[Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Où s'écrivent les histoires, hors du temps et des règles compliquées du monde réel...
Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

***
***
***
     Les portes d’une des plus sombres salles du « Rêve d’Atharti » s’ouvrirent à la volée. Sarquindi entra et accrocha au mur sa lampe. Il se tourna et contempla les différents objets qui occupaient la pièce : une table en bois de laquelle tombaient des chaines, un râtelier rempli d’objets tranchants et perforants, plusieurs fouets aux cordes différentes accrochés aux murs, un sac de sel, quelques scies… Rien d’autre que des classiques ennuyeux. Phy’lis entra à son tour.

     « L’avez-vous trouvée ? demanda-t-il avec impatience.

     - Oui. Elle est posée dans le fond de la pièce à côté du sac de limes. répondit le capitaine, agacé que son nouveau second lui parle sur ce ton.

     - Parfait ! Faites entrer notre invitée, vous autres ! »

     Deux corsaires trainèrent une prisonnière inconsciente dans la salle. Ils la portaient sous les épaules sans ménagement, son équipement avait connu des jours meilleurs, ses genoux frottant contre le sol étaient écorchés. Ses cheveux blonds et son armure blanche ne laissaient aucun doute sur la nature ulthuanienne de leur prisonnière.

     « Mettez la dans la petite cage ! » ordonna le comédien en sautillant d’excitation. « Et qu’on lui laisse son armure, car l’inconfort n’est jamais quelque chose que l’on doit sous-doser. »

     L’un des druchii alla chercher l’objet en question. C’était une cage cubique d’un mètre de côté. Toutes les faces de la cage étaient faites de barreaux de section différente, ronde, ovales, carrées. Les barreaux n’étaient ni rectilignes, ni parallèles, de sorte qu’il n’y avait l’espace de passer un membre entre les barreaux qu’au centre des faces du cube. L’un des coins de la cage comportait un anneau solide. Les corsaires déverrouillèrent la serrure de la cage, l’ouvrirent et mirent leur prisonnière à l’intérieur, les genoux repliés contre le torse. Ils lui tordirent les bras dans le dos et attachèrent les poignets de l’asure. Puis, ils firent passer une corde à une poulie au plafond, attachèrent la corde à l’anneau de la cage et hissèrent celle-ci jusqu’à ce qu’elle ne touche plus le sol. Phy’lis prit un seau d’eau dans un coin de la pièce. Il vérifia que l'eau était aussi saturée de sel et, satisfait, se prépara à vider le seau sur la tête de la prisonnière.

     « Ouvrez les yeux, chère invitée ! Vos hôtes aimeraient échanger quelques paroles choisies avec votre colère ! » chantonna Phy’lis.

     Il fut arrêté dans son geste par Sarquindi. Le corsaire ricana avec un sourire sadique :

     « Un instant cher associé. Nous pouvons encore la préparer un peu. »

     Il alla jusqu’au râtelier, fouilla un peu et brandit avec un sourire satisfait une minuscule lame arrondie, pas plus longue qu’un ongle. L’objet ressemblait de près à une petite griffe de rapace légèrement creuse à l’intérieur de la courbure. Sous le regard curieux du comédien, il revint vers la cage, et prit un instant de réflexion silencieuse. Il souleva doucement le menton de la prisonnière et tira lentement son visage vers le bord de la cage. Sarquindi tourna la tête de l’asur avec la délicatesse d’un joailler. Il approcha la lame du front de la prisonnière et enfonça le métal dans la peau sur quelques millimètres. Le tortionnaire vérifia que l’opération n’avait pas éveillé sa victime et, rassuré, entreprit de tracer dans son front des symboles précis. La lame, en avançant, retournait un très fin ruban de peau de part et d’autre de son sillon. Celui-ci se remplissait rapidement de vermeil. Manié par des doigts expérimentés, l’outil ne réveilla pas la prisonnière. Sarquindi recula pour contempler son œuvre. Sur le front de l’asur était dessinée la rune d’Hekarti en traits sanglants dans la peau de l’elfe.

     Phy’lis siffla d’admiration et félicita le corsaire d’une voix mielleuse :

     « Vous ne perdriez rien en reconnaissance si vous décidiez de cesser la course pour vous faire scribe auprès de notre roi. Cette rune est presque parfaite ! Donnez-moi le nom de votre professeur et j’irai à la nage au travers des flots auprès de lui pour qu’il m’enseigne les arcanes d’une telle gravure. Hekarti, dame de tous les savoirs, ne peut qu’approuver cet hommage.

     - Je suis, il est vrai, plutôt content de moi » répondit Sarquindi sur le même ton. « Tout est dans le choix du bon support, mon cher ami.

     - Il me tarde de retrouver une autre toile de cette qualité pour y essayer à mon tour cet art subtil. Je pense pouvoir y démontrer moi aussi un talent respectable. Mais nous oublions nos manières mon très cher ami, nous n’avons pas prévenu cette personne de la bénédiction qu’elle a reçu ! N’attendons pas une seconde de plus et réveillons-là avec subtilité. »

     Phy’lis reprit le seau et le vida d’un coup au visage de la prisonnière. Elle tressaillit et sa tête cogna contre les barreaux de la cage. Elle tenta de bouger mais enserrée par la cage et ses liens, elle ne fit que se tourner un peu. Devant ce spectacle, les druchii ne purent réprimer leurs rires.

     « Mon front ! Que m’avez-vous fait ? Ça brûle ! aboya l’asure.

     - Ce n’est que le sel, inutile de réagir aussi brutalement, se moqua le comédien. Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, car votre front n’est jamais allé aussi bien.

     - J’ai mal ! Engeance bâtarde d’une lignée maudite ! Mon front ! Etiez-vous trop lâches pour essayer de me blesser au combat ? Ha ! Mon front brûle ! Qu’est-ce que c’est ?

     - Cher ami, notre invitée est coriace ! s’esclaffa Sarquindi. Ils sont peu nombreux, ceux qui arrivent à parler après un tel retour au monde des éveillés.

     - Chien de naggaroth ! Ha !

     - A votre service mademoiselle » rétorqua Phy’lis.

     Le comédien accompagna ses mots d’une révérence exagérément basse. Il se releva et rit de plus belle en voyant la prisonnière se contorsionner dans la cage pour tenter de tirer ses mains de ses liens. La grimace de douleur de l’ulthuanienne quand elle se cogna à nouveau ne fit qu’ajouter à l’hilarité des elfes noirs. Pendant quelques instants, ils durent reprendre leur souffle coupé par le rire. La douleur de l’asure s’estompa peu à peu.
     « C’est peut-être le seul défaut de ce petit plaisir salé : il passe trop rapidement, admit le capitaine corsaire.

     - Qu’allez-vous faire de moi, monstres ?

     - Nous avons déjà beaucoup fait Princesse, répondit Phy’lis. Bien sûr, la réception d’une personne de votre qualité méritait au moins cette petite récréation. Mais notre temps est tout aussi précieux que l’or qui nous attend dehors, et je crains qu’il nous faille pour le moment vous quitter. N’ayez crainte car vos hôtes reviendront bientôt, et vous aurez alors la chance d’être tourmentée non pas par des pirates du commun, mais par des elfes riches au-delà de tous les rêves.

     - Vous n’allez pas… me mutiler ? porter atteinte à ma pureté ? Faire de moi votre esclave » balbutia l’asure.

     Le visage des druchii se crispa subitement.

     « Vos fantasmes ne sont pas les miens, cracha Sarquindi.

     -  Regardez votre front, touchez vos cicatrices, et regardez ce que peut être le réel amusement que vous pouvez nous offrir, ajouta Phy’lis. Sans oublier la cage où vous vous agitez qui est à elle seule plus que divertissante.

     - Qu’avez-vous fait à mon front ?

     En réponse, le comédien tira un de ses couteaux et en présenta le plat de la lame devant les yeux de la prisonnière. L’ulthuanienne pourra un cri d’horreur en voyant le reflet de la rune sanglante sur l’arme.

     « Remercie Hekarti car son regard sera désormais toujours sur toi. Elle sera ton chemin, ta guide, ta bienveillante gardienne. Et en échange, tu arboreras son nom jusqu’à la fin des temps.

     - Qu’Asuryan prenne vos âmes et les jette au Chaos ! »

     Un peu à l’écart, Sarquindi ressentit soudain une grande lassitude. Il avait déjà vécu ce genre de scène, ces tortures, ces dialogues vains avec les prisonniers. Il ne ressentait pas les mêmes sensations d’excitation, la même attente vis-à-vis de la victime, la même envie que d’habitude.

     Les émotions qu’il avait ressenties deux jours plus tôt autour du puits lui revinrent à l’esprit. Cette soif, cette faim, cette envie de plonger ses dents dans une jugulaire… Il était conscient de n’avoir perçu qu’une fraction de des sentiments puissants du mort-vivant. Mais ce qui l’avait submergé à ce moment était incomparablement plus intéressant que ce qu’il vivait dans cette salle. Incomparablement plus fort et délicieux que ce qu’il parvenait à atteindre en ce moment. Il était en manque.

     Le corsaire écarta brutalement Phy’lis de la cage. Sa main saisit la mâchoire de la prisonnière et la força à ouvrir la bouche. Son autre main jaillit d’un coup, armée de la petite lame courbe et laissa une infime entaille sur le bout de la langue de l’asure. Le sang perla et se déposa aussitôt sur les lèvres de la prisonnière ; à la vue de celui-ci, une étincelle de plaisir s’alluma dans l’esprit de Sarquindi. Mais elle s’éteignit presque aussitôt. Le sentiment de manque revint. Déçu, le corsaire se détourna de la cage, rangea son outil et s’en alla.

     « Phy’lis, je vous confie la prisonnière et le navire. J’ai une cité à piller. »


     Déconcerté par cette sortie subite, le comédien resta interdit quelques instants. Puis, Phy’lis laissa éclater sa frustration:

     « Qu’est-ce qui lui prend ? Ce rustre a brisé l’instant ! Inculturel trouble-fête, de quel droit interromps-tu le jeu de Phy’lis ! Je te ferai payer ça par la douleur au centuple ! Va ! Va chercher l’or, et au retour je te garantis un accueil inoubliable sur « notre » navire ! Je te montrerai que tes petits tours de couteaux ne sont rien, rien ! Je te ferai ressentir l’absoluité de ma colère, la perfection de ma cruauté ! »

     Sans un regard pour la prisonnière, l’elfe noir sortit fulminant de la pièce et partit à la recherche de son second. Emesteh et lui allaient avoir du travail avant le retour du chef corsaire.

     Dans la cage, Yelmerion pleura. Le sang avait presque cessé de couler mais sa langue mutilée lui faisait horriblement mal. Elle ne parvenait pas à trouver une position où se poser, ses mains dans le dos étaient écrasées par son corps contre les barreaux. Elle pleura, et se demanda si elle pourrait un jour revoir les rivages blancs d’Yvresse.

**************************

        Sarquindi quitta le navire pour aller explorer la cité quelques heures avant la fin de la nuit. Il avait préféré laisser une force importante sur le « Rêve d’Atharti » et n’avait pris avec lui que quatre corsaires de confiance, dont le vieux Kielmir. Le capitaine l’avait choisi d’une part pour ses propres besoins, car ses blessures étaient encore fraiches et, d’autre part, comme otage pour le reste de son équipage : ses marins ne tenteraient pas le trajet du retour sans un médecin à bord. La petite taille de l’expédition leur permettrait de rester discrets dans la ville. Celle-ci était sans doute tout aussi dangereuse que l’Amaxon.

        La lune était pleine et éclairait la cité d’une lumière argentée. Les corsaires longeaient donc les murs des temples et des immenses bâtiments pour rester autant que possible à couvert. Mais ils ne regrettèrent pas cette luminosité, car elle leur permettait d’admirer la splendeur omniprésente. Tout était or. Les rues, larges de plusieurs dizaines de mètres, étaient pavées d’or. Les canaux qui suivaient le tracé des rues étaient emplis de bijoux d’or. Les pierres des maisons étaient couvertes de plaques d’or. Le vent enlevait la feuille d’or des bâtiments et les envoyait voler. Ces paillettes étincelaient sous les rayons sélénites. De l’or partout, de l’or plus que ce que les druchii n’avaient jamais pu rêver.

        Les elfes noirs étaient hébétés devant tant de magnificence. Les sacs qu’ils avaient pris étaient dérisoires. Les cales de leur navire étaient insuffisantes. La flotte entière de Naggarond n’aurait jamais pu transporter toutes ces richesses. La poussière d’or dans leurs bottes pouvait à elle seule acheter plusieurs palais. Chacune des statues d’or massif qui veillaient sur les carrefours de la citée aurait pu assurer l’allégeance d’un roi.
        Tout à leur contemplation, les corsaires ne virent pas la nuit passer. Le ciel commença à changer de couleur. L’orbe céleste naissant fit ressortir l’éclat doré des monuments. La troupe druchii se trouvait au pied d’une pyramide encore plus massive que les autres. Le sommet défiait les cieux. A chaque angle de chacun de ses étages, une statue en forme d’oiseau stylisé veillait sur la cité de ses yeux de diamants. Un grand escalier menait au sommet, les druchii décidèrent de monter pour avoir une vue sur toute la ville.

        L’ascension leur prit plus de temps qu’ils ne l’auraient crû. Quand ils arrivèrent finalement en haut, l’horizon s’éclairait déjà du retour du soleil.
        Le sommet de la pyramide était presque aussi grand que le pont du reaver. Il était couvert de dalles d’or, ce qui ne surprit même pas les druchii. Au milieu de l’esplanade était un autel fait d’un seul bloc de pierre, sculpté et couvert de représentations serpentines. Dans le prolongement de l’escalier, deux séries de piliers s’alignaient de part et d’autre jusqu’à l’autel.

        « C’est magnifique… » chuchota Sarquindi en admirant la vue de l’aube qui embrasait la cité d’or. Ils étaient au-dessus de toute la ville. Seuls trois autres édifices arrivaient à la hauteur du temple où étaient les elfes. Le reste de l’immense cité s’étalait sur plusieurs hectares dorés jusqu’à la bordure de la jungle, encore plongée dans les ténèbres. L’Amaxon serpentait jusqu’à l’horizon et miroitait sous les premiers rayons du matin.

        Le capitaine remarqua un mouvement dans la forêt. Une nuée de créatures s’élevait des frondaisons. L’elfe compta une douzaine de silhouettes, sans pourvoir les distinguer précisément à cause de la distance et du contrejour. Mais les formes se dirigeaient visiblement droit vers le temple. Avec la vitesse qu’elles avaient, Sarquindi jugea qu’ils n’auraient pas le temps de redescendre de la pyramide.

        « Alerte ! On nous attaque ! Trouvez une issue ou nous sommes morts ! » cria Sarquindi.

        Les corsaires se tournèrent vers leur chef et virent les créatures au loin derrière lui. Ils hochèrent la tête et commencèrent à inspecter l’esplanade. Après quelques instants de recherche, l’un deux s’écria :

        « Il y a une dalle ici ! On dirait une issue ! »

        Tous accoururent derrière l’autel où était le corsaire. Contrairement au reste de l’esplanade, le sol était là constitué d’une seule large pierre de plusieurs mètres de large. En la frappant, la dalle sonnait creux.

        « Aux pioches ! »

        Les druchii laissèrent tomber leurs sacs, prirent leurs outils et frappèrent la dalle. Leurs efforts eurent rapidement raison de la roche qui s’effondra, dévoilant deux mètres en dessous d’eux un escalier qui s’enfonçait dans les ténèbres. Il était si large qu’une dizaine de personnes auraient pu le descendre de front. D’un même mouvement, les druchii jetèrent tous un regard aux créatures. Elles approchaient du centre-ville et de ses temples. Les elfes remirent rapidement leurs pioches dans leurs bagages. L’un après l’autre, avec la discipline d’un équipage entrainé, ils sautèrent pour atterrir dans les gravats et l’escalier un peu en dessous.

        Sarquindi entra en dernier. Il jeta un dernier regard en arrière et aperçut les créatures qui planaient en de larges cercles presque au-dessus d’eux. C’était de grands lézards, plus grands qu’un elfe, avec de grandes ailes membraneuses orangées. Leurs serres, et surtout leurs becs remplis de crocs convainquirent le corsaire qu’ils avaient bien fait de ne pas chercher le combat. Il cracha dans la direction des monstres et sauta dans les profondeurs du temple. Il se réceptionna agilement dans l’escalier. Le groupe s’assura qu’aucune créature ne pouvait les suivre. Ils entendirent au-dessus d’eux des bruits contre la dalle. Un bec tenta de passer au travers du trou mais celui-ci était trop étroit. Le reptile renonça avec un cri de dépit et disparut. Rassurés, les corsaires décidèrent de continuer leur exploration.

        Malgré la pénombre de l’escalier, les druchii arrivaient à voir relativement bien grâce à leurs yeux d’elfes. Une seule torche suffit à leur apporter assez de lumière pour ne pas risquer une chute malheureuse sur les marches saillantes. L’escalier tournait petit à petit sur la droite. Après quelques minutes de descente, les marches débouchèrent finalement sur une grande salle hexagonale d’où partait un large couloir. La pièce était très sobre. Les murs et le sol étaient parfaitement plats, sans aucune inscription ni dessin. La roche qui les constituaient était d’un gris sombre uniforme. Le plafond était si haut qu’il se perdait hors de la vue des aventuriers. Pas d’or, remarquèrent les corsaires.

         Les parois du couloir étaient constituées de la même pierre que la pièce, mais avaient été autrement plus décorés. Le sol était gravé sur toute sa longueur de hiéroglyphes qui se couvraient les uns les autres et dont le motif semblait se répéter. Un long bas-relief déroulait une histoire dans laquelle des personnages reptiliens affrontaient des flammes et des formes à peine humanoïdes. L’issu du combat était perdue dans les ténèbres de l’autre côté du couloir. Le plafond de la pièce était constellé de pierres précieuses jaunes et rouges.

        « Puisqu’il n’y a qu’un chemin, continuons, proposa un des elfes.

        - Attend ! » l’interrompit Kielmir

        Le médecin posa son sac et en tira une pépite d’or ramassée dans les rues de la ville. Devant les regards intrigués de ses compagnons, il la jeta dans le couloir.

        Les runes au sol s’illuminèrent au contact de la pépite. Un instant plus tard, un rayon de lumière s’abattit depuis le plafond. En un instant, l’or fondit, puis se vaporisa. La lumière s’éteignit, ne laissant dans le couloir qu’un épais nuage de fumée.

        « Le sol est piégé, constata le médecin.

        - Il va falloir trouver un autre moyen de continuer, constata Sarquindi. Je doute que les monstres volants nous laissent ressortir à l’air libre.

        - Les bâtisseurs de la pyramide ont surement construit un autre chemin, proposa un des corsaires.

        - Ce n’est pas certain, le contredit Kielmir. Regardez sur la fresque ce personnage ressemblant à un crapaud. Ce sont les chefs des hommes-lézards.  Et voyez : il a l’air de léviter sur une sorte de plateforme. Le couloir a l’air assez large et haut pour qu’un tel engin puisse passer. Sans doute descendaient-ils par l’escalier avant qu’il ne soit scellé, laissaient leurs gardes dans cette pièce et continuaient ainsi seuls, en volant.

        - Le piège aurait ainsi servi à dissuader un éventuel espion ou assassin de le suivre plus loin, conclut Sarquindi pensivement.

        - Sans doute, acquiesça Kielmir.

        - Nous passerons par le bas-relief. Il y a assez de prises pour traverser le couloir sans avoir à toucher le sol. »

        Les elfes déposèrent leurs affaires sur le sol. Ils s’attachèrent leurs armes et ce qu’ils pouvaient porter facilement dans le dos. Les explorateurs commencèrent à avancer dans le couloir en s’agrippant aux sculptures des murs. Les elfes traversèrent ainsi le couloir, accrochés aux démons et aux héros des premiers âges du monde. Plus d’une fois, l’un des corsaires retint sa respiration quand son pied manquait une prise et frôlait le sol.

        Sarquindi, en tête, aperçut au bout de quelques minutes de cette escalade horizontale la fin du couloir qui donnait sur une nouvelle pièce. Il souffla de soulagement : aussi agile qu’il était, l’effort couplé avec ses blessures récentes l’avait épuisé. Il n’en laissa rien paraitre et se hâta d’arriver sur un sol sûr. Le reste du groupe le rejoignit.

        Ils avaient atteint une pièce carrée, au plafond assez bas. Deux des murs étaient aussi lisses que ceux de la salle hexagonale. Le troisième côté de la pièce, face au couloir d’où venaient les corsaires, donnait sur le vide. Une faille large de plusieurs mètres séparait les elfes de la paroi face à eux. Seul un étroit pont de pierre traversait le précipice. Il permettait d’atteindre un autre couloir qui semblait taillé à même la pierre de l’autre côté.

        L’un des druchii posa prudemment le pied sur le pont. Rassuré par sa solidité, il avança un petit peu dessus. Sarquindi l’aperçut et lui cria :

        « Reviens idiot ! C’est un piège !

        - Comment le savez-vous ? demanda Kielmir, surpris.

        - Le couloir précédent se traversait en volant. Pourquoi auraient-ils eu besoin d’un pont ensuite ? Pourquoi ne pas simplement voler par-dessus le vide ? C’est forcément un piège. »

        Peu curieux de savoir quel était le piège, le marin s’arrêta. Lentement, il fit demi-tour et retourna à son point de départ. Mais à peine avait-il remis pied dans la pièce qu’il porta les mains à son cou. Il tenta de dire quelque chose mais pas un souffle ne sortit de sa gorge. Il s’effondra dans la poussière. L’elfe se contorsionna au sol. Ses yeux se révulsaient. Son visage changeait de couleur. Ses gestes se faisaient de plus en plus frénétiques. Après quelques secondes d’agonie, son corps fut pris de spasmes, puis s’immobilisa. Le médecin s’agenouilla près de lui et lui prit le pouls.

        « Il est mort, déclara-t-il sobrement. Le manque d’air je crois. Il aurait dû être plus prudent.

        - Au moins maintenant nous sommes certains que ce n’est pas par-là, ironisa Sarquindi. Tant pis, ça fera plus d’or pour les autres.

        - Regardez ! Au-dessus ! Lança un autre druchi »

Le groupe s’approcha du bord et regarda ce que pointait l’elfe. Il y avait juste au-dessus d’eux une pièce identique à celle dans laquelle ils étaient. Sarquindi félicita son marin d’une tape sur l’épaule. Le quatrième corsaire tendit au capitaine le grappin qu’il avait emporté dans le couloir. Sarquindi revint au bord du gouffre et envoya la corde vers la nouvelle pièce. Le grappin crissa sur la pierre et retomba. Le capitaine pesta et retenta son lancer. Après deux essais supplémentaires, le grappin s’accrocha enfin à quelque chose. Sarquindi testa la solidité de l’accroche et grimpa. Les trois autres elfes suivirent leur chef sans encombre. Le dernier d’entre eux décrocha le grappin qui s’était coincé entre deux dalles du sol et l’enroula avant de le remettre sur son épaule.

        L’expédition continua son exploration de la pyramide. Il n’y eut pas d’autres pièges sur le chemin. Le passage avait l’air de remonter légèrement, ce qui rassura quelque peu les elfes. Contrairement aux nains, ils préféraient de loin les grands espaces aux lieux confinés.

        Ils débouchèrent finalement sur une salle bien plus vaste que tout ce qu’ils avaient rencontré jusque-là. Celle-ci mesurait une centaine de mètres de côté, et presque autant de hauteur. Quelques rayons de lumière au travers du plafond indiquaient que l’extérieur était proche. Mais ce qui attira immédiatement le regard des elfes, c’était la structure au centre de la salle.

        Malgré leurs décennies de voyage, les druchii n’avaient jamais rien vu de pareil. C’était aussi grand qu’une maison, et avait la forme d’un cône tronqué. La chose était manifestement faite de métal, mais aucun des elfes ne put en définir la nature. Elle était couverte de grandes sculptures représentant des visages stylisés qui toisaient les arrivants de leurs yeux sévères. La structure reposait sur quatre énormes supports qui ressemblaient à de grandes pattes d’araignée métalliques. Intimidés, les druchii n’osèrent pas avancer. La bouche du visage qui se trouvait face aux arrivants s’ouvrit. Un plateau de métal en sortit et s’abaissa pour former une rampe menant à l’intérieur.

        Sarquindi pressentit qu’il y avait dans cette chose un trésor bien plus important que tout l’or qu’ils pourraient piller dans les rues de la cité. « Suivez-moi ! » ordonna-t-il avant de s’élancer. Il courut au travers de la salle, monta la rampe et s’engagea sans hésitation à l’intérieur. Les autres elfes échangèrent des regards inquiets, avant de suivre leur capitaine, les sabres à la main.

        L’intérieur de la chose était exigu, deux elfes pouvaient à peine passer de front. Les couloirs étaient fait du même métal que l’extérieur et serpentaient jusqu’à une sorte de cabine où les corsaires retrouvèrent Sarquindi. La pièce était remplie d’objets étranges. Un établi occupait le mur le plus long. Il était couvert de leviers et de boutons de couleurs différentes. Assis dans une chaise face à un disque couvert de symboles, le chef druchii tenait devant les yeux une tablette de pierre. Ses yeux, brillants d’excitation, parcourait le texte qu’elle contenait aussi vite qu’ils le pouvaient. D’autres tablettes étaient empilées dans tous les coins de la pièce.

        « C’est en vieil elfique, mais je crois que j’arrive à en comprendre l’essentiel ! » s’exclama Sarquindi en se levant.
        Devant ses marins incrédules, il appuya sur un levier à sa gauche. Le mur face à lui devint alors transparent, à la plus grande stupeur des elfes. Ils parvenaient à voir au travers toute la pièce et le couloir d’où ils étaient venus. C’était comme le métal n’avait jamais été là. L’un des druchii mit la main sur la paroi et constata que le mur était encore là, invisible.

        « Qu’est-ce que c’est que cette chose ? demanda Kielmir

        - C’est un navire ! répondit Sarquindi en riant. Un navire de métal !

        - Comment est-ce possible ? balbutia un corsaire. Nous sommes trop loin du fleuve !

        - C’est que ce navire ne vogue pas sur l’eau, mais traverse l’air ! Lis ! »

        Sarquindi tendit à au marin la tablette de pierre. Le marin la parcouru. Ses yeux s’agrandirent :

        « Mais… Si ce qui est écrit est vrai, ce vaisseau daterait d’avant le Grand Cataclysme ?

        - Oui ! Peut-être même bien avant ! répondit Sarquindi. Peut-être des premiers âges du monde !

        - C’est un… « cadeau des Anciens à ceux qu’ils ont créés » ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

        - Un de mes amis m’a parlé d’une théorie selon laquelle les elfes auraient été façonnés par une race aujourd’hui disparue, avança Kielmir. Peut-être que c’est de ça que parlent ces textes ?

        - Comment cela est-il possible ?

        - Peu m’importe ! Cette chose est à moi ! les coupa le capitaine. Despote Sarquindi ! Maitre du ciel ! »

        Le druchii appuya sur un autre levier. Toute la pièce trembla. Un bourdonnement se fit entendre, venu de sous leurs pieds. Les elfes virent au travers du mur transparent les pattes de la structure se replier légèrement, et l’engin se soulever. Ils se collèrent à la paroi et constatèrent qu’ils ne touchaient plus le sol. Ils volaient. La chose était bien un navire. Ce qu’ils avaient pris pour un établi était un tableau de bord. Et ce que Sarquindi avait saisi avec un rire dément, c’était le gouvernail.

        Le vaisseau se souleva d’un coup et heurta le plafond de la salle dans un grand bruit. Emporté par son élan, le navire volant traversa la pierre. Les blocs du temple explosés par l’impact s’écrasèrent contre les bâtiments aux alentours. Aveuglés par la soudaine lumière du jour, les elfes se couvrirent les yeux. Le vaisseau continua sur la lancée, mû par les pouvoirs extraordinaires des technologies des Anciens.
        Quand ils purent à nouveau voir, les corsaires se rendirent compte qu’ils perdaient de l’altitude. Ils avaient dépassé les frontières de la ville, transportés à toute allure par la vitesse faramineuse de l’engin.

        Sarquindi se retourna pour attraper une autre tablette qu’il lut en diagonale. Il appuya alors sur une série de boutons et de leviers, mais rien ne changea dans la course descendante du navire volant.

        « Saleté ! Remonte ! Remonte ! » criait Sarquindi. Son équipage tentait s’accrocher à quelque chose, et tous regardaient avec horreur la jungle se rapprocher beaucoup trop rapidement.
        Ils s’écrasèrent contre un large arbre qui fut pulvérisé sous le choc. Malgré la violence de la collision avec le sol, le vaisseau n’était même pas égratigné. La porte de celui-ci s’ouvrit et les corsaires en sortirent. L’un d’entre eux se jeta au sol, un autre vomit contre un arbre. Sarquindi émergea à son tour, les bras remplis de tablettes de pierre.

        « Lisez-moi ça ! Le premier qui trouve comment faire redémarrer ce navire deviendra mon nouveau second ! »


***
***
***

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

LES LARMES DE KALITH
Duel au sommet

Petite ambiance musicale...

        « Derrière les baraquement ! Dépêchez-vous ! »

        La voix rauque d’Ixi’ualpa claqua comme un fouet dans l’air pesant d’humidité. En ce début d’après-midi, le soleil de plomb écrasait quiconque assez fou pour oser quitter les ombres. Pourtant, la petite troupe d’Amazones s’était bien décidée à braver sa chaleur impitoyable, courant comme des dératées dans les ruelles dallées, ou sautant de toits en toits. Leurs respirations étaient haletantes, et leurs corps luisaient de sueur sous les efforts demandés, leurs muscles ondulant au rythme de leur course effrénée.

        « Révérée de l’aigle, des hérétiques ! »

        La kalim était dressée sur un toit, le regard tourné vers les abords de la ville-basse. Ixi’ualpa s’arrêta.

        « Combien ?
        — Une douzaine, tout au plus ! »

        Ixi’ualpa leva la main, ordonnant aux autres de ses guerrières de s’arrêter. Les kalims obtempérèrent, et en profitèrent pour se ressaisir, leurs visages tendus. Elles s’adossèrent au murs ou s’assirent à même le sol, à bout de souffle.

        La guerrière aigle s’en sortait mieux. Elle, au moins, n’avait pas l’habitude de faire taire les protestations de son corps par la drogue lorsqu’elle avait besoin de lui demander de faire de lourds efforts. Elle se doutait que le manque de koka devait rudement affecter les kalims, mais avec un peu de chance, elles pourraient enfin avoir des conditions favorables pour combatte, et mettre fin à leurs privations.

        « Pas de nouvelles arrivantes ? demanda-t-elle à la kalim postée sur le toit.
        — Non, révérée, toujours une douzaine.
        — Bien. Elles ont dû se séparer du gros de leur troupe. Reprenez votre souffle, et préparez-vous. Il est temps de faire payer ces hérétiques pour leur témérité. »

        À côté d’Ixi’ualpa, le visage de Rakt’cheel se déchira en un sourire carnassier. Entre toutes les kalims, c’était elle qui s’était le mieux sortie de la matinée, passée à essayer de distancer les guerrières de la traîtresse Ignea : la dévote n’avait pas été hissée au rang de cheffe des kalims sans raisons.

        Une par une, les kalims sortirent des feuilles de koka, des chiques, des gourdes de leurs ceintures, et goûtèrent avec délectation à leur drogue favorite. Elles se mirent en position. Certaines s’abritèrent dans les ombres qui bordaient les maisons en ruine, d’autres se postèrent sur les toits. Dans le silence pesant qui s’installait, elles trépignaient, prêtes à bondir, impatientes de goûter de nouveau à l’odeur du sang. En chacune d’elle brûlait un feu motivé par une seule et même envie : tuer chacune des guerrières ayant suivi la prêtresse Ignea sur la voie du Dieu du Sang.

