[La plume à Piero] Chroniques d'un Monde en Déclin

Où s'écrivent les histoires, hors du temps et des règles compliquées du monde réel...
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Piero Orsone
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Chapitre XXI : Le fils de l'Homme

Les bêtes sauvages même les plus monstrueuses on finit par s'y accoutumer, l'odeur putride des goules grattant la terre des fosses communes, la tache fugace d'un griffon tournoyant dans le ciel.
Mais quand on marche sur les routes de campagne de ce qui était autrefois Odorton, on ne s'attend pas à voir un géant. Haut comme un arbre, bâti comme un ours et des bras longs et épais comme les pieux de la Palissade.
Sa barbe tressée tombait sur son torse couvert de fourrures raccommodées. Dans son sillage des chevaux aux robes variées piaffaient dans les pâturages en jachère.
Nichés derrière un tronc renversé, leurs sacs remplis de breloques, nos ferrailleurs favoris de retour d'une nouvelle maraude pécuniaire observaient le colossale étranger s'éloigner doucement dans les terres sauvages.
« Ça existait donc pas qu'dans les histoires de Hank, bon sang.
-Le Nord nous tombera dessus, comme dans le dicton. Tiens toi prêt à croiser les terribles barbares, les Vislandais ! Ricana Damon en faisant des mimiques sauvages et narquoises.
-Arrête, les monstres et le Mal ont dû les éradiquer, protesta son frère, presque nerveux.
-Mais eux-même sont des monstres ! Ils font deux fois la taille d'un homme normale ! Des dents pointues comme celles des loups.
-Mais non...
-Ils se gorgent de chair humaine et boivent dans des crânes ! Ils prient des Dieux aussi sombres et sauvages qu'eux.
-Tu disais la même des Esterlins la dernière fois !
-C'est pas ma faute si le vaste monde est peuplé de sauvages, nota Damon en haussant les épaules.
On a un Dieu nous. On avait même un royaume. Et on s'mange pas entre nous. Des gens parfaitement civilisés quoi. »

Le titan s'étant éloigné ils reprirent la route de Fort Korst. Plus on se rapprochait de la communauté plus les témoignages de vie récente s'offraient à l’œil aguerri. Anciennes tours de guet péniblement retapées pour servir aux patrouilles de la Lieutenant et de ses hommes, fondations de villages démantelés par les habitants afin de récupérer la moindre planche encore utilisable. Les routes étaient aussi dans un état moins catastrophique, même si les terrassiers ne se bousculaient pas au portillon. En dehors des murs le danger rôdait. Il fallait être obligé, courageux ou tout simplement inconscient pour se risquer à l'extérieur de Fort Korst ou des quelques hameaux à sa périphérie.

Cependant il y avait plus que quelques courageux en vue. Il y en avait des dizaines. Établis près d'un corps de ferme avec toute une forêt de tentes. À pas de loups, prudents, les jumeaux observèrent le campement. Des hommes en arme. Des chevaux. Beaucoup de chevaux. Beaucoup d'hommes en arme. Mais ce n'était pas des brigands ou des miliciens, pas des déserteurs. Ils étaient...Propres sur eux. Ils avaient tous des bottes, un surcot, une épée. Pas des gourdins, pas des fauchons. Des épées dans leurs fourreaux, à la ceinture. Certains portaient même des armures plus belles que toutes celles qu'ils avaient pu voir. Des armures de plaques, des armures de chevaliers.
« On va voir Duncan ?
-T'es fou ! Je tiens à ma peau.
-Le courage a pas été répartie équitablement dans cette portée, » ironisa le plus brun des deux frères en se levant pour voir, sous le regard réprobateur de Duncan qui étouffa un cri de protestation.
Un grand gaillard posa les yeux sur le gamin famélique qui approchait du bivouac rapidement suivi par un autre aux traits proches bien que plus blond et moins assuré.
« Qu'est ce que vous faites-ici ? Demanda le chevalier en s'approchant des morveux.
-On rentre chez nous m'sire, et vous ?
-Mais enfin, déjà c'est confidentiel et...Et y a pas une ferme à des lieues à la ronde ! »
Un autre homme arriva, rasé de prés et cheveux courts, regardant tour à tour son confrère et les deux gamins :
« Que se passe-t-il Renaud ? Oh, mais enfin ce ne sont que des gosses. Venez. On a du pain bis et de l'eau. »
Traversant le camp, les deux curieux scrutaient les visages sérieux des chevaliers, les écus aux blasons variés alignés, le S sacriste sur les tabards.
Au centre du camp, sous un pavillon bleu, un homme d'âge avancé priait à genoux. Ses cheveux gris et sa barbe lui donnaient un air grave et paternel. Comme un grand roi des légendes que le Seigneur Hombert leur racontait quand ils étaient hauts comme trois pommes.
Le Renaud leur donna deux bonnes portions de pain et leur désigna une caisse où s’asseoir. Tout en récupérant un tabouret pour se mettre en face d'eux, l'homme rasé demanda calmement :
« Et donc, que font deux jeunes gens comme vous au milieu de nulle part ?
-On rentre chez nous on vous dit, à Fort Korst. Sur la route des Princes, répondit Damon avant de mordre avec appétit dans le morceau de pain.
-Alors vous êtes sur le chemin que nous devons emprunter. Permettez-nous de vous raccompagner chez vous enfants de l'Unique. »
Duncan prit la parole, intrigué :
« Et vous vous rendez où, messires ?
-Dans le Duché d'Armstrang. Une menace se lève à l'Est, affirma l'Homme aux cheveux gris qui s'était levé, notre devoir est de l'éradiquer car son ombre souille l’œuvre du Créateur. Nous sommes la Lanterne de la Foi. Nous sommes les Soldats de Dieu.
-Nous sommes les Soldats de Dieu ! » Reprirent en chœur les membres du campement sous les yeux circonspects de deux gamins ferrailleurs.
Piero Orsone da Trantio, explorateur
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Chapitre XXII : L'Exalté

Le ciel était orageux. D'immenses nuages s'élevaient en défiant les Hommes et les bêtes cloués au sol. Hombert lui n'avait cure des humeurs de la météo printanière. Il se préoccupait des soldats qui tardaient à revenir de patrouille, des paysans qui signalaient toujours plus de bêtes surgissant des bois, des jumeaux. Pourquoi se précipitaient-ils toujours vers l'extérieur. Même ses murs ne protégeraient plus Fort Korst longtemps et eux, ils erraient ça et là comme des vagabonds esterlins ou des camelots. Les enfants...
Un cor sonna. Stuart rentrait. Un second souffle. Elle ne rentrait pas seul.

Les miliciens regardaient ébahis le flot de cavaliers approchant de la porte. Il y avait la Lieutenant et ses hommes, mais ils étaient dépassés en nombre par des chevaliers. Oui. Incrédule, le seigneur des lieux vit rentrer au pas les montures caparaçonnées. Et sur la croupe de deux d'entre elles, Duncan et Damon.
« Messire Hombert je présume. Ces jeunes hommes nous ont parlé de vous.
- Seigneur, nous les avons croisé en revenant de Quemenhalt. Ils avaient déjà les Jumeaux avec eux.
-Très bien Stuart. Occupez vous de nos troupes. Et dites à l'écurie de panser et de nourrir les chevaux de nos nouveaux invités. »
Le chef des chevaliers s'avança avant d'adresser une révérence formelle à Christens.
« Messire, je suis Peydrac de Castelrossant. Commandeur dans l’œuvre de Dieu. Je vous exhorte à offrir le gîte et le couvert à mes hommes pour cette nuit. Nous reprendrons la route dès demain. »
Tandis que les hautes gens discutaient, deux silhouettes efflanquées déguerpissaient le long de la Palissade.

