Il désactiva le piège du siège de pilotage et s’affala dessus. Aussitôt, une voix derrière lui le fit sursauter :
« Par toutes les partitions de Marienbourg, c’est un drôle de navire que vous avez là, elfe. »
Sarquindi tenta de se retourner. Ses côtes le lancèrent au moment de se lever et il tomba au sol. Le druchii pointa malgré tout son épée vers l’intru. En face de lui, debout dans l’encadrure de la porte se tenait Fiodor le Non-mort, encore entouré de restes de fumée noire. Le vampire paraissait négliger le corsaire pour se consacrer uniquement à l’admiration du poste de commande. Il fit quelques pas à l’intérieur de la pièce et tourna sur lui-même pour regarder les dessins qui décoraient les murs. Après plusieurs secondes de contemplation, il porta enfin son attention sur le blessé à ses pieds. Celui-ci attendait, guettait même, la moindre offensive que pouvait lancer le passager clandestin.
« Le moins que l’on puisse dire, elfe, c’est que vous avez connu des jours meilleurs. C’est un miracle que vous soyez encore… respirant, avec de telles blessures.
- Qu’est-ce que vous faites ici ? lui lança Sarquindi d’un ton cassant.
- Je ne suis là que par simple curiosité. Je vous ai vu partir du navire et souhaitais voir comment vous espériez vous en sortir. Je ne m’attendais pas à un point de chute aussi particulier, répondit le vampire d’un ton faussement naïf.
- De la curiosité ? Je n’y crois pas.
- Vous devriez. Quand on vit aussi longtemps que vous, ou moi, la curiosité est quelque chose de vital.
- Dans mon état, la longévité n’a pas vraiment de sens, vampire, ironisa le druchii. »
Le silence emplit quelques secondes la cabine de pilotage. L’elfe et le vampire semblaient chacun chercher et attendre quelque chose dans le regard de l’autre. Fiodor voulait déceler le caractère de cet elfe qui avait survécu à leur massacre. Sarquindi cherchait à comprendre les motivations de cet individu imprévu. Las, il finit par lâcher :
« Qu’est-ce que vous comptez faire maintenant ? M’achever ? Finir ce que vous aviez commencé il y a quelques jours ?
- Votre visage me revient enfin ! C’était vous qui m’avez affronté près de cette pierre magique en pleine jungle ! Vous étiez donc le capitaine de ce navire ? « Le Rêve d’Atharti », quel drôle de nom pour un bâtiment.
- Assez ! Coupa l’elfe. Qu’allez-vous faire de moi ? Si c’est me tuer, faites-le vite !
- Pourquoi ? Avez-vous des affaires pressantes à régler ? sourit Fiodor. »
Le vampire hésitait. Cet individu était un elfe. Et pire encore, il avait eu l’audace de le blesser. Tout le poussait à l’achever là, maintenant. Mais une autre possibilité, bien plus excitante car pleine d’incertitudes, s’offrait à lui.
« Herr elfe, je ne vais pas vous exécuter. Pas aujourd’hui. J’ai déjà tué suffisamment des vôtres. Et par chance pour vous, je me suis suffisamment abreuvé sur votre navire pour ne pas avoir envie de votre sang. Que vous répandez d’ailleurs sur le sol. C’est un gâchis mais je crois que vous n’y pouvez rien.
- Que comptez-vous faire de moi ? Répéra l’elfe. L’incrédulité du corsaire était visible dans sa voix.
- Vous laisser en vie, et c’est tout. Vous laissez partir. Je vous l’ai dit : la curiosité est une chose importante. Et je suis très, très curieux de savoir ce qu’un elfe, blessé, perdu au fond d’une jungle mortelle, mais avec une machine comme la vôtre peut faire. Qui sait ? Peut-être nous affronterons-nous à nouveau un jour ? En meilleure forme cette fois-là.