        Il fallut un moment avant que la première hérétique n’apparût au bout de la ruelle, bientôt suivie par une dizaine de ses compagnes. Contrairement aux kalims et à Ixi’ualpa, les premières presque nues et aux corps peints, la dernière aux vêtements et au casque finement ornementés, ces guerrières-là étaient habillées de simples tuniques ou toges, serrées à la taille par des pagnes, ou ceintures, aux couleurs bigarrées. Les plus modestement armées maniaient un bouclier et une arme de poing : hachette, épée, lance. Les mieux équipées arboraient des casques pointus et quelques pièces d’armures, comme un plastron.

        Les premières guerrières dépassèrent les kalims tapies sans les voir. Ixi’ualpa n’imaginait pas à quel point ces dernières devaient se retenir pour ne pas leur sauter dessus sur le champ… probablement que la koka ne faisait pas encore totalement effet. La guerrière aigle réaffirma sa prise sur sa lance. Il était temps de donner le signal de l’assaut.

        L’hérétique ne la vit pas sauter sur elle. Du moins pas à temps, car Ixi’ualpa transforma son cri d’alerte en un gargouillis inintelligible d’une seule frappe de lance qui lui perça la gorge.

        À peine la guerrière aigle s’était-elle réceptionnée au sol qu’une deuxième combattante était sur elle, hachette dressée. Ixi’ualpa eut à peine le temps d’esquiver son coup maladroit que Rakt’cheel jaillit dans son dos et lui ouvrit le ventre d’une de ses dagues. Sans s’arrêter, la dévote fonça vers une nouvelle adversaire.

        Tout autour d’elles, les kalims sortaient des ombres et s’abattaient impitoyablement sur leurs ennemies. Ixi’ualpa n’eut plus grand-chose à faire. Devant elle, les corps des guerrières d’Ignea tombaient au sol, rapidement mises à mort par les kalims qui possédaient à la fois l’avantage du nombre et de la surprise.

        Elles ne firent preuve d’aucune pitié : aucune hérétique ne fut épargnée et, en l’espace de quelques instants, il n’y en eut plus une seule encore en vie pour les affronter. En comparaison, seules quatre des guerrières d’Ixi’ualpa, plus malchanceuses, subirent des blessures légères. Immédiatement, ces dernières commencèrent à se soigner.

        La guerrière aigle s’adossa contre un mur en pierre moussue, attendant que les blessées bandassent prestement leurs plaies. Quelques-unes des kalims se promenaient entre les cadavres, prélevant des oreilles sur leurs ennemies ; plus tard elles offriraient aux dieux ces preuves de leurs victoires sur leurs sœurs hérétiques.

        Ixi’ualpa regarda les kalims panser leurs plaies. Même si elle aurait préféré avoir avec elle des guerrières-piranhas – avec une poignée de ces guerrières rodées à la guérilla forestière, elle aurait pu faire de l’expédition d’Ignea un enfer au lieu de devoir se replier vers la cité perdue – force était d’admettre que les kalims tenaient admirablement le coup. Elles encaissaient à la fois le rythme soutenu de leur fuite et les privations de koka qu’elle leur imposait, car en dehors des combats, elle avait besoin des guerrières en pleine possession de leurs esprits.

        Ixi’ualpa prit une grande inspiration, et se redressa. Les kalims venaient de finir de se soigner sobrement.

        « Hixik, d’autres hérétiques à l’horizon ? »

        L’intéressée se hissa à nouveau sur le toit d’une maison avec une grâce féline, avant de scruter l’horizon de la cité abandonnée. « Non, ix-tz’ikin tzili ! » répondit-elle d’une voix forte

        « Bien, très bien. Nous allons pouvoir profiter d’un peu d’avance. Repartons. »

        D’un même élan, la trentaine de guerrières se remit en route au pas de course, dépassant des rangées interminable de maisons. Ces dernières étaient toutes identiques, et séparées à intervalle régulier des mêmes ruelles, ce qui leur donnait l’impression de ne pas avancer. Il y avait toujours quelque chose d’irréel dans la rigueur mathématique dont avaient fait preuve les Anciens dans l’érection de leurs cités.

        Soudain, le vide s’ouvrit devant eux. Coulant plusieurs pieds en contrebas, un canal large d’une centaine de pas s’écoulait paresseusement et séparait de la ville basse de la ville haute. Même à moitié envahis par la verdure, les imposants bâtiments parés d’or narguaient les amazones, arborant mille reflets éclatants sous le soleil méridien, de l’autre côté du gouffre.

        Un peu plus loin, le long du fleuve, un pont à moitié écroulé permettait de rallier le cercle intérieur de la cité. Prudemment, la petite troupe entreprit de traverser l’édifice branlant. Jadis assez large pour laisser passer vingt guerrières de front, à peine deux amazones pouvaient, désormais, en traverser la partie la plus érodée par le temps.

        Si la manœuvre ne ralentit pas tant la progression du groupe, Ixi’ualpa se réjouit de ce tour de la providence : la centaine de guerrières qui formaient la suite de la traîtresse Ignea mettrait bien plus longtemps à passer ce goulot d’étranglement. Les mains de la guerrière aigle se joignirent sur son torse en un geste sacré : même dans les heures les plus sombres, Rigg et Amex veillaient sur leurs filles.

        Solennellement la troupe passa les deux gigantesques statues aux têtes reptiliennes qui gardaient encore l’entrée de la cité haute. Leurs yeux faits de gemmes précieuses brillaient d’un feu rouge et ardent à la lumière zénithale, qui scrutaient les femmes d’un regard sévère et impitoyable.

        Leurs premiers pas résonnèrent étrangement dans la rue à présent bien plus large. C’était plutôt une avenue en vérité, et la végétation rampante qui la recouvrait ne pouvait totalement cacher les pavés d’or que les âges n’avaient pu ternir. Même décrépite, la cité écrasait d’opulence, forçant ses visiteuses à protéger leurs yeux de leurs mains tant les multiples reflets du soleil étaient insoutenables.

        Loin devant elles, quatre pyramides gigantesques dominaient le cœur même de la cité, et de faîte doré, de l’une d’entre elle, un rai de lumière pure s’élançait vers le ciel. Au faîte d’une autre encore, une petite pyramide flottait en tournant paresseusement sur elle-même. D’innombrables escaliers permettaient de gravir l’impressionnante grandeur des quatre bâtiments. Une poignée de ponts éparses, arrogants de finesse, les reliaient avec autres bâtiments.

        Dans l’une de ces pyramides, des artefacts abandonnés, héritage laissé par les Anciens à leurs enfants, d’une puissance incommensurable pour qui saurait les utiliser, les attendaient. Depuis le début, le but de l’expédition d’Ixi’ualpa avait été d’arracher ces antiques objets des griffes avides des étrangers, pour les ramener dans la sécurité de la capitale amazone.

        Mais Ixi’ualpa avait aussi une petite idée, l’idée même qui faisait que les kalims lui obéissaient toutes au doigt et à l’œil depuis leur retraite. Oh, elles allaient récupérer les armes des Anciens. Et elles allaient les utiliser pour battre la horde impie d’Ignea une fois pour toutes. Les armes, une fois acheminées à la capitale, auraient dû servir à lutter contre cette dernière. Mais, puisque la traîtresse, désormais révélée au grand jour, s’offrait à la troupe d’Ixi’ualpa, cette dernière n’allait pas laisser passer l’occasion d’écraser sa menace ici-même.

        Sans surprise, les kalims avaient tout de suite adhéré au plan sans aucune forme de protestation.

        « Révérée Rakt’cheel. » demanda Ixi’ualpa, brisant le silence qui s’était installé au sein du groupe, tout en admiration devant la cité dorée. « Les visions de la Grande Prêtresse avaient indiqué quelle pyramide ?
        — Le rai de Chotec marque l’autel des Frères Guerriers, l’Impassible en garde l’entrée, l’héritage des Anciens nous attend au cœur de leur création, à celui qui les nourrira des paroles sacrées, nous a-t-elle dit.
        — La pyramide d’où jaillit le rai de lumière, serait la pyramide de Quetzl et Quetli donc. Nous devons chercher une entrée à la marque de Tlazcotl ? »

        Rakt’cheel tourne la tête vers la guerrière, l’air surprise.

        « Vous avez…
        — … Eu le temps de réfléchir un peu à tout cela pendant le voyage oui. La Grande Prêtresse m’a surtout livré sa propre interprétation avant que je parte vous rejoindre. »

        La dévote répondit au sourire amusé d’Ixi’ualpa par un haussement de sourcil circonspect… avant de sourire à son tour, ce qui surprit en retour la guerrière.

        Au début de leur voyage, Rakt’cheel l’aurait fusillée du regard, et fustigée verbalement, pour son insolence. Mais maintenant, ce n’était plus de l’adversité quelle sentait venir de la dévote, mais une certaine forme de respect, qui commençait à poindre ces derniers jours. Un respect de plus en plus mutuel, car Ixi’ualpa en appréciait un peu plus l’étrange adepte des dieux, qui s’ouvrait de plus en plus à elle. Cette dernière interrompit d’ailleurs brutalement le fil de ses pensées en faisant claquer sa voix dans le silence :

        « Voilà qui nous épargne un temps précieux ! Vous nous avez entendues, vous autres ? À la pyramide au rai, triple vitesse ! On cherche l’entrée marquée par Tlazcotl ! »

        La troupe se remit en marche vers son objectif avec une détermination et une énergie renouvelée.



        Trouver ladite entrée se révéla plus difficile que prévu. La base imposante de la pyramide, de plusieurs milliers de pieds de long, ne portait aucune percée, ni même d’escalier permettant de grimper à son faîte. En revanche, plusieurs ponts la reliaient aux édifices bien plus modestes qui la bordaient, à raison de deux ponts par côté. Aucun n’arrivait à une même hauteur, donnant probablement accès à des parties bien différentes de la cité.

        Les amazones ne se désespérèrent pas longtemps de trouver le pont qui leur conviendrait : chacun des édifices reliés se révéla être un temple dédié à un Ancien particulier. Au sommet du quatrième qu’elles inspectaient, elles trouvèrent un autel dédié à Tlazcotl l’Impassible.

        Le pont qui le reliait à sa grande pyramide voisine était fin et élancé, couvert çà et là de mousse, fissuré en mains endroits, mais toujours entier. Sans hésiter, les kalims s’y avancèrent, et l’édifice soutint leur passage, ce qui ne manqua pas de soulager Ixi’ualpa.

        Enfin, elles purent contempler de leurs yeux l’entrée de la pyramide qui leur avait été prophétisée. La porte close les toisait, elles qui s’étaient rassemblées sous le regard de ses deux statues gardiennes, imposantes représentations stylisées de Quetli et Quetzl, dont le physique reptilien était étrange, même pour elles qui avaient côtoyé les hommes-lézards serviteurs de ces mêmes Anciens…

        Les battants dorés demeurèrent fermés à leur approche. Nulle poignée ne les laissaient se faire glisser. Nul levier ne marquait l’ingénierie des Anciens au-delà du génie, qui aurait pu permettre l’ouverture des battants. Muette, la porte arborait dans la lumière solaires ses fresques antiques sans révéler le secret de son ouverture.

        Ou presque.

        « On dirait un cantique. » murmura l’une des kalims, plongée dans la contemplation de l’édifice. « Des versets sacrés, laissés par les dieux... »

        Alors même qu’elle allait poser la main l’un des glyphes, ce dernier bascula dans un grincement sourd et métallique. Surprise, l’amazone recula d’un coup, en même temps que le morceau de métal tournait sur lui-même pour révéler un autre glyphe.

        « À celui qui les nourrira des paroles sacrées, a dit la grande prêtresse… » Ixi’ualpa, pensive, murmurait entre ses lèvres. « C’est une énigme ? Une épreuve de connaissance ? De mérite ?
        — C’est ce qui nous ouvrirait la voie ? demanda la kalim à côté d’elle, incrédule.
        — C’est ce que la prêtresse a vu... » La guerrière aigle se retourna pour s’adresser à toute la troupe : « Quelqu’un connaît-il les textes sacrés ? »

        Quelques amazones prirent un regard pensif, d’autres reculèrent en secouant la tête, abattues. Ixi’ualpa se souvint que si les kalims étaient des guerrières redoutables et des fidèles incontestées des prêtresses, elles étaient en bas de la caste religieuse, les femmes qui avaient choisi la voie des adeptes sans avoir été touchée par les dieux, sans avoir reçu leur don de manier la magie sacrée. Elles n’étaient que des servantes, adeptes, gardes, en attente de mériter d’être, à leur tour, un jour initiées aux rites plus cachés, en progressant dans la sororité…

        « Je reconnais quelques passages. » La guerrière qui avait touché le glyphe avait levé la main. « Mais je suis loin d’avoir entendu parler de tout ce que les cantiques mentionnent.
        — Je pourrai peut-être en compléter quelques-uns. » avança une autre.

        Enfin, ce fut Rakt’cheel elle-même qui se fraya un chemin parmi les adeptes pour faire face à la porte.

        « J’ai déjà pu lire quelques tablettes sur Quetlz. En s’y mettant ensemble, on devrait y arriver. »

        Ixi’ualpa ne cacha pas son soulagement. Répondant au rang de dévote, Rakt’cheel avait déjà plus de connaissance que les autres, que les dieux en soient remerciés… Finalement, se dit la guerrière aigle, sauver sa vie par trois fois n’aurait pas été vain. Plus encore, cela c’était révélé de jour en jour être une excellente décision.

        « Allez, on-y va ! »

        Sous le regard d’Ixi’ualpa, Rakt’cheel rassembla autour d’elle la poignée de ses suivantes, qui elles aussi pensaient connaître quelque chose au cantique à compléter. Se concertant pour choisir les mots à changer, elles coordonnaient les autres kalims. Ces dernières durent aller jusqu’à former des échelles humaines pour accéder aux glyphes les plus élevés, la porte étant haute de plusieurs dizaines de pieds.

        Les observant, Ixi’ualpa s’imagina un des Slaans, ces créatures presque légendaires, mettre en ordre les glyphes d’un seul mouvement de main, par sa puissante force télépathique, pour accéder au cœur de la pyramide. Une scène qui n’avait pas dû arriver depuis des millénaires, vu que la cité avait été abandonnée depuis tout ce temps.

        Finalement, elle se désintéressa de la porte, pour contempler le paysage en contrebas. Le soleil avait déjà quitté son zénith, témoin de l’heure qui leur avait fallu arriver jusqu’ici depuis leur arrivée dans la cité. Réalisant cela, la guerrière fronça les sourcils, et se mit à scruter la ville basse au loin.

        En effet, quelques mouvements à l’orée de la forêt lui confirmèrent ses craintes. Les guerrières d’Ignea. L’avancée de sa troupe, forte d’une bonne centaine d’amazones entrant dans la cité, se laissait voir de loin. Elles ne donnaient pas l’impression de vouloir perdre leur temps : visiblement, la traîtresse était aussi avide de verser leur sang qu’elle le sien.

        Ixi’ualpa serra les dents. Elle n’attendait que de pouvoir sentir sa lance percer la gorge de la prêtresse qui avait osé renier Rigg pour le Dieu du Sang. Mais elle voulait attendre d’être sûre de pouvoir les renvoyer à leur nouveau dieu impie avant de frapper. Si Rigg le voulait, l’heure d’avance qu’elles avaient pu gagner lors de leur matinée de poursuite leur permettrait de gagner l’avantage.

        Un bruit sourd, celui de la pierre frottant sur la pierre, la fit se retourner. Lentement, solennellement, les deux battants s’ouvraient vers l’intérieur, révélant un tunnel sombre aux yeux des amazones attroupées sur le pallier, immobiles et incrédules devant le spectacle.

        Ixi’ualpa se fraya un chemin parmi les kalims, avant de faire face au groupe.

        « Mes consœurs ! » commença-t-elle. « Nous sommes enfin arrivées à notre but ! Dans une heure, peut-être un peu plus, les servantes d’Ignea, cette traîtresse impie qui a renié son rang de prêtresse pour s’adonner au culte du Dieu Rouge, et emporté toute sa tribu avec elle, seront sur nous. Une heure ! Voici ce qu’il nous faut pour arracher aux entrailles de cette pyramide les artéfacts que les dieux nous ont laissés pour nous battre pour cette juste cause ! C’est ce que nous ferons ! Depuis le début de ce voyage, autant de nos sœurs que nous sommes aujourd’hui se sont sacrifiées pour que nous puissions arriver jusqu’ici. J’entends bien que nous honorons le don de leur vie en prenant celle des hérétiques qui ont bafoué notre sang, notre lignée ! Kalims ! Êtes-vous avec moi ? »

        « Pour Rigg ! » s’exclamèrent sur le champ Luxia, Hixik et Haa’thee.

        « Pour Rigg !!! » reprirent toutes les kalims d’une seule voix dont l’écho retentit sur toutes les pyramides alentours. Rakt’cheel se joignit à elles sans la moindre hésitation :

        « Pour la Mère, pour Kalith ! Pour Amex ! Pour les Ancêtres ! »

        Elles s’enfoncèrent dans la pyramide sans un seul regard en arrière.


***

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

        L’intérieur de l’édifice se révéla moins envahi de ténèbres que prévu : encastrées dans les murs à intervalles réguliers, des pierres à l’éclat laiteux baignaient le couloir d’une douce lumière bleutée, éclairant des fresques ésotériques, et les amazones ne s’arrêtèrent pas pour les déchiffrer.

        Bientôt, elles passèrent une porte, gigantesque, à même le mur du couloir haut de plusieurs dizaines de pieds. Le long du couloir, qui descendait en pente douce dans les profondeurs de la pyramide, elles en croisèrent encore une autre, encore et encore. Mais Ixi’ualpa et Rakt’cheel avançaient sans s’arrêter, sans même regarder tous ces battants fermés.

       Marchant derrière les deux femmes, hésitante, Haa’thee finit par oser leur adresser la parole : « Révérées ? Permettez-moi de vous demander… comment pouvons-nous être sûres que nous ne manquons pas la salle sacrée ? »

        Ixi’ualpa n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche pour lui répondre que la voix ferme de Rakt’cheel retentissait dans le couloir : « La vision de la Grande Prêtresse nous a dit d’aller au cœur de la pyramide, c’est ce que nous ferons. »

        La guerrière aigle tourna la tête vers la dévote, qui lui rendit son regard et hocha silencieusement la tête. Elles continuèrent leur avancée.

        Au bout d’un long, très long moment, le couloir déboucha enfin sur une large pièce. Non, une immense pièce, qui baignait dans une lumière éclatante irradiant de son plafond. Ce ne pouvait être la lumière du soleil : bien que démesurément grande, au moins autant que la pyramide de Tlazcotl, il était impossible que son plafond atteigne le faîte de la pyramide, autrement plus grande.

        Les Anciens ne faisaient pas dans la demi-mesure. Peut-être, se dit Ixi’ualpa, que pour eux, ce qui était la démesure de leurs serviteurs n’était que leur ordinaire, que ceci ne devait être rien à leurs yeux, dérisoire. Puis elle posa les yeux sur le sol de la pièce et oublia aussitôt ses réflexions.

        « Par toutes les déesses et tous les dieux... » murmura Rakt’cheel à côté d’elle. Derrières elles, le reste de la troupe s’avança. Les kalims, tout aussi subjuguées, ouvrirent de grands yeux pour tenter d’embrasser le spectacle qui s’offrait à eux.

        Posés sur des piédestaux, jetés en vrac à même le sol, d’innombrables objets s’étalaient sur toute la surface de l’endroit. Ixi’ualpa en reconnu quelques-uns – une lance ici, un casque là, une massue derrière – mais une bonne part échappait à ses connaissances, et celles qu’elle pouvait identifier arboraient parfois des styles étranges, qui la dépassaient.

        Plus important encore, il y en avait bien plus qu’elles pourraient en porter, ni que leurs pirogues pourraient contenir. À intervalles réguliers, des colonnes de pierres larges comme un arbre millénaire s’élançaient, soutenant des plateformes aériennes que des escaliers permettaient de rejoindre. Nul doute qu’encore d’autres merveilles s’y cachaient. Ni Ixi’ualpa ni les kalims n’en revenaient. Toute une armée aurait pu s’équiper dans l’endroit sans pour autant le vider de son contenu.

        « Qu’allons… qu’allons-nous faire, révérée de l’aigle ? » demanda une kalim au regard complètement perdu face à l’immensité de l’arsenal. À vrai dire, ladite révérée n’en menait pas plus large.

        « Pour savoir quoi ramener… je ne sais pas encore. Nous aviserons. Pour l’instant, équipez-vous ! » Ixi’ualpa se redressa, se retourna pour s’adresser à toutes. « Choisissez ce qui vous convient le mieux. Puis nous rebrousserons chemin, et nous donnerons à nos sœurs traîtresses l’accueil qui leur revient ! Nous pourrons ensuite revenir et compléter notre mission, de ramener autant de reliques qu’il nous sera possible. »

        Les kalims ne se firent pas presser et s’avancèrent, curieuses, dans la réserve antique. Ixi’ualpa les regarda essayer différentes pièces d’armure, différentes armes. Elle qui était entrée dans la cité en regrettant de ne pas avoir à ses côtés des guerrières jaguar, ou des révérées du piranha... elle allait bientôt être à la tête d’une troupe au moins aussi effrayante, sinon plus, que tout ce qu’elle aurait pu espérer.

        Il y eut quelques surprises qui faillirent se révéler mauvaises. Une masse fut parcourue d’éclairs lorsqu’on la toucha, et manqua de sonner la malheureuse qui avait osé le faire. Au dernier moment, cette dernière s’était ressaisie et avait carrément empoigné l’arme, et avait ainsi évité de se faire toucher par les éclats éthériques. Une autre kalim faillit blesser une de ses camarades lorsque le casque qu’elle endossa la baigna de flammes pourpres – la porteuse, elle, ne fut aucunement brûlée par le brasier. Une dernière kalim passa un bracelet autour de son cou… et disparut. Il leur fallut quelques secondes pour comprendre qu’elle était simplement devenue invisible.

        D’autres objets, ceux qui n’étaient pas soigneusement entreposés sur un piédestal, ne donnaient simplement pas l’air d’être enchantés, ou alors attendaient la manipulation opportune pour se manifester.

        À part les armes, que n’importe qui pouvait manier, la plupart des pièces d’armures n’étaient pas faites pour des physionomies humaines. Cela dit, elles trouvèrent quelques plastrons et casques qu’elle pouvaient porter : le dépôt des Anciens contenant véritablement tout ce qu’il était possible d’imaginer.

        Tout naturellement, les kalims portèrent leur dévolu sur les armes aux airs les plus spectaculaires, se disputant presque ces trophées. Soudain, la voix de Rakt’cheel s’éleva parmi la clameur des kalims.

        « Par la Mère, des sceptres du feu solaire ! »

        Ixi’ualpa, et les kalims à portée de voix, se retournèrent pour la regarder : la dévote tenait dans sa main un bâton doré. L’une de ses extrémités, plus large, était savamment ornementée, tandis que l’autre, plus petite, s’ouvrait en une gueule reptilienne stylisée.

        « À la capitale, seules les prêtresses et les dévotes les plus fidèles reçoivent l’honneur de manier un tel artefact… » expliqua-t-elle en pointant l’extrémité ouverte vers le couloir d’entrée. « J’ai déjà pu assister à une démonstration. Il suffit de prononcer les paroles sacrées et d’appuyer ic... »

        Dans un craquement rappelant le tonnerre, un rai de lumière jaillit aussitôt de la gueule béante, et fusa à travers le couloir d’entrée dans le prolongement du sceptre. Une fraction de seconde plus tard, une légère explosion se fit entendre au loin. Rakt’cheel regarda l’arme d’un air circonspect.

        « Eh bien… je suppose qu’il n’y a pas besoin des paroles sacrées. Les prêtresses ne nous ont jamais dit ça…
        — Tu pourras leur en toucher quelques mots, l’interrompit Ixi’ualpa, encore sous le choc de la démonstration. Emparez-vous de ces sceptres ! Ils pourront nous être cruciaux contre Ignea, j’ai une petite idée… Rakt’cheel, je te charge de montrer aux autres comment faire. »

        La dévote acquiesça de la tête, et fit passer à une poignée de kalims les quelques autres sceptres qui étaient sur le râtelier où elle avait saisi le premier.

        Bientôt, les amazones eurent fini de se préparer. Entre les armes ésotériques, incandescentes, ou parcourues d’éclairs, les quelques plastrons ornementés, les casques étranges et les boucliers miroitants, c’était une tout autre troupe qui se tenait devant Ixi’ualpa. Une troupe d’autant plus étrange qu’en plus de leur accoutrement hétéroclite, les kalims portaient encore leurs vêtements bariolés ainsi que leurs peintures de guerre. Ixi’ualpa elle-même avait revêtu un des rares plastrons qu’une humaine pouvait porter, ainsi que des épaulettes et jambières assorties. Tout ceci avait l’air parfaitement ordinaire, mais des protections supplémentaires étaient toujours bienvenues.

        La guerrière aigle leva sa lance.

        « Mes sœurs, en avant ! »

        Lorsqu’elles s’élancèrent dans le couloir qui les mèneraient à la surface, Ixi’ualpa se demanda un instant si elle n’envoyait pas sa troupe à sa perte. Même lourdement armées, elles n’étaient qu’une trentaine contre une force au moins trois fois supérieure en nombre, peut-être même plus.

        Elle secoua la tête. Elle n’avait pas besoin de doute : elle avait besoin d’un plan. Et justement, elle en avait un qu’elle comptait bien expliquer au kalims le temps qu’elles remontent à l’air libre.




        Les hérétiques ne les virent pas arriver. Du moins, pas d’une telle manière. Ignea et ses suivantes s’étaient attendues à une poignée de fugitives, tout aussi éreintées qu’elles, sinon plus, par leur demi-journée de poursuite effrénée… Elles déchantèrent bien rapidement.

        Les corps de leurs consœurs parties en amont, qu’elles avaient retrouvé dans la ville-basse, aurait dû les alerter, les mettre sur leurs gardes. Mais Ignea s’était trop sentie en confiance. Avoir révélé au grand jour sa vraie nature lui avait donné le sentiment d’être invincible, d’être l’élue du Dieu du Sang, du Carnage, et elle sentait la force de ce dernier dans ses veines. Aussi, elle avait laissé sa certitude de vaincre prendre le pas sur la prudence.

        Ixi’ualpa ne se priva pas d’exploiter cet excès de confiance. Elle et sa troupe avaient vu de loin les traîtresses remonter leur piste jusqu’à la petite pyramide de Tlazcotl. Patiemment, elles les avaient attendue, hors de vue.

        Avant même que les traîtresses ne les remarquent, les trois kalims armées des sceptres solaires avaient fait pleuvoir plusieurs traits bénis dans les rangs serrés des impies en bas de la pyramide. Les rais de lumière traversaient les boucliers et les armures comme ils déchiraient les chairs : avec une aisance particulièrement effrayante, avant de percuter le sol en des explosions, certes petites, mais extrêmement spectaculaires.

        Les guerrières avaient à peine compris ce qui leur arrivait que plus d’une quinzaine d’entre elles gisaient au sol, les plus chanceuses d’entre elles simplement blessées, au milieu des trous fumants laissés dans le sol par les armes des Anciens. À l’avant de sa troupe, Ignea jura, et se promit de briser les crânes de toutes ces ennemies elle-même.

        « Avec moi ! À l’assaut ! »

        Elle s’engouffra dans le bâtiments avec toute son avant-garde. Elle savait que leurs sœurs adverses n’étaient qu’une trentaine, de surcroît des kalims incapables de stratégie poussée : elles allaient les mettre à bas ici et maintenant, pour la plus grande gloire de Kh…

        Elle esquiva in-extremis la masse d’arme crépitante destinée à rencontrer sa tête, qui finit sa course en plein dans la guerrière à côté d’elle, projetant d’une part une gerbe d’éclairs, et d’autre part les restes sanguinolents du torse de la victime.

        D’accord. Elle s’était attendue à beaucoup de chose, mais pas à cela. Affublée d’un casque doré qui n’était définitivement pas de facture amazone, la kalim lui montra ses dents en poussant un cri rauque. Une guerrière s’interposa entre elles, se jetant sur la kalim avec férocité. Quelques échanges plus tard et cette dernière envoyait son adversaire au sol, le flanc enfoncé et calciné.

        Tout autour d’Ignea, son avant-garde subissait l’assaut éclair de la dizaine de kalims qui les avaient attendues dans l’antichambre de la pyramide. Puis, rapidement, un cri retentit :

        « Retraite !!! »

        Sous le regard incrédule de la prêtresse, les kalims survivantes, la majorité d’entre elles, se mirent en passe de reculer jusqu’à l’étroit escalier qui grimpait vers les étages supérieurs de l’édifice. Lorsque ses propres guerrières tentèrent de se lancer à leur poursuite, un trait de lumière aveuglante fusa du haut de l’escalier et transperça trois amazones dans un craquement assourdissant.

        Ignea poussa un juron. Quelque chose ne tournait définitivement pas rond. Rien de tout cela n’était dans le genre des tactiques des kalims. C’était simple : les kalims n’employaient tout simplement aucune tactique que ce soit.

        Le silence se fit dans les escaliers, la fumée causée par le tir retomba. Immobiles, les guerrières en contemplaient les volutes sans faire mine d’avancer.

        « Eh bien ? Qu’est-ce que vous attendez ? Allez-y ! » leur hurla la prêtresse, incrédule devant l’hésitation de ses troupes.

        Ses invectives eurent raison de la torpeur des amazones, et toutes s’engouffrèrent avec une énergie et des cris de guerres renouvelés, Ignea se joignant à elles.

        Elle avait compris. Elle avait promis les crânes de toutes les amazones restées fidèles à Khorne. Et Khorne avait relevé son défi, mieux : il en avait fait un défi à la hauteur de la prêtresse. Qu’elle le réussisse, et elle attirerait sur elle encore plus de ses faveurs. Oui, elle en avait la certitude : tout n’était qu’une longue épreuve imposée par les dieux.

        En cela ... sa foi nouvelle ne changeait pas de l’ancienne.



        En haut de la pyramide de Tlazcotl, Ixi’ualpa comptait les kalims qui débouchaient, à bout de souffle, de l’escalier. Neuf, dix, onze… C’était tout. La guerrière jura : elle avait laissé quinze kalims en embuscade dans l’antichambre. Elle n’avait aucune idée du nombre de guerrières qu’elles avaient tuées en retour, mais comparés à leurs nombre, quatre pertes, c’était quatre de trop.

        Elle serra les dents. Laissa quelques secondes aux kalims essoufflées pour se reprendre.

        « Allez, au pont ! Pas de temps à perdre ! Vous, avec les sceptres, vous savez quoi faire ! »

        Au pas de course, elles remontèrent toutes ensemble jusqu’à l’entrée de la grande pyramide. Ixi’ualpa et les kalims armées de boucliers prirent position en une première ligne au bout du pont. Le reste de la troupe venait derrière : elles formaient ainsi au total quatre rangs serrés, de sept guerrières chacun. Enfin, les trois kalims armées de sceptres solaires se hissèrent sur les statues qui gardaient l’entrée.

        « Koka minimale ! » criait Ixi’ualpa alors que les premières ennemies s’avançaient de l’autre côté du pont. « Il faut tenir, rien de plus, rien de moins ! Gardez l’esprit clair, et pas de percée ! Est-ce que c’est bien clair ?! »

        Quelques kalims grognèrent, mais la plupart lui répondirent avec un ferme cri de guerre commun, avant de se remettre à mâcher une ou deux feuilles de koka.

        En face d’elles, les guerrières d’Ignea se mirent à charger à travers le pont. Des tirs maladroits des sceptres en abattirent quelques-unes. D’autres partirent s’encastrer dans la pyramide en contrebas : les kalims ne s’étaient pas improvisées tireuses d’élites en quelques instants.

        « Rigg nous regarde ! continuait Ixi’ualpa. Rendons Kalith fière de ses enfants ! »

        Le choc fut brutal. Les guerrières impies rentrèrent dans la première ligne avec tout l’élan qui leur était possible. Si les kalims ne cédèrent pas de terrain, ce fut uniquement parce que leurs consœurs derrière elles les aidèrent à encaisser le coup de la charge. La mêlée pouvait commencer.