« Où vous rendez-vous exactement Commandeur ? Demanda Stuart en dévisageant son interlocuteur.
-Mes Hommes et moi même nous rendons à Armstrang, ma dame. »
Même assis autour d'une table pour le souper, Stuart et le chevalier n'arrivaient pas à relâcher leur posture guindée. Stricte. Martiale.
« Mes excuses, de Castelrossant, mais notre cave à vin est vide depuis deux ans. J'espère que la bière vous conviendra, intervint le seigneur tout en remplissant trois gobelets de breuvage mousseux.
-Le vin est un poison de l'esprit et du corps Seigneur Hombert. Les préceptes de la Foi déconseillent d'en boire. D'autant plus lorsque il est importé du Suderon ou des autres nations impies du Sud.
-Hé bien. J'espérais bien trouver un autre amateur de grand cru de Modino avant la fin de mes jours. Dites moi, vous avez le même accent que Stuart. Qu'est ce qui pousse un Reickardien à se rendre si loin à l'Est. La guerre est pourtant finie. Depuis bien des années.
-La guerre n'est jamais terminée Seigneur. Mais pas la guerre entre Odorton ou Reickard. Je vous parle du seul combat légitime. Le bien contre le mal. L'ombre contre la lumière. La Foi contre les forces obscures.
-Il est vrai, ajouta Stuart, que vous ne portez pas d'autres couleurs que celles de Dieu.
-Elles sont les seules que nous devrions brandir. Souvenez vous de l'Histoire enfin. Combien de guerres avons nous mené ? Des dizaines. Des villes assiégées, des populations massacrées, des temples brûlés. Odorton et Reickard, ce dernier contre l'Adernia. Les guerres de succession au Daedwen ou à Berrunge. Et pourtant, toutes ces guerres ne servaient à rien. C'est contre le Nord qu'il fallait livrer bataille. Contre les Païens qui dévastaient nos terres et emportaient nos femmes et nos enfants comme esclaves. Contre ces Oruchiis décadents qui peu à peu ont étendu leur empire aux portes de nos royaumes. Lorsque il y a deux siècles nos aïeuls se sont unis contre un ennemi commun, ils l'ont fait non pas pour un roi. Non pas pour un empereur. Ils l'ont fait pour la Foi. Contre les Morts qui marchaient et leurs maîtres. Les seigneurs maudits de Dornoff !
-Oui mais qui voulez vous unir enfin ?! Rugit Hombert. Odorton est en ruine. Reickard aussi. Tous ceux qui pouvaient se terrer derrière d'épaisses murailles l'ont fait. Les autres ont fui ou attendent leur sort en tremblant ! Les bêtes et les hors-la-loi règnent sur nos terres. Naventis est tombée par la peste !
-Lorsque nous marchâmes devant la Cité, nous avons été renforcé dans notre foi ! Si les royaumes ont fait défaut à leur devoir, seule la foi la plus pure pourra restaurer nos vies. Ne pas recréer l'ancien monde avec ses vices, ses travers. Il faut voir pour créer celui d'après. Débarrassé des frontières des rois il ne nous restera plus qu'à étendre celles du Créateur. Ne voulez-vous pas d'un monde où la paix règne enfin Seigneur Hombert ? La paix entre Burmidden et Naventis. Une paix sacrée des rives du Détroit de Sarles aux Montagnes du Mur ? Si les antiques Sarlésiens n'ont pas uni les Franges par un empereur, nous pouvons l'unir par la Foi qu'ils nous ont enseigné. Réveillez le dormeur. Et un jour prochain, le grand Sacre inondera à nouveau de sa chaleur Naventis comme Ebendorf.
- Avec cinquante hommes Commandeur ? Interrogea Stuart.
-Nous sommes les premiers à se rassembler à nouveau dans un Chapitre oriental. Mais déjà partout ailleurs, enfants du Sacre, je vous assure que les Soldats de Dieux se préparent. Une voix peut résonner dans les murs d'une citadelle. Un millier en lézarde les murs.
Nous sommes la première voix du Prophète à l'Est. Un millier suivra. Et vous pourrez en être une aussi. Après tout, il n'est pas dit que vous déviez périr avec l'ancien monde.
-Je suis trop vieux, trop usé pour me battre pour une cause comme celle-là de Castelrossant. J'ai quelques milliers de voix dont je m'occupe déjà. Vous les avez vu. J'ai déjà servi Dieu en suivant mon Roi à la guerre. Je le servirai en prenant soin de mes sujets. Pas en faisant face à des légendes de Daedwenais ivres ou en levant l'épée contre Suderon.
-Alors j'espère d'aventure que si d'autres de mes frères d'arme et de foi passent par Fort Korst, leur dévotion vous aidera à ouvrir les yeux. Ce soir je dormirai avec mes Hommes Seigneur, que le Créateur vous guide. »
Piero Orsone da Trantio, explorateur
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Chapitre XXIII : L'Hospice


