[Dark Fantasy] La Chronique des Nécros

Où s'écrivent les histoires, hors du temps et des règles compliquées du monde réel...
Répondre
Avatar du membre
Mathiarc
PJ
Messages : 0

[Dark Fantasy] La Chronique des Nécros

Message par Mathiarc »

Salutations à toi qui lis ce message !

J'ai commencé l'écriture d'un roman de Dark Fantasy nommé « La Chronique des Nécros » et j'en suis rendu à la moitié. Le but de ce message est donc de trouver de vaillants lecteurs pour juger ma production et ainsi avoir des retours.
Je précise que cette histoire n'est pas liée à l'univers de Warhammer Battle même si c'est une source d'inspiration, bien sûr.

Voici le pitch de base :
Les Nécros, le peuple des ressuscités, des non-morts, des nécromanciens est de retour sur ses terres après avoir été chassé durant 400 ans par les Aragtis, une race d'araignées géantes qui les a obligé à s'exiler dans les territoires des Sudrabs, les Hommes du Sud. Ils rêvent de restaurer leur Empire déchu, mais en trouvant refuge chez les Sudrabs, ils durent se soumettre à ces Hommes du Sud. Une nouvelle aube se lève pour les Nécros qui ont retrouvé leurs terres natales mais l'ombre des Sudrabs les domine tout autant que leurs pulsions. Quelle destinée pour ce peuple confronté à une nation qui les surplombe et aux querelles internes pour le pouvoir

J'utilise une narration polyphonique, c'est-à-dire qu'il y a plusieurs narrateurs et qu'ils parlent tous à la première personne. Je me suis inspiré de la narration utilisée par Alain Damasio dans la Horde du Contrevent et les Furtifs pour ceux qui voient de quoi je parle, sauf qu'au lieu de mettre un symbole pour dire qui parle, j'ai préféré le sous-entendre par des références au sein de la narration. Chaque saut de ligne, chaque nouveau paragraphe est ainsi une indication de changement de narrateur, ce qui intervient à partir du Fragment II, soit la 2e partie du chapitre 1.

J'espère que j'ai été assez clair mais si vous avez des questions, n'hésitez pas !

Voici le texte ! :
La Chronique des Nécros

« A ceux qui rêvent encore de nos racines, vibrez encore une fois au souvenir trépassé de notre mémoire déchue. » Lhotar l’Immortel, an 1650 après la Chute.
[Partie I : Bazilstal le Bâtisseur et le rêve d’Empire

Chapitre 1 : Une nouvelle aube

Fragment I
« Empire, tant de sang pour un simple mot. » Anonyme


L’astre rouge sang commençait à se lever, un orbe de lumière qui succédait à l’obscurité d’une nuit de quatre cents ans, une éternité d’exode et d’oubli avant de redécouvrir notre monde, de renaître chez soi. Cette maison que l’on avait abandonnée était de nouveau à nous, à notre peuple, aux Nécros. Le fardeau de l’éternité avait permis aux Premiers Nécros, de survivre dans le monde des Sudrabs, le peuple des déserts de sable et d’eau. Une survie où la mémoire d’un ancien monde avait cédé la place à la quête du sang, à sa recherche coûte que coûte dans un pays qui nous était étranger et qui devait le demeurer à jamais.
Nous étions les créatures des tentes et des camps de la frontière, où nous regardions les montagnes et les forêts de l’autre côté, vers ce monde mythifié, glorifié. Mais aujourd’hui nous rentrons chez nous, comme pour mettre fin à une longue pause que de futures générations vont chercher à oublier, pour se construire une nouvelle mémoire, un nouveau monde qui succède à un ancien, perdu, mêlé aux mythes et aux légendes d’un peuple, qui a oublié son histoire, son passé pour en effacer sa honte, son déshonneur.

Je regarde ceux qui nous ont chassés de nos terres, la raison de notre exode, je les regarde dans cette boue qui se teinte de vert. Une masse inerte, une lance d’onyx plantée dans le crâne de l’insectoïde, un Aragtis, un Nécrocide, un envahisseur, l’allégorie de notre haine. Son corps pourrait se résumer à ses huit pattes surmontées d’une pince de vingt centimètres, un rasoir pouvant découper un homme en deux. C’est un monstre fait pour le combat et qui ne vit que par la guerre, qui ne vit que pour tuer. Dans la boue, inerte, on pourrait presque avoir des sentiments pour lui ou pour elle, si l’on n’oubliait pas les horreurs, les massacres, que depuis plus de quatre cents ans, les Premiers Nécros nous racontent.
Je tourne autour avec mon cheval, mes yeux inspectent chaque millimètre carré de son corps, comme pour le disséquer, pour mieux le comprendre. Je fais cela depuis le début de la Reconquête, en me demandant toujours si ces êtres ont une âme, des sentiments, s’ils pensent, s’ils parlent, s’ils savent pourquoi ils sont ici, s’ils trouvent un sens à leur existence. Un Aragtis peut-il aimer ? Est-ce que le génocideur peut comprendre ce qu’est la valeur de la vie ou même son essence?
La masse inerte à mes pieds semble être comme un échantillon face aux centaines de milliers de créatures étendues dans les marais de Mareist. Une armée inerte, plongée dans la corruption vaseuse qui la recouvre, comme pour mieux la préserver, comme pour mieux conserver leur présence, leur contamination de notre terre sacrée. Une dernière insulte, un dernier coup de poignard dans notre cœur déjà asséché par le désert. Les Aragtis nous ont pris notre terre et les Sudrabs notre âme, il ne nous reste que notre corps, ce cadavre aux besoins primaires qui ne connaît que la soif éternelle. Notre espoir est que la nuit où nous planterons notre drapeau sur cette terre, nous serons purifiés de tant de décadence et que les Premiers Nécros qui ont connu la période de l’exil seront remplacés par des Nouveaux Nécros, purs, purgés de la honte qui embrase notre âme malade.
Bientôt je suis presque seule sur le champ de bataille, entourée par les vautours et les quelques Sudrabs qui récupèrent des mandibules et des têtes, pour les afficher dans leurs demeures de toiles et de briques, dans ces cités maudites du Sud, dans ce pays qui se prend pour notre seigneur, pour notre maître. Ils se baissent, des bandeaux de tissus leur barrent le visage pour ne pas sentir l’odeur putride du sol infesté par la corruption aragtine. Les Sudrabs, les gardiens de l’humanité, les Hommes du Sud, leurs corps si fragile et si sanguin a toujours été notre tentation, notre désir. Mais notre exil en leur terre n’a été possible qu’à la condition de l’impossibilité de ce désir. Tout d’un coup, je vois un vautour s’approcher de moi pour grignoter les yeux de l’Aragtis aux pieds de mon cheval. Ma soif implore alors mon corps d’agir. D’un coup rapide de lance, le vautour finit enfourché au bout de la pique métallique. Le vautour sert à me camoufler des premières lueurs du jour tandis que le sang tombe au sol. Quelle perte que de voir ce sang couler, se perdre dans les flux emplis de corruption. Mais j’ai résisté au sang animal ! Plus l’on se rapproche de la victoire, de l’autonomie et plus je regagne ma part de nécronité, ma part bestiale diminue progressivement, les vagues en emportant le sang du vautour, entraînent aussi les forces qui alimentent la bête en moi.
Tous sont partis voir la mer, cette masse d’une substance noire que tous préfèrent voir turquoise, comme pour masquer la contamination, la corruption de celle-ci, par nos génocideurs. Une immensité qui reflète cette aube sang, une immensité qui étend le message secret que nous adresse le Dieu Nécros : Hel. Un message marqué dans cette masse noire mais aussi dans les rejets verts de nos ennemis qui forment les caractères sur cette page noircie :« Les Nécros se sont relevés ». La mer semble s’étendre à mes pieds, le vert du sang de nos ennemis plonge dans la mer comme si cela était naturel, comme s’il en allait ainsi depuis toujours. De petits fleuves côtiers convoient ces fluides vitaux vers leurs terres natales, vers leur pays. C’est notre message de mort, notre marque, notre début de vengeance.
Je m’avance vers les autres, vers les nôtres, les soldats de la Légion de sang, la légion des exilés, des parias, des Autres, des Yeux rouges, des Buveurs de Sang, des Étrangers, mes frères et mes sœurs qui ont donné leur vie et leur sang pour libérer nos terres. Au milieu, notre chef, notre Roi se tient debout sur un promontoire, il semble contempler l’horizon. Bazilstal tourne le dos à nos alliés et maîtres, les Sudrabs. Le vent marin fait flotter ses cheveux noirs tel un drapeau claquant dans les airs. Ses yeux rouges, la marque des Nécros brûlent comme le soleil qui se lève. Ses rayons nous affaiblissent mais Bazilstal reste en pleine lumière, comme pour que les rayons consument sa chair et qu’un nouvel être ressorte d’entre ses cendres. A la vue de cette icône, je ne puis que me dire : voici un Roi que rien ne pourra rassasier, le monde entier serait trop peu pour un Nécros de son rang.
Mais tout d’un coup, une colonne de couleur sable et dont la clameur concurrence le bruit de la mer arrive vers nous, elle monte pour réclamer son dû : le renouvellement de notre servitude contre le retour à notre patrie.
Bazilstal se retourne vers Kaélo XVIII, l’Empereur sudrabs, le Dieu-Sable, celui qui règne sur un continent entier et sur des millions de serviteurs. L’Empereur, un homme corpulent, dont les bourrelets ressortent d’entre sa tunique ocre, a ce regard si particulier des chefs sudrabs, ce désir de contrôler, de dominer. Sa tenue très austère contraste avec son rang. Sa puissance et sa richesse ne se montrent pas par ses vêtements mais par son corps qui amasse. Son ventre est son coffre-fort. Certains critiquent son air presque idiot, le surnommant le Gros, l’Énorme mais tout ceci n’est qu’une diversion pour faire oublier l’intelligence de l’homme, sa capacité à manipuler, à attendre son heure et à frapper avec justesse, à déplacer ses pions pour finalement gagner. Dominer est son ambition, son credo, la façon dont son espèce survit.
Notre chef le regarde de ses yeux rouges, il le domine sur son promontoire, son épée d’onyx dans sa main gauche. Il la jette aux pieds de l’Empereur avant de s’avancer vers lui :
– Voici votre dû. Mon peuple vous remercie.
– J’apprécierais plus que des remerciements, votre armée s’est bien battue mais il me semble que tous les Nécros n’ont pas pris part au combat. Leur présence aurait épargné bien des vies sudrabs.
L’Empereur avait prononcé ces mots avec une telle condescendance qu’on pouvait presque sentir le bouclier émotionnel de notre chef craquer. Mais rien ne transparaissait sur son visage, aucune envie de meurtre. Une telle retenue était rare parmi les Nécros, encore plus parmi les plus puissants d’entre-nous.
– Certains ne le pouvaient pas, ils n’étaient pas en état de le faire correctement, ils ne voulaient pas être un fardeau.
– Mais si ce sont des fardeaux, pourquoi devrais-je accepter qu’ils vivent sur mes terres, votre seule existence tient de la guerre alors pourquoi conserver des éléments non utiles ?
– Car ce sont des Nécros qui méritent le droit de rentrer dans mon Royaume. Ils ne se sont certes pas battus mais ils ont participé à notre victoire. Ce sont les mains qui portent les soldats, les soutiennent. Ce sont eux qui soutiennent votre voracité morbide.
– Surveillez votre langue, vous n’êtes rien, ne l’oubliez jamais, je suis votre maître et vous me devez respect et obéissance, ceci n’est pas votre Royaume mais ma dépendance. En acceptant de rentrer dans mon Empire, vous avez accepté notre tutelle et par ce fait même j’ai légèrement modifié l’arrangement que mes ancêtres ont convenu avec votre...peuple.
Il regarde alors son messager à sa droite et lui fait un clin d’œil discret. Le héraut est un homme presque obèse dont le regard transpire l’intelligence. C’en est presque un clone de l’Empereur, sa doublure, son miroir. Au signe il déroule le long parchemin attaché à sa ceinture d’émeraudes mêlées à du cuir :
« Au nom de Kaélo XVIII, Empereur-Dieu des Sables et maître des Nécros. Dans sa grande bonté, nous octroyons, aux soldats de la Légion de sang ayant combattu lors de l’extermination des Aragtis présents sur les terres légitimes de l’Empereur, qu’ils puissent vivre sur les terres septentrionales de son Empire, entre les collines de Kaélo X au sud et la Mer Maudite au nord, entre les montagnes de l’Ombre à l’ouest et les monts d’or à l’est. Les Nécros n’ayant pas participé aux combats devront partir des terres sudrabs avant la prochaine aube. Que le règne de notre Empereur dure mille ans et que notre ombre embrase le monde. »
Lorsque le messager eut fini, il jeta le rouleau aux pieds de Bazilstal avant de lui sourire, comme pour lui signifier que le messager de l’Empereur était plus important que celui qui se prétendait être le Roi des Nécros. Holtar l’Ancien, le commandant de la Légion de sang, brandit alors son épée double d’onyx face au messager tout en regardant l’Empereur d’un regard flamboyant :
« Vous êtes un traître à votre parole et à votre sang, vous n’avez aucun honneur. Vos mots sont du vent et votre puissance est un mirage. Vous venez ici en maître mais jusqu’où s’étend votre puissance ? Vous osez vous appeler le conquérant mais qu’avez-vous conquis de votre main si ce n’est que du papier : un titre de propriété, cette terre, nous l’avons libérée avec vos hommes, avec de valeureux soldats, pas avec vous, cruel observateur surveillant les mouvements des troupes et contemplant la mort d’un regard amusé. Votre perversité est votre plus grande qualité, vous êtes un lâche sur un trône d’or que la consanguinité vous a octroyé. »
Le visage de Holtar se teintait de rouge tant il hurlait face à l’Empereur, les gardes du corps de celui-ci se tenaient prêts à l’arrêter mais l’Empereur lui-même tendait les bras pour les empêcher de bouger. Il s’amusait du spectacle, le sourire béat alors que la sueur perlait sur son front. Je le regardais à une dizaine de mètres, je le disséquais comme l’Aragtis. Les Sudrabs sont-ils les remplaçants de ceux-ci, sont-ils nos nouveaux ennemis ? Cette évidence était présente dès l’origine, dès que les Premiers Nécros ont mis pied à terre dans ce pays.
Notre sort est scellé et dépend de cette créature qui n’a trouvé pour fuir la solitude, que de se repaître de la déception, de la douleur et de la mort, c’est un homme qui aime voir la violence et qui l’attise. Il joue avec elle, c’est de là que vient sa puissance et du profond respect que les Sudrabs lui vouent : il les protège en devenant une cible : l’Empereur cruel ne peut qu’être mis en perspective qu’avec un peuple malheureux et bon. S’il y a du mal chez les Sudrabs c’est à cause de l’Empereur et il devient ainsi l’Empereur du Mal et du Vice dans le pays du Bien et de la Vertu.
Cet Empereur n’a que faire du chef d’une légion, car il en contrôle des centaines, il n’a que faire de quelques milliers de Nécros, car il a des dizaines et des dizaines de millions de sujets. Ainsi, face à la puissance universelle et mauvaise, Holtar ne peut qu’attaquer non pas l’empereur en tant que tel mais l’homme derrière le masque, la fragilité de la vie humaine. Mais face à Kaélo, cela est vain car l’homme n’existe plus tant il est devenu une caricature du pouvoir et qu’il savoure cela, il veut être le Mal victorieux en personne et il ne tolère pas de concurrent.
« Holtar l’Ancien, commandant de la Légion de sang, vous n’êtes rien. Vous avez vécu plus de quatre cents ans dans le sable, rongé par les vers et autres créatures, c’est moi et mes ancêtres qui vous ont sauvé des griffes des Aragtis. Ne voyez-vous pas notre générosité, notre bonté ? Je n’ai pas trahi ma parole, je permets aux Nécros de retourner sur leurs terres natales, de revoir leurs forêts. Qu’ai-je donc bafoué pour que vous explosiez de rage et de haine, un commandant ne doit-il pas être modéré et calme ou bien votre grande sagesse vous aurait perdue ? Acceptez ce que je propose ou bien partez. Les Nécros n’ayant pas combattu pourront aller à l’est des Monts d’or, dans le froid des steppes, c’est ma seule demande. Il est temps pour moi de partir vers des affaires plus sérieuses. Mon messager, Johor sera mon ambassadeur, vous devriez bien vous amuser ensemble. N’oubliez jamais qui est le vrai maître sur ces terres, vous restez mes vassaux et vous me devrez vos services, si j’en trouve une utilité. Bon vent et que notre amitié dure encore quatre cents ans, chers sujets ».
Lorsque l’Empereur partit, les Nécros se regardèrent, s’inspectèrent avec la mêm
[/align][/align]e question : se battre contre l’Empire pour que tous les Nécros accèdent à la patrie perdue, ou bien s’agenouiller ? Ne sachant que faire, on se tourna vers Bazilstal. Celui-ci était retourné vers la mer pour réfléchir. Il était assis en tailleur sur un vaste rocher encore recouvert par quelques gouttes des récentes vagues de la marée haute. Le soleil était presque à son zénith, la pire heure du jour pour les Nécros, l’heure de la folie et de la mort, le corps pouvait généralement survivre aux rayons mais c’était l’esprit qui était le plus vulnérables aux attaques des rayons lumineux. Plus les siècles avancent et moins la lumière nous est mortelle, cela est le signe de notre évolution, de notre capacité en tant qu’êtres de la nuit à pouvoir dorénavant conquérir en pleine lumière. Mais les plus anciens, les Premiers Nécros demeurent fragiles face à cette lumière qui aveugle l’esprit.
Notre Roi, abrité sous un vaste drap ne semblait pas être inquiet. Ma position ne me permettait pas de lui parler, je ne pouvais que l’observer de loin, comme un voyeur se demandant si sa cible savait qu’elle était regardée. Bazilstal avait l’apparence d’un jeune homme, les cheveux mi-longs noirs, tombant légèrement sur une armure tout aussi sombre, renforcée d’acier qui scintillait sous le soleil. Une vaste aura se dégageait de lui, une sagesse infinie venant des Premiers Nécros. Un homme déchiré en quête d’un passé oublié réfléchissant à l’avenir d’un peuple qui lui fait confiance.
Bazilstal n’a jamais apporté de réponse, c’est le commandant de la Légion de sang, Holtar l’Ancien qui s’en est chargé en prononçant le bannissement de tous les lâches. Le mot était lâché, non vraiment comme une insulte mais comme une nécessité contraignante, il fallait le dire, qu’importe le prix. Des larmes perlèrent sur les joues de Holtar l’Ancien, car il savait qu’il venait de perpétrer un crime odieux envers une partie de son peuple. Il avait agi pour la majorité au nom du principe de la survie du plus grand nombre face à la mort égalitaire.
Le campement de fortune installé près du champ de bataille était dans une effervescence que mes yeux centenaires n’avaient encore jamais vu. Des centaines de Nécros étaient en train de se préparer pour un long et difficile voyage au-delà des montagnes, en longeant la côte pour se guider et trouver un chez soi dans une région inconnue, un endroit dont les mythes nécros ne parlaient jamais. Ces hommes et ces femmes étaient pour la plupart, des révoltés de la Légion de sang qui refusaient la discipline et la domination des Sudrabs, beaucoup étaient lassés du poids des guerres anciennes, des guerres de clan entre Sudrabs, du matage des révoltes de fermiers en colère, de massacres préventifs ordonnés par Kaélo XVIII et ses ancêtres. J’aimais les appeler les Libres face aux Courbetteurs, nom dont j’affublais ceux qui comme moi, servaient les Sudrabs. Chaque courbette était un rappel de la domination d’un Empire dont on n’avait idée de la taille, mais plus encore, de comment il pouvait rester uni aussi longtemps.
Beaucoup des non-combattants étaient des pacifistes qui voulaient juste être libres chez eux, s’occuper de leurs maigres terres, faire de l’artisanat, écrire des histoires. Ils furent rejoint le long de leur voyage par d’autres révoltés, plus radicaux, des parias qui étaient partis loin des terres Sudrabs et Aragtis mais qui étaient revenus depuis plus d’un siècle du fait de leur échec à ne pas avoir su trouver leur autonomie. Ils passaient leur existence à nous observer à distance. Plus particuliers, on trouvait aussi les Enfants nécros, des êtres ressuscités alors qu’ils étaient enfants ou adolescents. Leur condition éternelle de faiblesse physique faisait qu’ils étaient le plus souvent mis à l’écart ou du moins oubliés, certains les appelaient la Secte des Oubliés. Chaque fois que j’en voyais un, je pensais au nécromancien qui avait choisi de ressusciter ce corps et de la raison de cela. Je pense dans ces moments-là, au conte de Lukas que m’a raconté un Enfant nécros il y a bien longtemps alors que j’errais avec ma troupe dans le Désert profond :
Une nuit, un Nécros du nom de Lukas rencontra un jeune garçon qui coupait du blé dans un champ, alors que ce dernier s’était coupé la main gauche, celle-ci était étendue à ses pieds, la douleur était immense sauf que le garçon ne criait pas, il regardait sa main seule, inerte, sans rien dire. Lukas est venu à ses côtés et lui a bandé son moignon avant de lui demander s’il avait mal. L’enfant lui répondit que jamais il n’avait mal, pas même lorsque son père et sa mère le frappaient. Lukas examina l’enfant mais ne trouva rien d’anormal. Il raccompagna l’enfant jusque chez lui, sauf que personne ne s’y trouvait, justes deux corps, un homme et une femme étendus, une hache dans le crâne, chacun mort depuis plusieurs semaines. L’enfant servit de l’eau à Lukas mais le nécromancien refusa, l’enfant le regarda alors et s’exclama : « Je le savais ! Vous êtes un Non-mort, un Immortel » puis il s’assit, buvant son eau. Le nécromancien prit l’enfant avec lui, dans l’espoir de l’éduquer, d’en faire son apprenti, car Lukas était un maître très reconnu, sauf qu’aucun Nécros ne voulait apprendre avec lui, on le soupçonnait de torturer ses élèves, de les pousser dans des limites que les Nécros ne pouvaient accepter, on l’avait alors isolé, près des hommes. Lukas et l’enfant firent route ensemble durant deux ans avant d’arriver à Driaroth, la capitale des Nécros, là, Lukas présenta l’enfant humain. Celui-ci pouvait ressusciter les morts alors qu’il n’était pas Nécros, Lukas le présenta comme un béni de Hel. Le Conseil y vit une abomination et ordonna son exécution immédiate, l’enfant fut tué et Lukas fut banni à jamais. Cependant, par une nuit sans lune, Lukas revint dans la capitale, il longea les murs des palais impériaux avant de pénétrer dans une cour pavée, de là, il entra dans un passage souterrain menant à une crypte, dedans, il marcha face à des milliers de cadavres étalés sur les murs avec au-dessus, un descriptif : date de la mort, poids, taille, origine. Tout au bout, on trouvait les cadavres d’enfants et les fourneaux pour les brûler. Au milieu, assis en tailleur sur le sol, un enfant auquel il manquait la main gauche, regardait les flammes des fourneaux. Sans se retourner, il prononça d’une voix caverneuse : « Je vous attendais maître, il semble que votre sort ait marché, cependant, il convient de vous rappeler que je suis ici pour une bonne raison et vous aussi ». Lukas regarda sa créature et rit intensément, son succès était devenu son objet de prestige, son acte de gloire mais avant de comprendre le sens de ce qu’il avait fait, l’enfant lui brisa les deux jambes à coup de tissons, le sang se répandait sur le sol, glissant vers les fourneaux. l’enfant lécha le sang qui coulait et planta ses tissons dans le cœur de son maître. Avant de partir de la crypte, il laissa un message écrit en sang sur les fourneaux : « Je suis maître parmi le divin et je ne serai l’esclave de personne, pas même des miens ». Il prit le nom de Lukas et disparut sans laisser de trace.
Je me demande toujours ce qui lui est advenu, je l’ai longtemps cherché parmi les exilés, de même que j’ai cherché la véridicité de cette histoire mais je n’ai jamais obtenu de réponse satisfaisante. Un Enfant nécros m’a dit une nuit que Lukas existait et qu’il était un Demi-Dieu, celui des Enfants Nécros et qu’il les guidait, qu’il les observait depuis les étoiles, mais aussi depuis les montagnes et les collines, qu’il était le Tout, celui entre deux mondes : entre la naissance et la mort, qu’il était la perfection de Hel, son enfant chéri. Qu’il était le voyageur insatiable, parcourant le monde à la recherche des Enfants nécros, des Élus de Hel et qu’un jour, ceux-ci prendront le pouvoir et répandront le sang de toute l’humanité en une mer rouge où les Élus navigueront avec Hel, Lukas guidant le navire sur un monde de mort et de désolation. Un paradis sur cette terre impure que seule la pureté du sang pourrait nettoyer.
Cependant, je repense au sang des Aragtis, à leur impureté. Seul le sang humain est digne des immortels et des dieux, pourquoi cela ? Certains disent que ce sont nos reflets, nos ombres sans profondeur, qui ne vivent que parmi les images et les mirages. De cela, leur sang serait une page blanche où nous imprimerions toute notre subtilité, toute notre supériorité, nous donnerions une nouvelle dimension à cette feuille. Mais d’autres disent, qu’au contraire, nous sommes les ombres…Les deux se trompent sûrement, en vérité, nous ne savons rien de notre monde, nous ne nous connaissons pas. Cela fait plus de cent ans que je respire et pourtant, je ne sais pourquoi mon corps a besoin d’air en plus du sang. Tant de choses restent des mystères que nous pourrons peut-être un jour élucider. Notre immortalité n’est-elle pas cet espoir ? Nous avons le temps de nous connaître, ou du moins d’essayer. Et pourtant, le temps semble toujours nous manquer, comme si nous étions au milieu d’une mer déchaînée, sans base solide où nous maintenir, alors que l’on cherche à garder la tête hors de l’eau. Ne serions-nous pas condamnés à une existence faite d’espoirs brisés, tel le rescapé d’un naufrage qui tente de rejoindre la terre ferme, sans succès. Après tout, pourrions-nous vivre dans le monde réel qui n’est pas tronqué par notre esprit ? Ne faudrait-il pas se satisfaire du monde des images et des espoirs vains, du monde enchanté plutôt que désenchanté ? Si certains veulent donner une dimension à cette feuille de papier, moi, je pense qu’au contraire, il faudrait la brûler et incarner les cendres, faire place à ce qui est presque indestructible. Une pluie de cendres n’est-elle pas le plus beau des spectacles ?
A la tombée de la nuit, une colonne de centaines de Nécros quittait le camp, tandis que les autres festoyaient dans leur maison retrouvée. Ils fêtaient pour oublier ces visages aussi bien amis qu’ennemis. Moi je me sentais comme un spectre, plongé entre deux mondes, une partie de moi voulait rejoindre cette colonne du nouvel exode et l’autre partie, souhaitait prendre part aux réjouissances du camp. Mais une troisième envie l’emporta. Je pris mon cheval et partis loin vers le sud-est, dépassant le camp, chevauchant à travers les forêts, traversant les rivières sur plusieurs nuits et jours avant d’arriver à ma destination : Driaroth.
Tout le long du chemin, j’imaginais à quoi elle ressemblait maintenant, à ce qui était demeuré des mythes et ce qui avait disparu. Je visualisais les doubles murs et les lourdes portes barrées d’acier, je m’imaginais les palais impériaux construits et agrandis par des centaines d’empereurs se succédant l’un après l’autre. Mais j’espérais avant tout que la grande bibliothèque soit toujours debout, une tour centrale de cent mètres de large et qui montait sur trois cents mètres, ajustée par quatre plus petites tours approchant les cent mètres : tout le savoir nécros, tout notre passé. Avec cela, on pourrait nous reconnecter avec notre monde actuel, avec notre présent, les Premiers Nécros pourraient retrouver la mémoire qu’ils ont perdue dans le désert.
En longeant le fleuve de la Dria, je ne songeais qu’à regarder vers l’horizon, à voir les ombres de la Bibliothèque mais il n’en fut rien. Il ne restait plus rien de Driaroth. La capitale millénaire du peuple éternel était devenue un champ de pierres, de stèles. Celles-ci étaient écartées d’un mètre entre chaque et montaient à un mètre cinquante en moyenne. Au cœur de cette forêt inerte, une grande maison de pierre se dressait au-dessus de cette masse, de la fumée en sortait. Alors que je galopais entre les pierres vers la masure de l’autre côté du fleuve, un vieil homme m’interpella. Il tenait une cisaille dans sa main droite et une pipe dans sa main gauche qu’il avait détachée de sa bouche pour mieux me héler. Abasourdie par une présence humaine, je mis quelques secondes avant de réagir et d’arrêter mon cheval au pied de l’homme en question.
« Sacrée monture que vous avez là, elle a dû en voir. A votre sale tronche, ça veut dire qu’une seule chose, que les Nécros sont revenus dans leur grande capitale. Eh bien il semble que vous ne soyez pas au courant de ce qui s’est passé ici durant quatre cents ans. Laissez-moi vous raconter mais avant, on va aller chez moi. Si cela ne vous gêne pas, nous allons marcher, mon vieux dos ne me permet plus de monter à cheval. »
L’homme me regarda, respirant un bon coup, les bras croisés en arrière, la pipe sur le coin de la bouche et la cisaille à la ceinture. Il me sembla comme si une heure était passée, comme si j’avais tout d’un coup rattrapé quatre cents ans de passé et que tous ces souvenirs arrivaient en même temps, comme si le passé oublié revenait à ma porte telle une vieille amie, comme si je venais de me réveiller d’un long rêve.
« Vous êtes pas un causant vous, pas comme l’autre cadavre...bon allons-y ».
La masure était habitée par le vieil homme, sa femme ainsi que par ses quatre enfants et ses neuf petits-enfants. Mais plus surprenant, il y avait aussi dans la cave, un Nécros. C’est là que le vieil homme, le Nécros et moi-même, on s’installa. Je voulus poser une question mais le Nécros me fit signe de faire silence.
« Tu connais sûrement le Massacre de Driaroth et la mort de trente mille des nôtres, ainsi que le début de l’exil, mais tu ne connais pas ce qui s’est passé après. Les Aragtis sont repartis vers le Nord, chassés par la maladie que j’ai nommée : le Sang bleu, leur sang au contact du fleuve passait du vert au bleu qui est pour eux la couleur maudite. Ils n’ont donc jamais osé voulu s’installer ici.
Les quelques survivants, avant tout des humains, les plus faiblards s’étaient cachés dans certaines cryptes et ont eu l’incroyable chance de survivre. La plupart ont fui et grand bien leur fasse, mais quelques familles sont restées : les Alphonse et les Johacim.
Ils décidèrent de faire un mémorial à la mémoire de tous les morts, à toutes les victimes de la guerre. Ils détruisirent, ils démolirent la ville des fantômes comme pour l’effacer de la carte, pour qu’elle ne devienne plus qu’un souvenir, pour qu’il ne reste plus que les tombes et leurs cadavres. Ils avaient enfoui la ville sous la terre. Durant quatre cents ans, ils ont construit et entretenu ce que tu vois aujourd’hui, scellant les tombes. Ils ont protégé ce lieu des quelques Aragtis qui étaient restés pour surveiller ce territoire. Jamais ils n’ont tenté de nous tuer ou de nous chasser, comme si ce que nous faisions avait une aura presque mystique qui les empêchait d’approcher. Mais maintenant, nos frères et sœurs déchus sont en route, tu es leur éclaireur, nous allons tous mourir et notre sang va se répandre au sein de notre œuvre. Cela était écrit. Je ne vais pas te demander ton nom car cela est inutile, tu n’es personne, rien qu’un avatar de Hel venu faucher ce qui restait d’humanité sur cette terre. »
Le Nécros me racontait tout cela d’une voix roque et pourtant presque inaudible, un mince filet de vent s’échappant d’une mâchoire presque pourrissante. Il n’avait pas l’apparence d’un vieillard mais il en avait la démarche. Je profitais d’une pause dans son récit pour lui poser une question :
– Mais vous, qui êtes vous ?
– Les Humains m’appellent le Témoin, le Survivant. Je suis l’un des Premiers Nécros, un homme d’avant la chute, en vérité, mon histoire n’importe que peu, je ne suis ici que pour te délivrer un message : « Tue Bazilstal » car c’est bien votre chef, non ? Je ne peux te dire pourquoi, car comme tous les Premiers Nécros, ceux qui ont vu l’Empire déchu, j’ai perdu la mémoire. Vois-tu, chaque homme et femme ici présent a accès à cette mémoire, ils l’apprennent très jeune et la retiennent, sauf que l’explication de cet ordre a été perdu lors de la mort des deux seules personnes à connaître cela : Léon Alphonse et Jina Johacim, que la paix soit sur eux. »
Je ne sais pas pourquoi mais je sentis comme si le message était une révélation d’une vérité profondément enfouie dans mon être, comme si je le savais depuis toujours. Mais alors pourquoi vouloir tuer cet homme, celui qui nous a maints fois sauvé de l’anéantissement ? Et pourquoi devrais-je croire ce vieux Nécros, il est sûrement devenu fou après tant d’années, son esprit doit être rongé par le poids de la mémoire et du passage du temps. Le vieil homme continuait à nous regarder et lorsque le vieux Nécros eut fini de parler, l’homme me montra la sortie et me souffla de partir. Mais avant que j’eusse le temps de monter sur mon cheval, une immense vague de poussières apparut au loin, l’avant-garde des Nécros s’était mise en route pour Driaroth. La poussière formait comme une vague, où le bruit de celle-ci semblait avoir été remplacé par les hennissements et le son des fers sur le sol. Sur mon cheval, je partis à leur rencontre. Un cavalier au milieu de la masse, j’étais encerclée par les miens mais aucun ne me vis. On m’évita et il me semblait que le temps avait soudain ralenti, c’était l’instant d’avant le chaos, la destruction, le massacre.
Le vieil homme fut fauché en premier et en quelques minutes, aucun être ne fût encore en vie. Le cadavre du vieil homme avait atterri au pied d’un pommier. Son sang coulait sur le tronc en de longs filets qui longeaient les tombes aux alentours. Mais ce qui retint mon attention, ce fut son visage. Ses rares mèches grisonnantes masquaient un sourire immortalisé à jamais. Il avait accompli son devoir.
Ma priorité fut de traverser la masse de Nécros et de me diriger vers la cave, mais avant d’y accéder, je vis un cadavre que l’on transportait vers la porte, c’était le vieux Nécros. Dans la foule, je vis Holtar l’Ancien. Mon réflexe fut alors de l’appeler. En me voyant, il fronça les sourcils, un air grincheux me demandant où j’étais passée. Se rapprochant de moi, il m’attrapa et m’emmena à l’extérieur, près d’une stèle. « Malta, raconte tout ce que tu sais, sans rien oublier », me dit-il. En prononçant les paroles du vieux Nécros, il me lança un regard interrogateur.
« Sais-tu qui il était ? » Je fis non de la tête. « C’était Bazil, le dernier Empereur nécros, Bazil VI le Lâche. Lors du Massacre de Bazistal, il n’a pas levé une seule fois son épée et s’est enfui dès le début du combat, j’ai toujours rêvé de le tuer mais le voir ainsi, cela m’a attristé. Ce message doit être le résultat de la lutte entre Bazilstal et lui pour le trône. Bon écoute-moi bien, il ne faut surtout pas que Bazilstal apprenne cette histoire. Si cela était révélé, cela ferait ressortir de très, très mauvais souvenirs. Notre roi est toujours en quête de légitimité et il se sent même après quatre cent ans, comme un usurpateur alors s’il apprend que l’on a tué notre souverain légitime, on va devoir faire un siècle de pénitence pour l’avoir assassiné. Donc t’as bien compris, soit tu révèles cela et on va tous devoir prier dix fois par jour Hel avec des offrandes monstrueuses, soit tu ne dis pas un mot et on pourra ressusciter l’Empire.
J’acceptais de tenir cette promesse, même si je ne comprenais pas bien les enjeux cachés et qu’il semblait y avoir là de sombres secrets. Néanmoins, j’espérais oublier le passé et me tourner vers le futur, vers la construction de la nouvelle Drianoth.
Fragment II
« Bazilstal est un nom composé de Bazil, du nom des dirigeants de la famille des Bazil, les derniers Empereurs nécros, et de la particule -stal signifiant « petit ». Ainsi, Bazilstal signifie : petit Bazil. Ce nom a été donné au jeune liche(apprenti vampire) lors du Massacre de Driaroth, par les soldats de la garde impériale de Bazil VII. C’est une insulte pour celui qui rêvait du pouvoir, de se tenir dans les palais impériaux, de contempler la puissance d’un Empire millénaire, d’être reconnu, de ne pas être oublié. Petit Bazil est ainsi une offense envers lui et pourtant c’est son nom, sa personnalité, son orgueil, son passé, le fruit d’une histoire qui ne peut s’effacer. Tout le monde a oublié son ancien nom, même lui. Mais les noms peuvent changer de signification avec le temps, de même que la langue. Son nom est un fardeau, un rappel de sa condition inférieure par rapport à un Holtar l’Ancien, descendant d’une famille noble avec un nom noble : celui qui a le pouvoir de tenir. Bazilstal est ainsi un rappel qui, répété, est devenu un complexe, une pathologie, un mal ancré qui brûle le Nécros de l’intérieur, voire qui le consume. »
Réflexions sur Bazilstal, Lucius, an 65 après l'exode (AE).