Un autre silence suivit la déclaration du vampire. Sarquindi commençait à croire qu’il était encore tombé sur un original, comme tous les autres que l’Amaxone semblait lui avoir charrié dans les bras. Mais au moins, cela lui laissait l’espoir que l’intrus allait réellement l’épargner. Il baissa légèrement sa garde. Fiodor demanda :
« Qu’est-ce qui vous a mis dans cet état, elfe ? Je ne vous ai pas vu dans la bataille. Et la dernière fois je n’ai fait que vous mordre.
- C’est un duel…Non plusieurs... Des gagnés, des perdus… Non attendez, c’est plus que tout ça réuni… réfléchit Sarquindi à haute voix.
- Qu’est-ce donc ? répondit Fiodor, intrigué.
- Une carte aux trésor. Un bout de papier. »
Le corsaire rit. La situation lui paraissait absurde. Tout ça, ces coups d’épée, ces morts, cette machine volante, ces créatures à combattre... Tout ça, il ne les avait eu que parce qu’une carte était marquée d’une croix. Fiodor sourit aussi. Il s’accroupit devant l’elfe.
« Je crois que nous devons tous beaucoup, en bien et en mal, à ces cartes. J’en ai eu une aussi.
- Celui qui les a faites rirait bien s’il nous voyait. Je lui ferais bien gouter un échantillon de ce que j’ai vécu.
- Je n’ai pas de mal à vous croire », s’amusa Fiodor.
Sarquindi tourna ses yeux vers le vampire. Dans ses yeux, le Non-mort ne vit qu’une peur sincère :
« Soyez honnête avec moi. Est-ce que j’ai mes chances ? Je veux dire, avec des blessures comme ça… à votre place, si ce n’était pas par vengeance, je m’achèverais quand même par pitié.
- Avec ceci ça pourrait aller un peu mieux, vous l’avez perdu dans l’eau en nageant. »
Fiodor tendit à Sarquindi la fiole rouge que Kielmir avait préparée. Le corsaire la prit et la but aussitôt. Il s'essuya les lèvres du poignet, puis remercia le vampire d’un signe de tête. Celui-ci se leva, se retourna, jeta un dernier regard au tableau de bord de la salle, et sortit en lançant :
« Quand nous nous reverrons, j’espère que vous saurez me montrer comment fonctionne cette chose. Ce que je vois m’a l’air épatant. »
Fiodor se changea en fumée et s’envola par l’écoutille. Sarquindi le regarda disparaître. Le druchii ne comprenait pas ce sentiment de reconnaissance qu’il ressentait. Il haussa les épaules:
« A sa place, je me serais quand même tué. »
Il se hissa sur le siège de pilotage, reprit un peu de la potion, et activa les machines du vaisseau des anciens. L’engin sortit du fleuve en projetant une gerbe d’eau sur plusieurs mètres. Elle s’éleva au-dessus des arbres, puis fila à toute vitesse, droit vers l’Océan. A son bord, Sarquindi le druchii volant cherchait un nom pour son nouveau navire.
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Le soleil se levait sur la jungle, irradiant peu à peu de sa lumière les innombrables feuilles de ses arbres de toutes tailles. La nature s’éveillait, doucement, dans la douce lueur dorée répandue par l’astre, chassant les ombres de la nuit. Si tant est qu’elle se soit endormi un seul instant. Les aras, toucans et autres harpies sortaient de leurs cachettes pour à nouveau peupler la canopée, chassant les chauves-souris qui s’en retournèrent dans leurs grottes. Plus bas, mammifères félidés nocturnes laissaient la place aux reptiles diurnes. Aucun nuage n’encombrait le ciel, et rapidement la température s’éleva. Sur le fleuve Amaxon, le jour n’était pas moins dangereux que la nuit, mais à présent, pour le « Corbeau Centenaire », le danger semblait passé. À la barre, Maximilian Von Meisdorf, dit Flouz, manœuvrait avec calme le navire qui s’en retournait vers l’océan. Il réprima un bâillement, conséquence de son récent réveil, tout en mordant dans un morceau de pain. L’avantage d’être l’un des seuls êtres vivants à bord, c’est que la nourriture n’allait pas manquer avant longtemps. Et il devait être en forme pour nourrir son capitaine, même si ce dernier s’était copieusement abreuvé lors de la nuit. Sur le pont, Marcel de Parravon distribuait des ordres aux marins zombifiés, dont les effluves de pourriture n’en finissaient pas de déranger Flouz quand il passait près d’eux. Ce dernier secoua la tête pour mieux se concentrer. Il devait être attentif aux environs. Il ne se considèrerait en sécurité qu’une fois attablé dans une taverne du port humain le plus proche. Et ce dernier était encore à des jours de voyage.
