba, se releva, zigzagua, vit un obus tomber à une dizaine de mètres, sauta pour s’en éloigner, tomba au sol… en quelques instants elle avait déjà commencé à ressembler plus à une boule de boue informe qu’à un être humain. Il y avait trop d’éclats, de morceaux de terre, d’objets et de gens qui volaient dans tous les sens. Elle serrait son casque sur sa tête pour se sentir protégée. Le bruit autour était simplement horrible. Ça commençait déjà à hurler, au sens propre. Des humains agonisaient, ça et là, partout, sans s’arrêter de hurler et d’appeler à l’aide. Alors elle se leva, courut sur quelques mètres, et sauta dans le trou laissé par le précédent obus en priant pour qu’il ne leur vienne pas l’idée de tirer deux fois au même endroit. Là, elle reprit son souffle. Elle avait arrêté de respirer, et ne s’en rendait compte que maintenant. Elle chercha son souffle et faillit hurler en voyant une forme la rejoindre dans le trou, et pointa sa baïonnette vers lui, mais c’était un camarade, non, c’était même Bidot.

Lui aussi eut besoin de reprendre son souffle. Une rafale de mitraille passa juste au dessus d’eux, faisant voler des gerbes de terre mais ne blessant personne. Le soldat velu se gratta la barbe en observant les alentours.

« Je sais même plus dans quelle directions est l’ennemi et dans quelle direction sont nos tranchées. Et je sais pas non plus vers lequel des deux je ferais mieux d’aller. Tu vois quelque chose d’intéressant Aristide ? »

L’intéressée risqua un œil dehors. Le brouillard du bombardement s’était un peu dissipé, et elle vit un cadavre déchiqueté, suintant de sang moisi et de pus, écartelé entre des fils de métal. Les barbelés ennemis. Merci les éclaireurs supposés les avoir débarrassés la nuit dernière.

« Ils doivent être à cinquante mètres. On peut pas lancer une grenade aussi loin je crois.
- Merde, il va falloir se rapprocher. Mais si on balance une grenade chez les impériaux, peut-être que le capo nous laissera nous replier.
- Faut prier pour, ouais.
- Qu’est-ce qu’on fait alors ? Je sais pas si ils nous ont vus, mais si c’est le cas, on va se faire laminer sitôt qu’on mettra le nez dehors. »

Elle réfléchit un instant, puis demanda :

« T’as combien de grenades ?
- Trois. J’en ai récupérée une sur un corps.
- J’en ai deux. Bon, je te propose que je fasse diversion. Je lance une grenade dans leur direction, ça les touchera pas mais ça devrait les distraire assez pour qu’ils me tirent pas dessus, puis je sors et j’attire leur attention. Toi, tu t’avance an rampant, et sitôt que t’es assez près, tu lance tes grenades et tu tues leurs putains de mitrailleurs.
- T’es sûr de toi ?
- Oui.
- Ok. Va pour ce plan. »


Bidot aurait voulu contester, refuser que son ami attire l’attention de l’ennemi, proposer d’échanger les rôles, mais il ne pouvait pas. Il n’avait vraiment pas envie de mourir. Pas maintenant. Et elle comprenait. Lui avait une famille qui l’aimait, il ne méritait pas de mourir. Elle, c’était plus compliqué. De toute façon, on verrait bien.

« Cette pluie est vraiment infernale, si on reste trop longtemps sur place on va s’embourber, alors faisons vite. »

Elle tira une grenade de son paquetage, la dégoupilla, et la jeta de toutes ses forces. Juste avant l’explosion, elle bondit du trou, de manière pataude, glissant et se rattrapant de justesse, elle entendit le sifflement d’une balle pas loin de son visage et remercia les dieux de l’avoir faite glisser à ce moment précis. Elle se mit à courir tout en sortant une autre grenade. Une explosion au loin l’assourdit pendant un instant, elle n’entendit pas le bruit de la mitrailleuse qu’on rechargeait, mais Bidot, lui, entendit. Les impériaux étaient à court de munition, et avant qu’ils puissent recharger leur arme, il fit un sprint, jeta une grenade de toutes ses forces, et en sortit une seconde qu’il jeta seulement quelques secondes après, puis il se mit à courir en sens inverse avant que ça n’explose. Elle le vit bondir derechef dans le trou d’obus, mais elle même n’avait plus d’endroit où se planquer, alors elle continua à courir en zigzaguant. Un rapide coup d’œil sur le no man’s land lui révéla que la majorité des hommes envoyés dans l’assaut n’étaient simplement plus là. Soit morts, soit blessés, soit en train de fuir comme des fous ayant le diable aux trousses. Elle lança sa grenade sans réel espoir de toucher qui que ce soit, puis se mit à errer désespérément dans ce désert de boue, de pluie et de cadavres. Et c’est alors qu’un son de sifflet retentit, suivi par la voix du caporal Barbusse.