Lorsque je vis le fleuve Dria, des larmes perlèrent sur mes joues. J'étais enfin chez moi, là où j’établirai une capitale éternelle qui traversera les âges, là où mon règne s’inscrira dans la pierre, là où personne ne m’oubliera, car ce sera ma ville, ma création, mon chef-d’œuvre. Driaroth était la ville des Bazil et de leur décadence, ma ville sera Nos-Driaroth, la nouvelle Driaroth, purgée du venin d’une famille éteinte. Une nouvelle ville qui sera éternelle et qui se renouvellera sans cesse, sans oublier ses nouvelles origines, sans m’oublier moi, son grand architecte, son fondateur.
Je m’avance entre les stèles, vers cette petite masure, mes valeureux soldats forment une haie, m’inspectant de leur regard aiguisé, à la recherche d’une faille, d’une faiblesse de ma part mais c’est une recherche vaine car je suis l’Élu, celui qui va restaurer notre Empire. Mon général, Holtar l’Ancien se dresse devant moi, il est accompagné de la jeune Malta, elle a découvert ce lieu avant moi, quel privilège pour une personne de sa condition, pour un liche. Je sens leur déception, les mythes parlent d’une ville qui n’existe plus, voire même qui n’a jamais vraiment existé. Ma mémoire est floue, je revois avant tout les cadavres sur ma route alors que la ville brûle, je vois l’effondrement de la tour ouest et le cri de centaines d’hommes et de femmes découpés en deux, hurlant de douleur. Je revois la mort d’une civilisation, je revois le gouffre de mon existence, je me revois, me tournant vers le désert, vers ma non-existence, vers mon aliénation. Mais il me faut chasser cela, le passé doit être reconstruit pour servir le futur, il ne doit pas être un fardeau. C’est ainsi que je me dresse face à mon peuple, un et indivisible. Mon peuple, le collectif qui permet à mon individualité de vivre, je vis par leur reconnaissance, par leurs acclamations. Je ne vis que pour eux car le puissant doit toujours se comparer aux plus faibles. Il est puissant car les autres sont inférieurs. Je vis pour les plus démunis car ce n'est qu'à travers eux que je peux exercer mon emprise sur notre terre.
« Que tous vivent et meurent pour les Nécros, que tous louent la vie éternelle car nous allons construire une capitale aussi glorieuse que Hel, aussi belle que la lune, aussi éternelle que notre vie. Nous allons rebâtir notre foyer. Nous allons bâtir Nos-Driaroth, notre nouvelle capitale qui va rayonner sur le monde entier, qui va le consumer de son regard de lumière. Je vois dans vos visages que les mythes anciens n’ont pas été accomplis, il est ainsi temps de les remplacer par des nouveaux que nous bâtirons ensemble, peuple du sang et de l’éternité. Nous sommes l’infini et nous le demeurerons. Vive les Nécros, vive Hel et que l’éternité nous guide ».