        Immédiatement, la kalim à droite d’Ixi’ualpa s’effondra, une lance chanceuse lui ayant transpercé la gorge. Elle fut aussitôt remplacée par la guerrière qui se tenait derrière elle, qui la vengea prestement après deux bottes de ses deux épées. Plus à gauche, un flash blanc éclatait alors qu’une des kalims parait un coup de son bouclier, qui s’illumina aussitôt et aveugla ses ennemies. La mêlée faisait rage, et les cris des deux partis se mirent à fuser dans tous les sens, tantôt couvrant, tantôt couverts par la clameur des armes.

        Ixi’ualpa ne se laissa pas déconcentrer par ses compagnes et leurs armes nouvelles, et mit sa propre arme à l’ouvrage. Une première guerrière mal équipée se dressa devant elle et lui porta un coup qu’elle esquiva sans peine. Sa propre passe fut impitoyable : la pointe incandescente de sa lance se logea sous la cage thoracique de l’ennemie, en plein sternum, transperçant le plastron de cuir sans aucune difficulté. Ixi’ualpa eut à peine le temps de retirer son arme du corps de son adversaire qu’une seconde hérétique se jetait sur elle. Le combat s’annonçait rude, mais il fallait tenir coûte que coûte, si elle voulait que ce qu’elle avait planifié ce déroulât comme prévu.

        Juchées sur les statues, Hixik et les deux autres manieuses de sceptres solaires contemplaient la mêlée en contrebas, sans cacher la frustration sur leurs visages. Tout dans leur corps leur disait de prendre la koka à leur ceinture et de se jeter elles aussi dans la mêlée en abandonnant leurs armes de tir. Mais Ixi’ualpa avait été claire sur la tâche qui leur incombait, et elles entendaient bien lui obéir. Pour l’instant, donc, elles se contentaient de regarder non sans envie la mêlée, lâchant sporadiquement un tir dans l’arrière de la troupe ennemie.

        Justement, les guerrières d’Ignea s’amassaient sur le pont, avide d’atteindre les combats. Bientôt, elle s’y seraient toutes engagées, et alors, se serait à d’Hixik et ses tireuses que reviendrait le rôle le plus important de toute la bataille.



        Au cœur du corps-à-corps, justement, la plupart des kalims de la première ligne gisaient sur le sol ou s’étaient retirées de la mêlée par les lignes arrière, blessées. Seules Ixi’ualpa et la kalim au bouclier miroitant tenaient encore debout, maintenant épaulées par la deuxième ligne. La troisième ligne attendait impatiemment son tour mais, en son for intérieur, la guerrière aigle priait pour qu’elles n’aient pas à en arriver jusque-là.

       Aux pieds d’Ixi’ualpa, les cadavres des hérétiques s’accumulaient. Un nombre admirable pour une seule guerrière, mais dérisoire face à toutes celles qui attendaient encore de se présenter devant sa lance.

        Au cœur des troupes des hérétiques, Ignea fixait justement le casque orné de plumes d’Ixi’ualpa. Elle comprenait à présent pourquoi les kalims avaient attaqué de façon si méthodique… Jamais se serait-elle doutée qu’une guerrière-aigle était là pour les épauler. Sans doute aucun, c’était là la championne que son nouveau dieu voulait qu’elle affronte. C’était là le crâne qui, une fois arraché à sa propriétaire, lui permettrait de s’attirer les bénédictions de Khorne. Et, justement, Ignea en faisait le serment devant lui, ce crâne serait sien avant la fin de la journée. Dégainant ses lames jumelles, elle commença à se frayer un chemin à travers ses guerrières, droit vers Ixi’ualpa.



        Hixik regarda la dernière hérétique s’avancer sur le pont. Il était temps de donner le signal.

        Ixi’ualpa entendit le hululement, transmis depuis les tireuses par les lignes arrières.

        « Préparez-vous à reculer ! » hurla-t-elle avant de renvoyer une énième traîtresse à son dieu impie.

        Les tirs d’Hixik et ses compagnes se firent subitement plus nourris. Les guerrières d’Ignea n’y prêtèrent pas attention, pas plus que les kalims, les unes comme les autres trop concentrées sur les combats.

        Les traits incandescents frappèrent le pont à sa jonction avec la pyramide en face. Les explosions causées par les tirs ébranlèrent la frêle arche. Une deuxième volée rata sa cible, se perdant dans les pierres solides de la pyramide de Tlazcotl. La troisième eut plus de chance : quelques blocs se détachèrent du pont sous les tremblements, assez pour inquiéter les guerrières d’Ignea à l’arrière du groupe. Mais c’était déjà trop tard : la quatrième salve eut raison de l’antique arche, qui commença à s’effondrer.

        L’effroi se répandit comme une traînée de poudre parmi les hérétiques, bien plus vite que les pierres du pont ne tombaient. Ixi’ualpa, elle, avait déjà ordonné la retraite des kalims. Dès les premières secousses, elles s’étaient préparées à se retirer en bon ordre pour rejoindre la sécurité de l’intérieur de la pyramide.

        Sous la poussée des guerrières d’Ignea prises d’effroi, le petit nombre des kalims n’aurait pu les retenir. Là, grâce à l’organisation d’Ixi’ualpa, elles purent traîner avec elles leurs blessées à l’abri, au lieu de les laisser se faire piétiner par la foule.

        Un torrent de guerrières impies se déversa à leur suite dans l’entrée de la pyramide, les premières arrivées chutant sous les secondes qui leurs marchèrent dessus sans aucune considération. Derrière elles s’élevait la clameur de l’édifice qui s’effondrait, assourdissante, et qui laissait parfois entendre les cris des amazones infortunées précipitées vers leur mort.

        Ignea jurait et pestait avec force hargne. Elle avait commencé à se frayer un chemin parmi ses guerrières lorsque le pont s’était mis à tomber, et cela lui avait sauvé la vie, arrivant parmi les dernières sur le bout du pont qui était resté debout. Serrant les dents, elle maudit mille et une fois la guerrière aigle. Seule l’anticipation de ce qu’elle pourrait lui infliger comme souffrance pouvait apporter à la prêtresse un semblant de consolation.

        Elle n’avait aucune idée du nombre exact de guerrières qu’elle venait de perdre sur le pont. Maintenant qu’elle regardait autour d’elle, elle pouvait compter ses suivantes, qui se redressaient péniblement sur la ruine du pont encore en place. Une douzaine de fidèles, toutes plus choquées les unes que les autres. Voilà ce qu’elle avait sous les yeux.

        Puis elle entendit la clameur qui s’élevait de l’intérieur de la pyramide : le reste de l’avant de sa troupe combattait encore. Ignea s’élança, enjambant cadavres et blessées sans leur prêter aucune attention. Un cri rageur sur les lèvres, elle brandissait ses deux lames sacrées.

        Dans le couloir envahi d’une épaisse poussière levée par l’effondrement du pont, une quarantaine de ses guerrières combattaient une vingtaine, tout au plus, de kalims, qui tenaient vaillamment leur position. Ignea évalua rapidement la situation : les kalims étaient mieux armées, exemplaires de pugnacité, combattantes expertes et, surtout, féroces. Il faudrait plus que ses quelques guerrières pour les repousser. Il était temps qu’Ignea se charge de saper tous leurs espoirs de victoire, en commençant par se débarrasser de leur cheffe.

« Tz’ikin bah te !!! Tali !!! »

        Le cri fit s’arrêter Ixi’ualpa qui, en retrait de la mêlée, était occupée à panser sobrement une blessure superficielle à son bras gauche. « Guerrière aigle, viens ». Quelqu’un l’avait appelée, d’une voix forte et ferme. Devant les kalims, les hérétiques se scindèrent en deux groupes, tout en continuant à combattre férocement, laissant entrevoir une guerrière qui s’avançait, une épée dans chaque main.

        Ixi’ualpa reconnut immédiatement celle qui se tenait en face d’elle : Ignea. La prêtresse impie la pointait d’une lame, une haine indescriptible sur le visage. La guerrière aigle lui rendit son regard, d’une même dureté. D’un geste rapide, elle acheva de se panser et ramassa sa lance. Si c’était la mort qu’Ignea souhaitait, elle allait se faire un plaisir de la lui donner.

        La prêtresse se mit à courir en direction de son ennemie. Une kalim tenta de s’interposer, et Ignea la reconnut : c’était celle qui maniait la masse crépitante. Cette fois-ci, personne ne l’empêcha de riposter. Elle esquiva l’attaque de l’amazone, et ses deux lames fusèrent, mortelles et précises. La brassière de son ennemie dévia une épée, mais l’autre se figea dans son ventre vulnérable avec un bruit mou, arrachant à la femme un cri de douleur étranglé. Ignea la laissa choir au sol sans même la regarder. Elle n’avait d’yeux que pour la guerrière aigle, celle qu’elle considérait comme son ennemie jurée.

        Justement, Ixi’ualpa s’élança à sa rencontre, ordonnant aux kalims de ne pas s’interposer – si toutefois les kalims avaient encore assez de raison pour l’écouter, toutes emportées par les combats qu’elles étaient. Empoignant sa lance, elle s’apprêta à rencontrer la traîtresse corruptrice.

        Le choc fut brutal.

        À sa grande surprise, la prêtresse se révéla plus preste qu’elle. Avec un petit sourire supérieur, elle esquiva sa lance avec une agilité déconcertante. Avant même qu’Ixi’ualpa ne puisse comprendre qu’elle l’avait attaquée, elle sentit les lames de la prêtresse lui lacérer le flanc droit d’une part, et la cuisse gauche de l’autre. Sous la douleur, elle poussa un cri étranglé. Complètement décontenancée, elle recula précipitamment, oubliant toute offensive. (Ignea : 6T, 1 annulée, 4B, 2svg, -2PV !)

        « Surprise ? » lui demanda alors Ignea sans se départir de son sourire. « Mon nouveau dieu est avec moi, bien plus puissant que Rigg ne le sera jamais ! Je suis invincible ! »

        Ixi’ualpa serra les dents et préféra riposter plutôt par les armes que par les paroles. Quatre fois sa lance frappa, et deux fois son ennemie l’évita, pour la parer deux fois de plus. (Ixi’ualpa : 4T, 2B, 2 Invus !)

        « Avant de mourir, donne-moi ton nom, guerrière. » dit la prêtresse. « Que je sache de qui je brandirai le crâne !
        — Ixi’ualp... »

        Elle ne put finir sa phrase. Ignea écarta sa lance d’un violent coup d’épée et, plus vite qu’elle ne pouvait réagir, la bouscula d’un grand coup d’épaule, avant d’enfoncer sa seconde lame profondément dans son flanc, lui coupant le souffle, et la parole. (Ignea : 2T, 2B, 1 Invu, -1PV !) Ixi’ualpa tomba à genou, laissant sa lance rouler sur le sol. Sa vision se brouilla, et les sons devenaient peu à peu comme brumeux tout autour d’elle.

        Ignea s’approcha, prit une de ses épées à deux mains, et la leva au-dessus de la tête de son adversaire, immobile au sol.

        « Merci, guerrière, pour ton sacrifice qui m’accordera les plus hautes faveurs de mon dieu... »

        La lame s’abattit, et ne rencontra que de l’air. Au dernier moment, le cou d’Ixi’ualpa fut tiré hors de portée de la lame.

        « Pas tant que je vivrai ! » s’exclama la responsable.

        Rakt’cheel avait tiré la guerrière aigle si fort en arrière qu’elle l’envoya rouler à travers les maigres lignes de ses troupes.

        « Traitez-la ! » beugla-t-elle aux kalims, blessées mais encore valides, qui s’occupaient de soigner sommairement leurs sœurs les plus mal en point à l’arrière des combats. « Je veux qu’elle se remette debout ! »

        Se retournant, elle esquiva un premier coup d’Ignea, sauta en arrière. Rakt’cheel ouvrit grand les yeux. Elle avait une idée.

        « Donnez-lui de la koka !!! » finit-elle par hurler.

        Elle vit les kalims lui lancer un drôle de regard, puis l’une d’entre elle glissa quelques feuilles déjà mâchées dans la bouche de la guerrière au bord de l’inconscience, lui forçant à en avaler le jus.

        Rakt’cheel détourna le regard et se concentra à nouveau sur son adversaire. Même légèrement atteinte par la petite dose de drogue qu’elle avait prise avant le combat – Ixi’ualpa leur avait fermement interdit d’en prendre plus – elle pouvait voir qu’Ignea surpassait de loin ses suivantes, simples femmes de clan à l’entraînement martial basique. Tout dans sa posture, dans sa prise sur ses lames jusqu’à sa façon de se déplacer, hurlait à Rakt’cheel de se méfier. Qui plus était… n’avait-elle pas mise à bas Ixi’ualpa, qu’elle avait vue mettre à bas un nombre incalculable d’étrangers depuis le début du voyage ? Pour une fois, la dévote ne pourrait pas se lancer à l’attaque sans réfléchir…

        Mais Ignea n’entendait pas la laisser réfléchir.

        « Tu t’es interposée entre moi et ma proie, félonne ! lui hurla-t-elle. Je vais répandre ta cervelle sur le sol, j’en fais le serment !
        — Alors viens me chercher, impie ! »

        La prêtresse se jeta en avant, et Rakt’cheel se saisit au dernier moment d’une guerrière pour la pousser entre elle et Ignea. Jurant, cette dernière bouscula sa suivante sans ménagement pour continuer son attaque, mais son ennemie n’était plus là.

        « Par ici ! »

        Empoignant une seconde guerrière, qu’elle égorgea prestement, Rakt’cheel narguait son adversaire depuis l’autre côté du couloir. Ignea poussa un cri de rage et se lança à sa poursuite.

        « Lâche ! » hurla-t-elle. « Viens te battre plutôt que de fuir ! »

        Rakt’cheel ne répondit qu’avec un sourire narquois et l’esquive d’une guerrière à côté d’elle. Encore une fois, elle recula hors de portée d’Ignea.

        Alors que la mêlée faisait rage à côté d’elles, la dévote continua ainsi pendant un moment à se laisser chasser par la prêtresse, avant de se dérober au dernier moment. Plusieurs fois leurs armes se croisèrent, mais jamais pour plus que quelques passes.

        Rakt’cheel avait bien conscience, en son for intérieur, qu’elle ne faisait que gagner du temps. Dès qu’elle avait paré un premier coup de la prêtresse, elle avait pu constater qu’elle ne faisait tout simplement pas le poids contre Ignea. Elle ne pouvait que l’attirer à l’arrière des lignes des kalims, la rendre vulnérable, l’empêcher de semer la mort parmi les autres combattantes. La dévote n’attendait qu’une seule chose : que son plan avec Ixi’ualpa porte ses fruits. Alors, peut-être, qu’elle aurait plus d’espoir de vaincre la féroce prêtresse.

        Justement, Rakt’cheel voulut jeter un regard à la guerrière aigle. Ce fut là son erreur. Une épée d’Ignea se heurta à l’une de ses jambières alors même qu’elle tentait de reculer, l’envoyant au sol. Se réceptionnant à quatre pattes, la dévote leva une de ses dagues pour se défendre, mais un coup de pied la fit s’échapper de ses mains. La seconde épée de la prêtresse heurta son casque, et un voile noir descendit sur son esprit. (Ignea : 5T, 4B, 1Svg, -3PV !! ; Rakt’cheel : 2T, 2B, 2Invus !)

        Ignea regarda la femme au sol, un sourire triomphant sur le visage. Enfin, ce petit jeu du chat et de la souris touchait à sa fin. Elle levait son épée pour l’achever, lorsqu’une dague siffla à côté de son oreille, emportant une de ses mèches blondes au passage.

        Debout au milieu des blessées dont elles s’occupaient, deux kalims la contemplaient, un regard empreint de haine et prêtes à foncer sur elle. Ignea soupira. Pourquoi personne ne la laissait achever ses victimes les plus méritantes ?

        La première kalim s’élança vers elle, tandis que l’autre la suivait en titubant : sa jambe était blessée, hâtivement pansée. Ignea remarqua que l’autre avait le torse bandé. Peu importait leurs blessures, elle allait les tuer sur le champ.

        La première s’avança et… feinta une attaque, qui manqua de peu de lacérer le torse de la prêtresse. Bien tenté, pensa cette dernière, mais il en faudrait plus pour venir à bout de ma maîtrise. Un coup de pommeau envoya l’arrogante kalim reculer en titubant, et sa deuxième lame fendit l’air. Dans un hurlement déchirant, son ennemie tomba au sol au milieu des blessées, une main sur le moignon sanglant qui quelques instants plutôt se terminait en une main tenant sa dague.

        Poussant un cri de rage, la seconde kalim s’élança sur elle et, armée d’une lance, força Ignea à reculer quelque peu. Passant sur son côté droit, la prêtresse l’obligea à prendre appui sur sa jambe blessée, ce qui lui arracha un cri de douleur, ainsi qu’un moment de battement. Il n’en fallait pas plus pour qu’Ignea la force à mettre son genou au sol d’un coup de pied précis sur sa jambe meurtrie.

        L’immobilisant d’un bras autour du coup, Ignea s’apprêta à l’égorger sommairement lorsqu’un mouvement dans le coin de son œil la fit s’arrêter. La kalim qu’elle venait de mutiler se relevait ? Comment…

        Non, ce n’était pas la mutilée. C’était l’amazone inconsciente sur laquelle cette dernière avait chuté qui s’était réveillée, et qui se redressait en la poussant de côté, insensible à ses sanglots de douleur. Ignea n’eut pas besoin de deux regards pour reconnaître le casque bordé de plumes de la femme.

        La prêtresse laissa immédiatement choir la kalim entre ses bras, la laissant suffoquer à ses pieds sans un seul regard.

        « Je vais pouvoir avoir ta tête, finalement… » murmura-t-elle à Ixi’ualpa, levant ses armes.

        L’intéressée, au flanc sobrement bandé – en vérité, les kalims n’avaient même pas pu finir de la panser – ne lui répondit pas, et ramassa la dague de la kalim à côté d’elle, l’arrachant de la main tranchée. Enfin, elle leva les yeux pour transpercer Ignea du regard. Cette dernière se figea un instant, interloquée par les yeux injectés de sang de la guerrière aigle, avant de continuer à s’avancer nonchalamment.

        « Heh, comme si un peu de koka allait te sauver. Au mieux, cela rendra le combat plus intéressant ! »

        Ixi’ualpa cracha dans sa direction. Elle se sentait étrange. Sa bouche était en feu, tout comme ses muscles, tendus comme des cordes prêtes à craquer. Elle ne sentait plus sa blessure au flanc, ce qui aurait dû l’inquiéter. Mais elle n’en avait que faire. Une unique chose lui accaparait l’esprit : tuer. Verser le sang de ses ennemies. Cela tombait bien, il y en avait une juste devant elle, dont elle souhaitait plus que tout prendre la vie.

        Rakt’cheel reprenait douloureusement connaissance à l’écart des combats, et s’adossa contre le mur proche en massant sa tête. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Ignea et Ixi’ualpa tournaient l’une autour de l’autre à quelques pas devant elle, au milieu des kalims blessées, feulant chacune à l’encontre de l’autre. La dévote voulut se lever, les rejoindre, mais sa tête lui fit défaut, et elle peina à lever sa main pour ramasser ses armes. L’esprit brumeux, elle jura en marmonnant, frustrée d’être encore une fois reléguée au rang de spectatrice.

        Ce fut Ixi’ualpa qui s’élança la première. Ignea l’attendait, et se préparait à frapper, mais fut surprise par l’agilité de son adversaire. Elle ne s’était pas attendue à autant d’énergie de la part d’une blessée. Puis elle se rappela que ladite blessée était sous l’emprise de la koka. La dague siffla, passa à deux doigts du visage d’Ignea, la força à revoir son offensive, qu’Ixi’ualpa dévia de ses nouvelles brassières. (Ignea : 5T 1 Annulée, 3B, 1 Svg, 2 Invus ! Ixi’ualpa : 3T, 1B, 1 Invu)

        La prêtresse pressa son attaque, refusant à Ixi’ualpa l’opportunité de se retirer. Mais Ixi’ualpa ne voulait pas se retirer. Elle passa sous le bras d’Ignea (Ignea : 2T, 2B, 2svg !), et darda de sa dague. La seconde épée fusa pour parer le coup… mais trop tard, la lame de la guerrière aigle traça un long sillon sanglant le long de l’épaule d’Ignea. (Ixi’ualpa : 2T, 1B,-1PV !)

        La prêtresse regarda avec horreur le sang couler sur sa poitrine presque nue. C’était impossible ! Elle était l’élue du dieu du sang, sa foi la rendait invincible ! Poussant un hurlement de rage, elle donna un féroce coup de pied à son adversaire qui ne s’y attendait pas, l’envoyant reculer et manquant de la faire trébucher sur les blessées au sol qui n’avaient pu s’écarter de leur mêlée. (Ignea : 4T, 4B, 1Svg, 2Invus, -1PV !)

        « Impie ! » hurla-t-elle à l’adresse d’Ixi’ualpa. « J’ai été choisie par le dieu du sang, tu ne peux pas me battre ! »

        Là encore, Ixi’ualpa ne répondit pas. À travers le voile que la koka avait jeté sur sa raison, elle ne put pousser qu’un grondement sourd, qui se transforma en un hurlement à gorge déployée lorsqu’elle se jeta à nouveau sur Ignea.

        La prêtresse la vit venir. Ou plutôt, crut la voir venir. Puis fut soulevée du sol lorsque la guerrière aigle la percuta de plein fouet après qu’elle eut dévié les épées jumelles avec sa dague. Les deux combattantes roulèrent au sol, abandonnant leurs armes dans leur chute. Tout autour d’elles était flou, l’une se trouvait tantôt sur l’autre, puis l’inverse, et elles s’échangèrent ainsi une furie de coups de poings. (Ixi’ualpa : 2T, 1B, -1PV ; Ignea : 2T, 2B, 1Svg, -1PV !)

        Ignea faillit en sortir avantagée, mais alors qu’elle allait immobiliser Ixi’ualpa sous elle, la guerrière aigle la dégagea d’un coup de genou dans le dos. Finalement, elles se retrouvèrent face à face, à genoux au sol, à quelques pas l’une de l’autre.

        Toutes deux fixèrent du regard la dague d’Ixi’ualpa qui gisait sur le sol presque à égale distance de l’une comme de l’autre.

        Les mains d’Ignea tremblèrent, couvertes de sang et de sueur.

        « Je suis l’élue de Khorne !!! » cracha-t-elle avant de se jeter sur la dague en même temps qu’Ixi’ualpa s’élançait elle aussi.

        L’acier froid transperça la gorge de l’amazone, s’enfonçant jusqu’à la garde sous la violence du coup. Elle voulut parler, mais un flot de sang jaillit de sa bouche à la place de ses paroles.

        « Tu n’as qu’à réclamer ses faveurs à ton dieu en personne. »

        Ixi’ualpa regarda Ignea tomber à genou, avant de s’étaler sur le sol, une expression de stupeur à jamais gravée sur son visage.

        Le voile de la koka commençait à se lever sur la tête de la guerrière aigle, poussé par les montées successives d’adrénaline qui lui clarifiaient peu à peu l’esprit. Oh, elle sentait encore tous ses membres trembler légèrement, sans qu’elle puisse le réfréner, mais la soif de sang, au moins, l’avait quittée.

        Elle tenta de faire quelques pas, mais une vague de douleur déferla sur son esprit. C’était comme si elle prenait soudainement conscience de ce que tout son corps avait subi ces dernières minutes. Tous ses membres lui faisaient mal, couverts des coupures et des bleus que lui avait infligé Ignea. Elle grogna, forcée à poser un genou à terre, et mit la main à son flanc. À travers les bandages presque entièrement défaits, elle sentait son sang chaud s’écouler par la blessure.

        Alors qu’elle se sentait perdre l’équilibre, elle vit Rakt’cheel se lever péniblement et avancer vers elle. Ixi’ualpa voulut lui adresser la parole, mais son souffle s’étrangla dans sa gorge, et elle ne put que cracher un peu de sang d’entre ses lèvres meurtries. Un voile noir descendit sur sa vision et, en même temps qu’elle se bascula en avant, elle perdit connaissance.

        (Ixi’ualpa : 4T, 3B, -3PV !!!)

        Rakt’cheel la rattrapa avant qu’elle ne touche le sol, avant de l’allonger doucement. Elle échangea un regard avec la kalim à côté d’elle, qu’Ignea n’avait pu achever. Après un moment de silence, elles s’écrièrent d’une même voix :

        « Gloire à Rigg ! La prêtresse impie est morte ! » La dévote continua encore : « Que la vengeance de notre Mère s’abatte sur toutes les hérétiques ! »

        Les combats s’arrêtèrent alors que kalims comme suivantes d’Ignea tournèrent leurs regards vers la dévote, qui s’empara du cadavre d’Ignea pour le soulever, tant bien que mal.

        Il ne restait plus qu’une poignée de guerrières hérétiques encore debout, une dizaine tout au plus. Les kalims n’en menaient pas plus large en vérité, à six encore véritablement valides et vaillantes. Mais c’en était trop pour les impies : tout autour d’elles, c’étaient les corps de leurs sœurs qui gisaient au sol, bien plus nombreux que ceux des kalims, et les yeux de ces brillaient toujours de la même fureur prodiguée par la koka. Elles-mêmes étaient épuisées, meurtries ; enfin, leur cheffe, leur élue, n’était plus. Une à une, elles prirent la fuite.

        Une poignée de kalims se lancèrent à leur poursuite. Les guerrières qu’elles ne rattrapèrent pas dans leur course se heurtèrent au vide qui se tenait à la place du pont. Une poignée d’entre elles préféra sauter plutôt que de se faire exécuter. Enfin, les quelques guerrières restantes tentèrent de se rendre, mais aucune pitié ne fut leur offerte.

        Le calme retomba enfin sur la pyramide sacrée. Un calme tout relatif à vrai dire, car si la clameur des combat s’était tue, les gémissement des mourantes et des blessées s’élevaient toujours en une complainte morbide.

        Privilège du vainqueur, les kalims pourraient soigner leurs blessées. Les suivantes d’Ignea n’eurent pas cette chance : elles furent achevées jusqu’à la dernière, et les kalims lancèrent leurs cadavres dans le vide depuis le pont.

        Elles étaient victorieuses. Mais à quel prix ? Sur les soixante vaillantes guerrières qui avaient quitté la capitale des Amazones, seule une petite vingtaine y retournerait, si toutefois les plus mal en point survivaient à leurs blessures jusque-là… À peine plus d’une dizaine de kalims tenaient encore debout, mais la drogue retombant, elles étaient épuisées et meurtries, à peine valides.

        La mort, si elle se prouvait utile, avait autant de valeur que la vie. Telle était la voie des suivantes de Rigg, des kalims. Leurs compagnes décédées goutteraient autant à la gloire que leurs sœurs encore en vie, et leurs noms seraient célébrés comme ceux des héroïnes de légende au retour de leur expédition.

        Un long chemin attendait encore leurs sœurs avant de pouvoir passer les portes de leur cité natale…

***
***
***

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

Chapitre 6 : Sixième et Dernière journée de combats sur l’Amaxon



Image


     Au cours de la matinée, l’adrénaline de la poignée de druchiis qui s’était écrasée dans la jungle se fut estompée.
     De fil en aiguille, l’épuisement dû à la nuit blanche qu’ils venaient de passer les rattrapait : tous étaient des elfes triés sur le volet, cependant tous avaient subi les privations de l’expédition lointaine, tous se souvenaient tout d’un coup à quel point la chaleur du matin était étouffante, tous dissimulaient de coupables pensées de sommeil.
     Leur capitaine, quant à lui, était fiévreusement occupé à déchiffrer les tablettes de pierres qui contenaient la sagesse des premiers navigateurs du monde connu. Il avait fini par les disposer à même le sol, s’efforçant de les agencer de manière différente au fut et à mesure que les runes antiques livraient leur sens caché. Il était prudemment épaulé par Kielmir, le médecin de bord et érudit de surcroît, que Sarquindi se félicitait à présent d’avoir préservé en relative santé, sans langue coupée ou autres menaces dont il gratifiait souvent le vieil elfe.
     La jungle, cependant, continuait de vivre et de s’intéresser de près à toutes les nouveautés qu’elle accueillait en son sein. Ce fut ainsi qu’au bout de moins d’une heure, Sarquindi et ses corsaires entendirent quelques bruissement discrets dans les sous-bois, bruissements un peu trop nombreux pour ne pas sonner l’alerte et réveiller les deux nigauds qui avaient fini par s’assoupir, l’un derrière le vaisseau, l’autre à l’intérieur.
     Sarquindi éprouva un de ces moments détestables qui obligent à prendre une décision cruciale : ils allaient être attaqués, ils étaient à bout de forces, seules deux voies de retraite s’offraient à eux. Le capitaine, par cupidité, par vanité, par goût du risque ou simplement par foi en la sagesse des Anciens, ordonna à sa poignée d’acolytes de se retirer en vitesse à l’intérieur de la gigantesque structure métallique. Il réalisa aussitôt après que cela avait été la seule bonne solution.
     À peine eurent ils remonté la rampe du vaisseau et refermé l’entrée que tout l’espace autour du vaisseau se remplit de créatures trapues et velues ; elles semblaient cependant toutes réticentes à se rapprocher du vaisseau : Sarquindi pouvait opportunément les observer grâce à la fabuleuse magie des Anciens. Il ressentait dès lors un mélange d’amusement et de consternation : ces créatures ne pouvaient probablement guère les atteindre dans leur sanctuaire d’acier, cependant lui-même et ses corsaires se retrouvaient piégés, eh bien, comme des rats. Piégés comme des rats par des hommes-rats ! Non, celle-là, il la garderait pour un autre jour ; pour l’heure, il fallait tout d’abord s’assurer que ces abjectes demi-portions ne pouvaient rien pour accéder à l’intérieur du vaisseau.

     Les menaces scandalisées de leur chef étaient insuffisantes pour faire obéir les quelques dizaines de rats des clans attroupés autour de l’immense structure métallique, à une lieue seulement de la cité abandonnée de Chaqua. Cette chose avait tout pour terrifier : plus haute, plus large et plus massive que toutes les créatures que les skavens connaissaient dans cette jungle, elle était en plus modelée d’après des faciès aux regards énigmatiques et oppressants : une face à l’avant et une autre à l’arrière. Certains guerriers s’imaginaient aisément la structure commencer à se mouvoir et à s’abattre sur eux : son seul poids devait être suffisant pour tous les écraser…  

     Au bout d’une heure, cependant, la situation changea du tout au tout car la jungle ne dormait pas. Les rats des clans, qui commençaient à peine à croire que la « chose » était inerte et inoffensive et avaient fait de timides essais pour en entamer la surface, humèrent brusquement l’air et déguerpirent aussi rapidement qu’ils étaient apparus. À l’intérieur du vaisseau, où le capitaine et ses hommes avaient presque fini par s’assoupir, confiants en la sûreté de leur refuge métallique, l’alerte fut de nouveau donnée, ôtant pour de bon toute pensée de sommeil à Sarquindi : il devait déchiffrer les tablettes des Anciens coûte que coûte et se tirer de cette maudite jungle, sinon… sinon il n’aimait pas envisager le reste.
     L’arrivée furtive et méfiante des skavens fut rapidement oubliée lorsque les sous-bois furent troublés par un frémissement sismique. Les corsaires eurent la désagréable sensation de comprendre que cet étrange grondement qu’ils entendaient étaient celui d’un groupe bien plus nombreux et bien plus lourdement armé que ce qu’ils venaient de voir défiler au cours du lever du jour. Sarquindi entr’aperçut des dizaines de points lumineux dans la pénombre des sous-bois : c’étaient les armes de leurs ennemis qui reflétaient les quelques rayons de soleil… Avec un manque d’empressement qui parut oppressant à l’ensemble des druchiis, un vaste contingent d’hommes-lézards déboucha sur l’étroite clairière et encercla aussitôt le vaisseau des Anciens.
     Le capitaine des corsaires coupa court à la question qui brûlait les lèvres à tous ses elfes : ils ne bougeaient pas du vaisseau ! Quant à la marche à suivre, ils n’avaient qu’à se fier à leur capitaine !