Dans ses rêves, il coulait, toujours plus loin dans les abîmes glaciales. Des songes enfiévrés atroces où des créatures marines gluantes enserraient leurs doigts autour de sa nuque ou de ses jambes, l’entraînant dans la tombe de tous les marins.
Pourtant, il s'éveillait parfois, en sueur, agitant son regard trouble. Il voyait des mains blanches et douces lui essuyer le front. Il arrivait même à Donovan Mins d'apercevoir un visage féminin.
Puisant dans ses forces il murmurait « Thérèse ? » avant de sombrer à nouveau avec ses hommes et son vaisseau. Mais Thérèse n'était plus là. C'était une autre vie, une ancienne vie. Pourquoi la-voyait-il à nouveau ?
À l'heure fatidique, il ouvrit son œil valide. Cette fois pour de bon. Il grogna, sa gorge était sèche et enrouée. Il était resté allongé assez longtemps pour que tout son corps s'engourdisse. Du moins ce qui n'était pas cassé. « Souvient-toi Donovan... » pensa-t-il. Le Kraken. Un Kraken. La dernière pitrerie des dieux païens. Il avait un mal de chien dans tout le corps. Et il était là, à fixer un plafond blanchi à la chaux et ses poutres de chêne. Il essaya de se redresser un peu. On l'avait engoncé dans des couvertures. Ce n'était pas ses vêtements. Il portait une tunique de lin toute bête.
« Bien dormi la princesse ? » Ricana une voix dans la pièce.
Il tourna la tête avec une vive douleur, « torticolis de mes deux... » C'était un autre gaillard allongé à l'autre bout de la pièce qu'il découvrait par la même occasion. Deux rangées de lits simples. Des murs blancs. Une porte, une fenêtre en face. Le gars avait une sale tronche, et ce n'était pas un prince qui jugeait. Si Donovan tenait du vautour, maigre, aigu, vif, l'autre ressemblait à un chien de chasse. Large carcasse, des mâchoires épaisses, une trogne à avoir fait plus d'une guerre. De petits yeux noirs qui le fixaient.
Voulant lui répondre, le marin sortit quelques râles rauques. Il lui fallu puiser dans ses réserves pour articuler un aimable : « Par le Sacre t'es qui encore connard ? 
-Moi ? Un autre patient, bon sang tu peux prier le Père d'en haut d'en être réchappé. Tu tenais plus de la pile de petit bois que de l'humain quand les dames bleues t'ont ramené.
-Les dames bleues ? Bon sang ça fait combien de jours que je calanche dans ce lit ?
-Oh et bien... Il réfléchit à haute voix, Bien cinq ou six jours. Et les dames bleues c'est les charmantes dévotes qui te soignent, te torchent et te nourrissent à la cuillère comme un moineau malade. Par contre avant qu'j'me présente je veux bien connaître ton propre blase l'ami. T'as pas l'air d'être un paysan du coin. »
Le capitaine, le maire, l'homme brisé inspira longuement avant de répondre :
« Mins. J'étais de Berrunge mais ça remonte à aussi loin que la guerre.
-Schurk, Rudolf Schurk. Troisième régiment d'infanterie de l'armée reickardienne,
-Déserteur ?
-Déserter quoi ? J'étais sergent, je donnais des coups de pied au fion de pauvres fermiers pour qu'ils aillent tenir une pique face aux chevaliers d'Odorton. Je voulais voir du pays j'ai vu le Prudast. Ce foutu fleuve qui charriait chaque semaine son lot de cadavres, ceux en orange, ceux en pourpre. Un carnage. Puis avec la peste bah... T'as déjà vu un camp de soldats ? Le coin le plus propre c'est les latrines. Fauché. J'ai vu plus de gamins d'quinze berges mourir à cause d'un puits douteux que d'une flèche des bovins d'en face. Du coup on a été « démobilisé » comme disent les gradés. On nous a laissé rentrer chez nous. Sauf qu'après tant de temps à tuer, tu sais plus vraiment ce que c'est un chez-soi.
-J'ai connu ça... J'ai connu ça.
-Les enfants d'la grande putain : La guerre. Qu'on est beau. Pour sûr après tout ce temps. Tout ce que tu as vu...Tout ce que tu as fait. Tu tournes mal. La bouteille tue ceux qui ont réchappé aux champs de bataille. Moi ça a bien failli être le mal jaune. Pour ça que je suis ici.
- Et on est où précisément ? Interrogea Donovan en fixant l'interlocuteur bien bavard.
-Bah, à l'Hospice.
-L'Hospice ?
-De Lanterne
-Connais pas.
-Mais enfin, la Lumière de l'Ouest, l'Espoir, la Cité que Dieu n'a pas oublié. Non ? La moitié du continent doit vouloir s'y ruer. T'es vraiment un berrungien pour être aussi largué toi. »
Et Rudolf de partir dans un rire gras comme un pot de saindoux.
« Excuse-moi mais c'est pas vraiment la saison des messagers. De ma...De la ville où j'étais je n'avais que des bribes de nouvelles de Berr. Et c'était pas joyeux. Alors un patelin nommé Lanterne. Dieu m'en pardonne ça n'attire que les illuminés. »
Le sergent explosa alors d'un rire si tonitruant et long que Mins jura l'avoir vu virer au violacé.
Une fois calmé il expliqua avec sa bonhomie de soudard :
« Les gens viennent ici voir un Prophète enfin. Celui qui doit sauver le monde des ténèbres ce genre d'histoire pour paysans. La ville se nommait Neterdam avant. Tu dois mieux connaître. C'était un autre temps. Aujourd'hui on n'a que nos vieux os pour bouger et nos cervelles. Peut être qu'ici on nous donnera la foi. »
Donovan répondit avec un truchement de tête avant de se blottir à nouveau dans son lit. Il n'avait qu'à attendre. Attendre d'être à nouveau valide pour voir la fameuse Lanterne.
Rudolf grogna avant de se tourner face au mur opposé. Le temps serait long avant le prochain passage des dames en bleu.
Piero Orsone da Trantio, explorateur
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Chapitre XXIV : Les épaves