A ce discours, tous levèrent les bannières, les armes, les poings vers Bazilstal, formant ainsi une mer d’acier et de chair, enlaçant notre chef, notre roi éternel. Holtar l’Ancien me regardait, le sourire aux lèvres, il était heureux et moi aussi car notre souverain avait retrouvé sa puissance, sa nécessité de vivre. Nous étions tous en osmose, en cœur, notre peuple était enfin uni. J'avais enfin l'impression de faire partie de quelque chose de grand, d'être à ma place, d'être invincible. C'est donc cela de faire partie d'une foule unie.
Les clameurs finies, je partis avec les autres monter le camp, en attendant le reste des Nécros. Ceux-ci allaient apporter les cuves de cette ressource vitale, le sang, ainsi que des milliers d’animaux, aussi bien des porkos, des cerfs ou encore, des bufs. Ceux-ci servent de ressource première pour les Transformateurs qui modifient le sang animal en sang comestible, au contact d’une goutte de sang primordial issue du sang d’un Premier Nécros. Les Premiers Nécros sont en quelque sorte, nos grands anciens. Les deux plus importants Premiers Nécros encore vivants sont Holtar l’Ancien et Bazilstal. Leur corps a tellement consommé et purifié du sang qu'il en est devenu presque une moelle osseuse à lui seul, si bien que par extension, leur sang est le plus pur que l'on peut trouver dans tout l'univers connu. Ils pourraient boire du sang d’animaux pur, non transformé, cela ne leur ferait rien mais leur noblesse ne peut accepter de s’abaisser au rang de la bête.
Durant quinze jours, nous avons construit le camp sur la rive gauche, car le fleuve plonge dans la mer au nord et que nos frères et sœurs exilés se trouvent à l’est de nous, au-delà des montagnes. Construire le camp sur la rive droite, nous aurait exposé à un possible retour de nos frères et sœurs bannis, sûrement dévorés par une haine féroce à notre encontre. Je rêve que lorsque nous serons libérés des Sudrabs, nous formions une immense haie d’honneur pour accueillir ces exilés dans notre capitale reconstruite et que le sang noie la haine de nos frères et sœurs. Durant ces nuits de dur labeur, nous avons arraché les stèles et avons inhumé les corps enfouis sous terre. Malgré leur état avancé de décomposition, on pouvait encore observer les os. Pour nous protéger, nous avons installé de larges tissus dans toute la plaine pour faire de l’ombre lorsque l’on travaillait face à l’étoile mortelle.
Finalement, lorsque les derniers Nécros arrivèrent du camp sudrabs, on fit une immense fête en l’honneur de Hel et de grandes quantités de sang furent répandues sur le sol et dans le fleuve, pour nourrir notre dieu protecteur. La nuit suivante, au coucher du soleil, les quatre cents vampires (aussi appelés nécromanciens) se mirent ensemble en cercle au milieu des cadavres, tout autour, nous les liches, les apprentis vampires, on se tenait près des corps avec des vases de sang. Lorsque le soleil disparut intégralement, le chant commença, un sombre murmure se transformant progressivement en une clameur sinistre, les nécromanciens se font la voix de Hel, une voix accompagnée par les bruits des jets de sang sur les cadavres. Du sang pour alimenter la reconstitution des corps : os après os, ligaments après ligaments, nerfs après nerfs, organes après organes…petit à petit, les ossements devinrent des êtres humanoïdes. Toute la nuit, on sentait une sombre présence autour de nous, on était entouré par la mort et les odeurs de putréfaction, qui se dissipaient dans les airs, qui quittaient la terre pour nourrir notre Dieu. Alors que le jour allait se lever, on entendit un cri puis des centaines. Douze mille morts étaient revenus à la vie, des morts-vivants que l’on nommait goules, des êtres pré-conscients, des esclaves infatigables dont la seule crainte était le soleil. Ils se mirent en rang, guidés par la pensée des vampires, Bazilstal, sur son cheval les inspectait un à un.
« De cadavres décomposés, vous devenez Nécros, de mortels, vous embrassez l’immortalité. Rejoignez l’obscurité mes frères et sœurs, rejoignez le combat des immortels, rejoignez-nous et mourrez une nouvelle fois pour nous. Votre sommeil n’a que trop longtemps duré. Vous êtes l’épée et le bouclier, vous êtes la force de notre nation, vous incarnez notre puissance. Que notre nombre, jamais ne décroisse et que nous embrasions le monde de notre ombre. Vive les Nécros, vive Hel ». Là, douze mille voix crièrent ensemble, une marée de cris qui céda la place à des chants que cette terre avait oubliés en quatre cents ans, des chants de morts et d’éternité. La parenthèse était fermée et un nouvel Age des Nécros pouvait commencer, un âge de sang et de mort mais aussi de gloire et de héros, de libération et d’esclavage, de souffrance et de joie, les guerriers de l’éternité se relèvent de nouveau pour affronter les mortels.
L’importante masse servile fut partagée entre la construction de la ville, l’acheminement des matières premières depuis les anciennes carrières et mines d’Aragroch, le défrichement des forêts alentour et la construction d’enclos pour les animaux. Nous, les liches, avons reçu l’ordre de maîtriser cette masse et d’opérer en tant qu’agent de liaison et de surveillance dans tout notre territoire mais je ne pouvais m’empêcher de rester proche du pouvoir, de connaître les décisions qui allaient être prises. Les vampires pendant ce temps, réfléchissaient à la prochaine étape.
Holtar l’Ancien entra dans la tente de Bazilstal, celui-ci était penché sur une carte de plus de quatre mètres de long. A ses côtés, le vice-roi, Zahoé, regardait dehors par le pli des tissus de la tente :
– Nous sommes trop peu nombreux, dit-elle, que peuvent douze mille goules ainsi que deux mille liches et vampires face aux millions de Sudrabs, il nous faut agir vite si nous voulons conquérir notre liberté, ne tardons pas !
– Votre précipitation nous poussera à notre perte, nous sommes surveillés, l’ambassadeur sudrabs est ici et il note nos moindres faits et gestes, répondit Holtar l’Ancien.
– Je croyais qu’un général était recruté pour son intelligence, votre surveillant est notre otage, il n’a pas d’armée, il est isolé, croyez-vous que Kaélo XVIII s’intéresse à la destinée de cet homme, non, ce n’est que du bétail, des milliers souhaitent prendre sa place, il n’est rien. Coupez les yeux et les oreilles de l'ennemi et attaquons. Votre Altesse, il faut agir ou se soumettre. Si nous ne montrons pas notre force tout de suite alors nous serons perdus.
Bazisltal la regardait aussi bien en ami qu’en adversaire, son Vice-Roi était la femme, voire le Nécros la plus redoutable qu’il connaissait, un Nécros fanatique et dévoué entièrement à son peuple. Pour elle, le mot Nécros ne pouvait être entendu qu’avec une majuscule, qu’avec la force d’un collectif entièrement debout et agissant. C'était pour elle, un torrent incontrôlable et dévastateur qui emportait tout sur son passage.
« Je sais ce que vous voulez, mais ce serait trop risqué, ce serait faire un acte de guerre et comme vous l’avez dit, nous sommes trop peu nombreux. Je préfère certes me soumettre pour gagner du temps, de façon à constituer une armée assez puissante pour marcher pendant des mois et des mois face aux Sudrabs, voire des années jusqu’à la capitale de cet Empire tentaculaire. »
Dire qu’en quatre cents ans, je n’en ai parcouru même pas un dixième, comment Kaélo XVIII peut-il maintenir un aussi grand contrôle sur tant de terres ? Comment peut-il est aussi puissant alors qu’il lui faut des dizaines d'années pour aller du nord au sud de son empire ?
« Ne comprenez-vous pas ce que cela veut dire ? Vous acceptez la domination, le contrôle des Sudrabs, vous, votre majesté, alors que vous les détestez, vous osez vous agenouiller comme Bazil VI s’est agenouillé devant Kaélo X pour qu’il épargne sa vie, sous le prétexte de sauver les Nécros, vous osez agir ainsi. Si vous faites cela, alors vous ne méritez pas d’être mon Roi. Vous prétextez gagner du temps, mais tout ce que vous obtiendrez, ce sera du sable. Moi je vais vous constituer une armée en un mois, que vos propres forces ne pourraient rêver rassembler en un siècle. »
Zahoé fusilla Bazilstal du regard et sortit de la tente, avant de monter sur son cheval et de partir au galop, bientôt suivie par des centaines d’autres puis des milliers. En sortant, elle me lança un regard interrogateur, moi, assise près de l’entrée, la Nécros qui écoutait aux portes. Je voyais cette femme qui crachait au visage de notre Roi, sans penser un seul instant à la conséquence de cet acte, elle avait outrepassé sa condition comme elle le faisait depuis le début. Ses soldats l’appellent la Reine des mers pour signifier sa puissance face à Bazistal et camouflent ses prétentions au trône derrière le titre « des Mers ». Un titre qui lui venait de sa maladie, le mal bleu qui avait transformé ses yeux rouge sang en un bleu si pâle, si blanc qu’on croirait que toute vie l’avait quittée. Pour moi c'était un monstre des mers aussi intrigant que dangereux.
La mer transparaissait dans toute sa personnalité, alors que sur ses centaines d'années, cela ne faisait qu'un an qu'elle l’avait vu pour la première fois. Son mal était obscur et d’origine inconnue, elle seule en était atteinte. Elle était née dans le désert et pourtant elle avait reçu la malédiction de la mer, Hel a parfois un certain humour. Beaucoup disent qu’elle est maudite, contaminée voire même juste laide, mais elle en a fait sa force, c’est devenu sa marque de reconnaissance. Son étendard en est le reflet : deux points bleus sur un fond blanc. Un jour, un officier lui a demandé ce que cela faisait d’être si laide, elle l’a regardé attentivement, et lui a ri au nez. Elle lui aurait répondu : « Je ne sais pas ce que ça fait d’être laide, mais je sais ce que cela fait d’être comme les autres...rien, on ne vous remarque pas, vous n’avez pas d’identité, vous êtes moyen. Si je devais faire votre description, je ne saurais quoi dire de particulier». Dans la soirée, le corps de l'officier a été retrouvé en plein désert, les deux yeux crevés. Quand on lui pose la question, elle dit « qu’il a sans doute été ébloui par sa beauté » avant d’esquisser un sourire. La voir partir, me donnait toujours ce même sourire un peu malsain ou du moins, plein de sous-entendus.
J’étais le garde du Conseil ou du moins c’est ce que j’espérais être, un officier royal, une personne qui compte. J’avais l’honneur d’être attachée à Holtar l’Ancien, celui qui m’avait ressusciter et c’est en son nom que je pouvais me tenir près de notre roi. « Entre Malta, que penses-tu que je doive faire » me demanda Bazilstal. Étonnée, je ne sus d’abord quoi lui répondre, avant de me souvenir d’une parole de Holtar l’Ancien qui recommandait toujours d’agir avec fermeté. « Vous devez la condamner Votre Altesse, on ne parle pas ainsi au Roi, c’est un acte de sédition ». Holtar l’Ancien parut amusé et répondit à la place de Bazilstal
– C’est une sage décision mais en politique, une sage décision est rarement la bonne, certes sur le plan judiciaire elle est hors la loi, mais n’oublie jamais de combien de soldats elle dispose, la majorité des vampires lui obéissent ainsi que les goules qu’ils viennent de ressusciter, sans compter les liches. C'est un chef militaire, certes un peu borné mais c'est notre meilleur commandant.
– Mais elle va nous emmener vers la guerre ! Elle va anéantir tout ce que nous avons construit. »
Bazilstal regardait la carte et je savais exactement ce qu’il y voyait, trois points, trois endroits, trois charniers : au nord, celui des marécages de Mareist : quarante mille tombes sudrabs, à l’ouest, celui des champs de Théor : quinze mille tombes sudrabs et dix mille tombes hommes et celui du désert à la frontière sud : trente mille tombes sudrabs. Au total : quatre-vingt-quinze mille morts pouvant être ressuscités, quatre-vingt-quinze mille morts que Bazilstal avait juré de laisser reposer dans leur aître suite au traité de la Reconquête, c’était l’un des prix à payer pour avoir le contrôle de nos terres natales et Zahoé était en route pour briser cet espoir de paix.
Tout d’un coup surgit un officier : « Votre Altesse pardonnez-moi de vous déranger mais plus de la moitié de nos troupes part vers le nord dont la majorité des vampires, ils suivent Zahoé, que faisons-nous ? » Tous regardèrent l’officier puis au bout de longues minutes, Bazilstal lâcha en un soupir : « Préparez l’armée ». Le visage de l’officier se décomposa puis il partit, le regard vide. Holtar l’Ancien et Bazilstal se tournèrent vers moi et notre Roi me montra la sortie : « Va au nord, soit mes yeux et mes oreilles chez Zahoé, je sais que tu m’es fidèle. Sois mon ambassadeur sur place. Si Zahoé souhaite commencer une révolution de palais, chevauche le plus rapidement ici. Une nuit, tu pourras être vampire, j’en suis persuadé mais avant, fais tes preuves, nous sommes trop peu nombreux à vraiment agir pour le bien de notre peuple ».

Une fois que Malta fut partie, je choisis d’abandonner Bazilstal à ses plans de ville idyllique. Il fallait que quelqu’un prenne les choses en main, on ne pouvait pas laisser Zahoé gouverner à la place de notre Roi, c’est une usurpatrice. Pour la contrer il allait falloir ruser, mais avant, il fallait faire en sorte d’éviter une guerre. Je me dirigeais d’un pas décidé, seul, vers la tente de notre principal ennemi. Une tente très modeste pour quelqu’un de sa condition et encore plus pour un Sudrabs. Aucune décoration n’était apparente, aucune personnalité, juste le matériel utile : de quoi écrire, de quoi dormir et de quoi manger. La modestie d’un homme agissant pour le seigneur le plus puissant du monde entier, celui qui règne sur un monde où le soleil ne se couche jamais, où il faudrait plus de dix ans pour aller du nord au sud de son territoire.
« Johor, ambassadeur des Sudrabs, nos loyaux maîtres, que pensez-vous du chantier de Nos-Driaroth ? » L’ambassadeur amusé me regarda d’un sourire entendu, il avait compris le message caché.
– Je crains fort que ce chantier ne soit retardé commandant, mais soyez sûr que je fais tout pour qu’il ne soit pas abandonné. Notre Empereur ne souhaite pas qu’il y ait de conflits entre nous, votre sale présence sur ses terres lui a bien trop coûté durant quatre cents ans pour qu’il vous lâche maintenant.
– Donc les opérations illégales de Zahoé ne changeront rien à la situation ?
– Du moment qu’elles restent illégales et que Zahoé soit châtiée, cependant je tiens à préciser que les opérations les plus au sud devraient être les plus discrètes possibles, car des yeux sudrabs pourraient comprendre ce qui se trame et la rumeur pourrait enfler jusqu’au palais impérial. Vous comprenez bien ce que j’entends par là.
– Vous parliez de châtier Zahoé, il ne fait aucun doute qu’il fasse faire cela, cependant je crains qu’elle ne soit que trop puissante, pour qu’un châtiment juste lui soit appliqué, si vous comprenez ce que je veux dire.
– Vous parlez en langue de serpent, il vaut mieux couper ses liens avec le monde des puissants et donc des vivants. Ce sera ma demande à votre Roi, la paix contre Zahoé. »
Mes agissements personnels dans l’ombre me dégoûtent au plus haut point, mais pour sauver notre Royaume, il le faut. Nous sommes trop peu nombreux à faire en sorte que notre race survive. J’ai vu trop longtemps la mort et je sens son odeur à des centaines de lieues. Je n’accepterais pas que mon Roi soit trahi, qu’il échoue avant d’avoir redonner aux Nécros, leur prestige. En poussant Johor à proposer un meurtre à Bazilstal, je le conduis lui et Zahoé vers leur tombeau. Celle-ci a peu de chance d’être exécutée mais il faudra une nuit qu’elle soit jugée pour ses actes et qu’elle soit bannie.

« Votre Majesté. » L’ambassadeur sudrabs s’était agenouillé, le regard pensif et quelque peu anxieux.
« Bazilstal, vous ne pouvez plus à la fois défendre Zahoé et œuvrer pour la stabilité de votre royaume. La mort d’une personne est un faible prix pour la paix. »
Tout en parlant, l’ambassadeur Johor se rapprochait progressivement de moi comme pour combler la différence de rang, comme s’il parlait à son égal.
– Ambassadeur, que serait un dirigeant s’il sacrifiait l’un de ses frères ou sœurs ? Lui répondis-je avec une pointe de colère presque imperceptible.
– Votre Altesse, que serait ce dirigeant s’il condamnait aux cendres ses sujets pour sauver sa maîtresse ?
Cette remarque me fit immensément plaisir tant elle était fausse et démontrait parfaitement l’incompréhension des Sudrabs. Je la pris comme une aubaine, comme un signe que notre ennemi malgré quatre cents ans de cohabitation difficile ne nous avait toujours pas compris. Combattre un adversaire inconnu, c’est mettre un pied dans son cercueil avant même le début de la guerre.
« Quelles sont les preuves que vous avancez, ambassadeur ? En vérité, je ne vais pas vous laisser répondre car vous ne direz jamais la vérité pleine et entière. Alors, voici ce que je pense. » L’ambassadeur avait tout à coup blêmi et reculé d’un pas. « Je pense que pour vous et vos semblables, une femme ne peut occuper un poste si important de Vice-Roi qu’en requérant à des relations avec son supérieur. De plus, vous considérez qu’une femme ne peut réfléchir à des stratégies militaires car vous avez été éduqué en ce sens là. Vous pensez par le prisme de votre religion qui hiérarchise les genres, là où la notre, hiérarchise les talents. Donc pour vous, les réunions stratégiques entre elle et moi ne sont que des prétextes. Le fait que Holtar l’Ancien n’y soit pas convié, tient lieu de preuve accablante. En me lançant cela, vous cherchez à faire d’une pierre, deux coups car Zahoé est liée à Lucius. Mais permettez-moi de vous apprendre quelque chose à notre sujet. Durant nos longues années de vie, nous avons acquis une certaine intelligence, une certaine raison qui nous a poussé à balayer cette idée que les femmes valaient moins que les hommes. Cela a entraîné une révolution qui a conduit à l’émergence d’un Empire qui ferait passer le vôtre pour une tribu de barbare analphabète. Mais bien entendu, toute mention de cet Empire dans votre histoire utopique a...disparu. »
Pendant que je parlais, un feu me brûlait les entrailles, une envie de décapiter cette immonde créature, de répandre son sang et donner son corps à manger aux porkos. Mais il nous le fallait vivant, au moins pour la suite des opérations, donc je devais lui parler avec une voix douce, comme l’une de ces mélodies que chantent les Sudrabs pour endoctriner, pour formater leurs enfants.
« Une nuit, un Enfant nécros m’a dit que la distinction homme-femme chez les Nécros est sûrement l’un des derniers traits d’une barbarie dépassée par le temps présent. Comprenez-moi bien, ce qui fait la différence fondamentale entre vous et nous est le désir sexuel, ce dernier nous est inconnu. Le mariage n’est que la forme symbolique d’une union d’une âme à une autre pour signifier la complémentarité entre ces personnes. Comprenez-vous maintenant que vos allégations ne sont que du vent dans l’océan de votre stupidité alimentée par vos œillères. »
Plus je parlais et plus je m’approchais alors que lui reculait, si bien qu’il fut bientôt contre la porte, des perles de sueur inondant son visage rougi par la honte et l’erreur.
« Maintenant partez, lui glissais-je à l’oreille. » Mais alors que je lui projetais de pleine voix cet ordre, il reprit de son aplomb et un demi-sourire irradiait son visage.
« Il me semble me souvenir que je n’étais pas le seul à vouloir écarter Zahoé, votre valeureux commandant en avait aussi l’intention. » A cette phrase, je n’en pouvais plus, est-ce donc ça la fine fleur de la diplomatie et de l’intelligence sudrabs ?
« Holtar a agi sur mes ordres pour voir jusqu’où vous iriez pour nous affaiblir et si vous aviez les moyens de mettre votre nez dans nos affaires, cher observateur passif. »
En vérité, c’était un mensonge, Holtar avait agi de son propre chef mais l’heure n’était pas encore à sa punition.
« Je vous pris alors de m’excuser au nom de l’Empire sudrabs, mes informations étaient erronées. J’espère que cette entrevue n’aura pas de conséquences sur les relations cordiales que nous avons. » Et il partit sans dire un mot de plus, le regard baissé, évitant mon regard. « Relations cordiales », cette expression résonnait dans ma tête, deux mots si violents à entendre dire, encore une insulte. Johor a-t-il était envoyé ici pour nous insulter, pour nous forcer à les attaquer, à les haïr ? De façon à nous pousser à la faute ? Quel est son plan, que vise-t-il ? Tant de questions me submergent sur Kaélo XVIII. Il est Empereur depuis soixante-six ans, depuis ses douze ans il a survécu à des dizaines d’assassinats, combien de temps vivra-t-il encore ? Combien de temps l’empire lui survivra ? Au loin, les arbres dansaient au son du vent, leur ancrage au sol me semblait comme indestructible alors que les feuilles volaient en des nuées qui s’éloignaient vers le nord, vers la mer, Mer Intérieure, Mer de la Tranquillité et une nuit, Mer des Nécros.