     Les rangs serrés des guerriers reptiliens s’écartèrent pour laisser le passage à l’un des leurs. Sarquindi ne put détourner son regard de lui dès qu’il le vit : dépassant ses subordonnés d’une bonne tête, aux épaules encore plus larges, il portait un bouclier noir cerclé d’or ainsi qu’une masse ouvragée. En outre, les écailles de ce colosse étaient bien plus claires que celles de ses troupiers, l’on pouvait même dire qu’il s’agissait d’un albinos.

     « Sortez, et vous pourrez partir avec la tête sur vos épaules. »

     Sarquindi crut que sa raison commençait à lui faillir : il avait clairement entendu la voix résonner dans sa tête, tel un glas funèbre, cependant en voyant les mines horrifiées de ses corsaires, il comprit au moins qu’il n’était pas le seul à avoir été atteint du message… Il lui fallut cependant toucher le pommeau de son épée pour inciter ses elfes au calme : se rendre ?! Maintenant ?! Après tout ce qu’ils avaient traversé pour arriver jusqu’ici ?!

     « Refusez, et vous serez détruits. »

     Le capitaine refusa de réfléchir quant à la source de la voix : il ne voyait pas le massif albinos ouvrir sa gueule reptilienne, aussi il s’agissait encore d’une incongruité de la jungle mais cela importait peu. Sarquindi pointa muettement les tablettes à ses acolytes. À défaut de les sauver immédiatement, l’espoir de trouver leur salut dans l’incroyable vaisseau allait au moins maintenir le moral des troupes à flots durant ce qui ressemblait à des pourparlers.
     « Qui êtes-vous ? s’efforça-t-il de penser. »
     « Je suis Celui-qui-refuse-de-partir. »
     « Le général au bouclier noir, est-ce vous ? »
     « Gor-Rok est le bras armé d’Itza, enfant. Sortez, ou le bras armé d’Itza s’abattra sur vous. »
     Sarquindi comprenait qu’il n’allait guère pouvoir faire durer les pourparlers indéfiniment. Quelque part, il ne songeait même pas à considérer si l’offre de la voix sépulcrale était honnête ou non. C’était son vaisseau désormais, et il entendait bien quitter les lieux à son bord !

     Tout à coup, un bruit épouvantable percuta les tympans de l’ensemble des druchii à l’intérieur. Sarquindi dégaina sa lame et tous ses acolytes, Kielmir y compris, dégainèrent les siennes ; ils voyaient désormais qu’une immense créature avait essayé de défoncer l’accès au vaisseau avec sa massue ; ce n’était point le général albinos : ce dernier n’avait guère bougé de sa position et la créature fautive était encore plus corpulente que lui et à la gueule plus longue.
     Deux-cents pas plus loin, Tixyxyon explosa en invectives : il n’aurait jamais dû indiquer la porte d’accès à Qracl’Naui, qui avait compris qu’il fallait abattre la porte pour accéder aux ennemis.
     À l’intérieur, cependant, les elfes constatèrent que la surface de la porte n’était même pas déformée. Beaucoup plus enhardis, ils se dévisagèrent, peinant à croire l’immense soulagement qu’ils éprouvaient à ce moment précis : si leur sanctuaire pouvait supporter un coup pareil sans dommage, alors ils étaient véritablement saufs ! Il fallait juste trouver un moyen de refaire voler ce maudit vaisseau ! Un second coup, cependant, tout aussi redoutable que le premier, leur cassa les oreilles derechef et valut au kroxigor une farandole d’injures en Druck-eltharin, que l’intéressé n’entendit même pas, tout occupé qu’il était à casser la carapace de cette étonnante maison. Au deuxième coup, cependant, il s’arrêta, perplexe : il s’était attendu à au moins l’ombre d’un résultat, or la surface de l’accès au vaisseau ne portait pas la moindre égratignure…

     « Permettez-vous que l’on reste un peu ? »
     Sarquindi effectuait un formidable effort de volonté pour ne pas paraître narquois dans ses pensées mais, au contraire, le plus sérieux possible : « Notre intérêt en ces lieux est purement académique, nous sommes en train de traduire des tablettes qui, en plus sont rédigées en notre langue. »
     « Certaines choses valent mieux d’être ignorées, enfant. Abandonnez vos tentatives de comprendre et sortez avant de vous faire du mal. »
     Sarquindi avait la sensation singulière de ne pas savoir si son interlocuteur avait cru ses paroles ou s’il jouait la comédie à son tour. Bah, il gagnait du temps, c’était tout ce qui comptait. Kielmir lui indiqua cependant qu’il tenait quelque chose et que c’était justement du temps qu’il leur fallait, le plus de temps possible.
     « Qui que vous soyez, sachez que toutes nos trouvailles en ces lieux sont destinées à la sauvegarde de mon peuple, qui souffre nuit et jour d’incursions des puissances de la Ruine et de ses adorateurs ! »
     Plus un mensonge était gros, mieux il passait, surtout lorsqu’on y infusait un zeste de vérité par-derrière, se dit Sarquindi. Il se rattrapa aussitôt, momentanément pris de panique : et si son ennemi lisait aussi ses pensées qu’il voulait garder secrètes ?!
     « Malheureux enfant. Vous allez utiliser l’héritage des Anciens dans vos querelles puériles. Vous ne méritez guère d’en faire usage. Sortez, c’est votre seule chance de salut. »
     Alors que leurs pourparlers continuaient sur cette même voie stérile, Sarquindi eut le hasard d’apercevoir du mouvement en hauteur, direction où son regard n’aurait jamais dû tomber au vu de ce qui se passait en bas (un skink s’époumonait manifestement à rentrer un kroxigor dans les rangs de l’armée). En hauteur, deux… créatures ? Un peu trop humaines à son goût pour être qualifiées de créatures. Un peu trop familières aussi. Pourquoi diable atterrissaient-elles sur le haut de leur vaisseau depuis les branches d’un arbre ?!
     Ça ne tournait pas rond. Avec l’instinct qui distingue les meilleurs commandants druchii de leur inférieurs, Sarquindi flaira soudain la roublardise de leurs ennemis et comprit ou crut, plutôt, que leur temps leur était plus que jamais compté.
     « Kielmir, si tu as une idée géniale, c’est maintenant !! »
     L’intéressé recommanda son âme à l’Au-delà avant d’appuyer brusquement sur le même levier qui les avaient propulsés naguère hors du temple.
***
     La surface froide et lisse de l’immense structure se mit à trembler sous ses pieds. Elle échangea un regard inquiet avec Rakt’cheel, qui n’aurait pu désormais ne pas l’accompagner jusqu’ici, là où leurs alliés reptiliens les avaient appelés. Il fallait percer la coque de cette chose et la lance d’Ixi’ualpa devait passer pour le meilleur outil de précision dans les environs. L’héritage des Anciens était en jeu : si elles échouaient, leurs alliés n’hésiteraient pas à activer les arches de Sotek juchées sur deux massifs bastiladons. Leur tâche était pourtant simple : percer la coque métallique avec la lance d’Ixi’ualpa et ouvrir une brèche pour que des skinks puissent s'y introduire ensuite. Le tout uniquement si les étrangers à l’intérieur refusaient d’en sortir de leur propre gré. Pourquoi tout d’un coup cela devenait-il aussi périlleux ?!
     Les deux amazones sentirent le même haut-le-cœur lorsque le vaisseau métallique s’ébranla et quitta brusquement le sol.

     « Kielmir, si nous tombons pour la deuxième fois…
     - Cet engin avait besoin de reprendre des forces, capitaine. Il ne tombera plus désormais.
     - En êtes-vous certain ?!
     - Considérerez ce vaisseau comme un soldat à peine capable de marcher, capitaine. Demandez-lui de marcher, et rien de plus, et il marchera à coup sûr.
     - Par Khaine, Kielmir, si tu dis vrai, je te garantis une vie longue et remplie de plaisirs ! »

     Ixi’ualpa et Rakt’cheel furent stupéfaites lorsque le vaisseau ralentit son ascension et entama une lente descente en diagonale. Il fut immédiatement rassurant de constater que le vaisseau gardait une position non-inclinée, faute de quoi les amazones auraient immanquablement glissé vers le bord de la plateforme et probablement sombré vers leur trépas. La guerrière-aigle en ressentit presque de la rancœur envers ses « alliés » reptiliens : comment avaient-ils pu ne pas l’avertir du péril que pouvait représenter ce vaisseau ?!

     « Kielmir, nous avons des invitées en haut du vaisseau, je crois. Ne pourrait-on pas s’en débarrasser par une habile manœuvre ?
     - Je…
     - Quoi, non ?
     - Capitaine, je nous considère déjà chanceux d’avoir été à même de quitter l’encerclement, éviter une seconde chute et même préserver un semblant de trajectoire.
     - Vous n’allez pas me dire que je dois y monter moi-même ?
     - Vous êtes le capitaine. Si vous l’ordonnez, je tenterai de…
     - Suffit ! Vous deux, avec moi ! Et, Kielmir, s’il vous vient à l’esprit de « tenter » quoi que ce soit quand je suis là-haut, je vous garantis que Khaïne lui-même viendra vous chercher dans ce vaisseau. »
   
     Les deux amazones étaient bien trop préoccupées par la précarité de leur situation pour songer à contempler la beauté de la vue qui s’offrait à elles : sous le soleil de midi, la cité perdue de Chaqua resplendissait, semblait-il pour elles seules, et l’Amaxon serpentait à leurs pieds tel un immense ruban de bronze qui allait se perdre dans la verdure infinie. Ixi’ualpa hésitait de faire usage de sa lance comme elle aurait certainement hésité de piquer le dos d’une immense créature endormie sur le dos de laquelle elle se serait retrouvée.

     « Capitaine, mais comment avez-vous su qu’il y aurait aussi un accès en haut du vaisseau ?
     - C’est que les esprits ingénieux pensent de la même manière, Dendas.
     - Ne pensez-vous pas qu’elles risquent de nous attendre en haut ?
     - C’est une excellente remarque, Yenath ! Armé d’une telle sagesse, tu ne peux qu’être celui à nous ouvrir la voie ! »

     Ni la guerrière aigle, ni la dévote de Kalim ne s’attendaient guère à entendre le choc du couvercle qui s’écrasait contre la surface du vaisseau : Yenath eut sacrifié la discrétion au profit de la rapidité et nul ne saurait jamais s’il aurait pu prendre les deux amazones à revers s’il avait été plus discret. À présent, les deux amazones s’étaient mises en garde, alors même que les deux autres druchii surgissaient à leur tour sur la plateforme, lames au clair, aux intentions dénuées d’ambiguïté.  
     L’amazone armée d’une lance et à la coiffe en forme de bec d’oiseau parut vaguement familière à Sarquindi. Un obscur souvenir lui soufflait qu’il dût à cette autochtone un règlement de comptes pour un récent accrochage en pleine jungle…
     « Vous deux ! La guenon aux tatouages ! Je me charge de l’emplumée, avec la lance. »

     Les trois elfes se séparèrent ; toute velléité d’intimer les deux femmes vers une chute mortelle devint irréalisable lorsque les deux guerrières s’élancèrent brusquement à leur rencontre. Ixi’ualpa n’avait désormais qu’une seule intention : en finir. Quitte à pénétrer dans les entrailles de la bête, dont l’accès était miraculeusement ouvert.
     Les trois étrangers étaient tout ce qui se dressait désormais sur son chemin.



     Ixi’ualpa, Guerrière Aigle (Gromdal) vs le capitaine Sarquindi (Ethgri Wyrda)          

     En plus d’embraser sa lance, la guerrière aigle eut, pour la deuxième fois, consommé de la koka dès qu’elle eut entendit le bruit de ses ennemis derrière elle. Elle avait prié Rigg pour ne pas se retrouver confrontée à la nécessité de recourir à cette drogue à nouveau, cependant elle en avait gardé, sur recommandation de Rakt’cheel, une petite dose pour les situations… imprévues. Celle-ci en était une, se consolait-elle en mâchant les feuilles au goût étrange, c’était une situation imprévue, elle n’avait pas eu le choix.
     Sarquindi soupesa pour la énième fois sa lame dans sa main : elle lui parut étonnamment légère. Était-ce l’air frais des hauteurs qui lui paraissait aussi revigorant ? Peu importait, il y avait des passagers clandestins à bord de son vaisseau, et il ne réservait à ceux-là qu’un seul sort : le grand plongeon.
     Son ennemie poussa subitement un cri de guerre ; les yeux rivés sur la pointe de la lance adverse, le capitaine constata qu’il n’eut aucun mal à parer le déluge de coups qui se déversa sur lui (Ixi’ualpa : 4T, 1T annulée, 3T, 0B). Ce déluge de violence, cependant, l’empêcha totalement d’opter pour sa botte favorite, une seule estocade précise censée finir le combat sur le champ. (Sarquindi : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 1 invu, 1 PV !)
     Tout en retrouvant ses appuis, Sarquindi ressentit alors une douleur bien trop familière au niveau de son torse : l’une de ses (nombreuses) blessures s’était encore rouverte ! Maudit soit Kielmir et toute sa descendance ! (Eclat de Cényrn : Sarquindi perd 1PV !)
     Il constata trop tard que son corps peinait à suivre la vigueur persistante de son esprit : la blessure qu’il eut infligée au flanc de son ennemie ne sembla que démultiplier sa hargne, et lorsque la guerrière tenta de l’empaler derechef, Sarquindi ne put se mouvoir avec la même aisance qu’il y avait à peine quelques instants ; accusant subitement deux autres blessures graves au torse, lui-même ne parvenant qu’à blesser l’amazone à la jambe, le druchii sentit son corps tout entier lui demander grâce. (Sarquindi : 2T, 1B, 1PV ! Ixi’ualpa : 4T, 3B, 3 PV !!!)
     Son instinct de survie prit immédiatement le relai : n’accordant pas même l’ombre d’une pensée à ses deux acolytes, Sarquindi prit les jambes à son cou en lançant ses ultimes forces dans sa fuite ; par chance pour lui, son adversaire sembla hésiter pendant quelques précieuses secondes, comme incrédule face à cette soudaine dérobade, avant de se lancer à sa poursuite en feulant tel un fauve. Son ennemi, hélas, eut déjà glissé à travers l’étroit accès du vaisseau en refermant le couvercle derrière lui.

     « KIELMIR ! TENTE CE QUE TU VEUX, MAIS DECROCHE-LES DE MON VAISSEAU !! »

     Ixi’ualpa n’entendit guère les vociférations du druchii, elle-même en prise à la rage et à la frustration d’avoir laissé son ennemi lui échapper. Dans son esprit embrumé par la koka, la solution s’invita d’elle-même : sa proie avait disparu derrière une porte en métal, elle avait l’arme parfaite pour l’ouvrir…
   
     Quelques mètres plus bas, le capitaine aurait pu paraître plus vulnérable que jamais s’il n’avait pas été aussi terrifiant dans sa fureur. Kielmir renonça à la moindre protestation lorsqu’il le vit redescendre, ensanglanté et maudissant ciel et terre. Il renonça jusqu’à lui dire qu’en vérité, il ne savait pas exactement comment modifier l’inclinaison du vaisseau, se résignant à manœuvrer au hasard et à appuyer sur quelques leviers qu’il n’avait point encore utilisés. Le vaisseau des Anciens s’ébranla.

     Quelques mètres plus haut, Ixi’ualpa eut perforé le bord du couvercle avec sa lance incandescente ; elle sentait le métal résister à ses efforts mais cela ne semblait que lui procurer plus de joie : elle avait désormais l’impression de dépecer la carcasse d’une proie déjà attrapée ; brusquement, elle perdit l’équilibre et bascula sur le côté, extirpant sa lance du même coup.

     « Tz’ikin tzili ! Ixi’ualpa !! »
     Un des adversaires de Rakt’cheel avait depuis longtemps rendu l’âme, l’autre n’avait dès lors fait que repousser l’inéluctable, cependant le basculement inattendu de la plateforme les surprit tous les deux et l’étranger fut le premier à perdre l’équilibre, glisser, puis quitter le bord du vaisseau incliné en hurlant. Dès l’instant suivant, ce fut au tour des deux amazones.

     « Kielmir, nous quittons ce pays maudit. Oublie le Rêve, oublie l’or, cap au nord, avant que je crève ! »

     Ixi’ualpa n’eut que le temps de voir le couvercle s’ouvrir de lui-même lorsque le vaisseau finit par se renverser complètement. Toujours sous l’emprise de la drogue, elle ne comprit pas que sa chute était potentiellement mortelle et qu’elle vivait peut-être ses derniers moments.

     « Ixi’ualpa !! »

     L’intéressée tenta de se retourner en pleine chute, aperçut subitement la silhouette d’un étranger qui sombrait, comme elle, en hurlant. Jubilante d’avoir retrouvé une proie au milieu de nulle part, la guerrière aigle se prépara à l’affronter dès que…

     Telles trois pierres, ils sombrèrent dans les eaux dormantes de l’Amaxon.

***
***
***

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

Conclusions



Image





***


        Le contact brutal avec l’eau lava instantanément les dernières traces de koka du corps de Rakt’cheel. Elle avait eu le temps de se préparer à l’impact et, malgré tout, elle sentit tous les os de son corps se faire ébranler dès que ses pieds tendus crevèrent la surface de l’Amaxon, puis ses jambes, puis son torse et ses bras croisés, qui luttèrent pour ne pas se faire arracher à leurs épaules, et enfin sa tête dont les mâchoires s’entrechoquèrent avec tant de force qu’elle s’imaginait presque toutes ses dents s’écailler, se briser sous l’impact. Tout son corps luttait afin de briser l’eau et lui arracher, au prix d’un effort dantesque, sa survie.

        À sa grande surprise, ce fut un succès. Bientôt, toute la vitesse de sa chute, et la peur de l’impact alors que tout tournoyait autour d’elle, ne furent plus qu’un lointain souvenir alors que le cocon de l’eau s’adoucissait et l’enveloppait toute entière.

        De l’air, il lui fallait de l’air. Elle se rendait compte que tout son souffle lui avait été arraché. Sur le moment, tout son instinct lui cria d’ouvrir la bouche pour tenter de respirer, et elle faillit, loin sous la surface, offrir ses poumons en proie à l’eau du fleuve. Aussi, elle s’élança immédiatement vers ce qui lui semblait être le haut, avec toute la vitesse qui lui était possible. Elle remercia la providence de lui avoir fait mettre de côté l’armure qu’elle avait portée la veille : la légèreté du peu de vêtements qu’elle portait habituellement se révélait, en l’instant présent, plus que salvatrice.

        Jamais une bouffée d’air ne lui parut aussi … pleine de vie, aussi vibrante et riche. C’était comme si elle n’y avait pas goutté durant toute une vie. En un sens, en s’enfonçant dans l’eau, elle avait vu toute sa vie défiler devant ses yeux. Frénétiquement elle se gorgea de plusieurs goulées d’air avec délectation, se laissant flotter à la surface du cours si agréablement placide de l’Amaxon.

        Ixi’ualpa ?

        Son moment de calme se brisa soudainement alors qu’elle se rendait compte que la révérée de l’aigle n’était nulle part en vue. Pourtant, il avait bien semblé à Rakt’cheel que, avec l’elfe, ils avaient percuté l’Amaxon chacun non loin de l’autre. La kalim commença à tourner tout autour d’elle, frénétiquement en quête d’un indice de la présence d’Ixi’ualpa.

        Les plumes la mirent sur la voie. À quelques brassées d’elles, d’un vert éclatant, une poignée flottait à la de l’eau. Rakt’cheel n’hésita pas et plongea à cet endroit. Ouvrant grand ses yeux pour percer la brume boueuse des eaux de l’Amaxon, elle aperçut la forme sombre et prostrée qui ne pouvait être que la guerrière aigle. Elle était immobile, dérivant sans vraiment couler ni remonter à la surface, probablement retenue par le poids de ses vêtements. Seules quelques fines bulles d’air s’échappaient de sa bouche et de son nez, filant vers le haut. Plus inquiétant encore, des filets de brume pourpres dansaient tout autour d’elle, signe qu’elle saignait abondamment.

        La kalim n’écouta que son instinct et, s’empara de la guerrière à la ceinture. Laborieusement, elle les remonta toutes les deux à la surface, et la tête d’Ixi’ualpa s’appuya mollement sur son épaule, ce qui ne la rassura pas sur son état.

        Rakt’cheel remercia la providence pour que le courant de ce bras de l’Amaxon soit si paresseux. Autrement, elle aurait douté de ses capacités à ramener à la fois Ixi’ualpa et elle-même sur la rive. Après une longue bataille pour rejoindre la berge, les deux femmes s’échouèrent sur la rive, et Rakt’cheel s’autorisa un moment de repos, haletante, allongée face contre terre à même le sable.

        Ixi’ualpa n’allait pas bien. Le constat fut rapide, une fois la kalim remise de son effort et prête à l’inspecter. La blessure au flanc qu’Ignea lui avait causée s’était rouverte. Pire encore, les côtes voisines s’étaient brisées et pointaient de la plaie comme des dents dans une gueule étrange et vomissant un flot continu de sang. De sa bouche justement, la guerrière aigle laissait aussi s’échapper un long filet de sang. Elle ne respirait presque plus. Lorsque Rakt’cheel voulut lui faire du bouche à bouche, elle se rendit compte que la mâchoire d’Ixi’ualpa était brisée, et pendait mollement. De même, les postures de son bras comme de sa jambe gauches ne laissaient que peu de doute quant à l’état de ses os…

        La kalim était démunie. Clairement, ce n’était plus qu’une affaire de minutes avant que sa compagne d’armes et de voyage ne décède dans ses bras. Pire encore, elle était persuadée que c’était sa faute si la guerrière était dans cet état : sans l’effet de la koka qu’elle lui avait conseillée de prendre, elle aurait probablement pu avoir assez d’état d’esprit pour se préparer à l’impact…

        Soudain, elle se souvint. Plusieurs fois, elle avait vu Ixi’ualpa contempler ce petit caillou au coin du feu, sans rien dire. Rakt’cheel n’avait pas fait de remarque à ce sujet, mais elle avait reconnu la nature de l’objet. Mais pour cela, il lui fallait un sacrifice.

        Justement, où était donc passé l’elfe qui avait chuté avec elles ?

        Elle n’eut pas à regarder longtemps. Sur la rive d’en face, le corsaire venait lui aussi d’émerger des flots et s’était effondré dans le sable. Il avait abandonné son armure et sa lourde cape, réflexe qui devait l’avoir sauvé d’un sort tout aussi peu enviable que celui d’Ixi’ualpa.

        Rakt’cheel n’écouta que son instinct, et s’élança dans les flots.

        L’elfe la vit venir alors qu’elle n’était plus qu’à quelques brassées de la rive. Il se leva précipitamment, et tenta de fuir en titubant. Il n’était guère en bonne forme, mais Rakt’cheel n’en menait pas plus large. La chute et ce qui en avait suivi les avait bien malmenés.

        S’extirpant des flots, la kalim fit se tordre son visage de douleur en ordonnant à ses jambes meurtries de piquer un sprint vers le corsaire en fuite. Y jetant ses dernières forces, elle sauta en avant, s’étala de tout son long dans le sable et lui attrapa la jambe, le faisant chuter avec elle. Elle tenta de se hisser au-dessus de lui, mais il roula sur le côté, la faisant frapper dans le vide. À son tour, il se jeta sur elle mais, poussant un grognement sourd, elle le repoussa avec ses jambes.

        Écartés l’un de l’autre, ils regardèrent tous deux autour d’eux pour trouver quelque arme de fortune, ayant perdu les leurs pendant leur chute. Entre deux racines, Rakt’cheel avisa un galet de la taille de son poing. Alors qu’elle se jetait en avant, ventre contre terre, pour s’en saisir, un coup dans son dos lui arracha un cri de douleur déchirant.

        Le corsaire s’était saisi d’un bâton de bois flotté et, plus agile qu’elle, en avait profité pour se redresser et la frapper violemment au sol. Ignorant la douleur, Rakt’cheel se força à se retourner, croisant ses bras devant sa tête pour se protéger du déluge de coups que lui porta l’elfe.

        Chaque frappe menaçait de briser sa garde, et pourtant, elle pouvait aussi entendre la respiration rauque de son adversaire, tout aussi, sinon plus essoufflé qu’elle. Ses coups se firent de moins en moins puissants. Il était temps de riposter.

        Les bras en feu, elle fit se dérober les jambes de son adversaire sous lui d’un habile coup de pied. Un deuxième revers de jambe envoya le bâton se ficher loin dans le sable, et elle se dressa sur ses genoux. Elle ne laissa pas une seule seconde de répit au corsaire et, poussant un cri rageur, lui abattit le galet de ses deux mains sur le torse, lui coupant violemment le souffle.

        Un seconde fois, la pierre frappa l’elfe, en pleine mâchoire, lui arrachant sang et râles. Puis une troisième fois en pleine tempe. Puis une quatrième en plein front.

        La conscience du craquement la fit s’arrêter en plein geste, toute dressée au-dessus de l’elfe et prête à frapper encore et encore. Le corsaire était inconscient, mais vivant. Tout juste vivant.

        Elle se laissa choir à côté de lui, lâchant le galet ensanglanté dans le sable. Elle resta là un moment à contempler le ciel, attendant que sa respiration se calme. Dans un coin de son crâne, elle se félicitait de s’être retenue de consommer un peu de koka avant de traverser le fleuve : si elle l’avait fait, jamais elle n’aurait pu s’empêcher de réduire le crâne de l’elfe à l’état de pulpe sanguinolente.

        Maintenant, restait encore le plus laborieux : amener l’elfe inconscient sur l’autre rive. Tout d’abord, elle lui arracha sa fine chemise pour lui attacher mains et pieds. Au moins, se dit-elle en l’attachant, elle l’avait tellement malmené qu’il ne risquait pas vraiment de reprendre conscience au cours de la traversée.

        L’elfe se révéla étonnamment léger. Son torse dénudé arborait des côtes saillantes. Ses trait étaient émaciés, ses yeux enfoncés et cernés de noir, son teint maladivement pâle. Visiblement, le voyage avait demandé, à lui et son équipage un tribut au moins aussi pesant que pour les amazones.

        Malgré tout, il fallut à la kalim toutes ses forces et sa volonté pour arriver à le tirer jusqu’à la berge où gisait Ixi’ualpa, toujours inconsciente. Le sable tout autour d’elle était teinté de pourpre par son sang, mais elle respirait encore, d’un souffle quasiment imperceptible. Rakt’cheel allongea l’elfe à côté d’elle. Il était temps d’en finir.

        Il ne lui fallut qu’un instant pour fouiller la bourse de cuir à la ceinture de la guerrière pour en extirper la petite pierre d’un vert laiteux. Comme si elle savait ce qu’on attendait d’elle, les tourbillons de couleurs en son sein s’agitèrent lorsque la kalim l’empoigna. C’était un ballet presque hypnotique, et elle dut se forcer pour ne pas s’arrêter et le contempler.

        La dague d’Ixi’ualpa pendait encore à sa ceinture, fermement maintenue par un habile rabat de son fourreau, aussi Rakt’cheel la dégaina, et ouvrit sur le champ le ventre de l’elfe sur toute sa longueur, qui reprit conscience sur le coup en hurlant.

        Bien, c’était très bien même. Alors que le corsaire se débattait dans ses liens en criant, elle plongea sa main dans le ventre ouvert, et fourailla profondément dans ses entrailles chaudes pour y déposer la petite pierre. Ceci fait, elle maintint d’une main la plaie aussi fermée que possible, avant d’égorger l’elfe de l’autre.

        Attendant patiemment que l’elfe cesse de se débattre au fur et à mesure que la vie quittait son corps, elle prononça les paroles sacrées, qu’elle avait déjà eu l’occasion d’entendre récitées plusieurs fois.

        « Rigg, reçois le sang de cet ennemi, accepte sa force et sa vitalité. Amex, toi qui est généreux, fait de ce don de vie celle qui dure éloignée de tout mal. Kalith, notre mère aimante, permets à ton enfant de jouir de cette nouvelle vie. Oui, ô dieux, écoutez la prière de votre humble servante, jugez l’âme de qui s’apprête à venir bien trop tôt vous présenter ses respects. Acceptez de lui permettre de revenir parmi nous et continuer à vous servir pour votre plus grande gloire. »

        Il ne fallut pas beaucoup plus longtemps pour que les soubresauts du corsaire prennent fin. Aussitôt, elle plongea des deux mains dans ses entrailles pour en chercher la pierre. Arrosant au passage Ixi’ualpa du sang et d’autres fluides de l’elfe, elle lui ouvrit délicatement la bouche pour y enfoncer la pierre au fond de la gorge.

        Doucement, Rakt’cheel referma la bouche de la guerrière avant de s’asseoir à ses côtés. L’eau du fleuve léchait doucement ses pieds, emportant à la fois le sang de l’amazone et celui de l’elfe noir, laissant une traînée rouge qui s’étalait à chaque vague.

        Le temps passa sans que la kalim ne bouge. Rakt’cheel méditait, les yeux fermés, uniquement dérangée par le passage occasionnel de quelque oiseau bruyant. Soudain, un claquement sec et bruyant la fit rouvrir ses yeux. De la gorge d’Ixi’ualpa s’échappait une douce lumière verte qui filtrait à travers sa peau.

        Avec un nouveau claquement, l’épaule disloquée de la guerrière se remit en place. Fascinée, Rakt’cheel regarda les os brisés de sa jambe gauche se redresser avec force craquement, avant que les multiples hématomes qui la parcouraient ne se résorbe et disparaissent. Tout le corps d’Ixi’ualpa était parcouru de bruits sourds alors que les os se ressoudaient et que les plaies se refermaient les unes après les autres.

        Un sourire soulagé s’invita sur le visage de la kalim. L’œil du Grand Aigle faisait son travail : la guerrière était sauve. Dame Xoc et la grande prêtresse avaient fait à leur championne un grand cadeau en lui confiant la pierre bénie.

        Il faudrait encore un moment avant que les blessures d’Ixi’ualpa disparaissent complètement, et encore plus avant qu’elle reprenne connaissance. Aussi, avec toute la délicatesse dont elle était capable, Rakt’cheel déposa la guerrière à l’ombre d’un arbre à la lisière de la jungle, où elle serait à l’abri des regards depuis le fleuve. Avec moins de cérémonie, elle envoya le cadavre de l’elfe rouler dans les eaux de l’Amaxon.

        Se hissant sur l’arbre où reposait Ixi’ualpa, la kalim s’assit en travers d’une branche et s’adossa au tronc moussu. D’après l’endroit, Rakt’cheel jugeait qu’elles avaient chuté à bonne distance en aval de la Cité d’Or, d’où elles avaient quitté leurs Amazones en leur sommant de continuer sans elles avec les artefacts sacrés.

        Finalement, ce seraient ces dernières qui les rattraperaient, et non l’inverse.