« Et donc, doh, tu l’as laissé partir ? Un komelgi blessé ? Et en plus tu l’as aidé à se soigner ? Mais t’es pas bien en fait. J’laurais cuit à point dans l’engin qui lui sert de bateau, et j’me serais bien marré en le faisant. Non, là j’arrive pas à suivre ton raisonnement. »
Thrond Ventre-De-Fer était assis, ou plutôt avachi, sur l’une des deux chaises de la cabine de Fiodor. Devant lui, la table était couverte d’un petit déjeuner improvisé, fait à partir de ce que les elfes avaient ramené et de ce qu’ils avaient laissé durant leur courte occupation du bâtiment. Et le nain ne se privait pas pour se servir, révélant un appétit vorace. En face de lui, tout aussi avachi, Fiodor le regardait manger, avalant lui-même quelques bouchées de temps à autre. La nourriture n’était pas nécessaire pour sa survie, mais il en appréciait le goût, de temps à autre.
« C’était du gâchis de le tuer, voilà. Du gâchis. Franchement, où aurait été la beauté de l’achever là, blessé et au fond du trou ? Alors que sa trouvaille lui offre de telles possibilités ? Mais je veux voir jusqu’où il va aller avec ça moi. Un truc pareil, c’est pas tous les jours qu’on en voit un.
- Mouais. M’est avis que si vous vous recroisez, ça va pas l’empêcher de te passer une épée à travers le corps. Les elgi sont comme ça. Ils n’ont pas d’honneur.
- Tu vas me trouver insupportable, mais sur ce point, cet elfe et toi vous pensez pareil. À ma place, il se serait achevé. »
Thrond ne répondit pas directement, mais Fiodor l’entendit prononcer dans sa barbe des mots en khazalid, des mots comme ‘zangunaz’ et ‘wazzok’. Il ne connaissait pas le deuxième, mais ça avait l’air peu flatteur. Le vampire haussa les épaules en mordant dans un fruit orangé gros comme le poing. Sa chair était juteuse et molle. Un régal.
« Enfin, toujours est-il que cet elfe va mettre un joyeux bazar chez lui, je pense, avec sa trouvaille. Mais moi, je préfèrerais aller à l’Est. Ça fait longtemps que j’ai pas fichu les pieds dans à Bordeleaux, Bilbali ou Marienburg. »
Thrond l’arrêta d’un regard faussement indigné, avec un petit sourire, alors qu’il reposait sa coupe – dans laquelle il buvait à défaut d’avoir trouvé un verre.
« Dois-je te rappeler que tu as perdu le pari ? On n’iras pas à Bilbali sauf si je le décide.
- Oh, mais bien entendu, mein Herr. Et que sera notre destination, si je puis me permettre ?
- Je n’ai pas encore décidé. Mais ça va venir. Tiens-toi prêt. »
L’ironie du nain n’échappa pas au vampire, qui hocha la tête en souriant à son tour.
« Sans rire, Fiodor, que comptes-tu faire avec tout ton or ? »
La question prit un peu l’intéressé de court. Il fit une moue interrogative, ce qui, sur son visage habituellement si sévère, était des plus surprenants.
« J’avais pensé à m’établir quelque-part. Avoir une maison simple, un genre de pied-à-terre qui m’attendrait. Avec peut-être une épouse, qui sait. »
Thrond faillit cracher son morceau de viande séchée en pouffant de rire.