En m’éloignant de Nos-Driaroth, j’eus comme un baume au cœur. Quitter les miens pour nos frères ennemis me semblait être comme si je devenais une traîtresse, comme si je partais dans l’autre camp tel un déserteur. Fidélité et honneur, voici ce qui m’a amené à mon poste et c’est ce qui sera marqué sur mon épigraphe, lorsque j’en aurais assez des limites corporelles et que je voudrais me réfugier dans le néant de l’âme. Je suis un officier, je compte parmi les miens, je peux faire changer les choses, je suis un acteur du changement, voici mon credo. Il nous faut faire disparaître toute trace de notre bestialité, de notre humanité au nom de notre nécronité. Zahoé est un frein à cette nécessité, elle nous divise pour sa gloire personnelle. Une nuit, Holtar la remplacera et deviendra Vice-Roi et moi je serais commandante, c’est l’ordre des choses, c’est ce qui ne peut pas ne pas être. Je dois accompagner l’Élu pour qu’il redore le blason des Nécros, pour ressusciter l’empire.
Tout d’un coup alors que je sens l’air marin pénétrer mon être, l’odeur du meurtre me submergea. Je nage alors dans ces embruns qui hantent tout Nécros. Répandre le sang est notre essence mais nous avons appris à la canaliser, à la maîtriser. Mais parfois, alors que la nuit nous submerge, elle revient à notre lit comme une vieille amie et se fait séductrice pour nous rendre bête, pour supprimer notre nécronité, nos acquis en tant que civilisé. « Tue Zahoé ! » Hurle-t-elle, « Tue tous les traîtres ! » continue-t-elle. J’ai le sentiment que ma tête va exploser. Je vois une forme au loin, un cerf sûrement. Je saute du cheval et je cours vers lui avant de le mettre en morceaux, de lui arracher la tête, les os, les organes pour satisfaire le monstre tapi en moi. Alors que je sens le sang animal couler, je le repousse et prends une gorgée de ma gourde : plutôt le sang industriel que le sang animal. Je remonte sur mon cheval et je repars. Partout des charognards s’approchent lentement, flairant le butin. Mon esprit est maintenant calme, je peux continuer ma mission. Mais une voix me murmure au loin dans mon crâne : « Tue Bazilstal ». Je revois le visage de l’Empereur déchu, de ce Bazil entouré d’humains, une maigre cour pour son rang. Les noms de Zahoé et de Bazilstal s’entrecroisent en une dans mortelle dans mon esprit qui recommence à vaciller. Pourquoi tuer Bazilstal ? Je ne comprends pas...pourquoi me l’avoir dit à moi ?
Alors que le jour va se lever, j’aperçois un champ de torches. Mais avant de m’en approcher, trois flèches viennent se planter à deux pas de mon cheval. Une voix lointaine se met à crier : « Les suppôts des Sudrabs ne sont pas les bienvenus ici ! ». Ce à quoi, je répondis : « Et quand est-il des fidèles de Hel ? ». Pendant que nous échangions, plusieurs soldats s’approchent, si bien que je commence à discerner le visage de mon interlocuteur. C’est une femme de très haute taille, tout de noir vêtu, le bas du visage masqué par un long foulard noir qui se prolonge comme une cape à l’arrière de son corps. Alors je m’apprête à parler, elle me fit signe de me taire et de la suivre. Dans ce qui est le campement de Zahoé, des centaines et des centaines de Nécros montent les tentes et les diverses nécessités pour passer le jour. Au bout du camp, au nord, se trouve la tente de Zahoé, perchée au bord des falaises. A l’entrée, Lucius, le mari de Zahoé semble pensif. Lorsque je voulus l’interpeller, je n’obtiens aucune réponse, il ne se retourne même pas. Je passe près de lui comme un spectre. L’intérieur de la tente est très modeste mais ce qui est le plus remarquable, c’est le nombre impressionnant de cartes et de manuscrits. Je suis surtout attirée par une carte de la Mer Intérieure, celle qui longe les falaises de notre territoire. Deux continents se font face, séparés par la Mer Intérieure qui se prolonge à l’ouest par la Mer sylvestre et à l’est, par les Terres désolées. En plein centre de la Mer, une grande île me semble être comme le marche-pied vers le continent du nord, celui des Aragtis. Mais ce qui retient mon attention, c’est la présence de villes en pleine Mer Intérieure. Alors que je me pose la question de leur existence réelle, je sens une respiration derrière mon cou. « Ce sont les Daëlins qui vivent ici, ou plutôt qui vivaient, car les Aragtis en ont massacré des dizaines de milliers. » me souffle Zahoé avec un brin de mélancolie dans la voix. Je suis tellement surprise de sa présence que je ne puis qu’approuver de la tête. « Bazilstal t’envoie pour m’espionner, pour avoir la vision interne de mes actions, pour que je ne fasse pas sécession. ». A ces paroles, je repris le contrôle de ma voix :
– Vous êtes une menace, vous nous affaiblissez face aux Sudrabs.
– Tu es bien naïve, ton cerveau est encore rempli de sables pour dire de telles idioties. Il serait grand temps de souffler sur ces obstacles qui t’empêchent d’avancer.
Alors qu’elle parle, elle bouge autour de moi avant de s’arrêter devant l’ouverture menant aux falaises. Un violent coup de vent agrandit l’ouverture en propulsant le tissu de la tente et projette devant elle les deux pans de la cape de Zahoé qui manquent de me toucher. Le vent est si violent que je manque de me renverser. Une force surnaturelle me maintient au sol, je ne puis quitter des yeux Zahoé qui me regarde, ils sont si bleus, si pâles et si vides, aucune émotion de semble la traverser. Un silence de marbre prend place et nous sommes comme deux statues prenant racine dans des terres désolées. Tout d’un coup, deux soldats, le visage caché et armés d’un bâton court entrent. Mes sens m’alertent du danger et je leur fais face. C’est alors, que je sentis de nouveau le souffle marin sur ma nuque avant de m’écrouler.
Je me réveille, mon corps complètement engourdie. Je ne sens plus l’air marin. La terre bouge mais mon corps non. Je commence à de nouveau à apercevoir des formes. Je suis sur un divan de paille. Je suis dans une cage de fer. Je suis dans un chariot de prisonnier. Je suis seule. Tout autour, des soldats nécros à cheval m’encerclent. L’un d’eux me voit en train de me relever. J’entends sa voix rauque : « Tu fais honte à tous les liches ». Mes forces reviennent lentement, assez pour que je puisse lui répondre : « Qui est le plus honteux : le fidèle du Roi légitime ou le fidèle de la révoltée avide ? » A cela, tous les soldats aux alentours rigolent avant que le soldat à la voix rauque ne rétorque :
– La seule fidélité légitime c’est celle que l’on met entre les mains du plus puissant, du vainqueur !
– Je ne savais pas que vous étiez un suppôt des Sudrabs, répondis-je d’une voix avec un brin de Kaélo XVIII.
Un silence prit place avant qu’un autre soldat ne détourne la réplique de son camarade.
– Quelle ironie venant du suppôt d’Holtar l’Ancien et de Bazilstal, les garants de la paix et de la modération qui entravent notre liberté et le rêve même de constituer un État nécros fort.
– Quel est le mieux : un État de quelques semaines au sommet de sa puissance que l’histoire aura tôt fait d’oublier ou bien un État qui monte progressivement et qui infecte son « maître » avant de le tuer et de prendre sa place ?
– Se courber, c’est marquer notre règne d’une tâche qu’aucune purification ne pourra enlever.
– Et pourtant, nous formons les meilleurs des « Courbettteurs », nous avons bien choisi d’abandonner les nôtres au-delà des Monts à l’est. Tout n’est que choix. Car après tout…
– ...nous ne sommes que des liches, des êtres mi-nécros, mi-humain. Nous sommes sur la voie des ombres, des adolescents en quête de maturité. Nous ne sommes après tout que des Nécros en puissance.
Ce soldat voyait bien où je voulais en venir, quelle intelligence…Nous ne sommes que des liches, ces créatures entre la goule à demi-consciente et le nécromancien, le vampire, le Nécros. Notre classe, notre condition ne peut s’améliorer que par nos actions, nos choix, notre bravoure pour prouver notre nécronité. Mais, il y a aussi la question de la nécromancie, de faire revenir pleinement un corps, ce que nous, liches nous n’arrivons pas à faire pleinement.
– Comment te nommes-tu soldat ?
– Kotor.
– Un rejeton d’Holtar l’Anci…
– Je n’ai rien à voir avec lui, nous n’avons aucun lien biologique, ce n’est que mon ancien maître. Quelle stupidité que de nous appeler « fils » ou « fille » alors qu’aucun Nécros ne peut procréer.
– C’est une tradition, qui un jour s’effacera.
– Je ne pensais pas que l’on pouvait être révolutionnaire en tant qu’officier royal.
– Révolutionnaire est un bien grand mot. L’aube d’une nouvelle ère annonce aussi de nouvelles mentalités, des changements civilisationnels. Nous sommes les acteurs de ces bouleversements malgré nos divergences, de qui de nous deux va gagner dépend l’avenir de notre civilisation.
– A moins, qu’il n’existe une troisième voie ? Qu’il faille concilier Zahoé et Bazilstal.
– Difficile à faire quand on emprisonne son observateur...
Alors que nous parlions, je sentais que mon esprit était attiré par une présence très forte, ou plutôt des présences. C’est alors que je reconnus le lieu, les marécages de Mareist. L’armée de Zahoé prit position en cercle autour des tombes. Au son du cor de guerre, tous les liches commencèrent à inhumer les corps à la lueur des lampes. Je voyais Kotor, une pelle à la main, projetant des volées de cette terre boueuse en des monticules. De l’eau inondait aussi bien ses mollets que les cadavres silencieux de ce marécage rythmé par les bruits de terre projetés dans l’eau. Certains liches apportaient les cadavres aux nécromanciens à proximité, qui commençaient alors leur rituel. Au crépuscule de la deuxième nuit, Zahoé vint me voir. Elle portait sa tenue de cérémonie d’un vert profond. Ses cheveux détachés tombaient le long de ses épaulières. Mais le plus intrigant était son masque d’ivoire qui faisait ressortir ses yeux bleus si pâles. « Malta, que penses-tu de ce magnifique spectacle ? N’est-ce pas le début de la véritable reconquête de notre territoire ? Nous nous renforçons tout en extirpant les cadavres de nos ennemis. » A cela, je ne répondis rien, tant elle avait raison et tord à la fois. Les dés étaient jetés.
Alors que je contemplais pour la centième fois ces yeux qui me fascinaient, j’entendis un cor de guerre au loin. C’est alors que toute l’armée de Zahoé se mit en branle, les épées succédant aux pelles. Une épaisse couverture métallique nous enlaçait Zahoé et moi. Au loin, je vis à travers les boucliers de la garde de Zahoé l’étendard nécros, un fond noir dominé par une goutte de sang. Le tenant avec toute la passion d’un fidèle, Holtar l’Ancien était entouré des restants de l’armée nécros. Les deux blocs se faisaient face. Le commandant de la Légion de sang descendit de son cheval et marcha jusqu’au centre des tombes à demi exhumées. Zahoé l’y rejoint. Un silence de mort planait sur les marécages. A l’horizon, le ciel commençait à se teindre d’ocre.

A seulement quelques pas d’Holtar l’Ancien, je pouvais voir son crâne chauve qui réfléchissait les premiers rayons du soleil. De ses yeux rouge sang partait un marquage noir qui s’élançait derrière chaque oreille avant de se rejoindre sous sa mâchoire et de filer en ligne droite, séparant son crâne en deux comme les deux parts d’une même personne. On compare souvent Holtar l’Ancien à un bloc, à un roc inflexible défiant le temps et les âges. Mais pour moi, il n’est rien de plus qu’un artefact du passé, un miroir pour les générations suivantes, la figure paternelle que l’on combat pour se construire notre propre identité. Combien de coups ai-je donnés contre ce rocher ? Combien de fois mon poing a-t-il été inondé de sang ? Il ne le sait peut-être pas mais le temps vient quand même à bout de lui. Il s’érode lentement, poussière après poussière. Une nuit, le temps l’emportera complètement et il ne restera plus rien de lui. Lorsque je verrais cela, alors je me dirais que mon tour est venu.
– Tout ceci n’est qu’une parodie, tu le sais bien Zahoé, m’annonça Holtar l’Ancien.
– Bien entendu, Bazilstal veut montrer qu’il ne veut pas se laisser faire tout en te donnant la légitimé de faire ce qui lui ne pourrait pas faire, lui répondis-je.
– Parfait, alors réglons cela de la manière la plus nécrotique qui soit.
– Le fer plutôt que la parole alors, prêt à leur montrer un sacré spectacle ?
– Je promets que je ne vais pas te laisser gagner facilement. Quoique je te conseille d’enlever tes attributs ritualistes pour plus d’agilité.
Au mot d’Holtar l’Ancien, j’enlevais mes habits qui tombèrent dans la boue pour qu’il ne reste plus que mon corps nu, en signe de tradition et de pureté pour les duels de nos aïeules. Holtar l’Ancien en fit alors de même. Nous portions chacun l’épée double, une double lame d’onyx si lourde et si puissante, qui incarnait pleinement notre nécronité.
Au son du cor de guerre, nous nous lançons au contact, chacun répondant aux techniques de l’autre, l’esquive pour moi, la parade pour Holtar l’Ancien. Nous évoluons dans des mondes différents. Les lames ne faisaient que se frôler. Chaque attaque semblait comme chorégraphiées. Nos déplacements faisaient gicler l’eau des marécages qui venaient salir nos corps purs. Tout à coup, je mis en place ma technique d’adaptation. Mes mouvements coordonnés devenaient comme illogiques, comme le fruit du hasard. Je devenais imprévisible, je me fondais dans les mouvements de l’adversaire et je jouais avec. J’aurais pu depuis longtemps mettre fin au combat, mais comme l’araignée, je m’amusais avec ma créature. Je sentais le souffle d’Holtar l’Ancien qui tentait de répondre à mes attaques, ne pouvant les anticiper, il campait sur ses positions tandis qu’infatigables, je le harcelais lui projetant aussi bien mes coups d’épée que des jets d’eau et de boue. Puis, voyant que je le dominais totalement, je plantai mon épée sous sa gorge, en ne faisant qu’enfoncer le bout de mon épée avant de la retirer. Des perles de sang se mêlaient à la sueur, inondant ce qui allait devenir le cadavre d’Holtar l’Ancien. Lorsque le corps tomba, je vis un vampire de la suite d’Holtar l’Ancien, courir jusqu’au cadavre pour le ranimer. Lorsqu’il revint à la vie, il me fit un signe de la tête avant de repartir avec son armée.
Le jour était maintenant levé, il était temps de retourner dans nos tentes. Mais je devais d’abord laver mon impureté. Je marchais vers les miens encore totalement nue. Cela faisait déjà des années que j’avais pleinement accepté mon corps, après tout, ce n’est qu’une enveloppe de chair. Ce qui ne doit pas être dévoilé se cache à l’intérieur, c’est le monstre qui sommeille en nous, notre âme faite d’émotions qui nous submerge, nous manipule. Cette créature, jamais je ne pourrais l’accepter tant elle me dégoûte, tant je me dégoûte. Le combat m’a amené à un état d’effort physique proche de l’excitation mais il me manque quelque chose…J’ai soif. C’est alors que je croise le regard de Malta, encore enfermée dans sa cage. Une envie défile devant moi ou plutôt un appel bestial, celui du cannibalisme, boire le sang d’un autre Nécros, quel délicieux péché. Mais je dois me contenir, il ne faut pas nourrir le monstre, sinon il déchirera l’enveloppe pour nous dévorer. En vérité, il y a une cible plus acceptable. Je lance un regard discret à mon mari Lucius, celui-ci m’apporte alors deux couteaux d’une extrême finesse, deux aiguilles d’onyx. Devant moi, j’observe les quatre espions sudrabs que l’Empire nous a envoyés. Lucius commence à les détacher. Ils me regardent terrifiés par la soif qui a pris possession de mon corps. Mes mains tremblent, les couteaux se frottent produisant la mélodie du meurtre sanguinaire. Leurs pieds et mains détachés, ils se mettent à courir. Je reste là, immobile. Lucius m’apporte mon cheval, je monte dessus et observe la direction de mes victimes. Ils courent dans les marécages, l’eau les ralentit. Je fonce alors qu’ils sont à une centaine de pieds. J’attrape le premier, une femme rousse et jeune, par les cheveux. Un frisson d’excitation me parcoure. Je lui lacère la gorge avec mes couteaux avant de la vider de son sang. Une puissante vague me secoue alors et je me remets en chasse...

Les nuits passent. Nous avons bientôt fini d’inhumer tous les cadavres de tout notre territoire : des marécages à la frontière sudrabs. Au contact du désert, j’eus comme un sentiment de nostalgie. Je me revoyais arpentant ces étendues qui me semblaient infinies. Je me revoyais dans ces tentes où l’on buvait le sang médiocre enrobé aux discussions politiques sur la résurrection de l’Empire.
A l’approche de la frontière, on voyageait masqué et en ordre dispersé. Tout devait être fait rapidement. Quelques nuits plus tard, notre armée avait atteint sa taille maximale. On voyait des Nécros à perte de vue, la plupart, de simples cadavres ambulants mais qui bientôt pourront devenir comme nous, des liches. Il ne suffit que de la volonté des vampires.
De ma cage, j’entends les conversations et les rumeurs. Certains parlent de partir à la conquête de Nos-Driaroth, de mettre Zahoé sur le trône, d’autres de partir directement combattre les Sudrabs. Ils se sont enorgueillis du nombre, ils sont devenus comme les Sudrabs, ils ne pensent plus que par la quantité.
C’est alors qu’en pleine nuit, une ombre s’approche de ma cage.
« Il est temps que l’observateur sorte de sa cage ». Je reconnus tout de suite cette voix : Lucius. Mais pourquoi lui et pas Zahoé. « Malta, l’heure de la rencontre entre nos deux camps a sonné. » Il s’approche de la cage, si près que je vois son visage, ses longs cheveux noirs tombent en cascade derrière son dos. Il porte sa tunique d’érudit, une tenue de lin de couleur ocre. Il ouvre la cage et me tend la main. Que veut-il ? C’est alors que je vois Kotor derrière.
– Lucius, que me voulez-vous ?
– Nous allons te conduire à la tente de commandement et là on t’expliquera tout.
Je les suivis en silence. Nous sommes des ombres au milieu du camp, personne ne nous prête attention. Je glisse dans un univers que j’ai longtemps observé sans jamais le toucher. Je me déplace dans le camp par ma seule volonté et non pas par celle du conducteur de ma cage. Tout d’un coup, la tente de commandement m’apparaît en un flash, en un éclair. Ce n’est pas tant sa taille qui m’impressionne mais l’éclat d’une quantité prodigieuse de torches qui l’illuminent. Ma première réaction est de me demander comme cela se fait qu’elle n’ai jamais brûlée. Elle rayonne encore plus que la pleine lune, c’est donc cela que les Sudrabs appellent un phare ? J’entre quelque peu apeurée. Je salue les deux gardes, deux vampires. J’ai une impression d’inversement des rôles : moi, la liche prisonnière face à ces gardes vampires. A l’intérieur, au milieu des bougies, Zahoé porte sa tenue de combat, sa tenue d’acier resplendit à la lumière artificielle. Adossés à leur ombre, je reconnais Holtar le Jeune et sa compagne, Gani. Lucius et Kotor se placent à leurs côtés. Une étrange impression se dégage de ce spectacle. Kotor n’est qu’un liche, comment peut-il siéger dans la tente de commandement ? Mais ce qui me dérange encore plus est ce poison qu’est Holtar le Jeune, encore un rejeton d’Holtar l’Ancien, son image inversée, si ce dernier est un roc, le premier est un serpent qui se mue dès que l’occasion se présente, il change de camp à sa guise pour assouvir son objectif personnel secret. Sa compagne est une prêtresse de Hel, la plus intransigeante que je connaisse. Elle partage avec Zahoé, le panthéon du Mal. Dans le désert, elle n’a pas hésité à torturer et à tuer des Nécros ayant renié leur foi en Hel, beaucoup l’appellent l’Inquisa. Cet attroupement singulier culmine par ma présence.
– Malta, j’espère que ta captivité n’a pas été trop longue. Tu reconnaîtras que nous y avons été obligé pour ne pas t’avoir dans nos pattes.
– Il est vrai que je ne m’attendais pas à voir Holtar le Jeune ici, je le pensais resté à la cour de Kaélo XVIII.
Holtar le Jeune esquissa un sourire avant de répondre : « A force de servir, on finit par se desservir donc il vaut mieux rester indépendant et libre de ses mouvements quitte à se sacrifier un peu. » Je voulus répondre mais Zahoé me coupa la parole :
– Nous ne sommes pas ici pour nous battre mais pour trouver un arrangement. Tu comprends que les choses ne peuvent pas redevenir comme avant, le rapport de force a changé.
– Vous voulez le trône…, lui répondis-je
– Non, je veux le pouvoir.
– Alors pourquoi me parler à moi plutôt qu’à Holtar l’Ancien ou à Bazistal ?
– Pour tâter le terrain, pour ne pas me risquer inutilement. Je suis joueuse mais pas folle.
– Alors vous devriez vous plier à suivre Bazisltal et être contente de conserver votre titre de Vice-Roi.
– Un titre n’est pas le pouvoir, ce n’est qu’un mot.
– Vous voulez être une éminence grise, contrôler le royaume derrière le dos de Bazilstal ?
Zahoé voulut répondre mais Holtar le Jeune dont je voyais le visage prêt à exploser mit moins de temps à répondre :
– Nous ne pouvons rester indéfiniment un Royaume, nous voulons conquérir le monde entier…nous devons reforger l’Empire et nous devons le faire surgir des flammes de la guerre, le marteler contre nos prétendus maîtres. Bazistal n’a pas la puissance pour dominer le monde, il n’a pas la volonté alors que Zahoé oui. Elle ne veut pas le titre, alors laissons Bazistal avoir la charge d’un Empereur fantôme pendant que son Vice-Roi gouverne réellement. Enlevons tout pouvoir à Bazilstal.
– Bazistal règne, Zahoé gouverne. Holtar l’Ancien ne va pas être très content, lui répondis-je.
– Voilà pourquoi nous sommes là, émergea de l’ombre Lucius.
– Pour résoudre ce problème, il faudra consentir à partager le gouvernement avec lui...je ne vois pas d’autre moyen.
– Mais à quel degré le partager ? s’insurgea Zahoé.
– A part égal, du moins sur le papier. Nous savons tous que tu as plus d’influence que lui, ce sera le biais à utiliser pour le dominer.
En vérité, cela ne marchera pas, sitôt les troupes remises à l’Empire naissant, leur allégeance va sûrement changer et Zahoé n’est pas totalement prête à jouer les jeux du palais, au contraire d’Holtar l’Ancien qui y joue depuis l’Ancien Empire. Zahoé me regarda droit dans les yeux :
– Très bien. Nous lui ferons la proposition après avoir fusionné nos troupes et après avoir fêté nos retrouvailles.
C’est ainsi que se conclue l’une des réunions les plus importante de la période royale. Le sort en était jeté sur un Empire embryonnaire, un projet que tous les Nécros voulaient voir aboutir. Car plus que le Royaume, l’Empire a une vocation universelle, d’hégémonie, de domination par la séparation. L’Empire est le cœur des Nécros, le Royaume n’en est que la forme bâtarde.

Mon armée de cent mille soldats s’approche de la ville. Les milliers de torches éclairent comme en plein jour, une forêt d’onyx et d’acier. Je suis en première ligne, accompagnée de mon époux Lucius, de Holtar le Jeune et de sa compagne, Gani ainsi que de Kotor et Malta. Face à nous, Bazilstal a revêtu son costume d’apparat et non celui de la guerre, il se tient en compagnie de Holtar l’Ancien.
– J’apporte la paix à un conflit fratricide, j’apporte une armée pour le peuple nécros. J’ai tenu ma parole de vous offrir les armes de notre libération. Cette armée est à vous.
– Un présent inestimable mais que convoitez-vous mon amie ? Que cherchez-vous à prouver ? Ne savez-vous pas le prix que nous a coûté votre aventure ?
Je savais exactement qu’il dirait cela, en plusieurs centaines d’années, on devient prévisible. Je décide alors de me rapprocher de lui pour lui murmurer :
– Je sais ce que cela t’a coûté, je sais que tous me voient comme ton concurrent, mais sache qu’il n’en est rien. Je sais que tu as peur de la guerre et que tu veux l’empêcher à tout prix mais tu oublies toujours une chose mon ami : le poids du nombre est un facteur déterminant lors d’une bataille : deux mille contre un million c’est peine perdu mais cent mille contre un million c’est jouable. Ce n’est pas en vingt ans que tu aurais rassemblé une telle armée. Et n’oublie pas que pour construire ta ville-lumière, cette main-d’œuvre te sera très utile.
– Je pense que tu le sais, mais en vérité, Kaélo a fait remonter dix légions vers le nord pour nous mettre la pression suite à ta petite aventure nécrotique. Heureusement, notre langue de serpent préféré d’ambassadeur a pu empêcher l’invasion de notre territoire. Mais à un certain prix.
– Ma tête je parie ?
– Exactement. Tu le savais j’en suis certain, tu as toujours un coup d’avance sur moi.
– Mais c’est quand même toi qui gagnes à la fin, du moins généralement. Que veux-tu que je fasse ?
– Ce que tu as toujours rêvé.
Bazilstal tira un coup sec sur la bride de son cheval et fonça vers son armée, la longeant jusqu’à un homme, le visage noirci par le désert, d’un coup discret, il leva son épée et décapita l’ambassadeur sudrabs. Nous étions tous consternés, rêvais-je ou bien notre roi qui avait horreur de la guerre venait juste de la déclarer à l’instant.
« Zahoé dis à tes hommes de se diriger vers la frontière sud, nous avons une guerre à mener, une guerre pour notre liberté, une guerre pour les Nécros, une guerre pour Hel ». C’est alors que je compris cette satanée armure d’apparat, notre roi ne supportait plus d’être le sujet d’un puissant, il voulait devenir un Empereur, il voulait restaurer intégralement notre puissance. Je me suis trompée en pensant qu’il allait être un roi à la hauteur de ces satanés Bazil. Enfin, le Nécros qui sommeille en lui est sorti de sa carapace. Il n’y a qu’une seule façon de vivre pleinement en tant que Nécros, c’est de verser le sang et plus on convoite le pouvoir et plus il faut en verser. La quête de la puissance n’est pas égoïste car elle fait de son prétendant un modèle à atteindre, un éclaireur pour tous ceux qui voudront le suivre. Ainsi, les mers de sang s’uniront en un océan d’où seuls émergeront ceux qui auront eu le courage de s’élever assez haut.
« Mais avant de partir à la guerre Votre Altesse, voulez-vous bien vous agenouiller ? » Bazilstal, surpris par mes paroles, se mit à genoux, comprenant leur signification. Je levais alors mon épée d’onyx que j’avais trempé dans le sang de l’ambassadeur, apporté par mon époux Lucius. Je frappais Bazilstal du plat de la lame, sur le crâne puis sur les deux épaules, le sang du mort aspergeant son visage. Puis je versais l’intégralité du sang restant sur son corps, le purifiant lui et son armure. « Que se lève l’Empereur Bazilstal, seigneur des Nécros, héraut de Hel, conquérant de l’infini, que ton règne soit glorieux et que des fleuves de sang abreuvent l’océan de l’éternité. Avance soldat, avance général, que ton épée ne te fasse pas défaut, que tu protèges ta race pour le bien de notre peuple. Par le sang et par l’épée, moi Zahoé, je te fais notre empereur. »
A ces mots, tous les Nécros se mirent à hurler d’une joie si puissante que je ne serais pas surprise si les armées sudrabs à la frontière ne l’aient pas entendue. Toute l’armée se mit en marche, tout un peuple de combattants, prêt à défendre sa liberté, prêt à se libérer des chaînes qui l’ont trop longtemps entravé. Une nouvelle aube se lève pour les Nécros, une aube de sang.
Mais ne vois-je pas au loin, derrière les ombres de notre servitude, le palais de l’Asphodèle ? Ne serait-ce pas cette citadelle de vermeil, le lieu de notre dernier sommeil ? Ma raison me dit que je me trompe mais je me laisse emporter par le courant de l’espoir. Ma barque se laisse glisser le long des rivages idylliques, vers ce mirage bucolique. Oh Asphodèle, quand poserais-je mon âme sur le sol de tes limbes ?