Partout où se posait son regard, il n'y avait que de la poussière et de la caillasse. Edest, surpeuplée, anarchique mais grouillante de vie finissait par lui manquer. Les forteresses arrogantes des Tashrik lui manquait. Depuis des jours ils traversaient une terre battue par le vent, une terre morne.
Duavos avait expliqué lors d'un bivouac :
« Nous sommes aux limites orientales des plaines de Taradel, l'Oruch est coupé entre les royaumes du détroit et le reste du continent par ces steppes jusqu'à la mer des Alizées.
-Y a-t-il des gens pour vivre ici ? Avait demandé Brand.
-Des nomades, des exilés et des vautours. La route sera longue jusqu'à Timontis. Les dieux ont détourné leur regard de ces terres et la barbarie y prospère. »
Plusieurs fois après cela ils firent bivouac dans des campements abandonnés. Quand les cavaliers tournaient la tête vers l'Ouest et le soleil mourant, ils pouvaient observer les mesas et les buttes rougeâtres qui ponctuaient la ligne d'horizon de Taradel.
Leurs collations étaient à l'image du paysage. Viande séchée, noix, eau qui prenait l'arrière-goût du cuir des gourdes.
Lorsqu'ils galopaient, Rudy se laissait voyager dans ses souvenirs. Il avait à nouveau dix ans, Sanche le camelot juché sur son baudet irascible lui faisait traverser la Tordoba. Les champs dorés, les paysans arc-boutés, les hameaux suderons. Le Grand Empire et son grenier à blé. Ici il n'y avait pas de blé, seulement des buissons secs, il n'y avait pas d'Empire, seulement les campements déserts des nomades.
Au matin d'une énième journée de marche, Markit pointa une colonne de fumée au loin. Si elle indiquait l'emplacement d'un village, ils feraient escale là-bas. Au bout de deux heures, le soleil printanier était déjà impitoyable. Rudy regarda ses compagnons. Katarina fixait le vide, un châle sur ses boucles brunes. Ethissa s'occupait de sa monture. Brand et Markit discutaient de sujets pour bidasses.
Duavos ralentit l'allure pour se retrouver à son côté. Il s'adressa à lui, en oruchii.
« Ton accent est presque impeccable. C'est rare pour un Aruch.
-J'ai grandi entre les royaumes du Sud et l'Empire. J'ai plus connu le Détroit que les terres sacristes.
-Sur le long chemin que j'ai dû emprunter, j'ai maint fois parcouru ces terres. Nos cousins qui ont franchi le détroit ont bien changé. En bien ou en mal je laisse les érudits et l'Histoire le juger.
-Mais toi Duavos, d'où viens-tu ? Où retournes-tu ?
L'oruchii commanditaire regarda vers le Sud, un soupir chargé s'échappa de ses lèvres.
-Je nous amène dans le Dhoranion. Bien loin du faste d'Edest ou de Thibles. Loin des vignobles de Modino ou des navires chargés de richesses de la côte noire. Le Dhoranion n'est pas un état, c'est une...Culture. Comme ce que vous les Aruch appelez les Franges ou les Royaumes du Sud. De grandes nations ont façonné ma terre. Nous nous sommes affrontés si souvent, mais lorsque nous sommes attaqués, c'est ensemble que nous ripostons.
-Les elfes ? S'aventura le jeune homme.
-Les elfes oui, mais aussi les nomades de Taradel ou de Famarri. Les Hommes des jungles d'Odmon et leurs osts de tribus asservies et autres bêtes des âges anciens. Cela a rendu nôtre peuple rigoureux. Peu de caravanes se bravent à l'assaut des plaines depuis le Nord. Les mers sont infestées de pirates. Tout au plus certains pays de l'Odmon commercent l'ivoire si recherché.
-Je commence à penser que les peuples oruchii sont tous rigoureux.
-Alors vous n'avez jamais rencontré un marchand de Sulecan, ricana Duavos, mais en effet nous vivons comme l'ont voulu les Dieux qui ont façonné le monde et nos empires. Si les Dieux avaient choisi de construire un monde sans adversité alors nous serions tous comme les antilopes qui broutent l'herbe sèche de Taradel. Mais nous avons reçu l'art de bâtir. Même les barbares de l'Aruch septentrionale, les grands guerriers blonds, savent bâtir, créer.
-Et frapper avec ce qu'ils ont créé.
-Comme les Dieux l'ont voulu. 
-Comme les Dieux l'ont voulu. »
Le village, car c'en était bien un, était un minuscule ramassis de bicoques en boue et en pierres serties d'un rempart de la même fabrication. Il y avait dix de ces maisons, un puits, quelques paillotes. Autour des murs broutaient de grands ânes à la robe claire, quelques volailles effrayées détalèrent à l'arrivée des cavaliers. Les locaux eux, pointaient de lourds regards sur les arrivants. Ils avaient tout des miséreux gratteurs de roche. Leurs habits en peau de chèvres, leurs gueules anguleuses noircies par le soleil tenace. Des gamins pieds nues tournèrent autour des montures et des cavaliers comme une nuée de poules attendant la volée de grains. Les matrones gravides gueulaient dans un dialecte incompréhensible à leur marmaille. Un homme sans âge s'avança en direction de Duavos. Il avait le menton fuyant des édentés. Derrière lui, des fermiers serraient fermement tout ce que le village devait compter d'objets tranchants ou de marteaux. Cet attroupement de pouilleux était à l'image des steppes. L'Oruchii s'expliqua auprès de ses pairs.
Même avec le ton calme de Duavos, seuls quelques mots étaient compréhensibles pour Rudy. L'un d'eux était ormer, elfe. De longues délibérations conduisirent à un résultat acceptable. Les chevaux reçurent du fourrage, les aventuriers eux, s'assirent en cercle sous l'une des paillotes.
Brand fit remarquer l'absence quasi-totale de bois, ce à quoi Ethissa rétorqua avec sa bonne humeur usuelle : « Tu as vu une forêt depuis dix jours ? »
On leur offrit un grand plat d'orge cuit au lait et des salaisons d'âne. On se remplit la panse d'eau fraîche. Les enfants observaient avec une curiosité naïve la demi-elfe ou les cheveux blonds de Brand. Les adultes eux aussi observaient, mais avec une méfiance de rustres. Rudy se demande à quand remontait le dernier passage d'étrangers dans le village. Avaient-ils seulement déjà vu des Aruchii ?
Dans tous les cas, leur sens de l'hospitalité s'arrêtait à leur donner quelques provisions et à remplir leurs gourdes. Après cet interlude presque reposant, ils durent reprendre la route.
Alors que le village s'éloignait derrière eux, Markit questionna Duavos :
-Ces paysans, qui étaient-ils ?
-Comme je vous l'avais dit, Taradel est peuplée par des nomades, des exilés et des vautours. Ce n'était pas des vautours, ni des nomades. »
Une journée de voyage plus tard, ils virent la mer. Ils étaient sur un plateau et au loin, à quelques heures de descente, les flots bleus des Alizées s'offraient à eux. Mais un détail de taille ponctuait le tableau. Les épaves. Sur le sable gris gisaient des mastodontes de bois, échoués là comme de silencieux monstres marins. Les imposantes carcasses des navires jonchaient la plage jusqu'à perte de vue. Comme si les océans avaient recraché les restes de tous les bateaux qui avaient sombré un jour dans leurs abîmes. Tout en descendant le long de la falaise une sente escarpée, Duavos commenta :
« Tout ce que Mylael vomit depuis ses possessions marines après l'avoir englouti. Navires pillés par les pirates elfiques, les corsaires brettans, emportés par les tempêtes, décimés par les maladies. Bienvenue sur la grève la plus sinistre de ce côté du monde. »
Les chevaux serpentaient entre les épaves les plus anciennes et celles si récentes que les lambeaux de voiles claquaient encore au vent. Combien de marins, combien de capitaines cauchemardaient en pensant à cette ligne droite s'étendant à pertes de vue où venaient mourir les fleurons des marines de Sarann ?
Le petit groupe n'en avait pas la réponse, mais ils pouvaient constater que certains des infortunés à avoir fini sur cette côte avaient laissé des feux de bois, rassemblé du matériel, avant de partir, vers l'inconnu.
L'histoire se répétait à chaque fois avec un navire différent. Un petit jeu macabre commença : Il fallait trouver l'origine des navires encore identifiables. Ici un galion ventru du Détroit, probablement destiné à décharger des milles et des cents de marchandises dans les comptoirs de la côte noire. Là une frégate brettane à la coque décorée. Des galéasses elfiques à la proue arrogante gisaient flanc contre flanc avec les trois-mats de Carshin ou de Zangdès.
Mais tandis que Duavos désignait un gabare de Syrarre ou d'Ostonao, Ethissa claqua les rênes de son hongre et bifurqua.
« Venez-voir ! »
C'était une ancre. Un énorme morceau de fonte posé sur le sable picoté d'oyats. Dessus les marins de tous horizons avaient accrochés ou dressés des panneaux de bois. Chacun laissait un nom, une prière, le nom d'un dieu des mers, une supplique. D'autres avaient laissé des gamelles, des sabres rouillées plantées dans la dune. Des étoffes délavées par les éléments agitaient leurs lambeaux sur le jas de plomb. Un autel aux multiples visages dressé dans le grand vide ensablé et venteux.
Ils posèrent le bivouac ici.
Laissant les chevaux se reposer, les aventuriers montèrent les tentes et allumèrent un feu. Tout en suçotant un fromage de chèvre dur et salé comme un galet, Rudy fixa le ciel. Les étoiles lui étaient encore familières, mais une fois descendu plus loin encore sur le continent australe, serait-ce encore le cas ?
Près d'une supplique à cent dieux restés impassibles, sous le regard des vaisseaux pourrissant, la lumière d'un feu de camp troublait le noir bleuâtre de la mer et de la plaine.
Piero Orsone da Trantio, explorateur
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Piero Orsone
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Re: [La plume à Piero] Chroniques d'un Monde en Déclin

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Chapitre XXV : L'Invitation

Du plus noble Diaphane au plus insignifiant domestique, tous s'étaient tus. Tous regardaient les portes. Les deux hommes aux traits proches, frères ou cousins, postées en sentinelles guindées. Rentrant dans la salle depuis la terrasse, Svena observa la figure la plus énigmatique du Comté.
Si les Diaphanes étaient d'une pâleur défiant le marbre des statues, lui en avait aussi la prestance. Grand, ses atours sombres tranchaient avec la blancheur immaculée de sa peau, de ses cheveux, de sa barbe. Point de velours, de dentelles, loin des exubérances des convives, les vêtements de Dawnson étaient d'une sobriété exemplaire. C'était le maître des cavaliers noirs, le Diaphane le plus redouté. Et il était là. Sans osciller des épaules, il tourna la tête en direction des musiciens.
« Enfin. Jouez, puisque c'est vôtre rôle. »
Sa voix était grave, sérieuse. Las même. Son menton pivota à nouveau lorsque les hôtes, les Schroeder, se précipitèrent à sa rencontre, attendant la sentence fatidique.
« Vous vous êtes donnés les moyens pour cette réception il semblerait. L'Hospitalité des Schroeder n'est plus à démontrer, qu'en pensez vous ? »
Un acquiescement général et tacite. Il poursuivit son chemin, serein. Svena réalisa qu'elle s'était figée depuis plusieurs secondes au milieu d'un mouvement. Captivée.