***
***
***

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

My mother told me
Someday I will buy

Galley with good oars
Sail to distant shores

Stand up on the prow
Noble barque I steer

Steady course to the haven
Hew many foe-men


Assassin’s Creed Valhalla OST


Le chroniqueur avait l’impression d’être le dindon de la farce. Ça avait commencé il y a quelques heures, de bon matin, alors que lui-même s’apprêtait à méditer silencieusement à l’arrière du langschiff. Quelqu’un parmi ses revenants avait eu l’inspiration d’entonner un chant du pays et tout le reste avait suivi. Par une algèbre nécromantique qu’il serait bien trop long à expliquer, il était le seul à pouvoir entendre ce chant dans les environs : c’était une mélopée d’outre-tombe, une réverbération d’âmes en peine que seul le nécromancien pouvait percevoir. À peine eut-il voulu imposer sa volonté pour faire taire cette nuisance mentale que ses revenants perçurent cet ordre comme un ultime défi qu’ils devaient relever dans leur existence maudite. Ce fut comme s’ils ne cherchaient plus à s’échapper directement de leurs enveloppes pourrissantes mais plutôt à exprimer leur mépris envers leur geôlier par le chant. Sans s’arrêter. Quitte à répéter les mêmes paroles, encore et encore, avec parfois des variantes mais avec l’intention immanquable de désobéir à la volonté de leur maître.
Lui qui voulait profiter de la traversée, ou surveiller les environs, ou n’importe quoi d’autre, le voilà qui se retrouvait à batailler comme un beau diable contre cette improbable résistance passive de feu ses nordiques, sans le moindre signe de succès. Sa propre volonté était émoussée : la chaleur et l’humidité de la jungle environnante l’insupportaient, sa récente défaite contre leur nouvel allié l’insupportait, la crainte fondée de croiser quelque péril mortel dans les prochaines heures l’insupportait également. Lui qui voulait…
PAR NAGASH ET LES NEUF MORTARCHS !

Sur les coups de midi, il céda.

« STAND UP ON THE PROW!! NOBLE BARQUE I STEER!! »

Sur les coups de midi, il bondit et dégaina sa dague.

« STEADY COURSE TO THE HAVEN! HEW MANY FOEMEN HEW MANY FOEMEN!! »
Fiodor et Sargath, finalement attirés par le vacarme grandissant sur le langschiff à l’arrière du Corbeau Centenaire, furent nettement troublés en apercevant le chroniqueur en train d’abattre ses propres revenants les uns après les autres.

« GALLEY WITH GOOD OARS! SAIL TO DISTANT SHORES! »
Ce dernier ignora totalement leurs appels et poursuivit son macabre office. Les voix dans sa tête disparaissaient les unes après les autres et, qui sait, peut-être aurait-il pu désormais les réduire au silence, mais le cœur n’y était plus. Le message de ses nordiques était passé, leur allégeance dans la non-vie n’était guère facilement acquise et Von Essen, après des heures de délibération, avait résolu qu’il n’était pas le seigneur vampire qui irait jusqu’à malmener les âmes de ceux qui, il n’y a guère longtemps, avaient été ses compagnons de voyage. Quelque part vers la fin de la curée, le chroniqueur arrêta son geste pendant un instant : devant lui se tenait le trépassé Haakonson, le maraudeur le plus prometteur qu’il lui avait jamais été donné de rencontrer. Après l’avoir abattu une seconde et dernière fois, la rage au ventre pour une seconde et, l’espérait-il, une dernière fois, Von Essen détruisit les corps et libéra les âmes de ses derniers revenants. Dans sa tête résonnèrent encore longtemps les paroles de leurs âmes ardentes : « MY MOTHER TOLD ME, SOMEDAY I WILL BUY… »
***

« Herr Sargath ? »
Le seigneur de Lahmia avait toutes les intentions d’aller exiger des explications au sujet de la conduite insensée du chroniqueur. Le regard dur que lui décocha Fiodor en l’invectivant ne le découragea point, aussi bondit-il depuis l’arrière du Corbeau Centenaire pour se retrouver sur le langschiff, au beau milieu des corps démembrés et désormais inertes, face à Von Essen. Tout autour d’eux, l’humidité ambiante se condensait imperceptiblement en une légère brume translucide.
« Etes-vous fou ? Nous sommes peut-être à deux doigts d’arriver aux cités d’or et vous vous amusez à réduire nos forces ? Je ne répéterai ma question qu’une seule fois : êtes-vous fou à lier ? »
Face à lui, le chroniqueur avait reculé de quelques pas. Son sourire rêveur ne présageait rien de bon et Sargath était prêt à l’abattre ainsi que l’on abattait les chiens enragés en Nehekhara. Comme le silence commençait à devenir pesant, le héraut des Mille Lames considéra que sa patience était épuisée et dégaina son sabre. Ils n’avaient guère besoin d’un élément aussi instable dans leur alliance.
« Vous souhaitez vous battre à nouveau ? Excellente nouvelle ! »
Le seigneur de Lahmia n’accorda que mépris à l’amabilité malveillante de cet allié qu’il avait déjà vaincu une première fois. Il remarqua cependant que le chroniqueur retrouvait proprement ses appuis et donnait fortement l’air d’un serpent prêt à mordre à la moindre seconde. De plus, la brume autour d’eux semblait s’épaissir. Cependant, les tours de passe-passe de cet être n’allaient pas le sauver et il fallait seulement s’assurer que l’autre vampire, Fiodor le Non-Mort, n’interviendrait pas.

« Sayyid Fiodor ! Notre allié veut sa revanche pour la dernière fois. Il veut aussi que cette fois-ci, ce soit un duel à mort !
- Alors vous êtes tous deux écervelés, l’un autant que l’autre !! »
Le capitaine du Corbeau Centenaire avait annoncé sa réplique sans même se détourner du gouvernail de son navire. Il n’avait ni les moyens, ni l’envie de policer ses deux alliés si peu conciliants. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’il n’avait jamais encore passé sa malédiction à l’un de ses membres d’équipage : outre l’inconfort que cela causerait aux mortels de devoir nourrir deux suceurs de sang sur un seul navire, les vampires avaient ce don exacerbé pour s’insupporter mutuellement, autre leçon de non-vie que lui avait enseignée jadis Mundvard, son père de sang à Marienburg. À présent, que Ranald fasse son tri ! Lui saurait se contenter de l’alliance avec le vainqueur, quel qu’il fût.
Heinrich von Carstein, quant à lui, était accoudé au bastingage sur la poupe du Corbeau Centenaire : l’annonce d’un duel à mort avait attisé en lui une forme de macabre curiosité et il s’efforçait de percer du regard la brume engendrée par le chroniqueur.

« En garde ! »
Von Essen se dissipa complètement dans la brume. Sargath, nullement décontenancé, se fia à son ouïe fine et à son instinct (Tests réussis !). Au bout de quelques instants, il frappa, semblait-il, dans le vide ; derrière lui, brusquement, une forme sombre se forma, perdant de sa substance quelques sombres gouttes qui tombèrent sur la proue du langschiff (Sargath : 1T, 1B, 1 PV !). Le seigneur de Lahmia, cependant, sentit une douleur cuisante à la cuisse. (Von Essen : Tests ratés ! 3T, 1B, 1 PV !)
Sargath fit une volte-face fulgurante, le tout pour se prendre un coup de poing latéral d’une telle violence que le seigneur perdit tout contact avec ses appuis, valdingua vers le bord du langschiff et bascula dans l’Amaxon. (Sargath : Tests ratés ! 0T)
Von Essen, triomphant, l’assura qu’il n’avait guère l’envie de prolonger leur duel jusqu’à la mort lorsque le héraut des Mille Lames, passablement énervé et trempé de la tête aux pieds, remonta à bord. (Von Essen : Tests réussis ! 2T, 2B, 2 PV !!!)
Nul n’aurait su prédire la tournure qu’auraient pu prendre les événements si, depuis le Corbeau Centenaire, Fiodor le Non-Mort n’avait pas annoncé férocement : « Arrêtez-vous, malheureux ! Elles sont là ! Les cités d’or sont à nous !! »
Les deux vampires convinrent d’un cessez-le-feu temporaire.
Ce fut dans la plus profonde discrétion que le chroniqueur passa sa langue sur sa dague portant encore le sang de son adversaire (Test vampirique : Von Essen récupère 1 PV !).
***
Elles étaient là, à portée de main : des quartiers tout entiers que la végétation rampante de la jungle ne pouvait priver de l’éclat doré omniprésent. Le « X » marqué sur les cartes, l’exaucement de tous les espoirs, le trésor caché du continent lustrien. Fiodor y vit peut-être assez d’or pour s’acheter tout Marienburg, Von Essen – le passe-partout à toutes les soirées mondaines d’Altdorf et Sargath – la restauration miraculeuse de Lahmia. Contre leur gré se dessinèrent sur leurs lèvres des sourires béats. Puis, une ombre gigantesque survola leurs navires à grande vitesse.
L’expérience des trois alliés les obligea à se détourner des cités d’or pour suivre du regard cette chose qui pouvait être n’importe quoi : un dragon, voilà à quoi avaient pensé le chroniqueur et le héraut des Mille Lames. Fiodor, qui ne se fiait qu’à ce qu’il voyait, n’en croyait pas ses yeux : il ne voyait pas d’ailes, c’était bien trop massif, l’éclat était métallique, semblable même à l’éclat des cités qui s’ouvraient à eux, et ça volait. Puis, « ça » bougea dans tous les sens et quelque chose de bien plus petit en tomba, bien des lieues plus loin, en amont du fleuve. Alors, la « chose » « bougea » de moins en moins (Von Essen pensa involontairement à une massive araignée qui frémissait sur une toile invisible) et continua de s’éloigner en direction du nord.
Étaient-ils en danger ou non ?!
Un écho en provenance d’une autre direction, quelque part au sud-est, les assura qu’ils n’étaient pas seuls. Ce tumulte confus qui rappelait le grondement d’un orage lointain, Sargath l’identifia comme étant le bruit engendré par des milliers de soldats en mouvement. Les trois alliés se dévisagèrent, arborant la même expression contrite sur leurs traits : si près du but, allaient-ils rencontrer un obstacle qui les empêcherait de devenir riches ?! Ils n’avaient plus un instant à perdre : au diable la contemplation des merveilles architecturales, ils devaient charger leurs navires d’autant d’or qu’il leur était possible et s’en aller aussitôt. Comme pour confirmer cette nécessité, des cris lointains de créatures que les alliés ne voulaient pas s’imaginer cisaillèrent la quiétude trompeuse des cités d’or et provoqua l’envol de plusieurs nuées d’oiseaux.
Avaient-ils seulement poussé quelques lacets du fleuve plus loin, ils auraient remarqué au détour d’un canal deux bâtiments de leurs concurrents mortels, l’Emmanuelle impériale et le reaver d’une certaine inquisitrice. Cependant, toutes les pensées des morts-vivants (et de Monsieur Flouz) étaient désormais obnubilées par la nécessité de remplir leurs cales le plus vite possible de précieux métal de lever l’ancre avant la fin du jour. Fiodor et Sargath regrettèrent muettement la destruction récente des revenants du chroniqueur : leur assistance aveugle aurait permis d’avancer beaucoup plus vite. À présent, le Non-Mort avait résolu de ne pas se fier à l’assistance des quelques zombies que comptait désormais son équipage : ils devaient être prêts à manœuvrer le vaisseau à tout moment et leurs mouvements auraient été tout simplement trop lents pour le pillage auquel les alliés s’adonnaient désormais.
Ils s’attaquèrent à la bâtisse la plus proche, et jamais l’on n’aurait pu s’imaginer force vampirique employée à un dessein plus vénal : la moindre aspérité dans l’assemblage méticuleux des bâtisseurs de jadis était exploitée sans pitié pour arracher les plaques métalliques des murs qu’elles recouvraient. Au bout d’une heure, ce fut toute la façade (à hauteur d’homme) de l’habitation de trois étages qui fut dépouillée de sa surface scintillante. D’un commun accord, les alliés s’interrompirent dans leur labeur de démolition pour ramener tout l’or qu’ils venaient d’arracher à bord du Corbeau Centenaire. Tous s’étaient dit que, si la nécessité l’exigeait, ils abandonneraient le langschiff en ces lieux, tout inutile qu’il était devenu depuis que ses rameurs avaient définitivement rejoint l’au-delà. Une fois l’or à bord du vaisseau du Non-Mort, les alliés prêtèrent leurs oreilles aux bruits environnants : assez étrangement, ils ne perçurent guère le même écho de l’armée de marche de tantôt. Quant aux créatures qu’ils avaient entendues, leurs rugissements étaient devenus encore plus lointains.
Remerciant leur bonne étoile, les pillards vampiriques passèrent à la façade de l’édifice suivant.

***
***
***

Le vaisseau des anciens filait au-dessus de la jungle, droit vers le soleil qui descendait peu à peu. Les deux corsaires elfes noirs étaient assis aux commandes. Kielmir, les mains sur les leviers, dirigeait l’objet millénaire. Il entendit son capitaine grogner à côté de lui.
« Kielmir ! demi-tour, tout de suite, grogna Sarquindi. On doit revenir au Rêve d’Atharti.
- Qu’y a-t-il? demanda le médecin en ralentissant.
- Cette sauvageonne savait ce qu’elle faisait. Elle m’a bien mieux touché que je ne le croyais. J’ai besoin de soins.
- Laissez-moi voir. »
Sarquindi se tourna vers le médecin. Son vêtement et son torse étaient lacérés de deux grandes entailles. Elles saignaient peu, mais le visage du capitaine était déformé par une grimace de douleur.
« Je dois avoir encore une ou deux rations d’herbe contre la douleur, proposa le médecin, mais je ne peux rien faire pour les blessures. Pas sans mon matériel, et il est sur le Rêve.
- Donnez-moi les herbes, et faites faire demi-tour à cet engin. » ordonna Sarquindi.
Kielmir n’essaya pas de discuter les ordres. Il avait aperçu la main de son capitaine glisser vers son arme. Et le médecin savait que son chef pouvait piloter la machine des anciens sans lui. L’elfe fouilla dans son sac et en tira deux boulettes de plantes que son compagnon s’empressa de saisir. Sarquindi les mit dans sa bouche, commença à mâcher, et laissa immédiatement échapper un soupir de soulagement. Le médecin poussa le gouvernail sur la gauche et le vaisseau changea de direction. Ils apercevaient à nouveau la cité d’or au loin. Les murs éclatants des temples éblouissaient les elfes. La ville était comme un phare au cœur d’un océan de forêt.
« Vole plus bas Kielmir. Il ne faut pas que l’on nous voie. Tu vois la colline en demi-lune là-bas au sud des faubourgs ? pointa Sarquindi. Tu vas emmener le vaisseau derrière, en restant à distance de la ville. Elle devrait nous cacher des yeux des lézards sur les derniers lieux.
- Et ensuite ?
- Le fleuve passe juste derrière la colline. Tu le rejoindras et nous le suivrons jusqu’au navire. »
Obéissant aux commandes de plus en plus expérimentées de Kielmir, le vaisseau descendit jusqu’à se confondre avec la cime des arbres les plus hauts de la jungle. Puis, l’engin s’élança droit vers le relief. Comme l’avait dit Sarquindi, l’Amaxon serpentait paresseusement derrière, à l'abri des regards des sentinelles de Chaqua. Le fleuve longeait les faubourgs de la ville, puis se scindait en plusieurs bras dont l’un revenait caresser la citée avant de suivre le pied de la colline.
« Descends encore, mets le vaisseau juste au-dessus de l’eau. Les arbres au bord du fleuve sont grands, ils devraient pouvoir nous cacher jusqu’au Rêve d’Atharti. »
La manœuvre fut effectuée sans encombre. Le capitaine druchii alla à l’écoutille et sortit la tête du vaisseau. Comme il l’espérait, la hauteur de la végétation arrivaient bien au-dessus de leur machine. Sarquindi jeta un regard aux berges, mais ne remarqua rien d'anormal. La jungle bruissait comme à l’ordinaire. Apparemment, ils n’avaient pas été repérés. Rassuré, le druchii retourna à la cabine et le vaisseau reprit sa route au ras du fleuve.
Après quelques minutes à descendre l’Amaxon, le cours d’eau sinueux devint plus rectiligne. Les deux druchii purent alors voir au loin le Rêve d’Atharti là où ils l’avaient laissé la veille. Sarquindi plissa les yeux. Quelque chose n’allait pas.
« Kielmir ! Arrête l’engin tout de suite, avant qu’ils ne nous voient !
- Mais Capitaine ! Nous sommes presque arrivés, le reaver n’est plus qu’à une lieue à peine, répondit le médecin, surpris.
- Regarde à la proue, indiqua le capitaine. »
Le médecin arrêta la machine et observa ce que pointait Sarquindi. A l’avant du navire, juste devant la figure de proue représentant la déesse Atharti, on distinguait plusieurs corps pendus qui se balançaient doucement.

Le capitaine cracha :
« Je n’aurais jamais dû laisser ce comédien seul ! Que ce soit son corps ou celui de ses victimes, il s’est passé quelque chose sur MON navire !
- Ce sont des cadavres de druchii. Il y en a bien une dizaine.
- Ça ne peut être une attaque extérieure. Ils n’auraient pas pendu que quelques elfes et laissé le navire. Ça s’est joué entre naggarothii.
- Une mutinerie ? Phy’lis aurait pris le contrôle du navire ?
- Surement. Je ne vois pas les plumes de cette crapule parmi les pendus.
- Que fait-on capitaine ? demanda Kielmir
- Hors de question de se montrer avant de savoir ce qu’il s’est passé. On va cacher l’engin et terminer à la nage. Avec le contre-jour et la distance, il n’y a aucune chance qu’ils nous aient vu. Immerge le vaisseau.
- Ne pourrions-nous pas les survoler et regarder depuis là-haut ce qu’il s’est passé ? proposa Kielmir.
- Et se mettre à portée de baliste ? Et révéler l’existence de ma merveille à ce comédien ? Et risquer de se montrer à toute la Lustrie après tous les efforts que nous avons mis à rester discrets jusqu’ici ? Si tu as d’autres idées absurdes, garde les pour toi et tes patients. »
Le médecin se retint de rétorquer que Sarquindi était son principal patient de ces dernières semaines. Il abaissa un levier et la machine des anciens descendit petit à petit dans l’eau du fleuve. La paroi transparente permettait de voir la frontière entre eau et air monter alors qu’ils s’enfonçaient sous la surface. Le capitaine supervisait la manœuvre :
« Plus bas…Plus bas… Encore un peu, il faut que l’eau arrive presque en haut… Encore… Stop ! c’est bon. Approche-toi de la rive, autant que possible. Il ne faut pas que nous soyons au milieu du fleuve, c’est trop risqué. Encore un peu plus près de la côte... Voilà ! arrête tout.
- Si quelqu’un nous cherche, ça ne suffira pas à nous cacher totalement, fit remarquer le vieil elfe. Il reste le sommet de la plateforme.
- Je le sais. Va dehors ramasser des branches, des feuilles, n’importe quoi qui pourrait faire passer ce qui dépasse de l’eau pour un tas de bois flottant. Je termine la manœuvre et je te rejoins. » répondit le chef corsaire.
Le médecin obtempéra. Il ramassa ses affaires et quitta la cabine. Sarquindi tendit l’oreille et vérifia que son camarade avait quitté le vaisseau. Puis il se leva et courut dans un coin de la pièce. Il fouilla un peu dans les différentes plaques de pierre et en tira une. Il la parcourut rapidement et trouva l’information qu’il cherchait. Il courut au tableau de bord, et appuya sur un bouton à l’extrême bout du tableau de bord. Celui-ci émit un bruit synthétique. Le corsaire recula d’un pas, méfiant. Il tira son épée et l’approcha prudemment du siège de pilotage. Au moment où la pointe de la lame toucha le siège, une série d’étincelles crépitèrent. Une faible odeur d’ozone se fit sentir. Sarquindi sourit, rassuré par ce système de sécurité. Il recula lentement vers l’entrée de la pièce, puis se pressa jusqu’à la plateforme. Il grimpa et sortit.
« J’ai presque terminé capitaine » lui annonça Kielmir. Il tenait dans chaque main une grande feuille qui aurait pu couvrir un elfe entier. Sarquindi hocha la tête. Le médecin avait tiré plusieurs grosses branches et les avait calées contre le vaisseau de manière à ce que les feuillages le masquent grossièrement. Il avait complété le tout avec plusieurs grosses feuilles identiques à celles qu’il portait. La plateforme était presque entièrement couverte de végétation.
« Bien. Avec le contrejour et la distance, personne ne nous a vu depuis le navire. Et ton camouflage devrait suffire à masquer mon vaisseau pendant la nuit même depuis les sous-bois, dit Sarquindi. Maintenant, au navire, et vite. Je sens que l’effet de tes herbes s’estompe. »
Sans attendre de réponse du vieil elfe, Sarquindi plongea dans l’eau. Kielmir le suivit l’instant d’après. Ils nagèrent jusqu’aux pieds de mangrove qui bordaient le fleuve, puis se laissèrent pousser par le courant de racine en racine. Portés ainsi par l’Amaxone, les deux elfes parcoururent sans trop d’effort les quelques centaines de mètres qui les séparaient du navire. Arrivés au bord de la coque du bâtiment elfique, ils s’accrochèrent à la chaîne de l’ancre et observèrent les pendus de plus près.
« Je reconnais celui-là , chuchota le médecin. C’est Talei. C’était son premier voyage sur le Rêve d’Atharti.
- Et celle du milieu c’est Moaha. Une des rares qui avait ma confiance sur ce navire.
- Oui, je la connais aussi. Elle était sous vos ordres depuis aussi longtemps que moi.
- Maintenant nous sommes fixés sur la nature de l’évènement, soupira le capitaine corsaire. Qu’Ereth Khial protège leurs âmes. Nous prierons Anath Raema pour qu’elle nous offre l’occasion de venger ces fidèles et de récupérer le Rêve. Et cette occasion commence par me remettre en état Kielmir ! »
Les deux elfes vérifièrent que le bastingage était dégagé au-dessus d’eux. La voie était libre pour monter. Sarquindi posa les mains sur le large maillon de la chaine de l’ancre et commença à se hisser. Sous l’effort, une vague de douleur l’arrêta un instant. Il ferma les yeux quelques secondes, puis reprit l’ascension. Kielmir le suivit. Le capitaine s’arrêta juste au-dessous du bossoir de l’ancre, deux mètres en dessous du pont du reaver. Sous le regard étonné de son compagnon, il passa la main sur le bois de la coque. Il tâtonna une dizaine de secondes et trouva enfin ce qu’il cherchait : Ses doigts avaient enfin réussi à retrouver le bord d’une trappe presque invisible.
« J’ai fait installer ça il y a quelques années, au cas où. Je suis presque content que cette histoire me permette enfin de l’utiliser. » expliqua Sarquindi
Il jeta un coup d’œil au-dessus de lui, souleva la trappe et se faufila à l’intérieur, suivi de Kielmir. Ils marchèrent à quatre pattes quelques mètres dans une galerie de bois aménagée entre les deux ponts. Au bout de celle-ci, Sarquindi ouvrit un panneau coulissant. Les deux elfes sortirent du passage et se retrouvèrent dans une cabine.
« A qui est cette pièce ? demanda le médecin.
- Plus personne. J’ai vu le corps du propriétaire parmi les pendus.
- Sommes-nous loin de ma cabine ? Nous risquons de croiser des gens.
- Nous sommes juste à côté. »
Le capitaine entrouvrit la porte pour vérifier que le couloir était vide. Un corsaire marchait vers l’autre bout du couloir. Sarquindi attendit que ses bruits de pas disparaissent au loin. Il fit un geste silencieux au médecin et se glissa hors de la pièce. La cabine de Kielmir était deux portes plus loin. Les deux elfes l’atteignirent sans encombre. Sarquindi referma lentement la porte dès qu’ils furent tous les deux à l’intérieur. Les elfes se permirent de souffler. Kielmir, ayant compris où débouchait le passage secret, se permit une remarque, amusé :
« Je n’imaginais pas que vous faisiez assez confiance à Laenis pour installer ce passage jusqu’à sa cabine. Elle était la première à médire sur votre commandement.
- Et la première à me dire qui approuvait quand elle le faisait. Elle m’a découvert plus de conspirations que tous les autres espions que j’ai jamais payés. Mais nous ne sommes pas là pour parler des morts. Vous êtes là pour me garder en vie. Votre matériel est-il toujours là ? »
Kielmir jeta un regard rapide dans la pièce, à son armoire ouverte et aux différentes commodes couvertes de fioles qui occupaient les coins de la pièce.
« Je crois que rien n’a été touché.
- Parfait. Commençons. »
Sarquindi enleva son fourreau, tira son épée et alla s’asseoir sur le bord de la couchette du médecin. Il posa son arme à côté du lit. Il grimaça lorsqu’il essaya d’enlever sa chemise : Celle-ci était poisseuse de sang, et il sentait les croûtes de ses blessures partir avec le vêtement. Kielmir intervint en tendant une potion à Sarquindi :
« Laissez, je vais m’en occuper. Allongez-vous, et buvez ça. Ça calmera la douleur et limitera l’hémorragie. Je vais travailler méthodiquement, il faut que j’enlève un peu de tissu, nettoie la plaie, traite, recouse, et recommence jusqu’à ce que nous ayons tout remis en état. Ça prendra le temps qu’il faut, mais vous n’avez pas le choix.
- Combien de temps ? grogna le capitaine.
- Moins d’une heure, si je me dépêche.
- Alors dépêchez-vous, trancha Sarquindi. »


***
***
***

Elle observa les amazones faire glisser doucement leurs pirogues jusqu’à la berge, où deux autres les attendaient. Ces dernières, elle les avait déjà identifiées comme leurs cheffes. Parfait, tout se déroulait comme elle l’avait espéré.
Sous le couvert des arbres et des fourrés touffus, Kallemmensha s’approcha sans aucun bruit malgré son armure. Telle était la discrétion des guerriers fantômes de Naggarythe, et l’elfe faisait partie de leurs vétérans. Elle put ainsi s’approcher jusqu’à la lisière de la jungle, à quelques pas à peine des femmes guerrières, sans qu’aucune d’entre elles ne soupçonne seulement sa présence.
Elle regarda l’une des deux cheffes, celle qui portait un casque ornementé dont les plumes avaient vu de meilleurs jours, monter sur la pirogue qui l’intéressait. L’amazone discutait vivement avec l’autre femme qui, elle se mettait à pousser doucement la pirogue dans l’eau. Les autres amazones les imitaient tout autour, se préparant à repartir sur le fleuve.
Kallemmensha jura. Tout ne se déroulait pas comme elle l’avait espéré, finalement : elle s’était attendue à ce que les guerrières fassent une plus longue halte. Pas question qu’elle les laisse filer après tout ce temps passé à les espionner ! Ladrielle et Loec lui soient témoins, la Lame Lunaire ne lui échapperait pas ! La guerrière des ombres s’élança à travers les arbres tropicaux, en esquivant avec grâce les lianes moussues.
Du coin de l’oeil, elle ne quittait pas la pirogue de la cheffe : au beau milieu du tas d’armes, d’armures et d’artéfacts dorés, dépassait la garde reconnaissable entre toutes de la Lame Lunaire. Sa facture elfique tranchait nettement, aux yeux de Kallemmensha du moins, avec les autres artéfacts qui ressemblaient bien plus à ce que les hommes-lézards et les amazones maniaient.
Sautant par dessus une imposante racine, elle avisa un rocher devant elle qui surplombait l’Amaxon, et sur lequel des arbres élançaient leurs larges branches aux-dessus des eaux. Parfait. Elle n’aurait pas besoin de plus.
Ixi’ualpa était en pleine discussion avec Luxia, qui pilotait doucement la pirogue, lorsqu’atterrit entre elles une guerrière en armure aux reflets argentés, faisant trembler le frêle esquif. Complètement surprise, l’amazone ne put qu’empoigner sa lance, avant de se rendre compte que la nouvelle arrivant n’avait pas dégainé ses armes : son épée reposait dans son fourreau, et un imposant bouclier était attaché dans son dos.
Tout autour d’elles, les pirogues s’arrêtaient et, figées de stupeur, les amazones regardaient la nouvelle venue. Rakt’cheel avait déjà dégainé ses dagues mais restait immobile, attendant de voir ce qu’allait faire cette guerrière qui venait vers elles ses armes non dégaînées.
Une expression de marbre sur le visage, cette dernière leva une main avant de lui adresser la parole dans sa langue, qu’Ixi’ualpa ne comprit pas. Elle remarqua cela dit ses oreilles pointues caractéristiques d’une elfe, et lui pointa sa lance sur le torse. L’elfe parla à nouveau et, cette fois, Luxia tiqua derrière elle.
« Je comprends ce qu’elle dit ! s’exclama la jeune kalim. Je crois qu’elle veut l’épée de ses ancêtres. »
Effectivement, de son autre main, l’elfe pointait une arme à ses pieds, à la garde ornementée et dont la lame brillait faiblement, comme enveloppée d’un doux halo de lumière blanche. Ixi’ualpa fronça les sourcils.
« Impossible, cette arme provient d’une armurerie des Anciens, nous ne l’avons pas récupérée sur des elfes. »
Laborieusement, Luxia traduisit ses propos pour elle dans le langage, haché et hésitant, de l’étrangère, qui lui répondit platement.
« Elle a été volée aux siens, dit-elle, traduisit Luxia après un moment
— Je ne suis pas certains de suivre, je ne vois pas pourquoi ni comment elle se serait retrouvée dans l’arm… »
L’elfe la coupa d’une plate réplique.
« Et pourtant, elle est bien là. » traduisit Luxia.
Ixi’ualpa regarda l’elfe, puis la lame. Clairement, cette dernière était d’une facture différente des autres. Et pourtant… comment aurait-elle pu se retrouver parmi les artéfacts des Anciens, dans cette forge abandonnée depuis des âges immémoriaux ? À moins que quelqu’un…
« Je ne la crois pas ! » s’écria avec animosité Rakt’cheel, dont la pirogue s’était rapprochée de la leur. « C’est encore une manigance de ces elfes, il ne faut pas faire confiance à ces voleurs, ces profanateurs et ces impies ! »
Cela eut raison du doute d’Ixi’ualpa. Oui, les autres elfes avaient volés l’une des pirogues célestes des Anciens, nul doute que celle-ci ne valait pas mieux qu’eux ! Elle allait exprimer son refus, que la guerrière elfe écarta violemment sa lance de sous sa gorge, et s’empara de la fameuse lame à ses pieds : visiblement, elle avait abandonné tout espoir d’une solution diplomatique.
Tout s’accéléra : les amazones ne comptaient pas se laisser faire. Luxia lui s’élança sur l’elfe, mais cette dernière esquiva son coup avec une aisance presque nonchalance avant de faire perdre son équilibre à l’amazone et l’envoyer par-dessus bord. Ixi’ualpa, remise de sa surprise, se lança elle aussi à l’assaut sur la pirogue qui tanguait dangereusement sous leurs pieds. Mais Kallemmensha s’était déjà retournée et lui fit face, son épée dégaînée.