Chapitre 2 : La bataille des Nécros

Fragment III

« Rien n’est plus beau que le regard d’un Nécros à l’approche de la mort. »
Nécros, Lucius, 55 après l'exode (AE).


La lune venait de se lever. Les pâles rayons lumineux resplendissaient sur l’eau morne du fleuve Dria tandis que le vent frémissait entre les tentes. A l’entrée de l’une d’elles, un liche sortit la tête. Il semblait qu’il ait entendu un bruit. Mais au moment où son cou émergeait de son antre, un coup rapide d’une lame courbée lui trancha la gorge au niveau de la glotte. Le corps tomba. Une flaque de sang commença à se former sur le sol terreux. Le visage, banal, avait ce regard de la surprise mêlée à l’horreur. Il connaissait son assassin, il me connaissait.
Alors que le vent commençait à gagner en intensité, les premiers cris se firent entendre, quelques-uns, des dizaines, des milliers. Le sang suintait de partout. Les cris se mêlaient aux interrogations sur l’origine de ce massacre, de ce fratricide. Tous regardaient les cadavres, ils les contemplaient comme ils s’admiraient dans les eaux claires. Aucune sympathie, aucun esprit grégaire, juste la pensée que tout peut s’arrêter maintenant, que Hel peut reprendre son dû à tout moment. Un état immobile avant le retour parmi les fantômes de la vie, avant de rejoindre les rangs de leur meurtrier et de tacher eux-aussi leur âme d’une marque indélébile.
Les cris voyageaient par le vent jusqu’à la tente de Bazilstal. Celui-ci écoutait attentivement tandis que Holtar l’Ancien était assis à ses côtés, silencieux. Un sourire se dessinait sur ses lèvres. Ce n’était pas un sourire heureux mais le sourire du masque, celui qui reste insensible, sans émotion, juste le pâle reflet de ce que le visage doit montrer en ces circonstances. Si l’Empereur a dit qu’il faut tuer, alors le meurtre devient légal, une partie de plaisir légitime. Un plaisir mélodieux qui résonnait en une vaste mélodie qui emplissait aussi les corps que les âmes. Mais cette agréable mélodie s’arrêta à mon arrivée :
– Empereur, êtes-vous satisfait ? Demandais-je.
– Holtar le Jeune, le fratricide, quoique un peu extrême, il n’en demeure pas moins que c’est la solution la plus efficace quand il s’agit de régler un différend.
– Il n’en demeure pas moins que cela me désole...tout cela manque d’une certaine grandeur. S’épouvanta Holtar l’Ancien.
– Tout Empire se fonde par le crime. Ces cadavres serviront de socle pour établir le monument de la paix et de la prospérité impériale. De toute façon c’étaient des traîtres, ils devaient être purifiés…, répondit d’une voix assurée Bazilstal.
– …purifiés de quoi ? D’un crime qu’ils n’avaient pas encore commis ? Car ils ont été ressuscité par Zahoé et ses pairs ? S’insurgea Holtar l’Ancien.
– La graine corrompue ne peut donner qu’un arbre malade. Ajoutais-je.
– Et pourtant, certaines de ces graines nous ont aidés, Zahoé vous a couronné, la majorité des vampires et des liches zahoïstes sont passés dans notre camp. Alors pourquoi avoir ce besoin de tuer leurs goules ? Interrogea Holtar l’Ancien.
– Simple mesure de précaution. Un Empereur ne peut rester passif et dois-je vous rappeler qu’à la différence d’un Royaume, un Empire est hautement inégalitaire, je pourrais vous faire tuer à l’instant, de la même manière que nous avons tué ces nuisibles cette nuit. Nous sommes des prédateurs qui fondent la survie du groupe sur le meurtre des plus faibles, des plus nuisibles. Si l’un défaille, il est du devoir des autres de l’éliminer au nom du collectif. Annonça Bazilstal.
– Mais même l’Empereur peut défaillir… risquais-je à ajouter.
– l’Empereur n’est qu’un Nécros, ce n’est qu’un acteur reconnu pour son talent à faire croire qu’il est le meilleur. Mais je retiens vos propos, menacer l’Empereur n’est pas sans conséquence surtout venant d’un ancien compagnon de Zahoé…me répondit Bazilstal.
– ...si seulement l’émetteur de la menace devait perdre de son utilité, car après tout, c’est cela notre choix : entre ce qui est utile ou inutile, ce qui est nécessaire ou ce qui ne l’est pas, entre tuer ou être tué. Vous avez peur Bazilstal. Votre ombre vous fait frémir. Le sang qui a été répandu cette nuit en est la marque, la contamination. Le fardeau du pouvoir vous pèse et vous écrase. Vous devenez progressivement une vaste statue de marbre, passive et si fragile que d’un mouvement brusque n’importe qui pourrait la faire chuter de son piédestal et elle ne redeviendrait alors que des morceaux de marbre, toute vitalité lui aurait été enlevé. Alors vous éliminez tous ces potentiels assassins plutôt que le poids qui vous pèse. Vous vous trompez de cible, votre ennemi, c’est Vous, votre Majesté, continuais-je.
– Tu vas trop loin, s’insurgea Holtar l’Ancien.
– Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous. Je suis ce grain, cette individualité qui fait dérailler la machine collective. Si ça ne tenait qu’à moi, il n’y aurait pas d’Empire, pas de Royaume
– Attention à ce que vous dites si vous prônez le néant, me répondit Bazilstal.
– Je ne prône pas moins le néant que vous : vous cherchez à vider l’Empire de ce qui fait sa force pendant que moi je cherche à vider l’Empire de son essence. Nous travaillons tout deux contre l’Empire sauf que nous le faisons pour des raisons différentes. Vous cherchez à faire de l’Empire, non pas un régime politique spécifique mais votre régime, là où moi, je cherche à le faire imploser pour faire éclater la liberté. Cher Empereur, nous ne sommes après tout que les deux côtés d’une même pièce, celle de l’ordre chaotique qui fait émerger la pleine puissance de notre race. Vous rêvez de conquérir le monde pour vous tandis que je rêve de le conquérir pour tous les Nécros.
– Vous vous prétendez le défenseur de la liberté et le chevalier du Bien, et pourtant, vous massacrez vos pairs. Sur quel pied dansez-vous ? S’exclama Bazilstal.
– Vous me prenez pour ce petit trublion qui fait le mariole, mangeant à tout les râteliers. Et pourtant, mes actions ont une logique très claire, celle de la survie. Pourquoi manger chez le paysan quand on peut manger à la table d’un noble ? Je ne danse chez vous que pour que vous entendiez mes pas au rythme de votre chant du cygne. J’espère que ce tableau vous plaît autant qu’à moi car seul le présent mérite d’être vécu et j’espère que ce présent que je vous offre est un gage d’espérance pour votre pouvoir fracturé qui vous fait souffrir.

Dans une nuit si claire, on se battait de tente en tente. Un sang fratricide coulait en une mer déchaînée par les vagues de la folie meurtrière. Nécros contre Nécros, sang contre sang, la honte nous emportait au loin dans l’océan des horreurs créatrices. Immondice bestiale qui nous terrasse en ces heures sombres où seule la nature produit encore de la lumière pour les spectateurs affolés de cet odieux massacre. Mais tout ceci n’est rien face à mon euphorie de voir Zahoé dans sa cage. Elle doit se tenir courbée, le dos avachi en signe de soumission. Elle se dresse du mieux qu’elle peut face à moi. Son ombre se projette à mes pieds. Elle a ce regard de l’animal qui se sait battu. Où est donc le fauve qui dominait Holtar l’Ancien ? Le dépit a-t-il vaincu ses dernières forces ?
Alors que je pensais qu’elle resterait là, le regard perdu et le corps vide, elle arriva à souffler quelques mots : « Tant de sang... » La voix était si mélancolique, si sombre qu’elle en conservait tout son charme. Toute mon âme me pressait de fuir, de ne pas être sublimée par cette voix. Mais je ne pouvais partir, je n’avais pas encore eu ce que je voulais. Zahoé était là, devant moi, il fallait que je la tue. Peut-être mon regard m’avait-il trahi mais je sentis dans le regard de Zahoé, comme un changement. Tout d’un coup, son visage semblait se fissurer, comme si le masque qu’elle arborait aller rompre et laisser place au miroir de son âme. Et c’est ce qui semblait se passer. Elle cligna de l’œil trois fois et à chaque clignement, le bleu de ses yeux devenait de plus en plus sombre, de plus en plus profond. Je me sentais aspirée dans son regard. Plus je m’en allais et plus le bleu cédait la place au rouge. A la noirceur succédait le sang. Elle ne semblait plus avoir de visage, uniquement deux yeux rouges qui me fixaient d’une intensité démoniaque et qui me brûlaient de l’intérieur. Elle avait percé mon armure, mon corps et souhaitait maintenant extirper mon âme.
Mais au dernier moment, je résistai. Quand je revins pleinement à moi, elle me fixait toujours mais ses yeux avaient retrouvés leur pâleur bleutée. C’est alors que je compris :
– Tant de sang, vous ne parliez pas des morts de cette nuit mais de votre âme. Vous vous noyez dans tant de sang.
– (elle me sourit) Avez-vous déjà tué Malta ? Je parle bien évidemment d’un autre Nécros, les autres ne comptent pas…Bien entendu que vous n’avez tué aucun autre Nécros, sinon vous auriez compris. Il n’y a de meurtre que s’il y a fratricide, si vous tuez l’un de vos frère, que ce soit un liche ou un vampire. Si vous tuez un Sudrabs ou un Aragtis, qui pourrait vous condamner ? Le tribunal des mouches et des insectes ? Le vrai défi est de tuer l’un des notre, de voir une vie immortelle s’échapper d’un réceptacle vide. Tuer un Nécros est le deuxième pas vers Hel après être devenu un Nécros. Cela vous forge et vous permet d’acquérir le Don de la sublimation, la capacité de sublimation de l’autre. Un pouvoir qui ne marche que sur les esprits les plus faibles, autrement dit l’espèce humaine, les goules et la plupart des liches. Sais-tu pourquoi mes yeux sont bleus et non pas rouges ?
– A cause du Mal bleu, c’est une contamination inexpliquée que vous avez depuis votre résurrection.
– Belle légende n’est-ce pas ? Si tu veux devenir plus forte Malta, crées-toi une légende suffisamment énigmatique et les gens t’accorderont plus de faveur pour percer ce mystère. Les forts ne le sont que parce que les autres le pensent. La puissance se fonde avant tout sur l’imagination qui découle du mensonge vraisemblable. Sais-tu qui est Lucius ?
– Votre mari, qui est un éminent archiviste.
– En quoi est-il un éminent archiviste ?
– ...Il conserves les écrits de l’Ancien Empire, balbutiais-je.
– Peux-tu en citer un ?
– Et bien, je ne suis qu’un liche, je n’ai pas accès à ces connaissance…
– ...Il n’existe aucun écrit encore existant de l’Ancien Empire, tout a été détruit, perdu, oublié,… il ne reste que la chair de notre monde, l’esprit s’en est lui, retourné à Hel.
– Mais alors, pourquoi…
– ...pourquoi faire croire que ces archives existent ? L’espoir. L’idée que l’on vienne de quelque part, que nous avons une maison, un chez-soi qui nous attend. Mais les Nécros ne viennent pas de cette terre, celle que tu foules sous tes pieds. Certes, c’était ici l’une de leur plus grande cité : Driaroth, la Ville du Fleuve, mais ce n’était pas la Capitale mais une capitale parmi d’autres. Tu crois que Bazilstal et Holtar l’Ancien sont les plus vieux Nécros ici présents,… tu te trompes lourdement. Bazilstal n’a que six cent ans et Holtar, huit cent, tandis que Lucius porte dans son sang vingt-milles ans d’histoire.
– Alors d’où venons-nous ?
– De l’autre côté de la Mer Intérieure, là où vivent nos anciens esclaves…
– ...nos anciens esclaves ? Quoi...Vous voulez dire que les…
– ...Aragtis étaient notre vermine, la force qui faisait tourner notre monde jusqu’à ce que la révolte ne les pousse dans les bras de la rébellion. Ils ont juré de tous nous tuer. Mais le temps a passé et très peu savent encore qui sont les Nécros. Le corps survit là où la mémoire failli. Malta, tu as eu l’honneur de rencontrer Bazil VI dans les ruines de Driaroth.
– Comment pouvez-vous le savoir ?
– L’as-tu cru ?
– Comment cela ?
– Son histoire, avec ces humains qui édifient des tombes et arrosent les plantes d’un peuple mort face aux attaques sudrabs.
– Je ne comprends pas où vous voulez en venir.
– Le Nécros que tu as rencontré est celui qui m’a ressuscité, c’est en quelque sorte mon père spirituel.
– Mais vous avez trois cent ans, or, Driaroth est tombée il y a quatre cent ans...cela n’a aucun sens !
– Malta, tue-moi.
– Quoi ? Avez-vous perdu la tête ?
– La mort n’est rien, tu t’en rendras compte assez vite. Il faut que tu tues un Nécros, il faut que tu deviennes une meurtrière pour comprendre.
– Mais...et vous, je ne vais pas vous tuer.
– Au fond de toi la fervente loyaliste ne chercher qu’à cela, c’est bien pour ça que tu es venu me voir, pour me tuer. Je peux sentir le poignard retenu par ta ceinture, alors cède à tes démons, cède à la tentation. Coule pour apprendre à nager dans les rafales du temps. Accepte le sang car tel est ton destin, Nécros ! Regarde-moi encore une fois avant de me tuer, contemple ta victime sacrificielle. Laisse ce corps mourir encore une fois.
Mon esprit était en pleine confusion. Que faire ? Elle avait raison, j’étais venue pour la tuer, elle, la traîtresse à l’origine de notre contamination. Je ne sais plus quoi faire, pourquoi m’a-t-elle dit toutes ces choses ? Pourquoi ces mensonges ou ces demi-vérités ? Trop de questions me taraudent et m’aspirent en un puits dont la profondeur masque les quelques rayons éclaircissant.
C’est alors que mon âme se réveilla d’un sursaut. Un monstre s’était éveillé, cette créature que je sentais en moi et dont je résistais depuis toujours à l’appel s’était emparé de moi. Spectateur impuissant, j’assistais au meurtre de Zahoé. Le poignard trancha sa gorge avant que ma bouche ne couvrit la blessure pour en aspirer tout le sang. A la fin, le corps desséché me resta entre les mains. Par vagues, je ressentais des tremblements dans tout mon corps. J’avais tellement bu de sang que je voyais tout en rouge, ma vision s’était obscurcie et mes sens s’étaient aiguisés. Mais plus encore, je sentais une nouvelle présence en moi, comme tapie derrière le miroir de mon âme. Le monstre semblait avoir disparu. Je regardais mes mains qui tenaient encore le poignard ensanglanté. Tout d’un coup, j’entendis un léger bruit, presque comme un léger souffle de vent qui faisait voltiger les feuilles de l’automne. Encore un autre, encore un autre, le bruit se répétait par vagues.
C’est alors que surgit devant moi Zahoé, elle semblait vivante mais quand je tentais de la toucher, je n’attrapais que de l’air. Elle me fit signe de la suivre. Elle ne prononça aucun mot et ses pas ne faisaient aucun bruit. En fait, elle semblait léviter. On remonta le camp où l’on s’affairait à extirper les cadavres et à rassembler les affaires des uns et des autres. Le camp loyaliste était clairement vainqueur malgré notre infériorité numérique, l’effet de surprise nous avait assuré la victoire. Mais ce n’était pas à cela que je pensais. En vérité, je compris où nous allions dès l’instant où je vis les deux points bleus du drapeau zahoïste. Lucius était couché sur son lit, il remuait dans sa bouche une tige d’herbe qu’il semblait astiquer. Quand je rentrai dans la tente, il ne sembla pas me voir, ou du moins, il ne dit pas un mot. Au bout de quelques instants, alors que j’allais commencer à parler. Il s’extirpa du lit, me regarda longuement avant de toquer deux fois dans le tissu de la tente adossé à son lit. Il me fit signe de m’asseoir sur la chaise de son bureau. Il se mit alors entre moi et la porte. Zahoé, quand a elle s’était installée sur le lit, légèrement avachie en arrière, alternant entre un air joyeux et un air malicieux. C’est alors que Lucius prit la parole :
– Tu dois être déboussolée. On l’est tous quand ça nous arrive : la bête nous avale entièrement, on se sent défaillir face à la monstruosité, à la fois tuer l’un de nos frères et aspirer son sang. Je t’avouerai que je ne sais pas ce que te trouve Zahoé pour t’avoir accordé son corps...Peut-être voit-elle en toi une facette d’elle. Il ne fait en tout cas aucun doute que tu n’es plus un liche.
– Je ne suis plus un liche ?
Cette question resta en l’air l’espace d’un instant et retomba lorsque deux goules vinrent poser le cadavre de Zahoé à mes pieds. C’est alors que la Zahoé assise sur le lit se leva et contempla son corps.
– Comprends-tu ce qu’il faut que tu fasses maintenant, me demanda Lucius.
– Mais je ne sais pas comment ressusciter.
– Si, mais cela est caché au fond de toi. Regarde l’esprit de Zahoé. Celui-ci se tenait face à moi. Il commença à faire bouger ses lèvres et instinctivement, comme en écho, mes lèvres bougèrent aussi en formant des sons. Nous étions connectés, nous étions sur la même temporalité. Je ne pouvais plus m’arrêter de parler et de prononcer les incantations. Pendant ce temps là, Lucius versait du sang sur le corps de Zahoé. La blessure à son cou commençait à se refermer pendant que le sang était aspiré par sa peau. Mon cœur et mon âme semblaient comme pressés par une masse forgée par la voix, par la parole. On aurait dit que mon esprit commençait à se fissurer en deux, qu’une partie voulait s’échapper de moi. L’esprit de Zahoé se rapprochait de plus en plus de son corps, il en venait à toucher de ses deux mains son crâne. C’est alors que je me rendis compte que les paroles que je prononçais étaient différentes de celles que les vampires avaient utilisées pour réveiller les morts sudrabs. Soudain, tout devint sombre.
A mon réveil, mes sens étaient tout engourdis. J’étais dans le lit où se tenait l’esprit de Zahoé. Dans la tente, il n’y avait personne. Sur le bureau, je voyais les mêmes parchemins. Une intense lueur enveloppait le lieu. La lumière s’infiltrait partout et miroitait sur le tissu de la tente. J’étais presque aveuglée. J’entendais de nombreux sons variés venant de l’extérieur, des bruits de pas, des animaux,…et toutes ces choses qu’un peuple en paix a l’habitude d’entendre. Étonnée, je sortis de la tente. Et là face à moi, se dressa le paysage le plus étrange que je vis de mon existence. Tout autour de la tente se dressait une ville tentaculaire. Des tours s’élevaient dans les airs. Entre celles-ci, de longs draps étaient étendus, de façon à masquer le soleil. La lumière venait quant a elle, de cristaux incrustés le long des voies de pierre où s’attardaient de nombreuses silhouettes. Au début, je crus y voir des humains jusqu’à ce que j’aperçoive qu’une troupe d’une dizaine de ces ombres s’était arrêtée devant une échoppe vendant du sang dans des bocaux. Ils parlaient une langue incompréhensible dont je reconnaissais quelques sons, quelques mots. Personne ne semblait pouvoir me voir, ni la tente par ailleurs. Je décidais de marcher, de m’aventurer dans cette cité fantastique.
Au bas des tours se dressaient de petites échoppes et entre elle, des chemins menaient à des atriums où des cascades de sang et d’eau s’écoulaient depuis les parois intérieurs des tours. Des adultes et des enfants étaient assis sur des bancs. Ils avaient tous ce sourire, si humain, de la béatitude, de l’idiot sourire comme on le dit aujourd’hui. Soudain, je tombai sur une gigantesque avenue où des centaines de charriots s’écoulaient tandis que les piétons traversaient la rue par des ponts. Lorsque l’on était en plein milieu de ceux-ci, on pouvait observer toute l’artère. La vue donnait jusqu’au cœur de la ville, jusqu’à la Grande Bibliothèque. A partir d’elle et de ses tours annexes, d’immenses tissus embrassaient la ville.
C’est alors que je les vis au loin. Des Aragtis. Ils étaient rattachés deux par deux et avançaient à grande vitesse sur le couloir intérieur de l’avenue. Sur eux, des caisses étaient entassées sur presque cinq pieds et encore au-dessus se trouvait une femme tenant les rennes de cet étrange convoi. Lorsque celui-ci passa sous le pont, une main me toucha. C’était celle d’un enfant. Il me regardait d’un air béat avant de me planter un couteau dans le cœur. C’est alors que je m’écroulai au sol pendant que tout autour de moi, les immeubles tombaient en ruines, que les tissus prenaient feu et que la lumière naturelle ne vienne consumer mon cadavre. Aux derniers instants de ma conscience, je vis une créature ailée, constituée d’écailles d’un noir sombre. La créature semblait comme fondre vers moi lorsque je repris conscience dans la tente de Lucius.
La lumière s’était faite obscurité. Les rayon cristallins avaient cédés la place à la nuit. Devant moi, se tenaient Lucius, Zahoé et Kotor. Lucius était à son bureau, un parchemin déplié devant lui, l’esprit pensif. Il n’arrêtait pas de se gratter le front. Derrière lui, Zahoé était assise sur une chaise face à Kotor qui se tenait debout. Je compris que Zahoé lui transmettait une série de noms. Mon première réflexe fut de sortir de la tente presque en courant. Mais dehors, aucune tour, aucun tissu si ce n’est celui qui recouvrait la vallée de la Dria en des îlots de tentes. Sur mon épaule, je sentis une main. C’était celle de Zahoé. Elle me regardait avec le même sourire béat que l’enfant.
– Tu as compris maintenant, n’est-ce pas ?
– Oui je crois, mais j’ai encore tant de questions, comme par exemple…
– ...Non ! Je ne peux te répondre, tu dois découvrir tes propres réponses. Aucune histoire n’est objective, il faut que tu la vives pour la comprendre, sinon cela ne servira à rien.
– Mais qu’est-ce que c’était que ce rêve ?
C’est alors que Lucius nous rejoignit pendant que Kotor restait à l’intérieur, il semblait avoir relayé Lucius dans ses travaux.
– Ce n’était nullement un rêve, me répondit Lucius, c’était le Don de l’œil, le pendant du Don de la sublimation, deux attributs du vampire. L’œil est l’antichambre de la pensée car la vue est notre principale faculté. La vision n’est pas seulement externe, elle peut aussi être interne, c’est l’introspection de soi.
– Mais ce n’était pas moi ce que j’ai vu, lui répondis-je.
– Malta, il faut que tu comprennes que tu n’es rien, car ton existence repose sur le néant, celui de l’infini. Nous sommes éternels plus qu’immortels, nous sommes ce qui était, ce qui est et ce qui sera. Sais-tu ce que veux dire Nécros ? me demanda Lucius.
– Morts-Vivants ?
– Ceci est une déformation. Non, le mot Nécros vient de l’ancien ananekra : Nekra signifie le voyageur ou observateur immuable. Des millénaires ont déformé le mot et lui ont donné son apparence actuelle : Nécros.
– Qu’est-ce que l’ancien ananekra ?
– Ana veut dire la parole donc ananekra signifie le parler des observateurs immuables. L’ancien ananekra était le langage prophétique de l’Ancien Empire à l’opposé de l’ananekra commun parlé par les plus anciens Nécros et du langage nécros, celui que nous parlons qui est issu de l’ananekra commun ainsi que du sudrabs avec quelques mélanges issus d’autres parlés. Tout ceci est assez complexe mais ce qu’il faut que tu saches c’est que nous sommes des observateurs immuables, c’est-à-dire que la mort matérielle n’est pas une fin en soi. Une âme sans corps va vivre tel un fantôme dans le passé sans jamais l’altérer, du moins si l’âme du Nécros n’a pas été arraché par un autre Nécros car sinon il survit en lui comme Zahoé a survécu en toi.
– C’est horrible. Ne plus rien pouvoir faire, toucher, avoir une conséquence sur le monde où l’on vit.
– On appelle cela l’humilité nécrotique ou l’exil de l’âme éternelle. Si le corps rattaché à l’une de ces âmes est ressuscité, alors l’âme rejoint notre monde.
– En ayant tout oublié ?
– Non...la mémoire contenue dans notre cerveau matériel est faillible mais derrière les murs de la matière, l’immatériel reste présent et si l’on écoute bien, on peut sentir ses battements. Mais une âme qui s’est perdue pendant des millénaires dans ces lieux mythiques a perdu de son sang ce qui laisse des marques.
Lucius marqua alors une pause et regarda longuement Zahoé. Celle-ci restait silencieuse avant de glisser d’une voix d’outre-tombe :
– Ce n’est pas pour rien que j’ai les yeux bleus. Le premier lieu que tu vois quand tu transmets une âme à un corps ou quand tu meurs matériellement est celui où ton âme est née ou du moins, un moment fondateur pour ton âme. Malta, tu as vu l’Ancien Empire car ton âme est jeune mais à chaque fois que tu transmettras une âme ou que ton corps mourra, tu pourras voyager là où tu le souhaites, il suffit juste que tu apprennes à manier les rênes de notre histoire. Moi, quand j’ai pour la première fois traversée l’espace et le temps, je me suis retrouvée dans une prairie enneigée sous une pleine lune. Une Nécros m’arrachait la gorge de ses griffes. C’était il y a six cent mille ans. Ta mort primordiale est à la fois une image fidèle de ce qui s’est passé et un trompe-l’œil.
Elle semblait presque sur le point de continuer lorsque Kotor vint nous retrouver.
– Nous perdons du temps, le soleil va bientôt se lever. Qu’on en finisse.
– Kotor, nous avons besoin de Malta si nous ne voulons pas tout perdre, lui répondit Zahoé.
– Que voulez-vous dire ? Demandais-je.
– Nous savions que Bazilstal allait ordonner le massacre de nos troupes, Kotor avait intercepté un message transmis à Holtar le Jeune, notre plan pour nous lier à Holtar l’Ancien a échoué face à la trahison de son traître de disciple. En vérité, on s’y attendait, il fallait nous y résigner. Et même, cela nous arrangeait. Maintenant Bazilstal ne va plus nous considérer comme une menace, me répondit Zahoé.
– Mais je ne comprends pas ce que moi je suis censé faire. Vous voulez me retourner contre Bazilstal ? Vous voulez que je devienne votre espion dans la cour de notre Empereur ?
– Oui, me répondit Lucius d’une voix si douce qu’elle sembla atteindre directement mon cœur.
– Je suis une loyaliste.
– Nous aussi, me répondit Kotor, nous militons pour la grandeur des Nécros. La cité que tu as vu, n’est-elle pas la plus belle que tu ais vu de ta vie ? Nous voulons que le passé redevienne réalité. Un temps où nous étions égaux entre Nécros. Un monde où tous connaissaient la vérité de notre existence, de notre but. Un monde où tous connaissaient notre essence, le sens de notre existence.
– Quel sens ? lui répondis-je.
– L’observation. Nous sommes les gardiens de l’histoire du monde. Tu en fais maintenant pleinement partie. Je pense que tu as compris, tu es devenue une vampire. Ton fardeau sera qu’a chaque résurrection d’une âme qui s’est perdue, tu revives ce passé, qu’à chaque mort matérielle, ton esprit parcoure ce monde derrière le voile du temps. Je ne suis encore que liche, mon heure n’est pas encore venue. C’est à toi de prendre une décision. Que fait Bazilstal ? Il s’approprie une armée d’esclaves, des goules tout juste conscients tenus par des liches ignorants et d’une poignée de vampires maîtres du savoir. C’est cela que tu veux ?
– Je ne sais pas. S’il fait cela, c’est pour le bien de tous. Si tous savaient, nous ne ferions que de nous entre-tuer pour vivre et revivre cette expérience sans nous soucier du temps présent. On aurait alors perdu de vue votre sacro-sainte mission d’observation du monde. Le présent et l’avenir nous auraient échappé devant l’attraction de l’âme pour le passé !
– Voici le risque. Tu serais donc prête à participer à ces mensonges pour nous sauver de notre attraction, pour faire contrepoids ? Me jeta en pleine face Zahoé.
– Si cela est nécessaire, mais je pense qu’un entre-deux est possible, un équilibre entre une vérité totale qui risquerait de nous éblouir ou l’obscurité du mensonge.
– C’est ce que nous proposons. En vérité, tous les Nécros ne peuvent devenir des vampires, seuls les meilleurs d’entre-nous le peuvent, ceux qui ne risquent pas de sombrer, me répondit Lucius.
– Des Nécros ont-ils déjà sombré ?
– Seuls ceux qui sont lâches. Tu en a déjà rencontré un, glissa Zahoé.
– Bazil VI !
C’est alors que je me souvins de ses paroles sur le fait qu’il ai perdu une partie de sa mémoire et qu’il voulait tuer Bazilstal. En vérité, il faisait rédiger ce qu’il avait vu dans ses voyages. Mais pourquoi vouloir tuer Bazilstal ?
– Quelle était sa relation avec Bazilstal ? Osais-je leur demander.
– Du fait de son mal, Bazilstal a pris le pouvoir aidé d’un grand aristocrate de cette époque : Holtar l’Ancien. Tout cela, c’était au tout début de l’exode, alors que les fuyards partaient au sud. Bazil VI a été obligé de rester sur place car il était devenu fou sous l’emprise du passé. Il n’était plus qu’une ombre qui ne rêvait que de terrasser celui qui lui a tout pris, Bazilstal. C’est à cause de lui si les premiers exilés ont juré de ne rien dire sur notre véritable nature, il ne pouvait y avoir de faiblesse dans l’exil. Il a massacré tous ceux qui se sont révoltés, me conta Lucius. Bazil VI espérait sûrement que tu apprennes cette malheureuse vérité et qu’à la lumière de l’évocation de la volonté de tuer Bazilstal, tu ne le tue vraiment comme charmée par cette parole incantatoire.
– Mais comment pouvez-vous connaître la parole qu’a prononcé Bazil VI ?
– Il avait prémédité son coup et notre espion parmi ses humains nous a contacté, c’est pour cela que nous sommes arrivés aussi vite dès que nous avons appris ta disparition du camp. Mais cela n’est pas ce qui est le plus important. Nous avons besoin de toi Malta. Nous avons besoin d’une personne proche de Bazilstal pour le surveiller. Holtar le Jeune est un traître et Holtar l’Ancien est endoctriné. Il n’y a que toi qui soit capable de nous donner ce dont nous avons besoin. Tout ce que nous avons fait avec toi n’était fait que dans ce sens : te donner pleinement le choix de ton existence. Alors que choisis-tu ? Me demanda Zahoé.
Je pris un instant pour réfléchir. Alors ils avaient fais tout cela pour que je devienne leur espion. Je pourrais répondre oui et si jamais je découvrais quelque chose de dangereux, je pourrais me taire. Mais qu’est-ce que je dis. Je suis une loyaliste. Jamais je ne trahirais l’Empereur. Zahoé et sa troupe ne sont que des rebelles qui m’ont enfermé. Mais les arguments penchent en leur faveur, tout ceci est trop gros pour ne pas être vrai. J’ai bien vu une ville, j’ai bien prononcé la résurrection de Zahoé alors que j’aurais pu la tuer. J’ai été influencé. Mais est-ce si mal ? Mon esprit sature et soudain me vint une question :
– Qui est Holtar le Jeune ?
Ma question sembla surprendre mes interlocuteurs.
– Un traître, cracha Kotor.
– Un opportuniste, répondit Zahoé.
– Un non-Nécros, finit par dire Lucius.
– Mais si vous dites que c’est un traître, c’est qu’il a participé au massacre de vos troupes donc qu’il s’est rangé du côté de Bazilstal. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi lui a fait cela ?
– Il a refusé sa nécronité, me répondit Lucius.
– Quoi ?
– Il a refusé d’utiliser ses Dons. Il n’a pas voulu l’expliquer. Nous l’avons alors rejeté car il menaçait de corrompre nos liches que nous voulions transformer en vampire. C’est lui qui a capturé Zahoé. Mais pourquoi t’intéresse-t-il ? Me demanda Zahoé.
– Si j’accepte de vous aider en espionnant mon Empereur, je veux que vous fassiez tout pour supprimer Holtar le Jeune. Si vous, Zahoé, vous êtes un traître à notre Empereur, Holtar est lui un traître aux Nécros. Il est une individualité incontrôlable, un danger pour notre race, une anomalie à supprimer. Si je vous ai posé la question, c’est pour connaître la pensée de ceux qui le connaissent bien ou du moins, de ceux qui pensent le connaître. Si Bazilstal est devenu Empereur par ta main Zahoé, c’est pour la gloire de notre nation, pour nous élever tous ensemble, le regard tourné vers l’avenir. Je pense que tu comprends maintenant pourquoi je ne voulais finalement pas te tuer et que j’accepte mon sort, celui d’être l’instrument du destin, de la nécessité pour le bien des Nécros. Car après tout, je ne suis qu’un outil plus ou moins bien manié et qui n’est que le représentant partiel des Nécros. Je suis une matière encore argileuse qui n’a pas encore pris sa forme définitive et qui se laisse sculpter au gré des vents. Là où je change pour le bien, là où je trahis pour l’avenir, Holtar le Jeune change pour le mal et trahit notre peuple. Je ne suis finalement qu’une parole optimiste et déchirée dans le vent des vacarmes du destin et de la nécessité. Je suis les Nécros et je ne suis rien.