Les Cunningdorf n'étaient pas loin d'elle. Et il se rapprochait. Il ne dégageait pas de lui cette sensation de froid qui ne quittait jamais les maîtres de la nuit, ce froid venteux, qui tournait autour d'elle. Le sien était sec. Il attrapa la main de Susan et y glissa un baiser formel.
« Ma chère fille. Toujours plus ravissante. »
La petite daedwenaise n'en était pas sûr mais il lui avait semblé entrapercevoir un sourire. Les invités observaient tous la scène en faisant mine de rien. Les rumeurs, les potins, rien ne pouvait battre ce qui se passait devant eux. Le ragot de l'année à n'en pas douter.
« Mes enfants. Les jours passent, les années s'écoulent avec la même symphonie monotone des saisons et des semailles mais vous, vous n'avez pas changé. »
Il avait balayé tour à tour de son regard la fratrie Cunningdorf. C'est là qu'elle comprit. Elle n'arrivait jamais à croiser ses iris.
« Nathanaël. »
Il passa devant son hôte d'ordinaire si loquace et ici si contrit qu'elle était certains que sous l'albâtre de son teint il était écarlate.
Ses pas claquant au son des bottes cirées le guidèrent devant elle. C'est là qu'elle plongea dans son regard. Et sans comprendre pourquoi, elle ne pouvait s'en détacher. Ce gris d'ardoise. Deux vieilles pierres qu'elle contemplait comme un abîme. Non. Comme un ciel d'orage. Une tempête s'agitait dans l’œil de cet homme pourtant d'un calme imperturbable.
« Et voici donc... Svena von Brezisky. Assurément l'opale de l'Orskland. Si pétillante, si charmante et si vivante. Ce modeste comté qui borde vos terres doit vous sembler bien morne. Bien différent.
Elle inspira avant de répondre de son ton le plus diplomate :
-Je n'en ai pas vu, pour ainsi dire, énormément. Même si mes hôtes m'ont abondamment parlé des châteaux de Dornoff et de ceux qui y logent. De l'histoire du Comté. De l'histoire des Diaphanes.
-Nous sommes l'Histoire. Dornoff existe pour et par les Diaphanes.
-Alors, un sourire poli se dessina entre ses joues de chérubine, j'ai hâte de la découvrir d'autant plus. -Cela pourrait se hâter. Prenez ceci. Considérez cela comme une invitation. »
Une lettre. Cachetée. La cire était pourpre. Le sceau était un D.
« Merci pour cette honneur votre excellence. » Elle le salua d'une révérence.
Il fit de même avant de se diriger vers Susan. Profitant de la relâche, l'héritière d'Orsktadt se glissa aux côtés de Nathanaël, elle prétexta l'envie de prendre l'air après tout ce vin pour l'attirer à l'extérieur.
Ashford s'était volatilisé. Il ne restait que les scintillements des astres et des chaumières. Le patriarche Cunningdorf esquissa un sourire.
« Vous avez donc fait connaissance avec mon beau-père. Charmant n'est-il pas ?
-En effet. Il ne laisse pas de glace. »
Un fou rire la gagna. Un fou rire contagieux. Et loin des danseurs, de la musique et des ragots ils partagèrent ce bref instant d'humour.
« Mais dame Susan est donc la fille du Comte de Dornoff ?
-Oh, si c'était aussi simple ma pauvre enfant. Loin des élans féodaux de vos pairs et pères, ici les titres ne sont que fantaisie, imagination volage et course à la prétention éhontée. Il ne règne plus de comte sur Dornoff depuis bien des années. Les Diaphanes régissent leur petit château, leurs petites gens. Et au dessus il y a les Primaux. Ceux qui nous ont engendré. Et d'après le papier que vous a tendu le Seigneur Dawnson lui même, ils meurent d'envie de vous rencontrer.
-Pourquoi venir lui même ? J'avais l'impression que la moitié de l'assemblée ne l'avait jamais vu d'aussi prés.
-Marquer le coup. À mon grand regret, vous n'échapperez pas au jeu qui se trame dans notre Aristocratie. Et si les Primaux s'intéressent à vous, c'est que leur ambition concerne plus que notre Comté. Mais pour l'heure, faites comme si de rien n'était et retournons danser. Nous aurons tout le temps pour en reparler au manoir. Loin du bal. »
Svena ne brisa le sceau qu'une fois rentrée. Enfin rentrée. De retour dans la cage dorée. Son cœur battait la chamade. Elle n'était qu'une pauvre enfant perdue, sans famille ni richesse désormais, et des êtres hématophages se mettaient à roder autour d'elle. Pourquoi bon sang ? Pourquoi ?
Au Daedwen les choses étaient simples. Sois mariée jeune, fait des enfants forts et braillards, et assures toi que ton mari ne meurt pas en s'endormant avec un jarret de porc fourré dans le gosier.
Ici la relative quiétude du séjour chez les Cunningdorf n'avait pas duré. Les dirigeants dornois l'avaient mandé. À Ebendorf, la plus grande ville et capitale de Dornoff.
Un immonde tas de boue et de bicoques tout juste bon à être rasé à nouveau, comme en parlait son père. La ville sombre traînait une réputation si infâme dans les différents comtés du Daedwen que l'on évoquait volontiers une nouvelle croisade pour éradiquer le mal à sa racine à chaque nouveau couronnement. Et souhaiter à quelqu'un « d'aller se faire voir à Ebendorf » était le cran au dessus après le plus imagé « va enfouir ta tête dans la neige du Visland. »
Pourtant c'était bien là bas qu'elle allait se faire voir. Et en face d'elle, tout aussi soucieux, Nathanaël parcourait sans cesse la lettre.
« Surtout ne vous en faites pas. Le Conseil ne vous veut pas de mal, sinon ils ne se seraient pas donné la peine de vous convier... »
Le regard de Svena l'incita à abréger sa phrase. Elle se tourna ensuite vers la fenêtre de la carriole. Ils passaient au travers d'un village. Loin du charme de celui des Cunningdorf, les maisons étaient défraîchies, certaines volets étaient couverts de planches. Une paysanne décharnée pas plus jeune qu'elle la toisa avec des yeux noirs. Elle donnait le sein à un nourrisson sur le perron d'une chaumière.
Un homme gueula devant leur véhicule avant de se pousser. Sa mule était probablement plus vieille que les murs de Naventis.
« Mais qui laisse ses sujets dans un état si déplorable ?
-Oh. Tous ici n'ont pas la dévotion envers la gent rurale que je peux montrer, il posa le menton entre son index et son majeur avant d'ajouter, cela tient même plus de la généralité. Tant que les châteaux restent entretenus et qu'un repas chaud et un lit propre attendent les maîtres, ils laissent faire. Et le petit peuple de Dornoff a appris au fil des siècles à ne pas être exigeant.
-Mais le conseil n'intervient pas ?
-Il faudrait qu'il arrive à tomber d'accord pour ça. Dawson en est l'instigateur à l'origine mais autour de lui les instruments ne s'accordent pas tous ensemble. Vous le verrez vite. Il y a le primal Kardwey, qui met son honneur avant la raison, un sacré individu. Un de ses « fils » était au bal souvenez-vous, l'hurluberlu avec ses ogres et ses chimères. »
Elle sourit en y repensant.
« Il avait un charme certain à conter ainsi son histoire.
-Alors vous allez adorer celui d'origine. Il devrait plutôt se montrer conciliant. Pour ce qui est de Calia c'est une autre affaire. Elle ne sort de ses forêts et de son terrain de chasse uniquement lorsque tous l'y obligent. Si mon beau-père juge l'affaire urgente il aura aussi convié Jost et Southampton. Oh eux, ils suivront le sens du vent et trancheront avec ça. Ils font et défont le roi et les lois.
Frankenburg sera peut être aussi là même si il n'a, selon l'avis de tous, pas l'étoffe de son créateur.
-Ils sont eux aussi des primaux ?
-Oh non. Uniquement Dawson, Calia, Kardwey, et Borkrest oui. Surtout, méfiez vous de ce dernier. Il ne paie pas de mine mais il use les siennes à noter, enregistrer, comptabiliser. Lui et les siens griffonnent sur du papier combien de vaches broutent dans les prés du comté à la journée. Pour lui vous n'êtes qu'une note de bas de page. Mais il saura avant vous tout ce qui se trame dans Dornoff, même ce qui sera de votre fait. »
La jeune femme frissonna en observant les bois et les champs dehors, imaginant l'ombre grattant les parchemins avec des griffes pareilles aux roseaux taillés du bureau paternel.
Une ombre qui s'était posé au dessus d'elle.