« Repliez vous ! Repliez vous ! »

Il avait lui même dit que le repli n’était pas envisageable, mais avec plus de la moitié de ses hommes hors de combat sans avoir pu atteindre les tranchées adverses, il avait visiblement décidé qu’aujourd’hui n’était pas leur jour. Ce fut avec un mélange de soulagement et de terreur redoublée que les hommes se mirent à courir en sens inverse, beaucoup abandonnant leurs paquetages, trop d'entre eux se mettant à courir tout droit comme s’ils s’imaginaient que les impériaux auraient pitié d’eux et n’oseraient pas profiter de leur déroute pour leur tirer dessus. Une erreur fatale, comme les balles impériales en fauchèrent des dizaines en quelques instants. Elle se mit à courir en zigzaguant par à coups, avançant plus lentement qu’à l’aller dans l’espoir avant tout de s’en tirer en vie. Dans le pire des cas, une fois l’assaut terminé, il y aurait des services de Shallya pour ramasser les blessés. Enfin, si les impériaux ne leur tiraient pas dessus à eux aussi comme la dernière fois…

Les hommes bondirent dans leurs tranchées, ces trous à rats invivables, humides et insalubres qu’on détestait tant devenant soudainement un foyer chaud où l’on voulait se réfugier à tout prix. Ils se jetèrent dedans, s’entassant les uns par dessus les autres. Le capo allait presque les rejoindre, quand l’impensable et l’inadmissible se produisit.

Un coup trop bien calculé, comme une pichenette cruelle du destin, un obus, tomba en plein dans les tranchées bretonniennes, arrachant des membres et des monceaux de boue. Barbusse se cabra, en tenant son casque, et contempla les hommes restants sortir en hâte des tranchées comme ils y étaient rentrés. On était plus en sécurité nulle part.

Elle arriva finalement au niveau du caporal, à temps pour le voir étouffer une multitude de jurons.

« Bordel de putain de merde ! C’était pas un obus ennemi ça, c’était un obus à nous. On m’avait dit qu’ils voulaient pas qu’on se replie, mais à ce point là ? »

Il poussa un cri de rage, les hommes se regardèrent tout penauds, la panique empoisonnant trop leurs esprits pour pouvoir agir d’une quelconque façon que ce soit.

« Qu’est-ce qu’on fait ?
- Soit on attaque, soit c’est la court martiale. Tant qu’à mourir, autant que ça soit par les balles impériales. À l’assaut messieurs !
- Hors de question ! » s’écria un homme.


Le caporal étouffa une invective, mais comprenant que ça ne servirait à rien, en silence, il tira son revolver et le pointa sur l’homme.

« Vous avez cinq secondes pour changer d’avis soldat Jourdin.
- Vous êtes fou ! J’y retourne jamais !
- Temps écoulé. »

Elle sursauta en même temps que tous les autres. Le cadavre s’effondra, le caporal soupira, agita son sabre, et beugla :

« En avant ! À l’assaut ! À l’assaut ! »

Cependant, on ne voyait plus rien. La pluie venait de brusquement devenir plus vive, plus violente, et elle tournoyait, s’abattait à l’horizontale, brulait, broyait… on se croyait dans un brouillard acide. Elle crut un instant qu’elle avait dû s’évanouir dans ce chaos et faisait un cauchemar, mais elle finit par discerner des visages dans ce désordre affreux, et des voix.

« J’ai dit à l’assaut ! Qu’est-ce qui se passe ? »

Silence.

« Qu’est-ce que c’est ce bordel ? »

Un chuintement visqueux, suivi d’un caquètement étrange. Elle pensa tout de suite à une mitrailleuse que l’on arme mais… c’était différent… organique ?

« C’est quoi cette lumière ? »

Des cadavres de la fosse, des corps charcutés sans pitié ni raison dans la tranchée, une force résonna, puis un son qu’aucune humain ne devrait jamais entendre et qu’aucun humain ne comprendrait jamais réellement. Elle vit, d’un trou de la réalité, une flamme aberrante surgir. Était-ce une autre arme ? Un gaz ? Un lance flamme ? Un obus ? Qu’est-ce que c’était ? Qu’est-ce que c’était ?


La pluie tournoyait, et des cris de terreur résonnèrent, un glas d’outremonde se fit entendre, et des voix insensées, une langue inhumaine qui ne répétait qu’une chose qu’elle comprenait malgré la barrière de la langue :

« Carnage ! Carnage ! Carnage nous appelle ! »

Et puis des giclées de sang, des cris. Elle vit un trait de lumière rougeoyante transpercer le poitrail du capo et le trancher comme du beurre avec un couteau à désosser. Ses côtes furent arrachées sous la violence du coup et son buste se détacha pour être saisi entre les griffes d’une abomination faite de muscles d’écailles et de sang.