« Toi ? T’établir ? Et puis quoi encore ? Et pourquoi pas avoir un petit potager aussi ? Je t’imagine totalement avec un chapeau de paille sur la tête et la houe à la main. »
Fiodor plissa les yeux sans regarder le nain.
« Non, je pensais plutôt à acheter une maison, mais juste ça. Et éventuellement faire vivre les petits commerces du coin. »
Thrond hocha la tête, souriant d’un air entendu.
« Ah oui, je vois un peu le genre. Et quelle dimension pour cette ‘maison’ ? Un truc modeste j’imagine. »
Le vampire fit un geste évasif de la main.
« Oh, je pense que je n’irais pas au-delà de quatre ou cinq étages, avec domaine et meubles de maître. Et un peu de personnel aussi. Histoire que ça vaille le coup. »
Thrond le dévisagea, plissant les lèvres – ce qui ne se voyait pas beaucoup, du fait de la barbe.
« Ça m’a l’air assez gagne-petit, te connaissant, zangunaz. Qu’est-ce que ça cache ? »
Ce fut au tour de Fiodor d’être faussement offusqué.
« Mais rien du tout. Je me disais que la vie de châtelain vampire pouvait être intéressante. Après tout, il y en a plein à qui ça réussit. Et il faut savoir varier les plaisirs. Capitaine de bateau, c’est bien, mais qui sait, un jour je voudrais peut-être changer. »
Le silence s’installa pendant quelques secondes, uniquement brisé par les bruits de mastication de Thrond. Fiodor finit par reprendre la parole.
« Et toi, alors, ‘dawr’ ? C’est quoi, ton but, avec tout l’or que t’auras ? Te payer un atelier grand comme mon bateau ? Voire le double ? »
Fiodor eut alors la surprise de voir les sourcils du nain se froncer. Thrond avait soudain l’air sérieux.
« T’y es pas, zangunaz. J’ai une affaire à régler. Une affaire pour laquelle j’ai besoin d’or. »
Le vampire reprit son sérieux à son tour. Croisant les doigts, il rendit son regard au nain.
« Tu veux en parler ? »
Thrond poussa un grognement.
« Ouais, après tout, t’es peut-être du genre à pouvoir m’aider. C’est une histoire de famille.
- Raconte.
- Y’a pas grand-chose à dire en fait. Mon père était un ingénieur, comme moi. Et comme moi, il avait des idées avant-gardistes.
- Je commence à comprendre deux ou trois trucs du coup. »
Fiodor n’avait aucun mal à imaginer un Thrond plus jeune, élevé par un nain du même genre à coup de démonstrations de machines toutes plus dangereuses les unes que les autres. Mais il se retint de sourire. Son ami l’aurait sans doute mal pris.
« C’est lui qui l’premier a inventé le lance-flamme que j’utilise. Mais j’ai qu’une réplique. L’original lui a été volé, après qu’il se soit fait bannir des siens. Je veux le récupérer. Et j’aurais besoin d’or. »
Fiodor hocha la tête, l’air entendu.
« Si tu veux, tu pourras compter sur moi. Je n’ai pas encore eu l’occasion de me joindre à une noble et juste quête. »
Thrond eut un sourire cynique.
« Ouais, je sais pas si elle est ‘noble et juste’, mais c’est ma quête. »
Fiodor croisa les bras.
« Et où se trouve ce prototype original ? »
- C’est là, zangunaz, que tu pourras entrer en scène. »
Le vampire ne répondit pas, se contentant de pencher la tête, l’air interrogatif.