Les deux guerrières étaient fines bretteuses, vétéranes de nombreux combats, expérimentées dans les manières d’infliger la mort par les armes sans elles-mêmes subir les coups. À la différence près que Kallemmensha versait dans cet art depuis des siècles, et cela faillit coûter sa vie à Ixi’ualpa, qui n’évita que de peu un coup de la lame qui au lieu de transpercer son épaule droite et l’incapaciter, ne fit que lui courir le long de la clavicule. Le sang de l’amazone éclaboussa les eaux calmes de l’Amaxon. (Kallemmensha : 4T une annulée, 3B, 1 Invu, -2PV ! Ixi’ualpa : 3T, 2B, 2 invu !)
La poignée d’amazones que l’aventure avait laissées valides s’apprêtaient à sauter sur la pirogue pour prêter main forte à la guerrière aigle, mais elles n’en eurent pas l’occasion. Poussant un cri de rage, Ixi’ualpa s’était jetée en avant, la lance la première, perforant le flanc de la guerrière elfe qui avait encaissé le coup… mais pas assez pour ne pas perdre l’équilibre et chuter par-dessus bord. Emportée par son élan, Ixi’ualpa tomba à sa suite, l’épée elfique ayant mordu sa chair une seconde fois. Les deux guerrières disparurent dans les flots aux yeux des kalims stupéfaites. (Kallemmensha : 3T, 1B, -1PV ; Ixi’ualpa : 4T, 3B, -3PV !! Les deux combattantes repartent avec 1PV.)
Tout autour d’elles n’était qu’eaux boueuses et bulles d’air tourbillonnantes alors que le poids de l’armure de l’elfe les entraînait lentement vers le fond. Pourtant, aucune des deux femmes n’abandonnaient leur bras de fer sous-marin. Tantôt l’une sur l’autre, tantôt l’inverse, elles tournaient sur elles-mêmes en s’enfonçant rapidement dans les profondeurs. (Kallemmensha : 2T, 2B, 1svg, -1PV ; Ixi'ualpa : 3T, 2B, -2PV. Elles repartent avec 1PV.)
Au bout de quelques secondes, Kallemmensha sentit le fond mou du fleuve sous ses bottes. Elle comme l’amazone avaient, dans leur chute, lâchés leurs armes lorsque leurs corps s’étaient entremêlés, et à présent chacune tentait d’enserrer l’autre pour l’incapaciter. Soudain, à travers l’épais rideau boueux des eaux chargées de limon, Kallemmensha repéra la silhouette de la lame lunaire, qui brillait légèrement. De ses deux pieds, elle repoussa l’amazone et se propulsa dans le même élan jusqu’à l’arme.
Alors qu’elle se retournait pour frapper, elle vit trop tard que la guerrière aigle avait fait de même avec sa lance et s’élançait aussi sur elle. Il n’y eut pas le temps d’esquiver de part et d’autre. D’un côté, l’épée elfique mordit une jambe et, de l’autre, la pointe de la lance amazone s’enfonça dans l’armure argentée juste sous l’aisselle droite. (Kallemmensha : 3T, 3B, 1svg, -2PV ; Ixi'ualpa : 4T, 2B, 1Invu, -1PV)
Kallemmensha y vit sa porte de sortie. Lâchant l’épée, elle coinça la lance sous son bras, ce qui lui arracha un grognement de douleur. L’amazone tenta de lui arracher son arme, mais sans effet. La poigne de fer de l’elfe la saisit à l’épaule et la ramena contre elle, et le bras gauche de Kallemmensha enserra bientôt le cou d’Ixi’ualpa. L’amazone se débattit un moment, mais la guerrière des ombres ne relâcha pas un seul instant son ferme étaux, jusqu’à ce que le corps de son adversaire devienne enfin inerte. (Kallemmensha : 2T, 1B, -1PV ; Ixi'ualpa : 3T, 1B, 1Invu !)
Doucement, l’elfe relâcha l’amazone ayant perdu connaissance et la laissa flotter doucement. Tout ce duel sous-marin n’avait duré que quelques dizaines de secondes, et Kallemmnesha, même entraînée, commençait elle aussi à manquer de souffle. Elle empoigna la Lame Lunaire d’une main, la lance de son adversaire de l’autre, et disparut dans les brumes épaisses de l’Amaxon. Au-dessus, plusieurs autres amazones plongeaient justement, mais elles ne la virent pas s’éloigner : le corps d’Ixi’ualpa accapara suffisamment leur attention, et c’était tout ce que l’elfe leur souhaitait.

Rakt’cheel regarda les kalims hisser une Ixi’ualpa inconsciente sur la pirogue, et se pencha immédiatement pour l’inspecter. Au moins, les blessures ne paraissaient pas mettre sa vie en danger. Même, la dévote avait l’impression que la guerrière elfe avait frappé spécifiquement pour mettre son adversaire hors d’état de combattre plutôt que de simplement la tuer… une telle précision était presque effrayante.
Alors qu’elle pressait le torse d’Ixi’ualpa pour lui faire cracher son eau et reprendre connaissance, une des kalims aptes au combat, Hixik, attira l’attention de Rakt’cheel sur la berge non loin : Kallemmensha venait d’émerger des eaux et s’élançait prestement vers la forêt.

Rakt’cheel lança la poursuite à l’encontre de la guerrière, et laissa Ixi’ualpa entre les mains d’une kalim dont la jambe blessée l’empêchait de se joindre à eux.



Lorsqu’elles revinrent bredouilles, la guerrière aigle avait repris connaissance, et était en train de se faire soigner. Entre deux cataplasmes, Rakt’cheel avoua leur impuissance : l’elfe n’avait laissé absolument aucune trace derrière elle. C’était tout simplement comme si elle s’était volatilisée.

À ce même moment, un trait fusa d’entre les arbres et se ficha dans le bois de la pirogue. C’était la lance d’Ixi’ualpa.

Rakt’cheel était prête à partir une nouvelle fois à la recherche de cette maudite elfe, mais Ixi’ualpa l’en dissuada rapidement : clairement, pour une fois, les amazones étaient surclassées. De plus, la guerrière n’avait dérobé qu’une seule arme, et Ixi’ualpa était de plus en plus persuadée qu’elle avait dit la vérité à son propos. Peut-être en était-il mieux ainsi. Le trésor qu’elles rapporteraient, elles, chez les leurs n’en était guère diminué. Et justement, ce trésor devait être mis en sécurité au plus vite ; aussi repartirent elles prestement sur le calme fleuve.

Avatar du membre
Alicia
PJ
Messages : 137
Profil : For 8 | End 9 | Hab 10 | Cha 12 | Int 11 | Ini 8 | Att 9 | Par 9 | Tir 8 | NA 1 | PV 65/65
Autres comptes : Martin, Yen Xishan

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Alicia »

pardon pour l'absence de posts lors de l'intermède. Vraiment plus la motivation ni trop le temps. :(
En tout cas, super travail de ta part Essen. Je regrette de ne pas avoir pu y participer et contribuer tout en continu, car ton event méritait une participation constante de la part des joueurs.
L'expédition avait été un échec, un de plus à rajouter à la longue liste d'entreprises au résultat mitigé. La Lustrie était un continent impitoyable. Tout là bas vous tuait. Les locaux, les plantes, les animaux, et même l'air. Tout voulait votre mort. Les seuls ilots de stabilité et de sécurité étaient les enclaves impériales installées sur les côtes, et éventuellement quelques plantations fortifiées dans des zones clairement défrichées et exploitées par les colons.
On avait beau recevoir un flot quasi-continu de volontaires avides d'or et d'aventures, ce qui créait véritablement de la richesse sur ce continent, c'était sa mise en valeur agricole. Le butin des expéditions rarement victorieuses était la plupart du temps taxé par l'administration coloniale, et les gains des vainqueurs vainement dépensés dan les bordels ou au jeu. Ainsi, réussite ou échec, peu importait, car de toute manière l'or finissait toujours dans l'escarcelle du trésor impérial.
Non. Ce qui ennuyait Alicia, c'était la perte du navire, d'hommes expérimentés et du mage. Les premiers, acclimatés et moins faibles face aux maladies, mettaient une chiée à être formés, tandis que le second était une ressource bien rare, uniquement réquisitionnée parce que ce con de nobliau à l'origine de l'expédition avait les papiers pour. Puis le navire, de facture elfe, aurait pu être revendu à grand prix aux chantiers navals locaux. Les exploitants étaient toujours alléchés à l'idée de mettre la main sur le bois et les méthodes de construction des longues oreilles, dans quelque espoir de percer les secrets derrière la conception de ces esquifs construits avec des techniques qui échappaient pour l'instant aux bâtisseurs navals.

Ruminant cet échec plutôt coûteux, Alicia errait dans la jungle, veillant sans cesse à effacer ses traces pour perdre tout poursuivant. Rentrer à la Nouvelle Altdorf n'allait pas être de la tarte. Ça n'allait pas être la première couille qu'elle devait subir, mais à aucun moment ça n'avait été une partie de plaisir que de se farcir le chemin à pied sur des plages ou dans des marécages. Il fallait faire très attention les nuits. Il y avait de ces colonies de fourmis qui surgissaient du sol uniquement lorsque les lunes étaient levées. Extrêmement venimeuses et agressives, au nid très discret, ces saloperies vous tuaient un homme par leur poison en moins d'une heure. Puis il y avait les araignées. Pas les grosses noires toutes velues, non. Celles ci étaient amusantes, douces et sans danger. Elle en avait même eu une comme animal de compagnie pendant quelques années sur le navire. Non. C'étaient celles qui étaient colorées qu'elle haïssait. Venimeuses. Empoisonnées. Puis il y avait les serpents lianes, ces horreurs vertes qui se noyaient dans la végétation, uniquement pour vous tomber dessus depuis les hauteurs. Il fallait avoir l’œil pour les repérer. Sans compter les ocelots. Très rapides, et pas souvent amicaux avec l'homme, ces créatures de la jungle pouvaient se montrer très dangereuses. Fut une expédition par le passé, on avait amené un chien pour rechercher du gibier plus aisément. A peine une semaine passée dans la jungle, qu'au détour d'une piste, la colonne d'explorateurs entendit un bruit étrange provenir d'un côté de l'expédition. Croyant à une attaque ou la présence d'un de ces immenses lézards bien trop nombreux pour la santé mentale de tout sang chaud, l'ensemble de la compagnie s'était mise en garde, armes à la main... Pour voir filer sous ses yeux un pécaris effrayé qui poussait des hurlements, fuyant à travers les arbres.
Étonnés, voilà que tout le monde baisse sa garde... Et qu'en trois secondes le chien se fait tuer. Alicia était juste derrière celui ci. Une seconde, une silhouette jaillit des fourrés. Deux secondes, celle ci se jette sur le chien, lui broie le cous. Trois secondes, le corps de la bête est tiré dans les fourrés et on ne le retrouve plus jamais. C'était une attaque d'ocelot, qui en trois secondes mis à mort un chien dressé pour la chasse. Sans coup férir.
Et maintenant qu'elle était seule, elle avait à se méfier de pareilles créatures, puisque plus de tours de gardes pour se parer de ces dangers.

Aussi, c'est une inquisitrice au bord du point de rupture mentale qui traversa la jungle de part en part, butant par moments sur des cadavres, humains ou non, se dissimulant de poursuivants ou créatures existant simplement dans les zones qu'elle traversait, se sustentant des quelques saloperies de serpents lianes qui essayaient de la lui mettre à l'envers.... Pour finalement émerger dans un abatis bien humain, bien vivant, bien en activité ! La civilisation ! Enfin !

Et qu'elle n'est pas sa surprise que de voir dans l'installation des têtes connues ! Quelques stirlanders encore en vie, et le botaniste ! Le putain de botaniste que tout le monde avait oublié, en bonne santé, frais comme un lapin, qui papote avec les survivants....
Elle était trop vieille pour ces conneries.
Temps de prendre sa retraite. De quitter cette foutue jungle et rejoindre un bureau, comme le vieux Marcus....
Alicia, voie du répurgateur

L'innocence n'existe pas il n'y a que des degrés de culpabilités

Profil: For 8 | End 9 | Hab 10 | Cha 12 | Int 11 | Ini 8 | Att 9 | Par 9 | Tir 8 | NA 1 | PV 65/65

Ici la dernière aventure de la déchue.... Eldorado !

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

***
NB : il n'y a pas de souci, Martin aka Alicia ! L'IRL avant tout, et ton équipage aura tout de même dignement représenté l'Empire dans ce tournoi, poussant jusqu'aux demi-finale |8)
***
***


Fiodor arracha son quatorzième ou quinzième pan de mur, un pavé d’une trentaine de centimètres de long, et l’envoya derrière lui rejoindre les autres. C’était un travail fastidieux, et il aurait arrêté depuis longtemps si chaque morceau n’était pas constitué d’or massif. Il avait encore du mal à en croire ses yeux. Il tenait entre ses mains le prix d’un bateau de la même taille que le sien. Si on lui en laissait le temps, il pourrait s’acheter la flotte impériale. Équipages et fanfare compris. Mais pour l’heure, rien ne servait de rêver éveillé. Il fallait se dépêcher. La cité avait l’air d’être un piège mortel. Et cette mort-là serait la bonne. Non-loin de lui, Sargath, Heinrich et Von Essen faisaient de même. Et en silence. Ils avaient été surpris par quelques groupes de saurus, qui n’eurent cependant pas le temps de réaliser leur erreur avant de mourir. Mais il ne s’agissait que de patrouilles. Le gros des forces serait bien plus redoutable. Il s’agissait d’être discrets.
Tout d’un coup, Fiodor redressa la tête. Ses sens avaient perçu une odeur étrange. Une odeur de brûlé. Ses lèvres se plissèrent en un petit sourire, et il secoua légèrement la tête. Laissant là ses compagnons vampiriques, il s’empara de son tas d’or et s’éloigna, suivant l’odeur si particulière. Il cherchait justement un signe de cette nature depuis leur arrivée, parce que cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la présence d’un certain nain aux tendances… pyromanes.
En effet, cela faisait deux jours que Thrond l’avait quitté, à la suite de leur rencontre avec Von Essen lors de laquelle les deux vampires avaient joints leurs forces. Au grand désarroi du capitaine vampire, le nain avait été intraitable, même en lui avouant toute la réticence que Fiodor avait lui-même à pactiser avec le nouveau venu aussi bien qu’à recourir à la nécromancie.

« Je… t’as sauvé ma peau plusieurs fois hein, j’peux pas oublier c’qu’on a fait à Izzatal. » avait dit le nain. « Mais… Je suis un nain, et je resterai un nain toute ma vie. C’est dans mon sang qu’il se mette à bouillir à la simple vue d’un uzkular. »

Même en faisant remarquer à Thrond qu’il était très loin de rentrer dans les clous de sa race, qu’il ne portait d’ailleurs guère dans son coeur pour des raisons qui restaient encore inconnues à Fiodor, le nain n’avait pas cédé.
Enfin, à moitié seulement. Car finalement, il avait fini par accepter, mais sans vraiment accepter. Une technique proprement naine pour le coup. Il avait proposé que chacun face son petit bonhomme de chemin jusqu’à Chaqua, et qu’ils reconsidèrent l’offre de Fiodor une fois là : qui savait ce qui pouvait arriver entre-temps ? Thrond avait dit cela avec une pointe d’optimisme en espérant que Fiodor aurait quitté Von Essen et récupéré son navire, mais la réalité s’était révélée tout autre. Navire, oui, mais quitter Von Essen… c’était deux autres vampires, dont un tout aussi ingérable, qui s’étaient joints à lui !
Et il y avait le pari aussi… Ils avaient eu la grande idée de proposer que ce soit une course. L’argent n’ayant plus de sens pour eux au vu des richesses qu’ils voleraient à Chaqua, ils s’étaient accordés pour que le premier arrivé gagne que le second le suive et l’accompagne dans ses aventures pendant une année.
Fiodor fit une grimace en repensant à cela. Sur le coup, l’idée lui avait plu. Mais au vu des circonstances, le nain était arrivé avant lui… ça allait lui faire une belle jambe s’il devait suivre Thrond alors que ce dernier n’avait pas de moyen de transport et ne voulait pas mettre un pied sur le Corbeau Centenaire tant que des vampires indésirables y resteraient !
Fiodor ne doutait pas qu’ils fassent un bon duo, mais l’aventure à Izzatal, c’était à cinq fous et non à deux qu’ils l’avaient réussie, et ils avaient manqué d’y passer plus d’une fois. Pire encore, ils n’avait pas croisés les bêtes titanesques de la jungle lustrienne, comme la salamandre vaincue par Sargath. Tout aussi forts qu’ils étaient, le vampire doutait que le lance-flamme du nain ou ses sabres leur soient d’une grande utilité face à une monstruosité enragée et blindée d’écailles.
… De toute façon, il allait bientôt être fixé sur son sort. À une dizaine de mètres devant lui, se tenait une maison en ruine, identique à toutes les autres à l’exception du fumet qui s’en échappait, caractéristique de matière en train de se consumer. Il avait retrouvé Thrond. Tout autour gisaient un certain nombre de cadavres de skavens, qu’il enjamba négligemment.
Posant son tas d’or devant la bâtisse, Fiodor entra dans le bâtiment. Avisant l’intérieur de la maison en ruine, les cadavres de skavens sur le sol, le matériel du nain jonchant le sol tout autour du monticule de terre dans une impression très nette de chaos parfaitement organisé, Fiodor hocha la tête avec une petite moue approbatrice.

« Je vois que tu n’as pas perdu ton temps… »
— Mais pas toi par Thungni ! » Le nain lui, n’avait pas du tout l’air impressionné ou simplement surpris par la présence du vampire. « Je savais que tu finirais pas me retrouver, avec ton “flair” là, mais ça fait déjà un jour que je poirote ici ! » Marquant une pose, le nain reprit, cette fois d’un ton plus calme et sérieux : « Tout s’est bien passé sur le voyage ? »

Distraitement, Fiodor regardait l’étrange fourneau au centre de la pièce.
« Mieux que je l’espérais. J’ai récupéré le « Corbeau », et deux autres larrons aux dents longues se sont rajoutés à l’expédition. Pas que j’en sois si heureux d’ailleurs… » Disant cela, il secouait la tête : « l’un est l’orgueil personnifié et c’est un miracle que sa tête ne fasse pas la taille de la cité. L’autre est son toutou attiré. Pitoyable à voir. Le seul truc qui nous unisse c’est notre mépris des elfes. Tu vas trouver ça marrant je pense. »

Le vampire prit un moment pour réfléchir, puis ajouta :
« Ah, et les elfes qui l’avaient pris sont morts. Et pas à cause de nous. On a trouvé leurs corps sur le « Corbeau », et en sale état. » Fiodor sourit méchamment. « Au moins, ils ont eu ce qu’ils méritaient.
— J’vais pas pleurer sur des morts d’elfes. » Thrond cracha sur les braises pour appuyer son propos. « C’dommage que j’aie pas pu fourrer mon marteau dans la tronche de l’aut’couillon qui m’a fichu mon lance-flammes en l’air, mais y a pire. En parlant d’pire, si j’comprends bien, quand tu dis ‘rajouter’, y a l’autre énergumène qui est toujours là lui aussi ? »

Fiodor devina aisément que le nain parlait de Von Essen. Et encore, pensa-t-il, il l’appelait énergumène sans avoir été témoin de son dernier fait d’armes contre ses propres zombies. Repensant à cet épisode étrange, il hocha la tête en plissant les lèvres.
« Ah ça, pour être là, il est là. Si un jour j’ai l’idée saugrenue d’écrire un dictionnaire, je mettrais son portrait juste devant le mot ‘taré’. Mais j’ai récupéré mon bateau, alors maintenant sa présence me tape moins sur le système, vu qu’il reste sur le sien. Vivement le moment où on partira chacun de notre côté. Ces trois énergumènes me pompent le peu d’air que j’ai dans les poumons. »

Tout du long, Thrond avait hoché la tête en rythme avec ce que disait Fiodor, d’un air sombre. Lorsque ce dernier eut fini, il ajouta :
« En tout cas, tu arrives juste à temps. Ça commence à bouger un peu dans la cité. Toute la nuit les thaggoraki – le nain pointa les skavens morts sur le palier de la porte – n’ont fait que courir dans tous les sens, c’est à peine si j’ai pu finir mon travail de fonte. J’te l’dis, ça sent mauvais, très mauvais, surtout avec tout le boucan dans la forêt depuis ce matin. Si tu veux mon avis y a du grabuge qui se prépare.
— Heh, ils courent beaucoup moins maintenant. » répondit Fiodor en donnant un coup de pied dans l’un des skavens. Thrond ricana en regardant son marteau, qui portait encore les traces sanguinolentes de son combat nocturne. Fiodor continuait : « Mais ces trucs sont pires que les elfes, quand on en tue un, on en trouve dix autres, et ainsi de suite. Quand à la forêt… j’ai entendu ces bruits moi aussi. Avec les trois autres ‘zangunaz’, on fait le plein de butin, et on met les voiles. Au sens propre. Faut pas oublier que je suis venu pour ça à la base. »

Fiodor marqua une pause, puis regarda Thrond en fronçant les sourcils :
« D’ailleurs, à ce sujet, tu as un moyen de partir ? »

Le nain pointa son sac à dos. Le vaste sac était rempli à ras-bords de plaques en en or qui dépassent de ses rabats en cuir. Il se lèva et prit un léger marteau de travail.

« Disons que, justement, j’vais bientôt être prêt à partir moi aussi. Tout juste, même. »

Il se rassit devant un petit pavé de terre cuite, posé juste devant l’ouverture en bas du fourneau, auquel Fiodor n’avait pas porté attention. Le nain le cassa avec son marteau, de façon étonnamment délicate : écartant les débris de terre encore fumants, révéla… un quart de sphère en métal bordé d’encoches et de trous ronds et réguliers.
Saisissant des tenailles noircies de cendre à côté de lui, Thrond s’en servit pour attraper le morceau et le mettre dans un trou rempli d’eau claire, visiblement prévu à cet effet. Le métal n’avait pas l’air chaud, mais c’était trompeur : sa plongée dégagea un petit nuage de fumée qui surprit le vampire.
L’opération faite, le nain tâta la pièce du bout des doigts, avant de l’empoigner fermement. De son autre main, il s’empara d’une partie du mécanisme de son lance-flamme : une sorte de bonbonne métallique, dont le couvercle hémisphérique manquait une moitié. Après vérification, la nouvelle pièce s’y imbriqua sans trop de soucis. Thrond hocha la tête satisfait, et se tourna vers Fiodor. Ce dernier haussait fort ses sourcils devant la scène.


« C’t’une chance qu’y ait le fleuve à côté, dit le nain. Avec la bonne terre argileuse qu’j’ai trouvée sur les bancs, j’ai pu m’faire un moule pour refondre la pièce, sans le trou causé par l’autre oreilles-pointues. Après le tour de passe-passe de l’autre fois, j’avais plus d’autre option pour le réparer. »
Il se mit à remonter, revisser et reclouer le tout, tout en continuant à parler nonchalamment entre deux tours de mains et autres coups de marteau.
« Mon père dirait qu’c’est du travail de cochon, et il aurait bien raison ! Mais bon, j’fais c’que j’peux avec c’que j’ai, ça tiendra jusqu’à c’que sois d’retour à un semblant d’civilisation »
Entendant cela, Fiodor fixa l’arme d’un des skavens à ses pieds et se demanda ce que le père de Thrond en aurait pensé. Toutefois, le nain avait évité sa question.

« Je te demande comment tu as prévu de partir parce que, même si j’ignore comment...T’as gagné notre pari. Et selon ses termes, c’est moi qui dois te suivre. Mais les trois autres sont encore là. Ils ont autant de talent sur l’eau qu’un poisson sur une dune, alors je leur sers de guide. Mais dès que possible, je les lâche. Ras-le-bol de me les coltiner. Et il y a de la place sur le ‘Corbeau Centenaire’. Je m’en voudrais de te lâcher dans ce coin. »

Thrond regarda dans le lointain, et resta un moment silencieux. Enfin, il fronça les sourcils, ouvrit la bouche… puis la referma sans rien dire. Posant la bonbonne à moitié remontée à côté de lui, il se mit à remuer le reste de braises dans le bas fourneau d’un air évasif. Fiodor secoua la tête d’un air un peu exaspéré devant le spectacle.
« Si c’est vraiment leur présence qui te gêne, tu peux aller dans la calle, et je leur interdirais d’y mettre les pieds. Jusqu’à leur départ. Il doit bien me rester un ou deux baril de rhum que les elfes n’ont pas vandalisé. Et il y aura prochainement un paquet d’or. »

Thrond lèva les yeux au ciel à son tour. Mais ce n’était pas, cette fois, par exaspération, mais pour y chercher une solution à, visiblement, ce qui était un problème qui le travaillait beaucoup intérieurement.
« Hmmm… T’sais, j’te l’ai dit, t’es un vampire, mais bon, on s’connait, j’sais qu’t’es loin d’être un mauvais bougre, et pis tu m’as sauvé la vie plus d’un fois. Du coup tu comptes pas. Mais les autres… si jamais ça effleure les oreilles d’un autre nain que j’ai fait tout le grand océan avec des… des choses pareilles. Boga, j’suis bon pour la damnation jusqu’au bout. »

Fiodor se retint de lui dire que, si c’était la damnation qui lui faisait peur, à la longue on s’en accommodait très bien. À la place, il leva une main dans un geste qui se voulait rassurant.
« Si ce n’est que ça, je peux te dire que je n’en dirais pas un mot. Et les trois sangsues qui voyagent avec moi ne sont pas vraiment du genre à s’en soucier je pense. Je dirais qu’un seul d’entre eux serait à même de remarquer ta présence. Ensuite, à la première occasion, on les laisse derrière. Ou devant. Ils peuvent bien se tailler là où ils veulent : dès qu’on arrive à l’océan, ils s’en vont. Moi aussi, mais sans eux. Même avant, si possible… »

La dernière phrase, Fiodor l’avait à peine murmurée, plus pour lui-même que pour le nain. Cependant, entendant le tout, ce dernier releva la tête, une lueur nouvelle dans le regard.
« Vraiment ? Ça… ça changerait déjà pas mal de choses. Beaucoup. Tout même, cinq jours, quatre avec le courant, c’est pas des mois ! Je… j’pourrais v’nir ouais. » Soudain, il reprit un air qui se voulait sévère, mais la petite lueur d’espièglerie qui luisait dans le fond de ses yeux ne put échapper à Fiodor. « Enfin, ça m’en coûte d’accepter hein, bien sûr, tout mon sang me pousse à frapper les zangunaz. »

Le clin d’œil qui clôtura la phrase finit de rassurer Fiodor sur le ton réel de son propos. Au moins, à défaut de pouvoir se soustraire complètement à l’emprise du devoir moral de toute la race naine qui se posait sur ses épaules, Thrond était capable de le tourner un peu en dérision. Le vampire, qui s’était baissé pour manipuler l’arme d’un skaven en la regardant d’un œil dédaigneux, se releva avant de la lancer au loin.
« Tu me vois ravi de l’entendre. Cela dit, il va falloir nous dépêcher. Nous partirons avant la nuit : je pense que demain, s’il y a encore des intrus ici, ils seront plus morts que moi. »

Thrond hocha la tête, tout en pointant l’arme qu’avait lancé Fiodor.
« Heureusement que tu l’es déjà d’ailleurs, faut faire gaffe avec ces machins. C’est d’la merde les armes des ‘raki, mais si ça tue pas sur le coup, t’sais jamais quelle saloperie tu peux récupérer à cause d’une ch’tiote plaie. Tétanos, peste… plusieurs pestes… t’as pas envie d’en avoir la liste. »

Visiblement libéré d’une bonne part de son fardeau mental, le nain s’était remis à manipuler, ses doigts encore plus vifs qu’avant, le délicat mécanisme de son lance-flamme. La bonbonne claqua dans ses mains, avec la dernière pièce remise en place. Fiodor ne put s’empêcher de s’approcher, curieux :
« En parlant d’arme, t’as réparé ton...truc, avec de l’or ?
— Haha, non ! lui répondit le nain d’un ton amusé. J’ai refondu la pièce d’origine, en y rajoutant deux trois boulons que je gardais en rechange, histoire de compenser les pertes de la fonte. J’y ai pensé, tu m’diras, mais l’or est trop fragile pour la pression du machin. Et en parlant de ça… »

Il réinstalla la bonbonne sur son harnais au milieu du système compliqué de son arme, attaché à son sac à dos. Il y raccorda des tubes, tourna une petite manivelle que Fiodor n’avait jamais remarquée jusqu’ici. De la fumée s’échappa du dispositif, qui se mit à siffler, d’une manière qui ne rassurait pas le vampire. Ce n’était pas le cas du nain qui, calmement, ouvrit une valve métallique pour y laisser tomber quelques braises rougeoyantes avec ses tenailles. Patientant un moment, il rassembla toutes ses affaires et les rangea dans les poches sans fonds de son sac et de toutes les bourses et sacoches accrochées à sa ceinture.
Enfin, le nain empoigna la partie de son arme qui ressemblait à un tromblon.

« C’est l’moment du grand test… »

Il pointa l’arme vers l’entrée de la maison, et Fiodor bien que hors de la ligne de mire, s’écarta prudemment. Thrond pressa la gâchette… et quelques petites flammèches jaillirent timidement de la gueule métallique, infimes par rapport au torrent de flammes généralement déversé par le dispositif.
« Haha, c’est parfait ! s’exclama le nain avec énergie. Enfin, presque. Y faut encore un peu d’temps pour qu’la pression r’monte, mais d’ici une bonne heure ça aura d’quoi cramer tout Izzatal une deuxième fois ! »

Tout enjoué, il entreprit de remettre son sac sur son dos… non sans tanguer légèrement sous le poids de tout l’or qu’il y avait glissé. D’aucun lui aurait dit qu’il s’était peut-être un peu trop chargé, mais Fiodor savait que c’était peine perdue de tenter de persuader le nain d’alléger son fardeau. Aussi le vampire se contenta-t-il de ramasser son propre tas d’or, lui-même assez impressionnant. Cependant, avec sa force surhumaine, il ne broncha pas, lui, sous le poids du métal précieux. De son autre main, il indiqua une ruelle au sol pavé et moussu.
« Le bateau est par-là. Si Flouz ne veut pas te laisser monter, dis lui que quand j’arriverai il aura de la chance s’il lui reste une oreille pour m’entendre lui dire qu’il est viré. Ça devrait le convaincre. »

Thrond, qui donnait un coup de pied dans son bas fourneau pour le faire s’effondrer sur lui-même, tourna la tête vers Fiodor :
« Eh beh ! C’était pas aussi strict sous les ordres de Domingo le pronto machin-chose ! » Avant que Fiodor ne puisse répondre, il lui secoua le dos d’une bonne claque de sa large main. « C’est bienn ça ! Je l’ai toujours dit : de la dis-ci-pline. C’est toujours c’qui vous manque à vous les umgi. C’est bien, très bien tout ça ! »

Le rire commun du nain et du vampire résonna quelques temps dans les ruelles pour l’instant calmes de la cité en ruine.

* * *

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

* * *
Fiodor sentait le vent lui caresser le visage, et se perdit un instant dans la contemplation de la cité d’or qui s’étendait devant lui. Plus d’or qu’il n’en verrait jamais plus, il s’en doutait, avant très longtemps dans sa non-vie. Ces bâtiments, ces rues, ces ponts et ces tours, tous pavés du métal précieux dont la seule évocation pouvait faire briller les yeux de la plupart des êtres doués de raison dans ce monde. Humains, nains, elfes, halflings, et même dragons, tous vouaient un certain culte au métal doré dont la cité de Chaqua était constituée. Cette même cité qu’ils quittaient à présent. Près de lui, Flouz, à la barre du « Corbeau Centenaire », avait même l’air satisfait pour une fois. Satisfait à la pensée que leurs cales étaient pleines à craquer d’une cargaison de pavés et de briques qui étaient tout autant de lingots. La récolte avait été bonne. Désormais, ils s’en retournaient à l’océan. Notamment pour recruter de nouveaux marins. Et aussi pour enfin quitter ses trois compagnons vampiriques. Thrond, assis à la poupe, regardait ostensiblement vers la rive, la fumée de son cigare s’échappant en volutes irrégulières. Il avait les traits tirés dans une expression purement naine, c’est-à-dire renfrognée à l’extrême, et ce depuis que Sargath et Heinrich étaient remontés à bord.
Désormais seul sur son langschiff tracté par le navire de Fiodor, Von Essen rêvassait sans un seul regard en arrière. L’aventure avait été belle, mais elle touchait à son terme. Il en avait plus qu’assez de la jungle, de ses insectes, de ses arbres à pertes de vue, de sa faune et de sa population qui manquait cruellement de distinction. Le chroniqueur vampire se languissait de sa terre natale, de ses villes et des multiples distractions qu’elles offraient. Et il en avait assez de tous ces gêneurs qui pullulaient çà et là, partout sur ce satané fleuve. En son for intérieur, il savait que la présence de l’un d’eux lui permettrait, à l’occasion, de se défouler, mais dans le cas présent, ça ne suffirait pas. Pour se défouler, il lui faudrait un exutoire autrement plus populeux. Il avait noté la présence du nain à bord du « Corbeau Centenaire », et avait souri à part lui, notant qu’il n’était manifestement pas le seul vampire à avoir un ami originaire de ce peuple.
Perché sur la proue du « Corbeau Centenaire », Sargath gardait les yeux rivés vers l’avant. Son visage était fermé, ses traits tirés, et ses bras croisés. Parfaitement immobile malgré les cahots du fleuve, le vampire lahmian ressassait de sombres pensées. Son expédition s’était soldée par un demi-succès pour le moment, car s’il ramenait de l’or en pagaille, son honneur était bafoué. Bafoué, car il n’avait pas pu remettre la main sur ces elfes. Ces satanés elfes dont la seule image lui fit serrer les dents avec suffisamment de force pour broyer une barre d’acier. Mais il avait l’éternité devant lui, et cette dette, il comptait bien la leur faire payer, au centuple. Son second était à la cale, avec ce revenant, Marcel de Parravon. Tous deux étaient en train de comptabiliser la quantité d’or qu’ils avaient récupérée au cours de la journée. Sargath n’avait pas daigné adresser la parole à Thrond quand ils s’étaient aperçus, de loin. Un représentant des annu-horesh, les seigneurs des montagnes, était toujours le bienvenu, mais il avait immédiatement compris qu’il n’était pas en odeur de sainteté pour celui-là. Bah, encore un impudent. Cette parodie de navire attirait toute sorte de racaille. Désormais, le crépuscule tombait sur la jungle, mais Sargath s’en moquait, étant capable de voir la nuit comme en plein jour.
Et soudain, il vit une silhouette.
« Bateau en vue ! » Se contenta-t-il de hurler. Il n’en fallait pas plus. Un battement de cils plus tard, Fiodor le non-mort se trouva à côté de lui, le visage tout aussi fermé que le sien, mais l’œil bien plus brillant. Ce vampire n’était pas seulement un aventurier aux yeux de Sargath. Il était affamé d’aventures. Et cela le rendait bien plus méprisable. Mais pour l’heure, il devait admettre qu’il était d’une aide précieuse. Et soudain Sargath eut la surprise de voir Fiodor esquisser un sourire.