Le soir pointa et avec lui le temps de s'arrêter. Pas de bourg, de villages, juste un relais. Charles les fit descendre et alla s'occuper des chevaux. Ils passèrent devant un curieux alignement. Des planches enfoncées dans le sol boueux. Sur chacune était fixé un fer à cheval. C'est en voyant un homme à la face endeuillée venir planter un nouveau bout de bois, un fer à cheval dépassant de son gilet de laine qu'elle comprit. C'était des stèles.
Une petite vieille à la peau si tavelée qu'elle ressemblait à une pomme au four dépassait à peine du comptoir. L'intérieur sentait le cheval, les hommes des grands chemins et leur manque de manière et la soupe aux poireaux.
« Oh, messire... Je vais vous faire préparer la meilleure chambre. Mon fils termine une bricole dehors. Pardonnez-nous mais nous veillons un défunt ce soir.
-Ce n'est rien enfin. Tenez déjà ceci, quand mon cocher arrivera, portez lui un bol de soupe, du pain et un vin chaud. Et la même pour ma compagne.
Cunningdorf posa une pièce si brillante sur le comptoir que la tenancière s'empressa de l'inspecter avec la curiosité d'une pie. L’exiguë séjour comprenait des fauteuils épais, deux où roupillaient des laboureurs aux pieds nues, un foyer sur lequel mijotait la soupe, et rassemblés dans un angle, des cochers. Les vestes grises, les bottes montantes, ils restaient taiseux, certains portaient un verre de vin de mûre à leurs lèvres gercées par le froid, les bagarres, le temps.
Il y avait des jeunes, des plus vieux, des trognes en vrac et d'autres plus avenants. La vieille posa deux plateaux sur le chêne avant de disparaître à l'étage pour faire la chambre. L'héritière attrapa l'un des deux plateaux et alla s’asseoir le plus près possible du groupe, et au vu de la taille du relais, cela correspondait à tous les fauteuils restants.
Quelques regards en coin, d'autres en direction de Nathanaël. Des gorgées bruyantes et sirupeuses. Elle réalisa que l'un d'eux priait. Un S de bois entre les mains. Charles fit irruption. « J'peux m'joindre les gars ? » Approbations.
« J'ai vu à l'entrée. Pauvre boug'. C'était un des frangins ?
-Nan. Un p'tit gars. Caleb. Il commençait bien. C'était pas le froid, pas la boue, pas la nuit qui lui f'sait peur. Depuis qu'toi t'as été heu... Le plus bavard des hommes lorgna à nouveau Cunningdorf avant de reprendre. Mis en écurie chaude, bah fallait bien remplacer les pertes. Jébédiah il a calanché dans son pieu l'hiver dernier, Martin a engrossé une bourgeoise et peut p'us faire les courses, donc bah on a r'cuté. Et ces deux dernières années ont été... Sévères. Vindiou que le Seigneur nous garde.
-R'conte Boiteux, ça peut pas et'pire, si ?
Un des gaillards, plus jeune, reprit l'histoire :
-En plus des risques de base, tu connais le métier, on a eu des bandits. Des déserteurs il paraît. Mais comme ils touchaient ni à Ebendorf, ni à Melheim, et à aucun patelin, le guet nous a dit d'assurer seul. Ils en ont eu deux. Mais ils se contentaient de prendre les cargaisons, de rançonner le bourgeois voir de mettre quelques bourre-pifs la plupart du temps. Donc on a fait avec, on a même mit deux gars par chariots à un moment et ça a aidé un temps. Puis les bandits ont disparu.
-Devine par où Charles, le bois aux freux ! »
Svena tourna la tête et fit un léger bond sur son siège. Cunningdorf était assis juste en face, visiblement aussi aux aguets qu'elle.
« Mais qui de sensé traîne dans ce coin-là ?
-Ils fuyaient les cavaliers noirs à mon avis. Bouger, toujours bouger et. Pac !
-Et Caleb alors ?
-C'est simple. Les bandits ont réveillé ce qui rode dans ce foutu bois et qu'on croyait mort. Et ça s'est mit à attaquer les chariots. Pas à chaque fois. Elle est rusée cette bête. Tu peux passer une fois, deux fois, Caleb était à sa sixième course entre Melheim et le domaine des Jost, mais il n'est jamais arrivé. On a retrouvé les chevaux, la carlingue. Pas lui.
-Et les Cavaliers noirs ?
-Rien trouvé. Et le Vieux y a mit la forme hein. Il a grelotté toute la nuit à la croisée des routes. Ils sont venus. Rien. Et si même la mort ne trouve rien alors... »
Ils fixèrent solennellement leur coupe de vin. Svena lorgna sur sa soupe. La soirée serait morne. De temps en temps, un cocher décochait un regard en direction de Nathanaël.
Lassée de tout ça, la jeune femme partit se coucher. Le diaphane lui avait laissé la meilleure chambre. « Ce n'est pas moi qui doit parler au conseil demain. »
Le lit était mou, une odeur de renfermé douceâtre ponctuait la décoration inexistante. À croire que même la chambre veillait ce malheureux.