« C’est à Marienburg. Tu as, je suppose, déjà entendu parler de la Foogers Grotere Stadsbank ? »
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Quelques semaines plus tard, à quelques degrés ouest des côtes d’Arabie, sur le Grand Océan…
Un grand aigle. Elle devait son salut à un grand aigle, un des grands aigles qui accompagnaient la flotte d’Yvresse et qui effectuaient souvent des rondes de reconnaissances qui pouvaient les emmener à des jours entiers de la flotte qui les abritait. Une de ces créatures majestueuses l’avait remarquée, seule créature vivante à bord du vaisseau-fantôme qui était sa seconde prison et qui aurait très bien pu devenir son cercueil. Elle ne l’avait même pas aperçu alors, un point noir dans le ciel qui, lui, voyait tout et comprenait beaucoup. La bête audacieuse était alors descendue du firmament azur et la princesse aurait peut-être même eu les forces nécessaires pour bondir sur son dos puissant et se raccrocher aux plumes. Hélas, son infâme geôlier devait avoir des yeux dissimulés à bord du vaisseau car, aussitôt que l’aigle s’était rapproché à portée de javelot, il était accouru, l’odieux mort-vivant, lui aussi comprenant immédiatement la situation et conjurant un jet de flammes noires destiné à frapper l’oiseau en pleine poitrine ; fort heureusement, l’aigle eut esquivé la salve ainsi que celles qui suivirent et, comprenant qu’il avait affaire à un ennemi coriace, avait fini par se retirer hors de portée, et dans une direction que Yelmerion n’avait pu alors soupçonner à quel point elle était salvatrice. Dès le lendemain, d’autres points noirs apparurent, et ceux-là étaient des navires asurs, dont la vitesse sur les flots n’était souvent pas si éloignée de celle d’un grand aigle dans les airs. Ils couvrirent la moitié de la distance qui les séparait lorsque son tourmenteur s’affaira à incanter de nouveau : le ciel se couvrit aussitôt et, lorsque le vampire sortit de sa maudite sacoche une poignée de malepierre, les nuages se noircirent et furent parcourus d’éclairs, aussitôt suivis du grondement du tonnerre.
Le tribut de sang qu’il lui avait prélevée dès leur atterrissage lui avait ôté les dernières forces qui lui restaient. La cage des druchii n’avait guère résisté à ses griffes mais sa libération s’était aussitôt muée en cauchemar sans fin : s’il l’avait maintenue en vie en fournissant eau et pitance, c’était seulement pour boire son sang une fois tous les deux jours, la maintenant dans un état de faiblesse aussi insupportable que permanent. Il avait appelé cette ignominie « un échange de bons procédés », mots qui s’étaient gravés dans sa mémoire et qu’elle s’était jurée de lui faire payer au centuple si les dieux voulaient qu’elle s’en sortit un jour. Isha et Mathlann, plus d’une fois elle avait comparé son traitement aux tortures maudites d’Har Ganeth, dont la teneur abominable était connue en Ulthuan. Son tourmenteur, quant à lui, maintenait qu’il la laisserait en vie « jusqu’à son retour au pays ». Il devait être à moitié fou. Elle-même, cependant, avait craint pour sa santé mentale pendant ces jours interminables de traversée. La Lame Lunaire, le devoir envers les siens… Elle s’était crue condamnée au lieu de cela à la plus longue des agonies.
« Cuiva nwalca Carnirasse; Nai yarvaxea rasselya; taltuva notto-carinnar! »
Elle ne se souvenait guère des incantations étranges du vampire, sinon qu’elle avait compris qu’il s’était efforcé de déchainer une tempête sur l’océan, mais que ses efforts avaient été vains : les asurs avaient depuis des millénaires appris à braver les mers les plus cruelles avec une grâce que les humains leur enviaient volontiers.
La voix d’un des siens avait porté si loin, si loin depuis la flotte asure : « Losto Caradhras, sedho, hodo, nuitho i 'ruith! » Elle ne l’apprendrait que bien plus tard mais ce furent les efforts d’un archimage de Saphery qui apaisèrent la tempête aussi vite qu’elle était venue et permirent à la flotte d’approcher sans risque du vaisseau-fantôme. Lorsqu’elle se retrouva entourée des siens, lorsque, par le plus grand et le plus imprononçable des hasards, elle fit face à son oncle, Eltharion d’Yvresse, elle eut presque cru à une illusion conjurée par son ennemi mortel, destiné à la nourrir d’un espoir fou avant de la replonger dans le pire des enfers. Allongée dans une cabine chaude et sèche pour la première fois depuis des mois, bouleversée par la chaleur de couvertures et de compresses médicinales collées sur son front, elle apprit plus tard qu’elle dormit pendant deux jours entrecoupés de courtes phases éveillées où elle délirait. Ce ne fut qu’après être à peine en état de comprendre sa situation qu’elle apprit à demi-mot ce qui était advenu de son ravisseur.