« Vous allez pouvoir vous amuser je crois, lahmian. Ce sont des elfes. »

Puis, retournant vers l’arrière de son bateau, Fiodor hurla des ordres.

« Monsieur Flouz, donnez-moi la barre. Monsieur de Parravon, sur le pont immédiatement ! Nous les prenons en chasse. »

Bientôt ce fut l’effervescence à bord, alors que les zombies d’elfes et d’amazones, dont l’état laissait de plus en plus à désirer alors que la pourriture s’installait, s’activaient de plus belle pour déployer les voiles et sortir les canons. Thrond, toujours immobile, s’était tourné, faisant face à l’action, tout en tirant une bouffée sur son cigare. Le bateau du vampire, léger et maniable, n’avait pas la vélocité d’un navire elfique en haute mer, mais le terrain ici était tout autre. Sans attendre, Fiodor se dirigea vers la poupe pour s’adresser à Von Essen, dont le bateau constituait un poids supplémentaire.

« Herr Von Essen ! Navire elfique en vue. Et si je veux le rattraper, il va me falloir…lâcher du lest. »

Il y eu un craquement sonore alors que Von Essen brisait la rambarde sur laquelle il s’était appuyé. Des elfes ! À portée de main ? De dents ? Mais bien sûr, allez-y Herr Fiodor. Lâchez tout le lest que vous voulez. Et plus encore, pour faire bonne figure.

« Faites comme bon vous semble ! J’arrive ! »

Ce fut sa seule réponse. D’un bond, il parcourut la distance qui séparait leurs deux bateaux tandis que Fiodor coupait la corde qui rattachait le langschiff vide à son propre navire. Le chroniqueur avait le visage d’un homme tenaillé par l’impatience. Le massacre forcé de ses revenants, la fuite de Chaqua où il avait souhaité rester plus longtemps pour en admirer les splendeurs, tout cela l’avait considérablement frustré. Il rejoignit Sargath qui avait la main crispée sur la poignée de son épée. Thrond, lui, était resté à la poupe, refusant ostensiblement de se mêler à ces zangunaz. Il avait espéré ne pas les côtoyer pendant ces quelques jours, et la perspective de se battre à leurs côtés lui était insupportable. Devant eux, le navire elfique – druchii en apparence – se rapprochait désormais peu à peu. Le nain cracha par-dessus bord. Maudits krut’elfi qui étaient vraiment toujours là pour les déranger. À la barre, loin de partager sa frustration, le capitaine non-mort partit d’un grand rire sardonique.

« Hahaha, ils ne peuvent nous semer. Observez messieurs, observez comment on mène un abordage ! »

Fiodor n’avait toutefois pas fini de se donner en spectacle. Il voulait en mettre plein les yeux de ses alliés, mais aussi plein les oreilles. Levant la main droite, il claqua des doigts. Aussitôt, certains des morts-vivants présents sur le pont arrêtèrent ce qu’ils faisaient, et se rendirent en file indienne dans les profondeurs du bateau.

« Mais euh…que faites-vous ? » Interrogea Sargath en faisant quelques pas vers le pont supérieur. « Nous allons avoir besoin de toutes nos forces contre ces impudents. »

Fiodor ne cessa pas de rire, et les deux vampires s’aperçurent que Flouz tenait à nouveau la barre, et que Fiodor tenait à présent à la main…une baguette blanche ?

« Toutes nos forces ? Ces pantins n’auraient aucune utilité au combat. Mais, si je puis me permettre, j’ai la grande joie de vous proposer, en avant-première mondiale et en interprétation directe, le tout nouveau concerto pour musique de chambre de Fiodor Luckner, j’ai nommé ‘la fin du Solland !’ »

Et alors, devant le regard hébété des deux autres vampires, Fiodor se mit à faire de grands gestes dans les airs avec sa baguette, un air d’intense satisfaction sur le visage. Puis soudain un premier son surgit de la droite, puis un autre de la gauche. Des notes de musique, jouées sur des instruments…invisibles ?
Ils s’aperçurent bien vite qu’il n’en était rien, car ces sons sortaient par différents orifices discrets répartis un peu partout sur le bateau. Là-dessous, les morts-vivants jouaient, ils jouaient de l’orgue, du métallophone, du violon, de l’alto, du violoncelle, du tambour ou du piano, et profitaient des nombreuses caisses de résonances idéalement placées sur le « Corbeau Centenaire ». Le navire entier était devenu une boîte à musique géante.
Thrond jeta un œil surpris à son ami dont il ne connaissait pas cette facette. Il avait bien vu des instruments de musique dans le navire, et entendu Fiodor en jouer, mais c’était tout autre chose de voir - et d’entendre - une scène pareille. Le nain esquissa un sourire alors que le grandiose de la symphonie retentissait autour de lui. Ces umgis, il fallait toujours qu’ils en fassent des caisses. Plus bas, Sargath aurait poussé un soupir atterré si ses poumons avaient encore une quelconque utilité. C’en était fini du potentiel élément de surprise, et en plus voilà que leurs troupes en étaient réduites à jouer de la musique, et tout ça pour flatter l’ego de ce Fiodor. Vraiment, quelle décadence était celle de ces nordistes. Heinrich, qui avait fini par remonter lui-aussi, n’était visiblement pas de cet avis, car il se mit à hocher la tête en rythme, appréciant visiblement ce qu’il entendait.
Mais les pensées de Sargath furent interrompues par un violent applaudissement. À côté de lui, Von Essen, un sourire ravi vissé sur le visage, tapait dans ses mains à tout rompre.

« Bravo ! Wunderbar ! Splendide, splendide ! Herr Fiodor, vous nous offrez une nuit de toute beauté ! Je n’aurais pas pu espérer meilleure manière d’annoncer notre venue ! »

Puis, se dirigeant vers l’avant, il adressa un salut au navire elfique désormais tout proche.

« Entendez-vous cela, les longues oneilles ? Est-ce que vous m’entendez ?! Non ?!! Vous avez de la chance ! Ce soir, les plus illustres vampires de la jungle vous feront l’honneur de vous massacrer !! Mais en plus, vous aurez droit à un requiem ! Profitez-en bien car après, c’est une éternité de servitude à bord du navire !! »

Devant la barre, Fiodor dirigeait son orchestre invisible à la baguette, semblant comme en transe. Sur le vaisseau elfique, l’effervescence était désormais visible, les hommes courant dans tous les sens, un semblant d’ordre tentant sans doute de se faire à l’approche soudaine et sonore du navire vampirique. Il y eut plusieurs détonations, parfaitement rythmées avec la musique, alors que les canons du « Corbeau » tiraient leur première salve. Mais les artilleurs zombies n’avaient visiblement pas l’habileté de leurs homologues vivants, car un seul des boulets atteignit sa cible, et encore, il se contenta de faire sauter quelques échardes dans le bois du reaver, et la tête d’un des marins. Mais les vampires à bord du bâtiment aux voiles noires n’en avaient cure. Pour eux, l’important, c’était d’approcher.
Dans les secondes qui suivirent, les elfes noirs du « Rêve d’Atharti » virent en effet s’approcher d’eux un sombre bateau peu peuplé. Divers individus s’activaient mollement à bord, manipulant voiles et cordages. Etrangement, une intense musique s’en échappait, une symphonie qui n’en finissait pas de résonner aux alentours, effaçant tous les autres sons par son intensité. Mais surtout, leurs regards fut attiré par quatre silhouettes qui se dressaient en ligne sur le long du navire. Quatre silhouettes aux armes dégainées. Sur le pont du navire elfique, Phy’lis était éberlué. Et enchanté. Il courut à l’arrière du navire, empoigna les gréement de la voile et y grimpa pour avoir une meilleure vue sur la merveille musicale qui fondait sur lui :
« Quelle musique ! Quel éclat ! Quelle entrée en matière !
Je voudrais qu’à chaque fois ainsi s’annonce le fer !
Cela fait presque un mois qu’aucun son, aucun air
N’a su sonner le glas d’aussi belle manière !
J’étais tant aux abois dans cette jungle si austère,
L’appel que tu m’envoies par sa splendeur éclaire
Cette absence d’apparat, pour moi pire que l’enfer !
Merci pour l’opéra au cœur de ma misère.
Ces do, ces sol, ces la, mon oreille les vénère.
Je m’incline devant toi, musical va-t’en guerre
Et t’offre l’esprit en joie cette volée de vers
Quel dommage que ta voix il me faille la faire taire
Sitôt qu’elle s’offrira à ma furie guerrière…


Marins écoutez ça ! C’est mieux qu’or ou même chaire !
Faites ramer nos forçats jusqu’à la mort des hères
Qu’ils retardent le combat et nous gardent au parterre !
Prolongez l’opéra tant que peut la galère ! »
Alors que la musique partait en crescendo, les corsaires du « Rêve d’Atharti » attendaient, prêts à l’attaque imminente, les yeux rivés sur le « Corbeau Centenaire ». Mais, contre toute attente, cette attaque ne vint pas. Les silhouettes présentes à bord se contentaient de bouger mécaniquement, sans faire attention à leur présence, et sur les quatre qui avaient paru menaçantes, une seule restait. Une seule ? Elle était imposante, portant une armure et un heaume humain. Plusieurs elfes s’en amusèrent, ravis d’avoir affaire à l’un de ces imbéciles persuadés de pouvoir les affronter ‘à la loyale’, à un contre un. Les trois autres devaient avoir fui. Cette impression fut renforcée quand il dégaina son épée et s’avança lentement vers le bastingage, révélant une armure rouillée et une cape déchirée. Malgré ce piteux état, sa stature était haute et fière.

« Bien, bande de cancrelats dégénérés, lequel d’entre vous sera le premier à rencontrer ma lame pour que me taille un collier avec ses vertèbres ? »

La provocation fit sourire plusieurs corsaires, qui ne répondirent que par des ricanements et des injures bien senties. Puis, l’un d’entre eux, en arrière ligne, se frotta les yeux. Une légère brume lui cacha momentanément la vue.

« Ne vous a-t-on pas appris, à vous autres pirates, de frapper par derrière ? »

Le corsaire se retourna, et eut un hoquet de surprise. Et de douleur. Une lame s’était soudain plantée dans son torse. Lame tenue par un homme d’une pâleur extrême et aux longs cheveux blancs, arborant un sourire narquois. Von Essen, encore à moitié brumeux, le saisit par la nuque et le projeta sur ses congénères. Ceux-ci n’eurent pas le loisir de réagir. À cet instant précis, deux autres silhouettes surgirent au beau milieu de l’équipage, tombant du ciel avec une aisance et un aplomb surnaturel. Sargath avait le visage de la mort, et Heinrich souriait de la revanche à venir.

« Pour Lahmia ! » Fut le seul cri de guerre entonné par le disciple d’Abhorash. D’un même geste, il dégaina son épée et trancha le premier corsaire à sa portée. Les elfes noirs réagirent immédiatement, brandissant leurs propres lames, des armes courbes aux multiples pointes, et s’élancèrent au combat contre les trois intrus.

Autant envoyer des agneaux à l’abattoir. Von Essen, moitié brume, moitié semeur de mort, était insaisissable. Les coups de taille et d’estoc qui le visaient ne fendaient que du vent, et les attaquants n’avaient pas l’occasion de recommencer. Un elfe crut pouvoir le prendre à revers, mais au moment où il perça la chair du seigneur vampire, il se rendit compte que ce dernier n’était déjà plus là, et qu’il enfonçait sa lame dans le corps d’un de ses congénères. Qui avait fait de même avec lui. Leurs derniers regards n’exprimaient que la surprise. De son côté, Sargath était inarrêtable. Virevoltant dans tous les sens, avec une vitesse phénoménale, il enchaînait les attaques précises et fatales, cueillant ici un poignet non protégé, là une gorge trop visible. Plusieurs elfes parvinrent à tromper sa garde en l’attaquant à plusieurs, mais ils tombaient généralement sous les coups d’Heinrich, qui surveillait ses arrières. Les quelques coups qui l’atteignirent ne firent que rebondir sur son armure. Et le rendaient plus enragé encore. « Nefer-na izzar ! » hurla-t-il à l’encontre des elfes qui avaient eu le malheur de le courroucer. « Gloire à la mort ! »
Sur le « Corbeau Centenaire », Marcel de Parravon se rapprocha de Fiodor, toujours plongé dans la direction de son orchestre.

« Capitaine, on devrait peut-être leur filer un coup de main ? Et ça me démange de broyer ces buveurs d’eau. »

Près de lui, Thrond avait son lance-flamme à la main, posé sur son épaule. Sa voix rocailleuse s’ajouta aux demandes du maître d’équipage.

« Hrmm, pas que je veuille aider les autres zangunaz, mais ces saletés de kolelgi sont hors de portée de mon lance-flamme. C’est intolérable. »

Le capitaine vampire ouvrit les yeux, presque contrit d’être obligé de se mêler d’une conversation alors que son art se révélait au grand jour. Sans une parole, il jeta un regard sur le pont du reaver. Les elfes étaient nombreux, même si plus d’une douzaine d’entre eux étaient déjà morts. La partie ne semblait pas gagnée d’avance. Les cris de guerre de Sargath, les rires de Von Essen et les ordres hurlés par les officiers elfiques n’arrivaient pas à couvrir sa musique, mais s’y mariaient au contraire très bien. Les lunes éclairaient la scène d’une façon presque irréelle. Malgré tout, Marcel et Thrond avaient raison, il leur fallait se joindre au combat.
Fiodor rangea sa baguette. Autour de lui, le concert ne cessa pas pour autant. Le vampire agrippa son maître d’équipage d’une main ferme et le nain de l’autre.

« Allons-y, Thrond, monsieur de Parravon. Il est temps de diriger l’orchestre depuis le public. »

Et d’une impulsion surnaturelle, Fiodor les projeta dans les airs jusque sur le « Rêve d’Atharti », atterrissant sur le crâne d’un corsaire qui s’effondra au sol en un craquement affreux de sa colonne vertébrale. Le revenant bretonnien se mit aussitôt en garde, et bloqua la riposte d’un elfe qui se trouvait non-loin, avant de lui envoyer son bouclier dans le visage. Thrond tituba un peu de cette arrivée si soudaine, peu habitué à voyager par les airs, mais il récupéra rapidement. À la vue de tous les elfes noirs qui l’entouraient, son visage devint aussi grave qu’une rancune, et il déclencha le mécanisme de son arme favorite. « Goûtez-ça, krut’elfi » leur asséna-t-il. Aussitôt, une gerbe de flammes jaillit de l’orifice conique, accueillant en enfer les trois corsaires qui l’avaient pris pour cible. Leurs hurlements de douleur firent reculer les suivants. Fiodor ne regarda pas la suite de ce combat, profitant de l’élément de surprise pour égorger un autre elfe noir. Un troisième lui fonça dessus, suivi par deux de ses congénères. Quelques passes d’armes plus tard, le premier n’avait plus de bras droit, et le second gisait au sol, le torse lacéré. Seul le troisième restait debout, mais il reculait à présent. Une lame émergea soudain de son œil droit, et se retira prestement. L’elfe s’effondra au sol, et Fiodor adressa un signe de tête à Von Essen, qui essuyait à présent sa dague.

« Vous en avez mis du temps, Herr Fiodor. Votre démonstration musicale vous avait accaparée, alors nous avons pris les devants. »

Fiodor bloqua l’attaque d’un autre corsaire qui tentait de profiter de leur conversation pour les surprendre. Tout en lui faisant sauter l’épée des mains par une botte, il répondit d’un ton sans émotions.

« C’est tout naturel de laisser les invités se servir d’abord. Vous n’avez pas à vous excuser. » Il ne précisa pas que Von Essen n’avait pourtant présenté aucune excuse. La situation l’amusait. Alors que son attaquant s’effondrait, le corps transpercé, Fiodor s’aperçut qu’une porte non-loin menait vers l’intérieur du bateau.


« Herr Von Essen, que diriez-vous d’une petite visite du bâtiment de nos hôtes ? Il serait de mauvais ton de ne pas faire le tour du propriétaire. »

L’intéressé jeta au sol sa victime suivante, dont il avait arraché la gorge d’un coup de griffe. Son costume était à présent maculé de sang, et l’expression de joie malsaine sur son visage lui aurait donnait l’air terrifiant en une autre compagnie. Les flammes qui surgissaient de l’arme de Thrond l’éclairaient par intermittence, accentuant ce phénomène.

« Mais bien volontiers. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut faire des visites culturelles chez les druchiis. »

Un autre corsaire tomba devant Fiodor, qui rangea son pistolet désormais vide.

« Herr Sargath ! Le capitaine Fiodor et moi allons voir en-dessous. Nous vous laissons gérer le pont ! »

Le vampire Lahmian ne répondit pas, mais à la surprise d’Heinrich il sourit de toutes ses dents. On le laissait faire preuve de ses talents martiaux. Il n’allait pas les décevoir.
***
À peine le chroniqueur et le Non-Mort eurent-ils disparu à l’intérieur du vaisseau qu’une explosion de fumée âcre se produisit à quelques pas seulement de Sargath ; il n’eut alors que le temps de lever sa garde ; l’ombre qui surgit du nuage artificiel l’assaillit avec une vélocité à couper le souffle. Le héraut des Mille Lames comprit qu’il avait affaire à ce même style de combat, à cette même nature meurtrière qui naguère lui avait tant coûté ; hélas, il avait eu beau retourner le problème dans tous sens au cours des quelques moments de calme qu’il avait eus depuis, jamais il n’avait trouvé la parade à un tel assaut frontal. Submergé par un nombre incalculable de feintes, le vampire Lahmian fut finalement touché en plein cœur, glaçant dans son esprit une fureur chauffée à blanc. (Phy’lis : tests réussis ! 4T, 3B, 3 PV !!!)
Heinrich, jamais guère loin de son seigneur, fut alors à son tour l’objet de l’assaut rapproché du comédien. Or, seul, il comprit qu’il ne ferait guère le poids aussitôt qu’il fût renversé à terre avant d’être aveuglé, non pas par de la fumée mais par l’index et le majeur de l’elfe noir qui s’enfoncèrent dans ses globes oculaires sans la moindre hésitation, jetant le sylvanien dans un enfer de douleur et de ténèbres tel que même son long emprisonnement dans un sarcophage pâlissait à côté. Le vampire ne savait pas encore que sa régénération surnaturelle le guérirait à l’issue de quelques heures.
Le fautif, cependant, continuait sur sa lancée : la facilité avec laquelle les ultimes membres de son équipages avaient été massacrés lui restait en travers de la gorge, la seule poésie qui habitait son être était désormais la poésie du meurtre. L’ombre avait pris l’ascendant sur le comédien. Cependant, lorsqu’il dévisagea le reste des assaillants qui lui faisaient face, à savoir un revenant presque seul mais lourdement équipé, et un nain aux allures de démon infernal, il décida de déléguer cette pénible corvée à ses derniers acolytes :
« Si quelqu’un est encore en état de se battre,
Démembrez ce nabot, massacrez ce pantin !
Quant à moi, druchii, je me charge d’abattre
Quelques horripilants passagers clandestins ! »
Ce quatrain confirma aux derniers corsaires survivants qu’ils avaient bien affaire à la même personne qui leur paraissait si souvent pathétique ; le contraste entre le tueur et l’artiste n’avait de cesse de leur couper le souffle, même maintenant, lorsqu’ils tenaient à peine debout. Phy’lis n’attendit pas de voir leurs réactions et s’engouffra à l’intérieur du Rêve d’Atharti, à la recherche des deux autres vampires, une prière à Khaïne sur les lèvres. Derrière lui, la voix de Thrond, qui l’avait reconnu, le tançait vainement. « Approche, varrkhulg, que j’t’envoie voir tes ancêtres une bonne fois pour toutes ! » Mais Phy’lis l’avait aussi reconnu, et n’avait aucune envie de se frotter à nouveau à cet affreux nabot.
À bord du Corbeau Centenaire, Monsieur Flouz vit le nain et le maître d’équipage se faire encercler à trois contre un. Sans un mot, le pirate dégaina son arme et fonça leur prêter main-forte...
***
Dans la cabine de Kielmir, Sarquindi et le médecin entendirent soudain une musique étrange. Un cri retentit au-dessus d’eux. En quelques instants le navire elfe noire s’agita tout autour de la cabine. Des bruits de pas indiquaient la course de dizaines de corsaires sur le pont, dans les couloirs, dans les escaliers. Les coups de fouets claquèrent sous leurs pieds et les gémissements des rameurs montèrent, comme le bruit d’une machinerie malsaine.

« Le navire bouge, constata Kielmir.


- Je dois aller voir ! »

Sarquindi tenta de se lever, mais le vieil elfe l’arrêta.

« Attendez quelques instants. J’ai presque terminé, mais si vous partez maintenant ça sera comme si je n’avais rien fait.


- Alors hâtez-vous ! pesta le capitaine. Je veux savoir ce qu’il se passe sur mon navire ! »

Quelque chose tomba sur le pont, juste au-dessus de leur tête. Des bruits de bataille se firent entendre. Des cris de douleur, le fracas des armes. D’autres chocs contre le pont.

« On se bat sur mon navire ! Kielmir, par Khaine, Hekarthi et même Hoeth si il le faut, soigne moi plus vite !


- Je fais de mon mieux, s’agaça le médecin. Laissez-moi finir de recoudre cette entaille, sinon je ne garantis pas que vous parviendrez seulement à atteindre le combat.

Comme pour confirmer les dires du médecin, Sarquindi, en s’agitant, se piqua sur l’aiguille de Kielmir. Sa main se crispa sur le manche de son épée. Il plongea son regard plein de colère dans celui du vieil elfe.

- Soit ! Cinq minutes ! Tu as cinq minutes ! »

Kielmir essuya la goutte de sueur qui perlait sur sa tempe et hocha de la tête. Il détourna les yeux vers la dernière blessure de son chef. Sa main, tremblante, accelera néanmoins. Sarquindi battait la mesure des secondes de son épée sur le plancher. Les cinq minutes passèrent, la bataille ne baissait pas en intensité.

« C’est fini ! s’exclama Kielmir en reculant d’un pas.


- Enfin ! »

Sarquindi se mit sur pied d’un coup. Il contempla son torse et son ventre, tous deux zébrés de traits rouges autour desquels tournaient les fils des points de suture. Tout son corps, les loques de ses vêtements, les draps de la couchette et les bras du médecin étaient rouge sombre. Kielmir tendit une bouteille rouge au capitaine, que celui-ci prit et regarda avec un regard circonspect.

« Vous avez perdu beaucoup trop de sang, vous devez boire ceci. C’est… »

Un bruit dans le couloir interrompit le médecin. Un éclat de voix. Des…vers ?
« Où donc te caches-tu, petite chauve-souris ?
Je t’ai vu te glisser au fond de ce navire
Est-ce mon arrivée qui t’a mis en détresse ?
Es-tu à cet étage ? Te terres-tu par ici ?
J’aurai à te tuer le plus grand des plaisirs
Si jamais je te trouve en ouvrant…
La porte de la cabine fut éventrée d’un violent coup de pied.
- …cette pièce ? »
Sarquindi, Phy’lis et Kielmir se regardèrent tous les trois, stupéfiés. Dans un silence de plomb, le comédien entra lentement, pas à pas. Il se tourna vers le médecin et lui ordonna de quitter la pièce d’un mouvement de tête. Kielmir ne se fit pas prier et s’échappa vers le couloir. Phy’lis ferma la porte.



« Je pense que pour le bien de notre entrevue, il est mieux que ne nous soyons pas dérangés.


- Je me vois mal faire durer la discussion très longtemps, répondit Sarquindi les dents serrées


- Je dois dire que je ne pensais pas vous trouver ici. Je cherchais d’autres oiseaux qui se sont perdus.


- J’en un devant moi, tout emplumé, et qui n’aurais jamais dû poser le pied sur Mon navire


- Très amusant, très amusant. Je vois que votre organe de l’humour, s’il existe, n’a pas été endommagé par ces derniers jours. C’est étonnant quand on voit à quel point vous avez été charcuté, se moqua Phy’lis en pointant le corps du corsaire d’une de ses dagues.


- Je compte bien mettre encore cet organe et les autres à risque aujourd’hui. Vous avez montré autant d’incompétence pour garder mon navire que vous n’en avez montré pour garder le vôtre, et encore une fois c’est à moi de recoller les morceaux.


- Vous aussi vous avez remarqué ces invités ? Nous pourrions reporter à plus tard le règlement de nos affaires le temps de nous occuper d’eux. Ensuite nous aurions toute la liberté d’échanger nos opinions sur le dilemme qui nous oppose, nous entoure et nous fait flotter sur ce fleuve. Dilemme nommée « Rêve d’Atharti »


- Non. Seul le capitaine du Rêve quittera cette pièce en vie.


- Je vois que nous partageons le même regard sur la situation. Auriez-vous accepté mon offre que je vous aurais poignardé en passant la porte de la cabine, avoua Phy’lis en haussant les épaules.

Accompagnant ses mots, le comédien pointa son poignard entre les yeux de son concurrent. Sarquindi fit claquer sa langue plusieurs fois. Cet échange s’éternisait. Le corsaire se mit en garde et fit un pas vers son interlocuteur.

- Je vais avoir du ménage à faire… Tellement de vermine sur mon navire ! Des mutins, un abordage, et par-dessus le marché, un beau parleur qui a misérablement échoué à voler le Rêve d’Atharti derrière mon dos. Phy’lis le décevant, aimez-vous ce nom ?

Alors que Phy’lis allait prendre la parole pour rétorquer, Sarquindi plongea visant la gorge. Le comédien fut surpris par tant de reflexes de la part du blessé et ce n’est que de justesse qu’il parvint à se jeter au sol. Il évita la lame du corsaire qui vint se planter dans la porte. Phy’lis, à terre, jeta son dernier fumigène. La pièce se remplit aussitôt d’une fumée violette épaisse, et du rire fou du comédien. Le corsaire jura. Il se mit dos au mur et attendit l’attaque.
Sarquindi entendit le bois du plancher craquer sur sa gauche (Sarquindi test réussi). Il abattit son épée dans la direction du bruit, fendant la brume mauve. Il vit une ombre esquiver le coup en roulant, et la lame ne rencontra qu’une des commodes de Kielmir qui vola en éclat (Sarquindi 1T 1B 1invu). Le corsaire n’avait cependant pas perdu l’ombre des yeux. Il vit l’éclat du fer briller et plongea en avant pour éviter le couteau qui traversa la fumée. L’arme, tranchante, fit voler quelques cheveux (Phy’lis 2T, 1T annulée, 0B).
Le corsaire se releva en s’appuyant sur la couchette. Une douleur lui déchira le flan, il retomba au sol, un de ses points de suture venait de lâcher, et les autres menaçaient d’en faire autant (Sarquindi perd 1Pv). Sa main trembla.

« Ces petites choses ne vous tueront pas, Sarquindi. Je vous aurai égorgé bien avant avec tout le plaisir imaginable »

L’elfe habillé de plumes apparut au milieu des vapes. Il tenait son poignard devant lui, une main sur le manche, l’autre sur le pommeau. Il se jeta sur son adversaire. Réunissant ses forces, Sarquindi leva son épée. Phy’lis parvint à planter son arme dans le cou du corsaire, celui-ci ne sauvant sa jugulaire que d’un cheveu. Emporté par son élan, le comédien s’était cependant empalé sous les côtes sur la lame de Sarquindi (Sarquindi test réussi, 4T 4B 4Pv !!!!; Phy’lis 2T 2B 2Pv !! les deux repartent à 1Pv) Le comédien empoigna l’épée à pleines mains et la maintint en place pendant qu’il glissait le long de celle-ci. Il retira la lame et tomba en arrière. Les deux elfes s’appuyèrent sur les meubles autour d’eux pour se redresser. Phy’lis ressentit un goût de sang en bouche. Ses vêtements étaient définitivement ruinés, ses plumes tombaient au sol.
Petit à petit, la fumée retomba. Dès qu’il se sentit suffisamment relevé, Sarquindi attaqua Phy’lis avec un cri. Le comédien, trop occupé à chercher un autre fumigène sur lui, reçut le coup dans l’épaule (Sarquindi, test réussi, 3T,3B, 3pv !). La lame lui arracha un cri, cri de douleur qui se mua en cri de rage et il plongea son poignard dans le bas-ventre de Sarquindi (Phy’lis 2T, 1B, 1pv !). Il fit tourner sa lame lentement dans la plaie, souriant de voir son adversaire grimacer. Le corsaire repoussa le comédien d’un coup de poing dans le plexus et tituba jusqu’au mur opposé. Phy’lis posa la main sur son épaule et tomba à genoux (les deux repartent à 1pv). Il déclara :

« Vous savez, Sarquindi, je n’ai jamais apprécié notre relation. Votre mépris voilé, votre radicalité barbare, votre manque de pourpre, votre absence de superflu. J’ignore encore pourquoi je n’ai pas pris votre navire plus tôt.


- Vous aviez trop peur de moi… souffla Sarquindi avec un rictus.


- J’ai envisagé cette possibilité. Sottise. J’ai eu peur, autrefois à Karond Kar, quand dans la rue des assassins vengeurs me suivaient l’arbalète à la main pour une phrase criée sur la mauvaise place, à propos de la mauvaise personne. Mais aujourd’hui, je n’ai peur de personne, et surtout pas d’une raclure des mers à moitié mourante qu’une chance insolente a gardé en vie jusqu’à aujourd’hui.

Le corsaire jeta un regard à son corps sanguinolent. Il rit à voix basse :

- Assez de chance pour rester en vie, trop peu pour rester intact.


- Ce qu’il ne faut cependant pas oublier avec la chance, Messire Sarquindi, c’est qu’elle est comme le vent des mers. Elle finit toujours par tourner, souvent au pire moment. Et je serai pour vous la girouette qui dit quand le vent tourne.