« Du sang pour le dieu du sang ! Des crânes pour le trône de crânes ! »

Elle ne réfléchit pas plus que ça. Ses yeux s’écarquillaient de terreur, son cœur battait la chamade, et de la sueur transpirait par tous les pores de son corps, mais en même temps une puissance surnaturelle excitait les parties de son cerveau les plus sauvages. Elle empoigna son fusil et tira sur les formes démoniaques. Sa cartouche fit mouche, et un gémissement de plaisir traversa la brume acide.

« Oui ! Combattez ! Tuer ! Du sang pour Khorne ! »

Elle rechargea son arme à toute vitesse et avec un cri qu’elle ne comprenait pas elle même fit feu derechef. Puis elle se mit à courir pour s’éloigner des lames, courir vers les lignes adverses, tout en rechargeant son arme à la va vite. Des rafales de mitrailleuses passèrent, mais la panique et l’incompréhension se diffusèrent même au camp ennemi. Le ciel ne ressemblait plus à rien, les nuages rougeoyaient, la pluie brulait les gens, et chaque balle fusait avec des flammes. Des silhouettes squelettiques cornues tombaient des cieux et transperçaient, découpaient, charcutaient, massacraient. Elle ne comprenait rien, courait, tirait, courait, rechargeait, courait, tirait, courait, courait encore et encore. La menace ne venait littéralement de nulle part. Elle n’avait pas d’origine dans l’espace, rien de logique, et finalement rien de concret.

Elle vit dans la brume opaque une silhouette rougeâtre se dresser juste à côté d’elle, une figure terrifiante, mais prise par l’euphorie étrange qui l’attaquait autant que les créatures, elle planta directement sa baïonnette dans le monstre qui cilla à peine, ricana, pointa une langue abjectement longue, et se dégagea d’un mouvement d’une force et d’une habileté telle que la jeune femme n’y comprit rien. Elle se retrouva à terre, et la chose avança vers elle, une épée de bronze à la main. Elle plaça son fusil entre elle et la lame tout en criant, un mélange de terreur et d’ardeur guerrière, comme si cela allait lui donner une chance contre cette monstruosité.
La lame entama le fusil, déchira sa structure, et commençait même à trancher le métal. La bête semblait savourer ce moment en grand sadique, se léchant les babines en prévision du flot de sang qui suivrait. Mais soudain, l’immonde créature vacilla, la lueur sanguinaire dans son regard s’éteignit, et ses écailles perdirent de leur teinte.
L’humaine, apeurée, ne pouvait pas comprendre ni appréhender ce qui se passait pourtant juste sous ses yeux. Le démon clignotait, se dissipait, apparaissait et disparaissait pour réapparaitre encore et encore, sa force se faisant moindre. Il poussa un cri de rage et de frustration, puis sa forme se décomposa soudain. Juste une bouffée de nuages enflammés qui revinrent là d’où ils étaient venus, c’est à dire de nulle part.

Allongée sur le dos dans la boue brulante, les yeux écarquillés mouillés de larmes et de pluie dirigés vers le ciel, elle resta là, sous le choc. Ce n’est qu’une fois l’aberration disparue qu’elle réalisa que cette apparition terrifiante, cette incursion de démons irréels dans le réel… n’avait duré que quelques très courts instants. À peine quelques minutes au grand maximum, et des dizaines d’hommes avaient été découpés en rondelles par les épées ardentes de ces choses. Elle n’avait dû son salut qu’au fait que ces choses, n’avaient eu le temps que de passer le bonjour avant de disparaitre. C’était tout. Elle cligna des yeux frénétiquement, déboussolée jusque dans les tréfonds de ses organes, son cœur emballé comme jamais il n’aurait dû, son esprit embrouillé, terrifié, perdu. Et elle s’évanouit avant de s’en rendre compte.





C’est là que le personnel médical la découvrit. Au beau milieu d’un charnier qui n’avait aucun sens. On leur donna ordre de ne rien révéler de ce qu’ils auraient vu et de simplement emporter tout ce qui était encore vivant. Elle, était visiblement à peu près intact. Pas de blessure physique du moins. Ils l’emmenèrent et, une fois à l’hôpital militaire, la rangèrent à part avec les autres survivants de ces événements étranges. Encore inconsciente, elle fut déshabillée pour être auscultée par un médecin, et c’est seulement à ce moment là que son secret fut découvert. Sans rien dire, les médecins s’assurèrent qu’elle n’avait pas de blessures, puis envoyèrent un rapport précis à l’état major sur le soldat Aristide Lancelin, qui fut très vite identifié comme étant de son vrai nom Aristelle Delancustre.
Aristelle de Lancustre, Noble
Profil: For 10 | End 10 | Hab 8 | Cha 8 | Int 8 | Ini 8 | Att 9 | Par 8 | Tir 8 | NA 1 | PV 60/60
Lien Fiche personnage: wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_aristelle_de_lancustre

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Le clairon sera utilisé.



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