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« Cuiva nwalca Carnirasse; Nai yarvaxea rasselya; taltuva notto-carinnar ! » Par Nagash et les neuf nazgulfs, mais ils sont aussi insubmersibles que des bouts de bois flottant en surface ! Il pouvait autant remuer les bras en chantant des ritournelles reiklandaises que ses invocations auraient le même effet ! Son corps et son visage étaient aspergés de cette même pluie qu’il destinait à fouetter les visages des marins asurs. Que ne trouvaient-ils pas mieux à faire que de s’intéresser à son petit navire ! Juste une elfe à bord ! Une seule princesse de rien du tout ! Et même pas morte en plus ! Mais il allait la rendre en plus ! Ce n’était pas de sa faute si son sang était infiniment meilleur par rapport aux rations de Khorne Flakes dont il s’était sustenté au cours des semaines de navigation précédentes !
Von Essen se retint de maudire ciel et terre lorsqu’il constata qu’il ne pouvait que retarder l’échéance : les navires elfiques approchaient en dépit des vagues et des vents contraires, comme s’ils trouvaient à chaque fois l’imperfection dans la tempête et se faufilaient à travers les obstacles aqueux. Rapidement, trop rapidement, ils seraient à portée de grappins d’abordage et il serait submergé. Comme si cela ne suffisait pas, il sentait tout d’un coup une autre volonté s’opposer à la sienne : là où il débridait les conduits aethyriques, cette autre volonté, loin d’essayer de réparer quoi que ce fut, s’emparait des conduits environnants et puisait dans leur puissance à la fois pour les renforcer et les canaliser contre les efforts destructeurs du vampire. Sur ce terrain-là également, il allait perdre, ce n’était plus qu’une question de temps. Damned. Il n’aimait pas fuir mais, damned, sa profession de vampire malfaisait en faisait une exigence du métier. Le reste du voyage allait se dérouler dans sans sang royal sur sa langue. Damned !
Von Essen avait beau user de divers stratagèmes, les elfes gagnaient toujours du terrain. Acculé, il ramena Yelmerion sur le pont, Eltharion plaça son vaisseau Dragon La Revanche, baliste armée, devant celui du chroniqueur, chevauchant Aile d’Orage ; il vint à sa rencontre et dit en le regardant :
« Libère ma nièce et tu auras la vie sauve.
- Non.
- Alors tu mourras. »
Eltharion se jeta sur le vampire qui poussa la princesse par-dessus-bord. Eltharion lança Aile Orage pour la rattraper alors qu'un Dragon des mers surgit tel un chien voulant attraper sa friandise. Aile Orage rattrapa de justesse la princesse asure tandis qu'Eltharion sauta de sa monture et pour enfonce Croc d'Acier dans le crâne de la bête. Il retira son épée alors que le monstre s'effondrait sur lui même. Le sinistre gouverneur décapita le dragon des mers tandis qu'Aile Orage déposait Yelmerion sur le pont, des elfes lui prêtèrent assistance. Pendant ce temps, le vampire fuyait rapidement le seigneur légendaire afin d'éviter sa colère.
Methylen de Lothern eut aperçu la masse sombre décoller du navire et prendre son envol. S’il pensait qu’il allait s’en tirer comme ça, cet être se trompait fortement sur la nature de la vindicte des elfes ! L'asure n’attendit pas qu’ils soient proches du vaisseau, leur ennemi le désertait de toute façon ! Elle s’en alla trouver son cotre volant, avec son roc attelé à la plateforme qui croassa nerveusement à sa rencontre : oui, évidemment que cette tempête était anormale. Cela n’allait pas les empêcher de poursuivre le coupable dans les airs !