Fragment IV

« On a souvent réduit les Sudrabs au désert, ce qui est faux. Certes, leur nation vient du désert et de ses richesses mais leur civilisation s’est depuis, largement étendue en dehors. La majorité de la population vit ainsi dans un climat tempéré ou tropical, au sud des déserts septentrionaux, à la frontière de l’empire nécrotique. Les Sudrabs ont perdu ce qui faisait d’eux, des hommes du désert. D’isolés, ils sont devenus populeux. Comme le disait si bien Kaélo XII avant qu’il ne devienne fou : « Je règne sur le nombre ». Les Sudrabs sont un peuple aliéné par le nombre et la plus grande marque de cela est l’unique nom impérial : Kaélo, seul change le numéro. »
Regard depuis les montagnes, auteur inconnu, vers 60 AE.


Les fourmis avançaient en plusieurs colonnes séparées au sein d’un paysage sculpté par des vents millénaires. Leur allure ordonnée et séculaire se faisait tout d’un coup chaos lorsque le fracas de deux corps qui se battent attira leur attention. Les deux Nécros se tenaient face à face, leur armure d’acier et leur lame d’onyx faisaient d’eux des ombres dans la nuit qui se levait. Tout autour, des milliers reproduisaient leur mouvement en de longues files de duels. Au loin, un autre Nécros fumait une pipe en ma compagnie.
– Lucius, quel charmant spectacle que de voir une armée s’entraînant pendant des nuits et des nuits pour mourir au bout de quelques minutes de combat, lui dis-je.
– Toujours aussi incisif Holtar le Jeune.
– Il faut parfois rappeler la réalité de la guerre. Au moins, notre armée est passée d’un stade goulique à un stade lichique. Heureusement que Bazilstal a accepté de transformer la majorité des goules en liches. Rien ne vaut le spectacle de liches souhaitant faire acte de bravoure pour prouver leur nécronité. Ils sont si naïfs que je les envie.
La fumée de la pipe de Lucius formait un épais nuage autour de ses cheveux dorés.
– Que crois-tu. Nous sommes venus ici pour gagner une guerre…
– ...qui nous est impossible à gagner. Oui je sais, c’est pour cela que nous sommes passés de prédateurs à proies. Nous avons choisis de nous enterrer dans ce qui va devenir la forteresse de Nos-Driaroth.
– Un triple mur, plus de cinquante tours, un seul pont, le détournement du fleuve pour créer des douves et un marécage. Tout ceci prendra des mois alors qu’il faut deux semaines pour les armées sudrabs pour nous attaquer, alors pourquoi as-tu approuvé ce plan Holtar le Jeune ?
– Il faut certes neuf mois pour ériger cette forteresse, mais c’est largement suffisant. Les Sudrabs n’arriveront que dans dix mois à un an.
– Comment en es-tu si sûr ?
– Kaélo XVIII me l’a dit.
– Kaélo…arrête de me faire marcher.
C’est alors que je sortis un parchemin de très petite taille dont je dépliai le contenu avant de lire à haute voix : « Moi le 10 à 12 transpercerais le sable pour faire saigner la tête par le fracas du cheval ».
Lucius manqua de s’étouffer face à ce message.
– Attends Holtar le Jeune, c’est impossible…
– ...de quoi ? Qui commande les armées Sudrabs ?
– Le fils aîné de Kaélo XVIII, aucun père ne mettrait en péril son fils.
Je pouffais face à tant de bêtise.
– Kaélo XVIII n’est pas un père, c’est une force qui a pris forme humaine. C’est une idée enchâssée dans un corps mortel. La paternité et encore moins l’humanité ne peuvent exister en lui car il a l’emprise sur l’absolu. Tout ce qui n’est pas lui, lui est inférieur. Son fils n’est rien et nous aussi. Il nous envoie cette lettre pour nous transmettre la mise à mort d’un gêneur à son emprise et dans le même temps, il nous dit qu’on ne peut gagner sans son aide.
– C’est un monstre.
– Il est la perfection nécrotique, notre idéal. C’est une machine faite de chair qui n’a qu’un objectif : la puissance et sa reconnaissance.
– Alors tu as bien oublié ce qu’est la nécronité pour vociférer d’aussi sombres idées.
– Lucius, les mots changent de sens et il faut parfois leur donner une seconde jeunesse lorsque les temps le demandent.

« Julius, un message de votre père l’Empereur ». Cette phrase me revenait sans cesse depuis que l’un de mes officiers l’avait prononcé. Tout semblait faux dans ce message et pourtant tout était bien ordonné. Rien que le nom, Julius, un « Votre Excellence » aurait été bienvenu au regard de la relation hiérarchique. Il me jetait Julius comme s’il était mon camarade, comme s’il était mon égal. N’aurait-il pas oublié que tout n’est qu’ordre et hiérarchie. L’égalité n’est rien, ce n’est qu’une chimère que professent les simples d’esprit. Il n’y pas d’égalité, il n’y a que l’ordre et le respect de celui-ci. L’Empereur est plus puissant que le père, il aurait fallu l’inverser. Quelle bonne idée j’ai eu que de faire exécuter ce traître à la bonne parole.
– Commandant en chef, le gouverneur de la Marche ouest refuse que nos troupes passent par son territoire. Il dit que le risque de pillage est trop grand et qu’il souhaite le maintien de l’ordre dans ses terres.
– Encore un, cela fait plus de six mois que nous sommes coincés ici ! Tous ces crétins ne comprennent-ils pas que nous allons combattre les pires abominations que notre monde ai connu ! J’en ai plus qu’assez, s’il refuse de nous laisser passer, alors nous irons le massacrer pour s’être rendu complice de traîtres !
– Votre Excellence, le gouverneur fait partie d’une puissante famille et si vous l’attaquez, il risque d’y avoir des répercussions au sein de l’Empire mais aussi au sein de l’armée. Le gouverneur propose que nous passons par les territoires du gouverneur de la Province Dorée.
– La Province Dorée, parfait, alors passons par là !
– Votre Excellence, je crains que ce ne soit pas possible. Il y a quatre mois, son gouverneur nous avait averti qu’il ne pourrait nous laisser passer que si le gouverneur des Territoires Frontaliers relâchait son fils prisonnier des geôles du commandant de la forteresse de Noldor. Sauf que ce commandant refuse tant que le gouverneur de la Province Dorée n’aura pas rendu sa femme qui a été kidnappée, sauf que…
Je n’entendais plus rien, je sentais ma rage vociférer contre ma cage thoracique, elle était si violente qu’elle menaçait de briser les barres et d’écraser de tout son poids l’officier face à moi ainsi que tous ces troublions de gouverneurs et de commandants. Mais heureusement, je me répétais inlassablement le credo divin : « Ordre et hiérarchie sont les mots des tempérés. »
– ...C’est donc pour cela que nous ne pouvons pas passer par la Province Dorée.
– Officier, voyez-vous une solution à notre problème ?
– Je crois que nous sommes dans une impasse Votre Excellence.
– Onze mois, onze mois, savez-vous ce que ça fait onze mois officier !…
Je criai tellement fort que je n’entendais presque plus rien, si bien que je criais encore plus fort.
– ...onze putain de mois, pour quoi, pour du vent, pour du sable, pour rien du tout, pour des problèmes de péteux de gouverneurs et de commandants à la con qui se regardent le nombril et qui ont oublié qui ils servaient ! Je suis le commandant en chef, je dirige cette force, alors nous allons passer comme nous l’avions prévu il y a onze mois, et si un seul de ces péteux nous en empêchent, je vous promets sur le trône de mon père que je l’embroche jusqu’à la moelle pour qu’il pousse un cri jusqu’à la cour de l’Empereur parce que c’est comme cela que l’on embroche les porcs qui bloquent un million de soldats, qui bloquent la plus grande armée impériale du Nord ! Suis-je bien clair ou il faut que je le répète plus fort ?
– Non Votre Excellence, j’ai bien compris votre message. Je dis aux autre officiers que nous allons partir.
– Vous n’allez pas dire aux officiers que nous allons partir, vous allez leur dire que nous partons et que s’il font obstacle, ils seront en première ligne le jour de la bataille !
– Très bien Votre Excellence.
Soudain, ma voix redevint normale.
– Une dernière chose, amenez-moi le commandant de la cavalerie.

La tente de Julius avait ce faste excessif que l’on retrouvait partout chez ces hommes assoiffés de pouvoir, ou du moins qui considéraient qu’ils y avaient droit. Tout n’était que richesses mais seul l’or brillait là où l’intelligence se faisait obscurité. Une maigre compensation de la matière face aux défauts de l’esprit. Julius était avachi sur son trône de parures. Aucune carte ne traînait, aucune épée ou bouclier. J’avais comme l’impression d’être dans la tente d’une prostituée de la cour attendant son tribut, comme moi il y a quelques décennies.
– Léona, commandant de la cavalerie impériale, Prosecutor de la cour, Sage des treize tours du savoir, Maître-espion et Goûteuse de l’Empereur. Quand je dis cela, j’ai comme l’impression d’être comme ces cuisiniers qui font la liste de tout ce qui leur manque. Mais ce ne sont que des titres et comme les ingrédients, ils ne s’utilisent qu’une seule fois et on finit par les digérer et par les recracher.
– Si vous tentez de me dénigrer car je suis une proche de votre père, je crains que cela ne puisse marcher. Ma vieille peau a été sculptée par de pires abominations qu’un pauvre commandant en chef.
– Je n’ai peut-être pas votre expérience séculaire, vous pour qui cette guerre sera sûrement votre testament que vous laisserez à la postérité.
– Rassurez-vous, je ne vais pas mourir avant d’avoir participé à la bataille. Mes os sont peut-être vieux mais mon âme a encore la flamme de la jeunesse.
– Pourquoi la cavalerie ? Si vous cherchez le prestige, ce n’est pas ici que vous le trouverez. Rien n’est plus déshonorant que la cavalerie : le cavalier n’a aucun prestige, tout revient au cheval là où le soldat a pied est l’artisan de son propre prestige. Vous commandez un troupeau là où je commande une armée.
– Je ne comprends pas bien pourquoi vous m’avez fait venir ici alors que tout l’armée se met en ordre en marche.
– Je sais pourquoi vous êtes ici. Vous êtes là pour m’espionner, pour rapporter mes moindres faits et gestes à l’Empereur. Je pensais que je n’avais plus de place dans son cœur et pourtant il m’envoie son ambassadeur particulier. J’espère que vous comprenez qu’un jour le trône me reviendra, j’espère donc que vous raconterez avec précision mes exploits à la cour. Si je m’aperçois que vous mentez, alors je n’aurai d’autre choix que de vous éliminer.
– Je suis votre obligé, je suis la Voix de l’Empereur, m’inclinais-je.
En quittant cet infecte personnage, une parole de l’Empereur me revint en mémoire : « Julius est faible car il ne voit qu’un seul moyen de vivre, il vit par procuration, il ne vit que par l’illusion de la puissance, c’est en cela qu’il ne peut gouverner, c’est en cela que son rôle est secondaire. C’est mon échec créatif que je dois effacer pour te faire émerger, toi, Léona. »
Je ne suis pas loyale à l’Empire, je suis loyale à l’Empereur car seul lui conduit notre destinée. Moi et les miens sommes les extensions de cette puissance personnelle qui draine l’énergie du Tout, de l’absolu. Un Empire est universel par nature. En se revendiquant Empereur, Bazistal s’est construit son mausolée. Il peut bien se nommer Empereur en droit mais il ne sera jamais Empereur en fait. Empereur n’est pour lui qu’un mot comme pour Julius et son titre de commandant en chef, là où le mot Empereur collé à Kaélo XVIII lui octroît son plein potentiel, sa pleine puissance universelle. Les rayons solaires de cette puissance font disparaître l’ombre lunaire tombée dans le piège de l’illusion de puissance. Je suis le serviteur du Soleil, je suis le serviteur de l’Empereur car il n’y a de liberté que dans la servitude des puissants.
Je me laisse plonger dans mes pensées en oubliant presque l’existence de mon propre corps, comme si je n’étais plus qu’une ombre sur le monde, plus qu’un effet et non un objet du monde. Je vois au loin le regard embrasé de Kaélo XVIII. Face à lui, le monde s’embrase avant de renaître sur la cendre. Une forêt verdoyante s’élance vers les cieux soutenue par le regard impérial. Je ne suis que l’observateur de ce spectacle qui prend place sur la scène de mes songes. Mais tout ceci n’est qu’un rêve car je suis bel et bien un objet de ce monde et je suis prête à agir.