Les deux combattants se remirent en garde. Ils restèrent ainsi figés plusieurs secondes, à l’affût de la moindre faille. Au-dessus d’eux, le tumulte des combats s’était calmé. Soudain, Phy’lis aperçu une brèche dans la garde de son adversaire. Il projeta tout son corps en avant, visant le cœur. Sarquindi ramena sa main et para le poignard avec la garde de son épée (Phy’lis 2T, 2B, 2Svg!). Ses yeux cruels croisèrent le regard surpris du comédien. Le corsaire déploya son bras d’un coup, sabrant son adversaire de la hanche au front. Phy’lis tomba à terre et le plancher se couvrit rapidement de sang (Sarquindi, test réussi, 2T, 2B, 2pv!!).
Sarquindi s’accroupit au-dessus du corps du comédien et lâcha, comme une épitaphe :

« Ce fut une bien belle représentation. »

Les jambes du corsaire le lâchèrent. Il tomba et se rattrapa de justesse sur un meuble. Il se rappela de la fiole que lui avait passée Kielmir avant de s’enfuir. Sarquindi chercha la potion sur le sol. Il la trouva rapidement, elle avait roulé contre le mur. Il la déboucha. La fiole dégageait une forte odeur de sang, et d’herbe coupée. Le corsaire la but et sentit un petit peu de ses forces lui revenir lentement. Soudain, il remarqua que le corps de Phy’lis bougeait. Le comédien blessé tendit le bras et se traîna en direction de la porte. Sarquindi lui jeta un regard désolé :

« Tiens ! Un revenant… Je n’ai même pas réussi à vous tuer. Devrais-je terminer le travail ?

Phy’lis tourna la tête vers le corsaire. Son visage était traversé par une entaille et son visage était couvert de sang. Il répondit dans un souffle :

- Que je meure sur ce navire ou que je ne meurs pas… Tout cela ne change rien, je serai quand même un jour debout devant vous… Ceux qui m’ont pris le Rêve y veilleront.


- Le Rêve n’est pas perdu. Il est à moi.


- Entendez-vous un cri de victoire de vos marins ? Ou bien comme moi seulement le chuchotement malsain de la Mort… »

Sarquindi se tut. Effectivement, il n’entendait rien. Quelques bruits de pas, des éclats de voix dans une langue étrangère.

« Qui est sur le navire ?

Phy’lis ne répondit pas. Toujours rampant, il pointa la porte :

- Ouvrez moi…


- NON ! répondit brutalement Sarquindi. Dites-moi qui. Qui vous a pris le Rêve d’Atharti ?


- Ouvrez-moi… et je vous le dirai…


- Idiot ! Tu n’as rien à demander! Je vais t’achever sur le champ et j’irai ensuite chasser ces impudents quels qu’ils soient !


- Dans votre état ? se moqua Phy’lis.»

Le corsaire dût admettre que le comédien avait raison. Il n’était pas en état de se lancer dans un nouvel affrontement. Pas sans y laisser la vie. Sarquindi sentit la colère monter en lui, ainsi que la frustration. Il ne pouvait pas récupérer le Rêve d’Atharti avec autant de blessures. Il ressassa pendant quelques instants toutes les expéditions qu’il avait vécu sur le reaver, tous les pillages, tous les butins que le bâtiment avait transportés, tous les équipages, toute sa vie finalement. Tout cela perdu à cause d’un seul traitre...

« Phy’lis, je vais vous tuer pour tout ce que vous m’avez fait perdre. Je…


- Des vampires, le coupa l’elfe au sol. Ce sont des vampires qui sont sur le Rêve. Tuez-moi, et ils le sentiront, maintenant que plus rien ne les occupe. Et ils viendront ici. Et vous mourrez aussi. »

Le comédien blessé se retourna sur le côté et nargua d’un sourire le corsaire. Ses dents étaient rouges. De sa bouche sabrée coulait du sang. Sarquindi détourna le regard. Le souvenir de la morsure que lui avait infligée le non-mort de l’autre jour lui revint en mémoire. Délicieux souvenir, dangereux souvenir.

« Vous devriez partir, Sarquindi. Ils vont entendre votre cœur battre, et venir ici vous l’arracher. Non pas que je ne le souhaite pas, mais alors je risque d’y passer aussi, ce qui me dérange bien plus.»

Le corsaire se releva. Il ne savait pas quelle était la part de vérité dans ce que disait Phy’lis, mais il tenait trop à la vie pour la risquer. Il décocha un coup de pied dans le ventre de son adversaire qui se plia en deux et gémit au sol. Sarquindi ouvrit la porte et sortit. Avant de partir, il lança à Phy’lis :

« Essayez de vous en sortir. Je vous dois une mort. »

Puis il s’élança dans le couloir. Le bruit des pas de Sarquindi se turent quand il rentra dans le passage secret. Alors, Phy’lis se remit à ramper vers le couloir, laissant une traînée vermeille sur le plancher.

***
***
***

Avatar du membre
Essen
PJ
Messages : 0

Re: [Event RP multijoueur] La Route d'Eldorado

Message par Essen »

     Von Essen fit brusquement irruption dans la cabine relativement spacieuse, bien que momentanément encombrée de ce qui devaient être pêle-mêle des instruments de torture et des plaques d’or massif de tailles et d’épaisseurs différentes. Ce qui expliquait cependant l’empressement du vampire à pénétrer à cet endroit précis du reaver était autre chose, il l’aperçut aussitôt à l’autre bout de la cabine. C’était une cage contenant un prisonnier, non, une prisonnière, dont l’odeur de sang récemment versé avait signalé sa présence au chroniqueur comme si la prisonnière avait appelé à l’aide. Quelques instants plus tard, Fiodor le Non-Mort rentra à sa suite, à la fois agacé et intrigué. La vue de l’or entassé à droite comme à gauche lui soutira toutefois un rictus approbateur. Von Essen ne l’attendit guère davantage : il se rapprocha en quelques enjambées de la cage étroite et se pencha pour examiner la personne recroquevillée à l’intérieur : c’était une elfe, une prisonnière asure, dont un signe distinctif était son front ensanglanté, comme si elle s’était récemment affairée à le fracasser cruellement contre les barreaux de sa prison. Du sang s’était également coagulé par endroits à ses longs cheveux argentés, étrangement coupés par endroits. Elle semblait soit endormie, soit inconsciente.


     Fiodor se rapprocha puis, soudainement fronçant les sourcils, se pencha à son tour : ce visage lui était familier. Trop familier, même. Familier au point de faire craquer ses phalanges lorsqu’il serra le poing en se remémorant la douleur que cette furie lui avait fait subir naguère. Von Essen, qui n’avait guère remarqué cette détérioration d’humeur du Non-Mort, huma une nouvelle fois le bouquet du sang de l’elfe et se releva, satisfait.


     « Emballé, c’est pesé, mein Freund ! Vous prenez l’or, je prends la prisonnière ! Pas d’objections, je suppose ?
     -          Vous importunerait-il que je fasse fondre quelques lingots et lui verse une généreuse rasade de ce précieux métal dans la glotte ?
     Von Essen fit une moue de surprise et de dépit : il ne s’attendait nullement à des complications aussi soudaines et se permit un ultime espoir qu’il s’agissait d’une plaisanterie.
     -          Je n’ai jamais essayé de mélanger sang et or ! Permettez que j’essaie plutôt à mon retour au pays, là je préférerais m’abstenir aux usages bien connus.
     -          Cette elfe a failli avoir ma peau. Je tiens à l’écorcher pour faire bonne mesure… Herr von Essen ! Je suis navré de contrevenir ainsi à notre accord mais il n’existe pas de torture sur terre comme sur mer que je ne souhaiterais pas infliger à cette elfe. Mes espoirs ont déjà été déçus une fois lorsque nous avons récupéré le Corbeau Centenaire et je ne tiens pas à laisser la vengeance m’échapper une seconde fois. »


     Le chroniqueur eut toutes les envies du monde d’invoquer les flammes noires de la dhar pour clouer le bec à ce pirate capricieux. Entre l’or et la vengeance, il pourrait bien mettre une croix sur l’un des deux, non ? Il ne voulait cependant surtout pas entrer dans un conflit direct avec un allié. Le souvenir de Haakonson et de Gust le Cruel étaient encore trop vifs dans son esprit tourmenté. Il leva donc les yeux au ciel et fit comprendre au Non-Mort qu’il s’en retrouvait extrêmement contrit (ce qui était vrai) mais qu’il n’allait pas s’opposer à l’accomplissement de sa vengeance sur la prisonnière.


     Tout en assurant le chroniqueur qu’il se souviendrait de ce geste de bonne foi, Fiodor s’empara alors de la cage pour la transporter hors de la cabine et vers l’extérieur. Ce fut ce mouvement qui éveilla la prisonnière qui, aussitôt, n’en crut presque pas ses yeux en voyant à la place de ses geôliers de naguère deux individus aux faciès patibulaires. Lorsqu’en plus elle se souvint dans quelles circonstances elle eut croisé chacun des deux, la princesse lut alors son verdict dans les remarques malveillantes des deux vampires et sut qu’elle n’en avait probablement guère plus pour longtemps. Dès lors, elle décida au moins de consacrer ses derniers instants à répondre du tac au tac à ses deux bourreaux maudits :
     « … j’ai déjà essayé sur des skinks, je me demande à présent ce que ça donnerait sur des elfes !
     -          Vous étiez fou avant ou l’êtes-vous devenu après que j’aie confié votre corps aux flammes ?
     -          Herr von Essen, aidez-moi à trouver d’autres idées de torture, j’en ai trop et n’arrive point à fixer mon attention sur une seule !
     -          Vous ne pouvez guère faire mieux que maintenant, vous écouter est véritablement le pire sort que je puisse m’imaginer !
     Quelques moments plus tôt, il avait semblé à Von Essen d’avoir entendu du bruit dans un autre recoin du vaisseau, cependant la joute verbale entre la prisonnière et le capitaine était bien trop entrainante pour ne pas oublier tout le reste :
     -          Vous mériteriez que je vous coupe les oreilles, tiens, vipère ! J’ai entendu dire qu’on ne peut plus jamais marcher droit après ça !
     -          Je marcherais toujours plus droit qu’une torche humaine qui tombe lamentablement par-dessus-bord ! »
     Ils franchirent ainsi le court espace qui les séparait du pont et constatèrent qu’à la lumière rougeoyante du crépuscule, le sang versé des elfes noirs se confondait avec la couleur des planches illuminées. L’instant d’après, les deux vampires furent forcés de constater que quelques éléments du tableau n’allaient pas du tout.


     Le Non-Mort laissa tomber la cage sans ménagement et fonça droit vers son navire en hélant les restes de son équipage ; Von Essen franchit l’espace qui le séparant d’un Heinrich prostré au milieu des cadavres druchii (faisait-il le mort ?) et entonna un chant interdit pour concentrer la dhar environnante vers le sylvanien mal en point. Au bout de quelques pénibles instants, ce dernier retrouva l’usage de la vue, comprit à qui il devait cette guérison miraculeuse et se répandit en remerciements que le chroniqueur accepta distraitement : il venait de s’occuper de celui-là, alors où était l’autre ? Ils n’eurent cependant guère à chercher longtemps le héraut des Mille Lames, étalé seulement à quelques pas de son serviteur. Von Essen retira la dague qui le paralysait, s’esquivant aussitôt sur le côté lorsque le vampire Lahmian bondit tel un animal sauvage affamé, prêt à tordre le cou à n’importe quelle créature qui se trouvait à proximité de sa poigne redoutable. Ce fut ainsi qu’alors que Fiodor se concertait avec Monsieur Flouz au sujet des blessures que ce dernier était en train de soigner tant bien que mal (les infections en pleine jungle étaient doublement redoutables), Sargath manqua de faire subir son courroux à son subordonné et n’y renonça que lorsque Von Essen lui apprit l’existence d’esclaves bien vivants (bien qu’à moitié morts d’épuisement) qui se trouvaient vraisemblablement enchaînés à l’étage intermédiaire du reaver. Ah, sans doute avaient-ils espéré qu’une défaite druchii serait pour eux une chance…


     La lumière décroissait rapidement, laissant place à un clair-obscur de velours propre aux latitudes et aux cieux dégagés lustriens. Là où il n’y avait eu qu’un bleu pastel tirant de plus en plus vers le rose, l’orange et le rouge-vif, la disparition définitive de l’astre du jour laissa place à l’infinie multitude des étoiles. Le chroniqueur respira plus librement. Après tout, évoluer durant le jour était une marche constante au bord d’un précipice, dont il avait su au gré des années garder ses distances par mille astuces, cependant c’était la nuit qui avait véritablement une sorte d’attention presque maternelle envers son engeance impie. Au bruissement de la végétation au loin se rajoutèrent les cris et les râles d’agonie que provoquait Sargath parmi les rangs des esclaves galériens ; sans doute avait-il l’intention d’en faire usage à titre de pantins de chair et d’os, bien moins pénibles à gérer que les loques que les elfes noirs avaient miraculeusement maintenu en vie durant toute cette traversée. En parlant d’elfes noirs, Von Essen n’avait point eu l’indélicatesse de demander par quel malheureux hasard le sieur Sargath et son sous-fifre s’étaient retrouvés défaits, cependant la question persistait. Un coup en traître d’un quidam désormais au fond du fleuve ? Un coup de maître d’un corsaire qui se dissimulait encore quelque part à proximité ?


     Le retour du Non-Mort à bord du reaver interrompit le cours des pensées du chroniqueur. Il se souvint soudain de la prisonnière en cage, considéra une fois de plus le conflit ouvert avec le capitaine du Corbeau Centenaire, y renonça. Son propre caprice valait autant que celui de son allié mais guère plus. Enfin, à défaut d’avoir son propre loisir avec cette charmante elfe, il verrait au moins le sort peu enviable que semblait lui réserver le pirate. N’étaient-ils pas répandus comme les tortionnaires les plus inventifs ? Il pensait avoir entendu cela quelque part…


     Fiodor, cependant, revenait véritablement de loin : pendant l’espace d’un instant, il avait cru qu’un revers de la fortune l’avait définitivement privé de ses deux derniers membres d’équipage et il avait été sincèrement soulagé en les retrouvant mal en point, mais victorieux : Thrond Ventre-de-Fer et Marcel de Parravon avaient fait la majorité du sale boulot, Monsieur Flouz s’acquittant seulement de la besogne relativement ardue de rester en vie face à un assaut de corsaires parmi les plus vicieux. Le nain, lui, s’en était mieux tiré, mais avait dû finir le travail au corps-à-corps, marteau aux mains. Le Non-Mort eut alors personnellement veillé à ce que quelques pansements sommaires fussent appliqués sur les blessures de son second. Le sang, après tout, était une denrée précieuse.


     La vue de la prisonnière en cage, de cette donzelle aux longues oreilles qui était désormais à sa merci lui redonna du poil de la bête ; Fiodor sourit de toutes ses dents, savourant pleinement le regard mauvais dont le gratifiait l’asure. Il eut une idée.


     « Gente dame, vous avez de la chance, je me sens soudain magnanime, annonça-t-il. Eh, quoi, pour de vrai, femelle de peu de foi ! ajouta-t-il en voyant la mine méprisante de la prisonnière.
     -          S’il y a ne serait-ce qu’une once de vérité dans ce que vous dites, je saurai vous en être gré. Mais je n’en crois pas un seul mot, articula péniblement l’asure.
     -          Parbleu, puisque je vous dis que je vais vous relâcher et m’en aller sans rien vous demander d’autre ! »


     Le Non-Mort finit par réaliser que l’elfe ne le croirait que s’il joignait le geste à la parole. Bah ! Il pensait encore faire durer la comédie mais, finalement, il la prendrait au mot, cette femelle arrogante ! Lui-même ne voulait guère s’attarder davantage sur ce fleuve de malheur, aussi la libération de sa prisonnière allait être… expéditive.


     Thrond s’approcha de lui, le marteau sur l’épaule.
     « Qui c’est elle ? » Grogna-t-il en la désignant du manche. « On fait des prisonniers maintenant ? »


     Fiodor répondit d’un ton où transparaissait une joie malsaine.


     « Pas du tout, je lui dois un bain forcé, alors je m’en vais lui rendre la pareille. » Le vampire eut un silence, puis reprit soudain : « mais, tu la connais Thrond. Quand nous l’avons rencontrée, tu as arrosé son bateau de flammes. »


     À ces mots, le nain et la princesse se dévisagèrent, passant de l’incrédulité au mépris, puis à la haine. Un flot d’insultes jaillit de part et d’autre, qui auraient fait s’évanouir n’importe quel habitué de la cour d’Yvresse. Mais Fiodor n’écoutait pas.


     « Maître d’équipage ?
     -          Capitaine ?
     -          J’aurai besoin de votre assistance. Prenez la cage de notre invitée par l’autre bout. »


     L’intéressée tourna un regard paniqué vers lui alors que le revenant obéissait.


     « Qu’allez-vous faire ? Qu’allez-vous faire ?!
     -          À vos ordres, capitaine.
     -          Puisque vous semblez si peu disposée à me croire sur parole, mécréante, je m’en vais (avec l’aide du sire Marcel) vous prouver que vous avez eu tort de douter de moi. Nous allons vous relâcher séance tenante, et bonne chance pour la suite ! »


     Sargath était remonté sur le pont du reaver après une débauche de sang dans la plus pure tradition de Lahmia. Il profitait à la fois du spectacle auquel s’adonnait son allié et de l’absence de ce bon à rien d’Heinrich dans son champ de vision. Il comprit que le pirate allait « relâcher » sa prisonnière droit dans le fleuve, où elle aurait toute la liberté de mourir noyée dans sa cage et servir de nourriture aux poissons. Un règlement de comptes somme toute assez bref, dont les cris de la victime avant qu’elle soit envoyée vers son macabre destin constituaient tout le sel de la vengeance. Ils avaient d’ailleurs échangé des regards entendus à ce sujet avec « l’autre allié », ce « chroniqueur » avec lequel ils régleraient sans doute leurs comptes beaucoup plus tard. Pour l’heure, tous deux observaient la scène qui allait s’achever sous leur yeux avec un intérêt malsain. De son côté, Thrond Ventre-de-Fer observait lui aussi la scène sans ajouter un mot. Une mise à mort, ce n’était jamais beau à voir, mais il n’allait pas pleurer pour une varrkhulg krut’elgi, pas quand celle-ci avait ordonné sa mort. Au moment fatidique, cependant, un voile d’ombre s’enroula autour de « l’autre allié » tel un cocon ; le chroniqueur quitta brusquement l’endroit où il se tenait.


     Fiodor, transporté de joie cruelle à peine ses doigts eurent lâché la cage et son occupante, lui décocha un « Bonne chance ! » totalement superficiel et donc d’autant plus indispensable. La cage s’envola pendant quelques infimes instants, puis le pirate sentit un courant d’air glacé survoler sa tête ; une forme large et bien plus noire que la nuit se retrouva alors sur la trajectoire de la cage et sembla l’agripper puis s’éloigner avec. La massive forme parut déployer alors de grandes ailes tout aussi noires qu’elle-même et les remua avec force, s’éloignant de plus en plus avec la prisonnière qui n’avait de cesse de hurler de panique mais qui semblait désormais arrachée au trépas qui lui avait été destiné. Fiodor n’en crut pas ses yeux, cela ressemblait beaucoup à un mauvais rêve duquel il allait se réveiller, mais la persistance des cris de l’asure, qui allaient decrescendo au fur et à mesure qu’elle s’éloignait, et les bruits environnants de la jungle, soudainement devenus très nets, confirmaient qu’il s’agissait bien de la réalité. La cruelle réalité. Que diable était-ce ?! Quel démon malfaisant s’était ainsi interposé entre lui et sa vengeance pour la seconde fois ?! Une bête locale ?!  

* * *

     Alors que les morts-vivants de Sargath ligotaient fermement les derniers esclaves vivants du rêve d’Atharti, Sargath et son fidèle serviteur von Carstein montaient à bord du navire et, à ce moment-là, Sargath songea en descendant dans la cale remplie de plaques d’or que leur éclat était pareil à celui des dunes de Nehekara, mais avant de se laisser sombrer dans la nostalgie il remonta sur le pont en direction de la cabine. Il commença par y déposer les artéfacts et livres précieux dérobés dans les ruines de sa cité puis fouilla l’endroit de fond en comble pour y trouver des cartes afin de planifier sereinement le voyage du retour. Il bouillait intérieurement de rage contre les deux autres vampires, il avait bien vu comme Fiodor le regardait de haut ! Et il méprisait à présent le chroniqueur, ce lâche se cache derrière des artifices et de la fumée ! Il est presque tombé aussi bas que le pitoyable comédien elfe noir qui lui avait infligé une défaite. Mais, par Ptra, il quittera bientôt le seul méprisable individu qui n’est pas déjà envolé pour revenir à son pays natal. Bientôt, la gloire de Lahmia sera restaurée et il en sera l’instigateur ! Bientôt sa reine pourra se proclamer officiellement reine des vampires et marcher sur les faibles prêtres rois ayant détruit sa cité ! Sa frustration fit vite place à de la jubilation et il donna un ordre mental aux zombies afin qu’ils se hâtent autant qu’il lui tardait de mettre ses plans à exécution.


***
***
***


     Kielmir, dès qu’il sentit enfin le fond du fleuve sous ses pieds, fit quelques derniers pas en avant et tomba à genoux sur l’humus de la rive de l’Amaxon. La jungle devant lui était mur sombre qui recouvrait la moitié du ciel endormi. Il fut alors brutalement bousculé ; le fautif perdit son équilibre, trébucha aussitôt et s’étala de tout son long, se tortillant encore de manière chaotique et respirant comme s’il étouffait. Pourquoi avait-il accepté d’emmener cet autre mourant, déjà ? Ah oui, parce que c’était le seul druchii qui restait sous le coude, et le médecin avait besoin de distraire ses pensées de sa situation déjà peu enviable. Que ce pseudo-comédien fût parvenu à nager avec de telles blessures jusqu’à la rive tenait déjà du miracle : maintenant, il fallait qu’il ne meure pas dans la nuit. Son sang ne risquait-il pas d’ailleurs d’attirer les prédateurs plus facilement ? Bah, ils n’étaient pas à ça près.


     Lorsque Phy’lis entrouvrit ses paupières, il fut aveuglé par la lumière d’un minuscule feu allumé devant… son sauveur ? C’était encore trop tôt pour le dire, la mort sembla à l’elfe bien plus proche que toute autre forme d’avenir, à cet instant précis. Tiens, les flammes devenaient rouges, non, la fumée devenait rouge ? Non… C’était sans doute le sang qui lui voilait sa vision, le sang…


     Il était dans le noir complet mais sentait son corps balloté dans tous les sens, comme s’il était allongé sur une monture lancée au galop, comme un sac…

* * *

     « Se réveille-t-il ?
     - Il ne devrait pas.
     - Hein ? Il faut donc le tuer ?
     - Non, magnifique seigneur, je veux dire qu’il devrait se reposer.
     - Oh. Eh bien… »


* * *

     Phy’lis fut brutalement arraché à son sommeil par un vacarme qui lui sembla infernal : c’était strident, c’était abrutissant, c’était douloureux. Il perdit de nouveau connaissance.


     Quand il comprit qu’il se réveillait, qu’il sortait de ce long et obscur tunnel où il avait cru entendre les murmures des démons lui promettre mille délices et mille souffrances pour l’éternité, le comédien se força à s’extirper d’une torpeur qui étreignait ses membres et alourdissant son esprit. Il ressentait désormais chaque fibre de son corps s’étirer à chaque inspiration, il ressentait également le bout de ses doigts et le creux de ses paumes, comme s’ils le suppliaient de s’équiper de quelque objet coupant qui lui permettrait de se défendre, de ne pas se laisser mourir de nouveau. Se laisser mourir. Sarquindi ! Le Rêve d’Atharti ! Les vampires !!
     Retrouvant subitement son sang-froid, le comédien tendit l’oreille : le bruit de la jungle environnante était le même que celui dont il se souvenait mais il n’y avait rien d’autre. Quant à sa vision, il peinait en réalité à croire ce qu’il apercevait : un plafond en toile. Une tente, il était dans une tente de taille qui devait être respectable. Il n’y avait jamais eu de tentes aussi grandes à bord du Rêve…
     Phy’lis tourna prudemment la tête pour en savoir plus : il faisait jour, c’était désormais une certitude, il voyait de fugaces rayons à travers les fentes de l’ouverture… Ce n’était pas n’importe quelle toile, où avait-il déjà vu un tissu semblable ? Et puis… quelle était cette incommensurable opulence, digne des plus riches druchii, qu’il voyait dans le moindre objet qui parsemait l’intérieur de son sanctuaire ? Or, argent, ivoire… Le tissu de la tente, c’était de la soie de Cathay ! Était-ce là l’enfer ou le paradis que les démons lui avaient promis ?! Tiens, sur une couche avoisinante (d’ailleurs, lui-même était allongé sur une couche, et on avait pansé ses blessures, et on avait ôté son haut, et…) sur l’autre couche avoisinante, n’était-ce pas ce médecin de bord qui dormait à poings fermés ? Il n’allait tout de même pas partager l’au-delà avec ce sinistre individu !
     Toujours était-il que, pour un « au-delà », c’était bien trop beau pour être vrai. C’était même ressemblant à ce qu’il aurait acheté s’il était parvenu à abattre Sarquindi… Enfin, c’était sans compter sur toutes les monstruosités qui avaient massacré l’intégralité de l’équipage. Enfin, quelle était donc cette diablerie ?! Devait-il réveiller le médecin pour comprendre ce qui venait de lui arriver, de leur arriver ? Peut-être au contraire devait-il fuir…
     Comme il réfléchissait, un druchii fit irruption dans la tente. Phy’lis ferma immédiatement les yeux. Un affrelance. Un soldat. Un campement ? Quel campement ? Dans ce trou perdu ? Dans le territoire le plus hostile qu’il pouvait s’imaginer après une zone de vingt pas autour du capitaine Sarquindi ? Feignant le sommeil du mieux qu’il le pouvait, le comédien entendit la sentinelle s’approcher du médecin et, vraisemblablement, le réveiller avec toutes les marques de respect qu’il devait à… un invité ? Phy’lis comprit que le soldat demandait au médecin de l’accompagner pour une faveur personnelle. Allons donc, quel manque de discipline parmi la soldatesque ! Des faveurs ! Où regardaient donc les officiers ! Kielmir, cependant, avait accepté, prétextant cependant qu’il était affamé et souhaiterait recevoir de prime abord quelque chose à manger. À cet instant exact, le comédien fut victime de la dernière trahison à laquelle il aurait pu s’attendre : son ventre émit un gargouillement qui lui parut plus sonore que le rugissement d’un public dans une arène à Karond Kar.
     « Je pense que lui aussi aura besoin de quelque chose », glissa sèchement le médecin au soldat, qui s’empressa de l’assurer qu’il obtiendrait le nécessaire.

* * *

     Les environs de la tente avaient été complètement nettoyés de la végétation luxuriante qui poussait normalement au pied des arbres majestueux de la jungle. Le campement était vaste, bien vaste que tout ce que le comédien sauvé par le médecin aurait pu imaginer. Les soldats qui le peuplaient, cependant, étaient ailleurs. Au loin, des rugissements bien réels retentissaient. Une bataille faisait rage…


     L'état-major druchii supervisait les manœuvres depuis une plateforme surélevée, bâtie à la hâte mais avec une précision toute elfique ; un dais en soie pourpre avait été rajouté à la dernière minute sur ordre du seigneur suprême des armées, celui qui prenait plaisir à se faire connaître par son seul titre : "L'élu de Slaanesh." Le dynaste, qui favorisait également la soie de Cathay dans ses atours, menait la conversation à son comparse de toujours, le général Mran. Intraitable, guindé et pince-sans-rire, Mran était également celui dont la coopération lui assurait la quasi-totalité de leurs victoires sur les champs de bataille...


     « … et alors, comme il ne savait plus quoi faire, il se jeta sur les affaires du médecin ! Quel acte de bravoure ! Croyez-vous que j’oserais, moi, ingurgiter toutes sortes de substances qui pourraient très bien être du poison ou du somnifère ?
     - Vous avez ingurgité bien pire. Engagez les sang-froid de Shahirrim sur le flanc droit !
     - À vos ordres, général ! le cavalier noir salua et partit au galop.
     - Shahirrim ? Mais pensez-vous seulement qu’il n’a pas déjà engagé l’ennemi, audacieux que ce rejeton de Naggarond me semble être ?
     - Non, je ne pense pas.
     - J’oubliais que vous aussi, Mran, êtes natif de notre glorieuse capitale. Je disais donc : il était aux portes de la mort, et vous savez ce qu’il finit par trouver ? Des feuilles qu’il mâche avant de les gober ! Et ça marche ! Le vieux Kielmir avait récupéré quelques feuilles de koka sur son chemin ! Et notre bel elfe reprend tout d’un coup du poil de la bête !
     - Général ! Rapport sur le flanc droit : Shahirrim est retardé par une attaque de téradons sur son propre flanc !
     - Qu’il s’en sorte ! Ce n’est pas avec des lances que mes elfes abattront un stégadon !
     - À vos ordres, général ! le cavalier noir salua et repartit au galop déréchef.
     - Vous m’écoutez, Mran ? C’est quand-même grâce à ce médecin que nous sommes ici aujourd’hui.
     - Je ne vois pas en quoi l’histoire de son associé-surprise puisse m’intéresser.
     - Mais il est tellement beau !
     - Cela m’indiffère.
     - C’est un artiste, à ce que Kielmir m’a rapporté !
     - Je suis en train de pratiquer mon art, vous permettez ?
     - Mran !
     - Général : Rapport sur le flanc droit ! Un stégadon a percé la ligne et menace de déborder sur nos réserves !
     - Et Shahirrim ?!
     - La cavalerie sur sang-froid est toujours retardée par les téradons, mon général.
     - Mais quels bons à rien, par Khaine ! Et nos balistes ?
     - Je l’ignore, mon général !
     - Alors allez voir.
     - À vos ordres, général !
     L'élu de Slaanesh fusilla le cavalier noir du regard alors qu'il s'éloignait une fois encore.
     - « Général, général… » Mran, vous êtes généralement injoignable depuis que cette bataille a débuté !
     - Pourquoi n’allez-vous pas faire causette avec le seigneur Fellheart ? Je l’ai envoyé sur le flanc gauche et il n’a pas donné de nouvelles depuis.
     - Couvert de sang qu’il doit être à l’heure qu’il est, j’aurai bien du mal à le distinguer parmi la mêlée… »


     Au-delà d’épaisses broussailles, cela faisait bientôt deux heures qu’un vaste contingent de corsaires avait effectué le contact avec un tout aussi vaste contingent de skinks armés de lances et épaulés par de redoutables kroxigors, massives créatures hautes comme des ogres et aux mâchoires autrement plus redoutables. Nullement intimidés par ces ennemis, les corsaires tranchaient allègrement ces ennemis de longue date auxquels ils vouaient une haine que l’on pouvait presque qualifier de cordiale. Les mercenaires de Lokhir Fellheart, le célèbre seigneur-corsaire de Karond-Kar, avaient une longue histoire de pillages de temples et de massacres de ses gardiens. En ce jour, ils s’attaquaient simplement à un morceau bien plus juteux : une cité dont ils avaient aperçu les sommets au loin. Des sommets couverts d’or. Quand le druchii au masque doré eut entendu la proposition du général Mran et de l’Elu de Slaanesh, il fut presque forcé d’accepter. C’en fût presque humiliant qu’il n’avait guère eu vent de l’existence de la cité avant ses pitoyables alliés !
     Ils avaient dès lors opté pour un chemin différent : au lieu de longer l’Amaxon et s’étendre à la queue leu leu pour être coulés les uns après les autres, ils avaient longé la « Côte des Vampires » (curieusement déserte) vers le sud, avant de débarquer pile à l’est de la cité dorée. Le chemin à travers la jungle avait été douloureux. Or, ils étaient là à présent. Tout ce qui se tenait devant eux désormais, c’étaient quelques créatures inférieures… Qu’il était bon de les tuer, qu’il était bon de les massacrer !!

***

     Combattant dans ce même régiment de skinks, en rangs serrés parmi les siens, Tixyxyon comprenait désormais pourquoi ils n’avaient pas reçu l’ordre d’attaquer pendant si longtemps.
     Les intrus sur l’Amaxon n’étaient que des parasites isolés.
     Là, ils faisaient face à une véritable invasion de pucerons.
     Dans leur histoire partagée avec la race indigne des héritiers des Anciens, un nouveau chapitre était en train de s’écrire.
Encore une fois, c’était un chapitre de guerre totale.


***
***
***

Répondre

Retourner vers « Écrits Libres »