Von Essen entendit plus qu’il ne vit le bruit de ce qui le poursuivait à travers le rideau de pluie et le clair-obscur des cieux déchainés. Cette fois-ci, cependant, il obliqua directement vers eux : croire qu’ils allaient l’empêcher de filer à l’albionnaise, quelle arrogance ! Ces longues-oneilles allaient apprendre que le chroniqueur des von Carstein ne tolérait pas les poursuites !
Il comprit trop tard qu’il n’avait encore jamais combattu un quelconque adversaire sous cette forme bestiale, en encore moins en plein vol ! (Von Essen : 1T, 0B) Il réalisa son erreur lorsqu’il sentit qu’il venait de s’empaler lui-même sur la lance brandie d’une main experte par son adversaire au casque cônique (Methylen : 4T, 4B, 2 invus, 2 PV !!) et se jura de revoir cette lacune lorsqu’un bec de la taille d’un coffre se referma sur son abdomen, manquant de le briser en deux. (Methylen : 4T, 4B, 2 invus, 2 PV !!) Le cotre volant fendit les airs, avec son occupante gratifiant son ennemi vaincu d’un regard méprisant ; incapable de reculer à cause de la lance qui le transperçait de part en part, incapable d’avancer à cause du bec du roc qui le retenait prisonnier, cet être était bon pour le pire châtiment que les asurs réservaient à l’engeance de son genre. Elle ne savait guère la nature du supplice que l’on lui infligerait mais elle aurait sans doute le droit d’y assister. Une chose après l’autre, cependant : elle devait d’abord ramener ce monstre à bord du navire…
« Suiton : Kirigakure no jutsu. »
Le roc glapit, l’elfe n’en crut pas ses yeux : le bec de l’oiseau géant n’enserrait plus que du vide, la lance était libérée de l’étreinte de la chair noire de la créature ; quant à cette dernière, était-ce là ce nuage noir qui s’éloignait à toute vitesse qui en restait ? Par Manaan, Isha et Khaine, quelle était cette magie ?! Que pouvait-elle faire pour l’arrêter ?!
Le chroniqueur avait les pensées aussi noires que sa forme intangible. Quelle disgrâce, quelle infâme disgrâce ! D’abord un aigle, puis un roc ! Il avait franchi le cap de la frustration depuis longtemps ! Ce n’était plus un cap, désormais, ni un roc, c’était une péninsule de fureur et de mauvaise foi qu’il longeait à présent ! La peste soit des elfes et de leur entrainement martial à deux marks ! Il ne lui restait plus qu’à faire comme tout bon vilain qui se respecte : jurer vengeance et revenir plus tard…
Son humeur aurait été nettement éclaircie s’il avait su que son nom était désormais connu d’un seigneur aussi illustre qu’Eltharion de Tor Yvresse. Le roi asur se souvenait de ses ennemis, bien qu’il n’avait guère la folie naine de régler ses rancunes à tout prix. En bon elfe, il se contenta de noter le nom de Von Essen dans un coin de sa mémoire : si les dieux voulaient qu’il croise cet être et qu’il le tint à sa merci, il ne réfléchirait pas deux fois avant de détruire cette charogne ambulante.
Methylen revint à bord de La Revanche, les mains vides. Eltharion la regarda sauter du cotre volant avant même qu'il eut amerri, il lui dit:
« Elle se remettra rapidement de ses blessures après une semaine de soin, cependant elle devra cache la rune de la déesse de la vengeance sur son front.
- Qui lui a fait ça ?
- Un capitaine corsaires elfe noir, puisse t-il pourrir en prison.
- Je le traquerai.
- Inutile, à l'heure qu'il est, il doit surement être soit mort soit se cacher soit se soûler dans un port à Naggaroth
L'amirale vit la tête du dragon au pied d'Eltharion
- Ça ne compte quand même que pour un ! »
Les asurs rentrèrent dans le calme, ayant réussi leur mission de sauvetage.
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