Un million de soldats répartis en quatre forces de deux-cent-cinquante-milles hommes et femmes, une armée dominée à la fois par la peur d’une attaque nocturne nécros et par une confiance envers leur nombre prêt à écraser les maigres forces nécros, une force qui en apercevant Nos-Driaroth s’est ébranlée, s’est tue.
Le fleuve Dria a été dévié de son cours par une série de digues. Celles-ci ne sont pas totalement fermées et laissent une eau stagnante croupir tout autour des murailles de la forteresse qui sont alignées sur deux rangées qui donnent sur le fort principal, chaque muraille étant surélevée par rapport à l’autre. La première fait une vingtaine de chevaux de hauteur, la deuxième trente et le fort s’élève à plus de cinquante.
Un seul mot put sortir de ma gorge nouée : « Impossible ». Il était absolument impossible de construire en si peu de temps une telle forteresse. On discernait les forces nécros agrippées sur le muret qui nous dominaient. Leur nombre était loin des quelques milliers tel que le pensait Julius, non, ils étaient plus de cent milles tel que me l’avait annoncé Kaélo XVIII.

– Nos-Driaroth ne doit pas tomber, Nos-Driaroth ne doit pas s’ébranler car nous sommes Nos-Driaroth, nous sommes la pierre des murailles, nous sommes le trait de nos arcs, nous sommes l’onyx de nos lames, nous sommes les Nécros ! Criez en cœur ce que nous sommes car nos ennemis ne l’ont que trop peu compris. Ils ne savent pas ce qui les attend en osant pénétrer sur nos terres. Le ventre de nos abysses va les entraîner dans les profondeurs insondables d’un pays qui se rêve Empire, d’un pays qui n’attend que son baptême de sang. Tuez, ressuscitez pour Hel, pour les Nécros et pour embrasser la mort qui vous sourit de ses bras maternels. Maudissez la vie car elle ne vous donnera rien, maudissez l’espoir car la lumière a quitté ce monde dès que vous avez ouverts les yeux mes frères et mes sœurs. Qui sommes nous ? Expulsa de rage Bazilstal.
– Les Nécros, crièrent des dizaines de milliers de voix qui crachèrent leur tonnerre assourdissant sur les pauvres âmes de nos ennemis.

Tout le monde était réuni dans la salle du conseil impérial. Une immense carte trônait sur les planches de bois qui nous servaient de table. Si nous avions fait l’impossible en élevant les murs de cette forteresse, il restait à lui insuffler une âme en son sein. Aucune décoration, aucune splendeur dans l’antre impériale, il n’y avait là que l’image des outils de la guerre qui rayonnaient dans ce palais dédié tout entier au meurtre et à la domination.
Bazilstal trônait au centre, les deux Holtar à ses côtés tandis que Malta observait les mouvements de troupe par la fenêtre alors que Lucius regardait encore une fois le plan de la forteresse comme s’il y avait encore quelque chose qui lui échappait. Tous arboraient leur armure durcie et noircie par le travail des plus grands forgerons. Nous étions des ombres prêtes à tuer. Là où les guerriers d’élite sudrabs portent les armures les plus lourdes possibles, nous nous astreignons à conserver notre agilité. Notre corps est notre armure, nous ne ressentons pas la douleur car nous la savourons tel un plaisir cannibale qui nous consume et nous dévore. Nous avions tous les visages assombris par ce qui allait arriver maus nous étions ici prêts à en découdre, prêts à agir. Mais ce qui était peut-être le plus important était que je sois là, assise face à l’Empereur, prête à tuer.
– Zahoé, sommes-nous prêts ? Me demanda Bazilstal.
– Nous sommes prêts à mourir pour les Nécros Votre Majesté et plus encore, nous sommes prêts à gagner et à transformer cette victoire militaire en un coup de poignard dans le cœur sudrabs. La seule question qui est à posée est de savoir si le système de défense que vous avez conçu va marcher.
– Si nous gagnons, ce sera ma victoire. Si nous gagnons, l’Empire sera pleinement restauré avec un véritable chef à sa tête. Ces murs tiendront car ils sont nés de l’impossible, ils sont nés de la folie de notre race qui a travaillé avec une ardeur qui ferait rougir notre Créateur. Nous ne devons pas perdre et nous ne perdrons pas car sinon c’est la fin de notre race.

– Votre Excellence, reprenez raison ! Ce serait de la folie d’attaquer cette forteresse de front. Pourquoi s’embourber dans ce piège quand nous pouvons la prendre par le siège ? Nous pouvons bien attendre qu’ils manquent de vivre !
L’officier qui m’avait jeté ses réflexions au visage était l’une de ces recrues issues des rangs des classes modestes. Il n’avait aucun respect pour la hiérarchie.
– Officier, si j’ai besoin de conseils tactiques je vous ferais signe mais en attendant, préparez l’assaut. Nous attaquerons au lever du jour et nous n’arrêtons que quand cette forteresse sera prise et rasée. J’ai perdu onze mois et je ne vais pas perdre un mois de plus qu’importe le nombre de morts, ce ne sont que des chiffres, des détails en bas du manuscrit contant notre victoire.
– Bien, Votre Excellence, veuillez m’excuser.
Alors que l’officier partait, une ombre entra dans ma tente. Les cheveux grisonnants de Léona étaient attachés en chignon. Ses traits étaient tirés et les rides envahissaient son visage. Elle semblait être à la fois au crépuscule de la cinquantaine et à l’aube de l’âge cadavérique. Mais ce qui me frappa, c’était son sourire.
– Votre Excellence. Si j’ai bien compris je suis ici pour hocher de la tête à la fin de l’annonce de votre plan ?
– Toujours aussi provocante à ce que j’entends. Et non, en fait, j’ai besoin de réels conseils. Pour moi l’assaut reste la meilleure solution : ils ont eu de longs mois pour se préparer et ont du accumuler les provisions. Si nous restons des années ici, l’approvisionnement va poser problème et des mouvements séparatistes pourraient émerger dans notre dos.
– Et plus important encore, vous avez besoin de régler vite cette situation pour vous légitimer et arriver à temps pour l’enterrement de votre père. Car nous savons tout deux qu’il ne lui reste plus que quelques années à vivre, or, il faut quelques années pour retourner à la capitale.
– Si je ne me dépêche pas, qui prendra le trône ? Mes frères cadets ? Tous des charognards enfermés dans leurs palais d’or et d’argent, des spectres de cour qui hantent l’aristocratie de toutes leurs inepties. Une autre famille noble ? Qui parmi les corrompus, les tyranniques, les opportunistes et les fous a assez de prestige et de noblesse pour prendre le trône ? Vous le savez j’en suis sûr que je suis l’héritier en droit et en fait du trône. Je serais l’Empereur de l’ordre et de la hiérarchie.
– Tel est votre rêve mais vaut-il la peine d’être vécu ? Vous n’avez pas encore gagné cette bataille, vous n’avez pas encore montré votre valeur Julius. Il vous reste à forger votre nom dans le fer de bataille et à le refroidir dans le sang nécros. Je soutiens la puissance qu’importe où elle se trouve, si vous vous montrez à la hauteur, je pourrais vous aider à faire plier les insectes de la cour. Mais avant, il faut vaincre à Nos-Driaroth pour régner là où vit le Dieu mortel.
Elle me dit tout cela alors qu’elle me lançait un regard ardent qui aurait pu pulvériser n’importe qui, mais moi je tins droit. A la fin de sa phrase, elle décrocha son regard vers le tableau du plan de bataille.
– L’assaut est une bonne solution mais nous aurons droit à de nombreuses pertes. Il nous faudra concentrer nos forces sur toutes les fortifications sud de façon à exercer une pression mortelle pour eux. Ma cavalerie surveillera nos arrières. Les enrôlés devront être en première ligne pour assécher les marais et amener les équipements nécessaires avant l’arrivée de nos fantassins sur les tours et les échelles de siège. Tout cela devrait permettre de faire diversion pendant le travail de sape qui doit être le plus rapide possible.
– C’est bel et bien ce que je comptais faire. Néanmoins, votre cavalerie ne pourrait-elle pas prendre une part plus directe à la bataille en combattant à pied ?
– Les Nécros peuvent avoir installé des régiments derrière-nous et je pense qu’aucun de nous deux ne souhaiterait se prendre un coup de poignard dans le dos.
– Vous avez raison, encore une fois.
– Autre chose, attaquer à l’aube est une possible erreur ou du moins, un moindre avantage que vous le pensez. Si vous avez regardé avec attention leurs murs, vous pouvez remarquer que leurs hommes sont placés sous des toits qui s’élancent dans le vide de façon à augmenter la taille de l’ombre, leur casque font la même chose tandis qu’ils masquent leurs yeux derrière des tissus presque transparents. A force de vivre dans le désert pendant quatre cent ans, ils ont appris à vivre avec le soleil.
– Vous proposez que l’on attaque de nuit ?
– Vous avez déjà essayé de tirer sur une cible à cinquante pieds en pleine nuit qui se déplace et à viser juste ? En plein jour, cela est compliqué, mais en pleine nuit, cela est presque mission impossible.
– Très bien, j’y réfléchirai.

La lune montait lentement dans le ciel et son éclat brisé n’était rien face à cette mer de torches qui illuminait la terre séculaire. Une mer qui lançait ses vagues qui se brisaient contre les parois mornes d’une forteresse de roches. Juchés sur ses falaises, nous regardions la main du destin qui s’abattait sur le sort de ces paysans, de ces artisans enrôlés de force par un pays dont ils ne connaissaient que le nom.
– Malta, que penses-tu de ce spectacle ? Lui demandais-je.
– C’est un massacre assurément. Cent milles enrôlés vêtus de minces vêtements de laine qui foncent contre nous avec pour arme toute la pathétique frayeur de la mort. Leurs seaux de terre assèchent peut-être nos marais mais à quel prix ? C’est à croire que leur technique est de stabiliser le sol avec les corps de leurs confrères et consœurs. Nos flèches apportent leur lot tragique à ce spectacle comique d’humanoïdes se vautrant dans la boue. La nuit ne leur est d’aucun recours étant donné qu’ils utilisent des torches. Ne serait-il pas temps de passer à l’étape supérieur Zahoé ?
– Oui je crois qu’il est l’heure que l’on passe de l’âge de terre à l’âge industriel.
L’heure était venue de faire fonctionner ces machines qui n’ont pas été utilisées depuis tant de siècles.
– Malta, je te laisse l’honneur d’allumer le feu.
Soudain un immense brasier surgit de derrière nous. Je pouvais sentir sa chaleur qui m’enveloppait presque autant que la flagrance de mort qui inondait mon corps.
A ce signal, des centaines d’attrapes-morts tirèrent ensemble. Leur crochet attrape sa victime (vive ou morte) révélée par sa torche en la transperçant de part en part avant de la tirer vers la forteresse. Là, le corps est vidé de son sang par des trappes menant à des réservoirs avant d’être amené plus en arrière auprès des nécromanciens prêts à ressusciter les cadavres qui viennent ensuite nous rejoindre.
Quel magnifique spectacle aérien que de voir tant de corps être avalés dans les entrailles de nos sublimes murailles. Chaque artilleur avait une zone spécifique de tir et chacun vociférait le nombre de touchés : l’objectif était de prendre deux corps en un tir voire trois. Bazilstal avait annoncé que les artilleurs seraient payés en sang suivant leur total de morts : 10 morts pour un litre avait été annoncé, ce qui a enflammé l’esprit de nos artilleurs qui redoublaient d’inventivité pour toucher le plus de cibles.
Presque une heure passa avant que les vagues d’enrôlés ne se replient. On compta presque quarante milles morts sudrabs dont quinze milles qui avaient pu être récupéré par nos troupes. Les marais de la muraille sud étaient presque entièrement asséchés. Les corps et la terre se mêlaient en un assemblage hétéroclite où les mouches se mêlaient aux vers.

Lorsque j’entendis les trois gongs au loin, cela me fit comme si Hel avait posé les doigts sur mon corps. Un frisson mortel parcourait mon enveloppe charnelle tandis que mon âme était un bloc solide prêt à se rassasier. Il était enfin de temps que je passe à l’action.
– Holtar l’Ancien, je crois que c’est à vous de jouer, me glissa d’une voix joviale Bazilstal.
– Votre Majesté, vous aurez le privilège de voir toute l’ingéniosité nécros mise en pratique pour le plus grand des spectateurs : Vous.
Les soldats ennemis marchaient en rangs serrés protégés par une muraille de fer mobile qui faisait ricocher nos flèches. Ils emmenaient avec eux des échelles et des tours légères. Zahoé qui commandait les tirs avait ordonné aux attrapes-morts de tirer en direction des porteurs pour éclaircir les rangs tandis que les archers visaient la brèche. Nos engins attaquaient aussi les édifices de siège ennemis en perçant leur mince armure de bois. Néanmoins, leurs forces avançaient toujours vers nos murailles sur le sol stabilisé par les enrôlés dont le repos mortel était empêché par les pas et les roues qui écrasaient leur chair. A la veille du contact, je regardais une dernière fois mes compatriotes vampires prêts à se battre. Leur silence était comme une prière tendue vers la mort qu’ils remerciaient de toute leur âme. Leurs tenues mêlaient l’onyx et l’acier dans la pure tradition nécrotique. L’épée double était sortie prête à dépecer, à tuer. Aucun bouclier, aucune réelle armure pour les liches si ce n’est que du cuir noirci à la cendre.
Soudain, lorsque l’on arriva au contact, toute cette masse silencieuse fonça vers l’ennemi en un bloc si soudé que l’ennemi était obligé de reculer. Alors que les tours s’ouvraient devant eux, nos soldats se jetaient dans le gouffre de bois l’épée tendue devant eux avant de la faire tournoyer. A l’intérieur du monstre ligneux, les Sudrabs étaient submergés. Au lieu d’attaquer la muraille, ils défendaient leur engin de siège. Lorsque l’étage supérieur était vidé de Sudrabs, les liches reculaient tandis que la deuxième vague nécros jetait dans l’antre de bois des matières inflammables et ensuite de déclencher le feu après avoir fait vivre l’enfer aux Sudrabs.
Face aux échelles, les liches utilisaient les lances nécros, une lance conçue comme les attrapes-morts, on enfonçait la lance de toutes ses forces dans l’ennemi le plus élevé en vu avant de le lever et de le jeter derrière soi pour qu’il soit récupéré par les goules qui officiaient comme servants. L’objectif était toujours de rapporter le plus de prise en un seul coup.
Mais les ennemis étaient trop nombreux et ils commençaient à nous submerger. C’est alors que l’on lança la partie deux du plan de défense rapprochée. Les deux murailles étaient reliées entre-elles par d’autres murs en diagonale qui formaient des triangles. Le plan de Bazilstal consistait à créer un appel d’air en vidant les défenseurs d’un triangle ce qui créait un appel d’air où les ennemis s’avançaient vers la deuxième muraille avant de contre-attaquer par la muraille la plus extérieure et ainsi de capturer le plus de troupes ennemies possibles en coupant leur retraite tandis que d’autres Nécros les encerclaient par derrière et par les côtés. Bazilstal nomma cette technique : la méthode de l’entonnoir. Son point faible était la nécessité de rependre le plus rapidement possible la muraille extérieure alors que l’ennemi était entre celle-ci et la muraille intérieure. La meilleure méthode était de concentrer les tirs sur les ennemis qui stationnaient le long de la muraille extérieure tandis que les liches accompagnés d’un ou plusieurs vampires chargeaient depuis les autres sections.
Les combats durèrent six nuits et six jours. Sur un million de soldats, Julius en perdit presque quatre cent milles dont deux-cent-cinquante avaient été happés par nos forces.
Alors que l’on pensait la bataille finie, Julius lança sur nous quelque chose que nous n’avions pas prévu. Le matin du septième jour, presque la moitié des pans de murs des deux murailles s’effondrèrent par le travail de sape des Sudrabs. Un immense nuage de poussière s’éleva dans les airs tandis que les Sudrabs lançaient la charge contre nous. Une partie des troupes se réfugia dans le fort tandis que la majorité forma un bloc compacte sur les débris de la muraille. Un vent de désespoir s’empara de nous devant notre infériorité numérique accrue par cet effondrement de notre domination. Mon visage était inondé de poussières qui me camouflaient dans les débris. En plein centre de nos forces restantes, la respiration haletante et le regard perdu, j’entrevis l’espoir ou du moins, le courage nécros. L’occasion était trop belle pour quelqu’un comme moi. Soudain je lançai la charge. Les quelques milliers de Nécros qui n’avaient pas été mis hors d’état de nuire foncèrent vers les dizaines de milliers de soldats ennemis qui chargeaient eux-aussi. Le choc fut mortel. Tout volait en éclat sous les rayons d’un soleil qui prenait son ascension. Les archers alliés tiraient depuis le fort et les murs non écroulés tandis que les Sudrabs jouaient du gong en une cadence haletante. Tout n’était que fureur et sang. Les marécages asséchés se liquéfiaient par l’apport de sang issues des réservoirs détruits et des corps qui tombaient sur un champ de bataille où la survie individuelle prédominait sur l’appartenance collective. Les corps de poussière se battaient contre le peuple des sables et pourtant il ne semblait y avoir aucune cohésion de groupe, seulement un sentiment de vengeance implacable qui transformait hommes et femmes en meurtriers.
Nous perdions du terrain malgré l’arrivée de renforts du fort. Depuis celui-ci ne cessait de résonner l’appel de la retraite, pourtant personne ne bougeait car il fallait finir ce qu’on avait commencé, qu’importe le coût, il fallait finir notre œuvre qu’importe si elle était mauvaise, il fallait qu’elle soit achevée.
Alors que la réalité de la défaite surgissait dans nos esprits, une chose presque impensable se produisit. Sous l’astre rougi, la cavalerie ennemie s’avançait en une ligne resserrée. Elle se déplaçait d’abord au pas avant d’augmenter en vitesse et de passer du trot au galop. Sa première cible fut le campement avant de finalement charger vers la mêlée. Une onde de choc emporta les Sudrabs. Le vent de la victoire avait changé de sens sous l’effet de la traîtrise. Pourquoi donc la cavalerie sudrabs s’était-elle retournée comme ses propres hommes ?

Lorsque je descendis de mon cheval, une étrange impression s’empara de mon esprit. Tous les regards étaient dirigés contre moi, aussi bien Sudrabs que Nécros. Les regards de traîtrise se perdaient parmi une certaine incompréhension. Il n’y avait en fait que quelques individus qui comprenaient réellement ce qui s’était passé, une poignée face à cette masse qui me disséquait avec toute la force inquisitrice d’une foule.
Holtar le Jeune se tenait en majesté devant moi comme le serviteur le plus éduqué de la cour. Son regard semblait vif tandis que je montais les marches vers lui. Cela faisait tant d’années que je ne l’avais pas vu. Il n’avait pas changé. Pas une seule ride. Pas une seule trace du temps qui passe. Rien si ce n’est ce regard vif qui s’intensifie avec les décennies.
– Et s’avance celle qui aurait préférée être surnommée la Loyale mais que l’histoire retiendra comme la Traîtresse. Mes frères et mes sœurs, regardez-la avec attention car elle porte avec elle l’ombre des Sudrabs, lança Holtar le Jeune d’une de ces phrases qu’il aimait jeter en majesté.
– Cela faisait longtemps Holtar le Jeune, peut-être même trop longtemps car là où vous êtes resté le même, mon corps a lui pris des rides.
– Mais votre esprit est toujours aussi affûté, du moins je l’espère. Votre présence me manquait car seule vous savez jouer aussi bien que moi à agiter tout ce que vous touchez.