La suite du voyage fut sans grand intérêt. Des villages miséreux, des champs, des châteaux au loin, parfois une ruine s'élevant entre les blés verts. Tout en jouant avec le lacet pour les rideaux, Svena commenta mollement.
« Le courage qu'il faut pour devenir cocher dans ce monde. Les bandits, les monstres, la pluie...
-Certes. Vivre sur les routes est contraignant mais. C'est une vie. Ne jamais dormir deux fois au même endroit, le ciel comme plafond...
-Attendez, fit une Svena incrédule avec un sourire amusée, Nathanaël Cunningdorf a connu la vie de bohème ?
-Oh il y a tant de choses que vous ignorez sur moi. Je suis plein de surprises.
-Je commence à comprendre ce que Dame Susan a pu vous trouver !
-Alors figurez-vous dame Svena von Brezisky que c'est ma musique qui l'a fait se jeter dans mes bras.
-Vous n'êtes pas sérieux ?
-Ça et quelques sortilèges diaphanes dont vous ne comprendriez pas même leur simple description. »
Ils partirent dans un éclat de rire, dehors le cocher observait se dessiner les plus hauts bâtiments d'Ebendorf.
La ville avait des proportions modestes pour une capitale. Quelques fermes, des tanneries, des porcheries et des teinturiers en lieu et place de faubourgs. Les remparts étaient d'une vieille pierre anthracite encroûtée de mousse sombre. Ils avaient connus plus d'un siège à n'en pas douter.
Les citadins avaient meilleure allure que les fermiers du cru. Les bidasses du guet dans leurs broignes noires observaient avec un air bovin les allers et venus. Ce que Svena retrouvait, surtout, était l'agitation, l'inondation d'informations, d'odeurs, de sons, la vie. Ici un passant discutait avec une femme à la fenêtre, là des gamins devenus bien trop rares grappillaient les fruits tombés des étals de quelques marchands. Des mendiants approchaient les voyageurs en quémandant la charité.
Entre les maisons blanchies à la chaux la cime d'une église se dessinait dans le ciel.
« La Cathédrale noire. Hélas cela fait depuis le temps des Croisades qu'on n'entend plus ses cloches. »
Orskstadt. Oui cela lui rappelait sa ville. Celle qui se déployait à sa vue depuis les tours du château. Comment s'en tirait-elle ? Aussi bien qu'Ebendorf ? Probablement pas.
« Des diaphanes empruntent-ils ces rues ?
-Rarement. Et généralement en palanquin. Ou en carriole. Mon espèce reste friande de l'intimité et de la supériorité d'un manoir pour surplomber la masse. En dehors du château, ce sont bien des humains qui sont les plus riches à Ebendorf. »
Leur véhicule s'arrêta. De nouvelles murailles. Une ville dans la ville. « Simple formalité. »
Des membres du guet aux armoiries de la ville finirent par lever la herse. Deux statues de créatures aussi énormes que disgracieuses aux allures de chauve-souris grotesques et bouffies gardaient férocement l'entrée. Des Denevyrs.
Ici les maisons étaient plus grandes, les façades plus propres et travaillées. Certaines disposaient même de portes cochères.
Mais tout comme la ville haute surplombait le reste de la cité, les lieux étaient écrasés par l'ombre du château. Une forteresse du même acabit que son ancienne demeure, aussi monumentale que dédiée à encaisser tous les sièges. Pas de superbes vitraux, de tours élancées. Des pierres sombres, des meurtrières et des créneaux.
« Le château Brossenhart, du nom de notre ancienne famille régnante. C'était un autre temps. Un temps pour les érudits et les poètes. Passons... Pour notre bien-être mutuel je vous propose de passer cette nuit dans la demeure de vieilles connaissances.
-Parfait alors. »
Le regard de Svena n'arrivait pas à se détacher du château, tout comme les yeux du Seigneur Dawnson lors du bal. La même sensation. Le même froid dans la nuque.
Ils descendirent donc dans la cour d'un de ces hôtels particuliers. Les domestiques s'occupaient des affaires, Nathanaël la pressa donc pour rencontrer les propriétaires.

Une femme d'âge mûr aux cheveux blonds grisonnant légèrement se tenait sur le perron. À ses jambes, alignés comme des angelots, quatre enfants.
« Nathanaël, comment allez vous enfin ? Pardonnez mon mari il est à Melheim pour les affaires. »
Le diaphane lui fit un baise-main avant de sourire.
« Mais ce n'est rien enfin Miranda. Voici Svena von Brezisky. Et comment se nomment ces charmants bambins ?
-Gauvain, Elizabeth, Frédéric et Stanislas. Mère et Raymond sont à l'intérieur. Entrez. Vous êtes donc la Svena dont me parlait Susan dans sa lettre ?
-Hé bien, répondit l'intéressée tout en suivant la maîtresse de maison dans le couloir, j'ignorais que Dame Susan pouvait parler de moi à quelqu'un.
-Oh. Ma mère et elle échangeaient des nouvelles de Thérèse. Vous rendez-vous compte ? L'héritière de l'Orskland nous rend visite à nous. Quel honneur. »
Différentes œuvres d'art ornaient l'endroit, un air de famille avec le manoir des Cunningdorf.
Ils arrivèrent à un grand salon. Une vieille femme chic se leva pour les accueillir. Sur un fauteuil, un homme encore plus âgé somnolait, une couverture sur les genoux.
« Messire Cunningdorf.
-Dame Héléna. Vous êtes ravissante ce soir. Cela faisait longtemps. Si longtemps.
-Vos visites sont toujours un honneur enfin sir Cunningdorf. Pardonnez Raymond, l'hiver a été long et il a besoin de se reposer bien plus qu'avant. Le dîner sera prêt dans deux heures. »
Le vieillard leva un menton tremblant vers les nouveaux venus. Un grommellement incompréhensible s'échappa. Nathanaël se dirigea pour le saluer.
Après les présentations, Svena demanda poliment l'emplacement de sa chambre pour se remettre d'aplomb après le voyage. Miranda délégua la tâche à Elizabeth.
La petite fille la mena à l'étage avec une insouciance toute enfantine. Plusieurs tableaux trônaient sur le mur. Des portraits de famille. Deux jeunes femmes là. Des enfants ici. Mais le plus grand alignait ainsi un aïeul austère, son épouse, de nombreux enfants et des petits enfants encore, l'adolescence déjà passée. Quelque chose était familier. Chez certains d'entre eux. Figés pour l'éternité sur la toile, le regard au loin. Elle plissa les yeux et interrogea sa guide miniature :
« Dis-moi Elisabeth. Qui est représenté sur ces portraits ?
-Alors... récita l'enfant en creusant sous ses nattes blondes, ici c'est grand-mère Héléna avec sa sœur Thérèse. Mais je ne l'ai jamais connu. Là sur le grand c'est nos ancêtres. Les quatre plus jeunes c'est mon arrière grand-père Raymond avec ses frères et sa sœur. Théodore, Cédric et Cassandre. »
Piero Orsone da Trantio, explorateur
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Re: [La plume à Piero] Chroniques d'un Monde en Déclin

Message par Piero Orsone »

Chapitre XXVI : Les Ruines

On perd vite la notion du temps sous terre. Mis à part le duvet qui couvrait ses joues, ses cheveux qui s'allongeaient et la crasse qui s'émiettait sous ses ongles, Quentin n'avait aucun repère pour dater depuis quand il errait en compagnie des Nains. On se reposait quand ils le décidaient, on avançait quand ils le décidaient.
L'Obscurité torturait ses pauvres yeux ainsi que le moral des humains de la troupe. Ils avaient déjà côtoyé les Kormers eux, mais ici c'était leur élément. Dans les fortins nains à l'abandon, dans les relais, parfois même dans les tunnels, ils étaient là, surgissant de leurs campements pour les recevoir à coup de lances et de cris aigus.
Un jour, enfin, à un moment, tout en mâchant sans entrain du mouflon séché et en ingurgitant de la soupe de champignons, Quentin interrogea ses sauveurs :
« Pourquoi se risquer ici ? Je veux dire. Vous l'avez dit vous même prince Tralduin, ce n'est pas pour l'argent. Pas pour un titre. Pourquoi risquer tout dans des lieux aussi désolés ?
-Pour la gloire ! Mugit Baldrin. Il faut bien ajouter nos noms à la liste des glorieux héros nains.
-Je suis là pour protéger le prince, fit Snorit en raclant son bol bruyamment.
-Le prince et moi même sommes là pour récupérer des artefacts, expliqua Folka. Tant d'objets uniques, historiques, inestimables ont été perdus avec l'abandon du Kraz-Penez. C'est un devoir pour les Nains que de les récupérer.
-En effet, confirma le chef de l'expédition. Si il n'est pas encore possible de reprendre ces montagnes, tâchons au moins de ne pas laisser l'héritage de notre peuple entre les griffes des Kormers et des pillards. »
Alec, le chef des mercenaires, s'indigna :

« Pillards, pillards. Le mot est fort. On crève nous dehors. Je ne sais pas si vous le remarquez du sommet de vos montagnes, messires nains. Avec le respect que je vous dois. Mais du Visland à Bretta j'ai vu la même misère ! Des villes en ruine ! Des campagnes désertes ! Des gens nous suppliaient de prendre leurs gosses pour qu'ils ne meurent pas de faim ! Les rois se sont murés dans l'attente. Que ces temps troublés passent. Plus d'une décennie et ça ne change en rien. Et qu'on fait les Nains ? Nos alliés face à l'adversité nous disaient-on ! »
Snorit et un autre garde du prince s'avancèrent mais ce dernier les retint. Il semblait avide d'entendre la suite.
« Regardez le gosse ! Il a passé une vie entière devant une porte à attendre avec tous ces clampins. À espérer comme toujours que les Nains viendront sauver les Aderniens. En vain. Partout vos cités ont fermé leurs portes. Et pourquoi ? Qu'est ce qui est pire que notre fin ? À quoi servira l'or de vos rois hein ? 
-À rien. »
Tous se tournèrent vers le dernier interlocuteur, celui qui était resté à brosser les rhinocères près du chariot. Bodroff. Il prit le temps d'allumer sa pipe et poursuivit :
« Ce que les Hukars ne comprennent pas. C'est que nous aussi avons notre propre fléau. Notre ambition. Notre orgueil, notre avidité. Et notre peur. Les Stoikars sont peu en ce monde. Vous les Hommes, vous vous êtes répandus, partout vous avez défriché les bois, planté le blé, vous avez installé vos colonies. Votre crainte de disparaître est soudaine, imprévue, et elle a mit votre monde à genoux. Les nôtres le sont depuis trop longtemps. Face aux Kormers, aux nuages de la guerre civile, aux mouvements des elfes à l'Est. Les Nains se sont retranchés. Ils attendent, comme vos rois. Et au milieu de cette morne fin, il y a les gens comme moi. Tunnelier. Choisi pour tracer la voie au travers de nos anciennes cités. Pour ne pas perdre le contact entre nos villes et nos gens. »
Il s'avança avant d'attraper un morceau de viande.
« Votre soubresaut de dix ans là, votre pet de travers civilisationnel. Vous vous en remettrez. Car les Hommes survivent à tout. Notre trouble lui, dure depuis plus longtemps et je n'en vois pas la fin, comme de ces galeries. »
L'ambiance fut encore plus maussade après. Les nains et les mercenaires se jetaient des regards mauvais de part et d'autre du chariot. Quentin lui observait les statues des guerriers de jadis, ceux qui gardaient la voie. D'après les bribes d'informations du prince, après la dernière colonie qu'ils approchaient, ils repartiraient vers l'Est et les Monts du Mur.
Quelque chose turlupinait les aventuriers nains à mesure qu'on s'approchait de Kraz-Hinz, la Racine de la montagne. Les tunnels débouchaient sur de plus grands, la porte intérieure de la ville était au fond des ténèbres mais elle serait bientôt à portée.
« On est plus proche de la capitale d'Adernia, pourtant aucun terrier de Kormers en vue. Ca aurait dû leur faire une bonne base... »
Folka elle, regardait des inscriptions gravées à la hâte en fronçant les sourcils. Quentin la questionna :
« Ce sont des runes. Notre Alphabet. Il y a les runes chiffrées qui nous servent à écrire. Et des runes qui représentent une idée. Celles-là sont plus anciennes. C'est notre Dieu qui enseigna comment lier les flux de magie aux symboles afin de donner à ces idées des pouvoirs. C'est une discipline d'autant plus prestigieuse que le savoir des runes demande de remonter à l'aube des Stoikars. 
-Mais là, qu'est-il écrit sur les murs alors ?
-Des mises en garde. »

Il y avait les imposants gardiens de pierre à l'entrée de la ville close. Les lanternes du chariot parcouraient la surface de pierre, surveillant nerveusement que rien d'hostile n'occupait les lieux. Mais les sentinelles étaient aussi silencieuses que la pierre qui les composait.
Les nains s'attelèrent donc à ouvrir la porte. D'antiques mécanismes grincèrent, tirés de leur repos séculaire, s'activant en laissant tomber des monceaux de poussière lourds comme des briques.
Alec s'exclama : « Depuis quand avez vous déguerpis d'ici ?
-La Racine n'a plus d'habitants permanents depuis des siècles. Elle n'était déjà plus approchée bien avant l'abandon du reste du territoire, grommela Bodroff. Pas vraiment un mal d'après moi. Cet endroit suinte autant l'humidité que les mauvaises choses du passé. »
Le chariot avança doucement. La poussière était si épaisse dans les maigres rayons de lumière des anciens puits qu'ils avaient la sensation de marcher dans le fond d'un lac. Des carcasses de pierres aux fenêtres vides comme des orbites dominaient l'endroit.
On se sépara en petits groupes pour couvrir l'ensemble de la cité. Folka cherchait d'autres runes, Quentin tenait la torche. Elle était si excitée qu'il se retrouvait à trotter après une longue natte brune armée d'une arbalète. Ils passèrent sous les arches d'un aqueduc brisé, traversèrent des Halls silencieux. Comme le monde dehors, tout était retourné au silence et à l'oubli, tout sombrait sous la mer de poussière.
En pénétrant les salles des forgerons où le métal terni attendait tristement qu'on vienne le façonner, elle attrapa quelques vieilleries.
« Les lieurs de runes étaient extrêmement nombreux à Kraz-Hinz. La magie qui affluait du nord se déversait ici. On y produisait des armes enchantées reconnus sur tous les continents...
Puis plus rien. Les lieurs de runes se sont dispersés dans les empires jumeaux. Et la racine s'est recroquevillée, elle a flétrit. »
Des corridors descendaient vers les niveaux inférieurs. Les débris étaient de plus en plus nombreux, ces tunnels n'étaient pas sécurisés. Creusés pour quelques fonctions avant d'être abandonnés. Les avertissements étaient de plus en plus nombreux. Ils cheminèrent un moment. On n'entendait même plus le reste de l'expédition. Une heure au moins s'écoula. Jusqu'à ce qu'apparaisse une lueur répondant à leur torche. Des runes. Inscrites sur la plus grande enclume que Quentin n'avait jamais vu. Folka s'approcha, fascinée.
« Elles irradient encore de puissance. Regarde ça Quentin. » En passant la main dessus, elles la repoussaient presque. Toute l'enclume en était bardée. Elle était plus grande que Folka, à lui elle atteignait les épaules.
« Mais à quoi servait-elle ?
-Attends. Je déchiffre. Elle est ancienne. Bien plus ancienne que tout ce que j'ai pu lire. »
Il se sentait mal à l'aise en l'observant. Les lieux étaient froids et morts. Folka s'efforçait de comprendre ces inscriptions.
« Là ça parle de forge. Assez logique. Mais ça ne s'enchaîne pas. Ici c'est une rune qui parle de la vie. Mais la vie en général ou la vie de quelqu'un. Là ça parle de nouveau. Non. De renouveau. Si on met tout bout à bout... L'enclume pour forger la vie. C'est pas exacte. Attends. Voilà. C'est l'Enclume pour recommencer à nouveau. Pour recommencer à nouveau la vie. »
Folka blêmit un peu et ajouta :
« Celui qui frappe l'enclume provoque la fin de l'ancien afin de permettre l'avènement du nouveau. »
Piero Orsone da Trantio, explorateur
Profil: For 11 | End 10 | Hab 10 | Cha 9 | Int 9 | Ini 10 | Att 10 | Par 9 | Tir 10 | NA 1 | PV 80

Lien: wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_piero_orsone_da_trantio
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"Ma qué ?!"

Tu vuo' fa' ll'americano
mericano, mericano...
ma si' nato in Italy !

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