Léona, je la revois alors qu’elle déambulait dans les avenues mal famées de la capitale sudrabs. Une prostituée qui avait grimpé l’échelle sociale en manipulant les plus vils esclaves de la luxure de la cour. Une montée en puissance qui s’était achevée en apothéose lorsqu’elle atteignit l’Empereur. Là, elle devint ses yeux et ses oreilles. Certaines personnes la considèrent comme la prostituée de l’Empereur, d’autres comme l’incarnation de la réussite sociale, comme un exemple. Je pense que les gens se trompent sur son compte en la voyant comme une manipulatrice, comme une éminence grise. Quand je l’ai revu il y a de nombreuses années, elle n’avait pas vraiment changée, elle était toujours une marionnette dans les mains du plus puissant monstre du monde. Elle n’est que l’instrument de Kaélo XVIII, entièrement dévoué et fiable qui ne vit que pour lui. Quelle triste vie que la sienne. Néanmoins, elle a cette qualité de savoir titiller les nerfs de qui il faut.
« Holtar le Jeune, sortez un peu de vos rêves et prenez part à la discussion, me sonna Bazilstal »
Tout autour de la table se trouvait notre Empereur, à ses côtés moi et Holtar l’Ancien tandis que Zahoé, Malta et Lucius étaient sur les côtés, regardant Léona de biais alors que celle-ci se tenait debout le regard plongé dans les yeux de Bazilstal.
– Votre Majesté, je suis la Voix de Kaélo XVIII, votre seigneur. Si l’armée de Julius a été anéantie, c’est avant tout par le concours des forces loyalistes à Kaélo XVIII. Permettez-moi ainsi de vous rendre hommage mais aussi de rendre hommage à notre seigneur mutuel qui nous soutient dans nos faits et gestes.
– Que demande Kaélo XVIII pour un tel geste ? demanda Bazilstal.
– Notre seigneur recherche un terrain d’entente entre nos deux peuples et quel meilleur terrain que celui de l’ennemi. La demande est ainsi celle d’une coopération qui devrait faire bénéficier toutes les parties.
– Abrégez votre discours, Sudrabs, vociféra Holtar l’Ancien.
– Nous demandons à ce que vous envahissiez les Aragtis et ce, sous dix années. Les territoires conquis vous appartiendrons mais vous devrez reconnaître la supériorité de l’Empereur sur ces terres. Si vous manquez à votre parole, une véritable armée détruira aussi bien vos terres que votre souvenir.
Une silence de glace pris place. Léona et Bazilstal se foudroyaient du regard.
– Non, lança Bazilstal d’un souffle.
– Je crains que cette réponse ne soit pas acceptable.
– Nous ne nous lancerons pas dans une guerre inutile que nous risquons de perdre. Nous avons déjà été détruit par ces forces, nous ne referons pas la même erreur. De plus, nous n’avons aucune raison d’aller les attaquer.
– La vengeance ?
– Elle est inutile. Si j’étais animé par la vengeance, je n’hésiterais pas à pointer mon épée contre vous et vos semblables.
– Je crois que nous sommes dans une impasse. Peut-être que le jour vous portera conseil.
En quittant la salle, Léona laissait derrière elle une étrange atmosphère. Nous étions divisés, elle le savait très bien et même Kaélo XVIII le savait. Attaquer les Aragtis comme ils nous avaient attaqué, quelle délicieuse idée. Bazilstal et Holtar l’Ancien étaient résolument contre pour des raisons très logiques : ce serait un gaspillage de ressource et un risque trop grand pour peu de gains. Malta et Zahoé sont, je pense, mitigées car elles aiment la guerre et savent qu’il nous faut accepter ce traité. Tandis que moi et Lucius sommes pour cette guerre avant tout pour des raisons religieuses. Je me suis fait corrompre par Gani comme toujours, elle, cette prêtresse de Hel.

Les ruines formaient une ossature compacte qui empêchait la lumière de traverser pour atteindre cette caverne où crépitait un feu et de sombres pensées. Les comploteurs se nommaient Léona, Zahoé, Lucius, Malta, Holtar le Jeune et Gani. Toute la haute cour nécros était présente à l’exception de l’Empereur et de Holtar l’Ancien.
– Ce traité doit être signé, il ne peut en être autrement, annonça Holtar le Jeune.
– Les risques d’une guerre contre les Aragtis sont grands mais seraient moindre que contrarier réellement Kaélo XVIII. Léona, que veux réellement votre seigneur ? Demanda Zahoé.
– Votre escapade de recrutement de troupes à travers les cimetières sudrabs ne l’a pas réellement dérangés, il n’a envoyé cette armée que pour régler plusieurs problèmes en même temps : à la fois éliminer un héritier potentiel, vous mettre face à sa puissance, vous tester, éliminer la majorité des enrôlés qui ne sont en fait que de possibles futurs bandits, rebelles et autre. Son objectif clairement assumé est de détourner votre regard du Sud vers le Nord. Il souhaite étendre son Empire et le faire à moindre coût d’où votre importance. Vous êtes ses mercenaires.
J’avais dis ce qui était le plus important. Comme m’avait dit Kaélo XVIII, pour créer la confiance, il faut d’abord tisser la vérité. Il faut fabriquer une tissu suffisamment épais pour que ce que l’on cache ne soit pas découvert.
– Il n’y a donc qu’une solution à ce problème. Ce serait le pire crime, un péché indélébile qui nous marquera de toute son horreur. Il nous faut faire tomber Bazilstal de son trône, il nous faut le tuer. Il nous faut tuer notre seigneur, souffla Holtar le Jeune d’une voix affirmée.
– Ce serait le plus terrible des parricides et pourtant je ne vois pas d’autre moyen. Bazilstal ne pliera jamais, les risques sont trop grands. L’horreur n’est-elle pas un mince prix pour nous sauver. Qu’importe le coût, qu’importe le fracas de la destinée, si la question touche notre survie, nous ne pouvons échapper à répondre à l’appel des ombres car nous les incarnons dans ce monde morne et vide où s’écrasent les minces aspirations des créatures. Nous sommes et nous serons qu’importe le coût car nous nous tenons là où personne ne pourrait se tenir. Nous sommes les derniers, personne ne nous remplacera car nous sommes un peuple uni et unique. Si Bazilstal ne comprend pas les enjeux du groupe, alors nous devons nous en débarrasser pour ressouder notre communauté. Vivons et mourrons encore une fois quitte à ce que nous nous enfoncions encore plus dans les méandres de la mort. Que ce complot soit la dernière page des horreurs de notre peuple. Même si cette pensée m’attriste, nous devons tuer Bazilstal, nous devons tuer l’Empereur pour faire vivre notre race.


Chapitre 3 : Révolution

Fragment V

« L’unité politique nécros est un idéal, une quête infinie jamais atteinte. On recherche l’unité, on fait preuve d’unité mais on ne la trouve jamais en elle-même. La seule chose qui nous lie c’est notre condition d’existence qui est le ciment qui maintient le corps social en place. L’idéal politique nécros n’est-il pas l’Empire, le régime le plus inégalitaire ? Nous passons notre existence à confondre le pluriel et le singulier. Nous croyons que la réussite individuelle est une réussite collective sauf que l’on oublie qu’il n’y a qu’un seul individu qui en profite et qui croit le mériter. La gloire est individuelle, le mérite est collectif. L’Histoire est écrite au pluriel pour montrer des individualités. Il est si confortable de penser qu’une seule personne peut changer le destin de tous. Ce changement n’est pas le sien, il n’est que le héraut du collectif qui le porte. L’individuel ne peut agir sans le collectif. »
Lhotar l’Immortel, an 2000 après la Chute.


Notre civilisation, notre embryon d’Empire tenait à un fil. La capitale de l’Empire était en ruine, seul trônait au milieu de la vallée le fort encore intact et quelques pans de murs. L’Empire était à genoux. Bazilstal s’était enfermé et hurlait sa victoire arrachée par un Empereur qui le concurrençait et qui semblait s’infiltrer en lui. Sa présence était partout. Une rage monstrueuse émanait du regard impérial de Bazilstal, on aurait dit Kaélo XVIII déguisé en Nécros. L’Empereur que j’adorais semblait avoir été balayé en même temps que son œuvre de pierre. Aucune euphorie, aucune joie n’émanait de ce lieu. Nos-Driaroth était morte avant d’être née, seul restait le rêve, l’illusion. Le fait que nous devions la victoire à notre dominateur était un coup terrible porté à notre essence. Nous étions redevable.
Sans chef, Holtar l’Ancien, Zahoé et Léona se coalisèrent pour diriger les opérations. Le corps du dauphin impérial fut retrouvé sous la mer de décombres avant d’être brûlé et ses cendres dispersées dans le fleuve. Julius avait maintenant disparu, emporté par les flots de son échec. Les cavaliers sudrabs partirent le lendemain, seul resta Léona et les restes de l’armée de Julius, interdits de rentrer dans l’Empire sudrabs. Progressivement, Nos-Driaroth reprit vie, les débris des murailles ainsi que les bois alentours furent utilisés pour construire des maisons autour du fort. Tout autour de la ville, les animaux occupaient l’espace et on commença à planter le long du fleuve pour les nourrir. L’espoir semblait renaître. Un nouveau gouvernement, une nouvelle vie, le visage des Nécros semblait comme s’être profondément modifié. Et pourtant, le héraut impérial était ravagé par son échec de ne pas avoir pu seul emporté la victoire.
Mais une nuit, alors que la coalition était réunie dans la salle du conseil, une ombre émergea de la porte.
« Quel drôle de trio forme donc le gouvernement nécros. Vous semblez mon cher ami être bien entouré entre ces deux ombres qui aspirent tous vos espoirs, qui vous prennent votre gloire. Depuis quand la putain impériale d’un peuple ignoble a-t-elle le droit de diriger notre race ? Depuis quand laisse-t-on la vermine nous usurper nos maigres pouvoirs ? Tu dois être si heureuse Zahoé que de me voir ainsi privé de toute force pour gouverner. Je suis si las, j’avais tant de projets. Tu as enfanté notre nation en lui donnant des soldats tandis que Léona lui a donné la victoire. Qu’ais-je fait ? J’ai assassiné les miens pour accroître mon pouvoir et j’ai construit une forteresse pour assurer une victoire qui n’est jamais venue de ma main. »
Il disait tout cela d’une voix si douce, presque comme un murmure qui contrastait avec son apparat impérial rayonnant à pleine puissance. Son armure semblait comme le porter plutôt que l’inverse. Mais tout d’un coup, un éclat ardent traversa ses yeux et il reprit son discours avec une telle force que nous restâmes abasourdis.
« Je ne serai pas l’Empereur du faux-départ, je ne serai pas le mauvais exemple. Tout ceci m’a servi de leçon. Il est temps de resserrer la bride. Cette coalition gouvernementale est maintenant dissoute. Le nouveau gouvernement se composera de moi seul. Je nomme comme chancelier Holtar l’Ancien pour m’aider tandis que Gani s’occupera du culte impérial. »
A la mention de Gani, Holtar l’Ancien lança un regard interrogateur à l’Empereur.
« Oui mon cher chancelier, c’est peut-être la personne la plus fiable après vous. Elle n’a toujours fait que son devoir : servir aussi bien Hel que son avatar, c’est-à-dire moi. Son seul défaut est d’aimer un Nécros indigne de confiance, mais soit, cela fera au moins une chose à mettre en avant quand on me dira que mon gouvernement est entièrement fidèle à moi-même. Zahoé, tu m’as peut-être remis mon titre mais mon pouvoir ne peut prospérer sous ton ombre, ainsi je te bannis. Tu devras quitter Nos-Driaroth avec tes fidèles d’ici la fin de la nuit avec Lucius et Holtar le Jeune. Cela est un mal nécessaire pour purifier notre race. Léona, jamais je n’autoriserai une guerre contre les Aragtis, considérez donc le traité avec Kaélo XVIII comme invalide, qu’importe les conséquences, je vous bannis donc du territoire nécros et je vomis au visage de ton prétendu Empereur. Il est temps pour notre peuple de prendre son autonomie. Je ne tolérerai pas la présence de ceux qui la menace, qui menace notre pouvoir en tant que peuple, en tant que nation. Maintenant sortez-tous sauf Holtar l’Ancien et toi (c’est alors qu’il me regarda) Malta. »
Les mines assombries de Zahoé et de Léona quittèrent la pièce et échangèrent avec le visage sévère de Gani qui traversa la porte sans même croiser le regard des bannis.
C’est alors que je m’attardais plus sur la pièce en elle-même. Elle n’était pas très grande, juste de quoi faire s’asseoir une dizaine de personnes le long d’une table en croissant tandis que des cartes recouvraient les murs, exceptées deux petites fenêtres qui laissaient passer une faible lueur lunaire complétant ainsi l’éclat des torches qui illuminaient le regard étonné de Holtar l’Ancien. Il se tenait assis au centre du croissant tandis que Bazilstal le dominait face à lui, la lumière lunaire se reflétait dans l’armure et l’éblouissait légèrement. Lorsque Gani rentra, Holtar s’empressa de se décaler vers sa droite tandis que Bazilstal prenait le siège central et Gani le siège à sa gauche. Seule moi me tenait encore debout.
Tellement de pensées bouillonnaient dans la tête. Mon cerveau était rempli de fracas et de bruits qui m’empêchaient de pleinement réfléchir. Bazilstal sait-il que je suis devenue un vampire ? Sait-il que j’ai accepté de l’espionner pour Zahoé ? Vais-je moi aussi être bannie ou pire ? C’est alors qu’une voix résonna :
« Gani, voici ton apprentie. »
Bouché bée. Yeux énormes. Le corps ne bouge plus.
« J’ai appris que Malta était devenue une vampire en tuant Zahoé ce qui veut donc dire qu’elle sait. Sache que je ne doute pas de ta loyauté mais ce savoir t’a été transmis par nos ennemis, ainsi par précaution je préfère veiller à ce que tu sois bien éduquée si jamais une place devait se libérer au sein de mon gouvernement. La trahison n’est jamais loin et le succès n’est jamais assuré. Il reste si peu de loyalistes. Tu peux maintenant t’asseoir Malta. »

La lune n’allait pas tarder à atteindre son zénith lorsqu’un groupe hétéroclite quitta la ville, laissant derrière lui les milliers de maisons construites à la va-vite. Bientôt nous ne vîmes plus derrière nous le fort. Le pouvoir de Bazilstal avait comme disparu derrière l’immense forêt qui constituait notre territoire.
Alors que le soleil n’allait pas tarder à tomber, on s’arrêta au cœur de la forêt où les arbres s’étaient mêlés en une architecture qui offrait un abri aux rayons du soleil. On aurait dit un temple avec ses piliers soutenant avec appui une structure de branches épaisses d’où s’infiltraient les lueurs d’une lune sur le déclin.
– Zahoé ? Me demanda Holtar le Jeune.
– Oui, répondis-je avec le plus de dégoût dans la voix.
– Notre relation est conflictuelle je le sais bien. Tu ne vois en moi qu’un gêneur c’est pour cela que notre route commune va s’arrêter ici. Tu pars vers les marais de Mareist pour t’établir face à la mer, pour y établir ta cité libre mais je sais que je ne serai pas le bienvenu. Je vais trouver refuge au cœur de la forêt et attendre mon heure.
– Je te déteste, cela n’est pas un secret mais tu es une personne utile et nécessaire Holtar le Jeune. A deux, nous pourrons renverser Bazilstal et prendre le pouvoir en un gouvernement bicéphale, deux têtes couronnées, deux cerveaux pour avoir un temps d’avance sur nos ennemis. Imagine ce futur sacré.
– Avec quelle armée ? Nous ne sommes que quelques centaines de Nécros qui emmènent leurs bêtes tels ces éleveurs sudrabs vers de plus verts pâturages. Tu n’es plus à la tête de milliers de nécros scandant ton nom, regarde autour de toi, tu es une criminelle en fuite, tu as perdu toute ta puissance. Tu aurais pu lancer un soulèvement pour restaurer la coalition !
– Je ne permettrais pas que Bazilstal ne massacre les miens encore une fois, je préfère les épargner quitte à perdre des semaines, des mois, des années. J’ai besoin de repos pour battre Bazilstal, j’ai besoin de temps.
– De temps, mais pourquoi ? Tu dis que tu veux supprimer Bazilstal et l’instant d’après tu fuis. Je n’arrive plus à te suivre correctement...
– Car nous ferons chuter Bazilstal non pas seulement par l’épée et le sang mais aussi en érodant ses fondations. Révélons la vérité sur Hel et son pouvoir vacillera. Son pouvoir est fondé sur l’unité, un Empereur, un Empire, une race, un dieu mais que se passera-t-il si l’on ouvre les anciens sanctuaires nécros et qu’on remet en pleine lumière les autres dieux ? Nous pourrons ainsi créer la division entre les fanatiques de Hel et les polythéistes, entre les doctrinaires et les gardiens de la vérité. Bazilstal sera obligé de se ranger avec les fanatiques, il ne restera alors plus qu’à apporter les preuves des anciens cultes pour que notre race l’abandonne. Partageons le savoir des Premiers Nécros pour nous assurer le pouvoir. Faisons trembler Bazilstal dans ses fondations et soulevons le peuple.
– Mais ce serait terrible. Ne vois-tu donc pas le risque de guerre civile ? Si Gani s’est toujours battue pour faire oublier les anciens dieux, ne crois-tu pas que c’était pour cela, pour nous unifier au lieu de nous diviser entre les adorateurs de Hel, de Xolotl ou encore de Shinuth. Nous devons conquérir le monde tous ensemble. Regardons vers l’extérieur au lieu de se noyer dans des conflits internes et fratricides.
– Je trouve cela hypocrite venant de celui qui a massacré nombre de mes fidèles.
– C’était un mal nécessaire pour assurer un plus grand pouvoir à Bazilstal et lui donner ainsi les outils pour battre les Sudrabs. Zahoé, laissons Bazilstal gouverner et s’il échoue, alors nous aviserons.
– Où est donc le comploteur, le grand anarchiste nécros ?
– Il a fui comme nous fuyons à l’instant. Zahoé, dès le désert tu savais très bien comment cela allait se terminer. Il n’y a pas de place pour deux Empereurs, l’un de vous deux doit mourir. En te bannissant, Bazilstal t’a accordé sa grâce, reconnais-la et attend ton heure. Mais pour l’instant, il nous faut nous reposer et réfléchir à comment sauver notre peuple autrement qu’en le divisant. Essayons de faire accepter le principe de la conquête des Sudrabs par Bazilstal comme un mal nécessaire, essayons de le raisonner au lieu de faire appel à la croyance en des dieux laissés au repos. Ce ne sont pas eux qui vont nous sauver.
– Pourtant tu étais pour l’éliminer, qu’est-ce qui a changé ?
– Si Bazilstal meurt, tu le remplaceras et suis-je réellement certains que tu seras un meilleur dirigeant, je n’en suis pas certain…
– Aucun Nécros n’est parfait pour gouverner mais reconnais mes qualités, je suis la fierté nécros, j’incarne son ancienneté, sa soif de pouvoir, son habileté aux armes.
– Tout cela est du passé, comme le rêve d’Empire. Nous avons changé, arrêtons de faire revivre le passé. Donnons la liberté à notre peuple, brisons l’Empire. Allons partout, explorons tout. Devenons les observateurs de l’espace et du temps et non pas seulement du passé. Ainsi, nous pourrons ainsi écraser les autres peuples et prouver notre supériorité.
– Tu veux que nous devenions des dieux. Moi qui te pensais pragmatique et raisonnable. Nous sommes opposés mais nos chemins se croisent car nous avons une cible commune : l’Empereur alors allions nous.
– Ma décision est prise, c’est ici que nos chemins se séparent car jamais nous ne pourrons nous entendre.
– Je n’ai jamais compris comment Gani avait fait.
– L’amour peut briser toutes les barrières et construire des ponts. Ce sentiment est le terrain fertile de la possibilité des oxymores, regarde ton lien avec Lucius. L’amour nécros est notre plus grande liberté et c’est aussi la chose la plus étrange qui nous lie. Mais c’est avant tout un symbole d’unité et de sa possibilité.
Aucune autre race que les Nécros ne pourrait comprendre ce qui nous lie ensemble, ce qui lie un couple de Nécros. L’amour ne découle pas du besoin de reproduction mais de conservation de notre race, comme un réflexe grégaire primordial. On aime en quelque sorte son partenaire de chasse pour accroître le taux de survie de l’espèce.

Je n’avais jamais vraiment regardé Gani. Elle dégageait une grande sévérité aussi bien dans son regard dur que dans ses vêtements d’une sobriété qui détonnait avec les usages de mon peuple. J’avais entendu tellement de rumeurs sur celle que l’on surnommait l’Inquisa. Certains avancent qu’elle aurait torturé puis exécuté des dizaines de personnes pour avoir bu du sang animal. Exécuter un Nécros, on dirait un paradoxe mais rien n’est plus faux. Pour tuer un Nécros pour l’éternité, il suffit de le brûler intégralement et de disperser ses cendres de façon à ne jamais pouvoir reconstituer son corps. Les révélations de Zahoé et de Lucius prenaient alors un aspect plus terrible encore car cela voulait dire que l’âme était piégée dans un passé dont elle ne pourrait jamais s’échapper du fait de l’absence d’un corps reconstituable pour se réincarner.
– A quoi penses-tu Malta ? me demanda Gani.
– A la véritable mort nécros.
– Aucun Nécros ne devrait connaître ce sort. Au temps de l’Ancien Empire, pas une nuit ne passait sans que je n’entende les cris de nos frères et sœurs. Tous les jours je les entends dans mon sommeil. Leur douleur survit en moi et me hante. Il ne reste plus que cela qui survive dans ce monde. La plupart des personnes sont nostalgiques du passé, Bazil VI l’était mais on oublie que ce passé, on le restructure, on le remodèle pour qu’il nous convienne.
– Mais cela ne nous concerne pas puisque nous voyons le passé tel quel.
– Non. Tu m’as dit que tu avais rêvé de Driaroth et que tu avais vu un enfant te tuer ainsi qu’un être ailé. Ce que nous montre la mort lorsque l’on s’y promène sans se diriger, c’est soit notre mort primordiale ou plutôt notre naissance primordiale soit une image qui semble y être liée mais qui peut aussi être une introspection de conscience. La ville que tu as vu était réelle mais cet enfant et cet être, ce sont des incarnations que ton esprit a placé là. La mort mêle aussi bien la réalité passée que notre conscience. La seule chose à faire quand tu te retrouves là-bas, c’est de chercher à t’échapper le plus rapidement possible, il n’y a rien à y apprendre, ce n’est qu’un immense labyrinthe qui peut te rendre fou, qui peut te changer. Tu ne dois jamais y retourner de ton plein gré, tu m’entends, jamais !
– Mais pourtant on pourrait tellement y apprendre !
– Si tu souhaites apprendre les leçons du passé, demande aux plus anciens Nécros, aux Premiers Nécros comme moi ou Holtar l’Ancien. Même avec la plus grande des préparations, on peut se perdre dans le labyrinthe et ne jamais en sortir, toujours en redemander. Nombreux sont ceux qui l’ont utilisé pour espionner leurs ennemis, voir ce qu’ils disaient, ce qu’ils faisaient mais leurs émotions, leur conscience modifiait ce qu’ils percevaient ce qui a engendré de malheureux conflits fratricides. Un vampire qui utiliserait ce monde pour espionner l’ennemi serait considéré comme un traître, comme un être infâme. Même Zahoé et Lucius partagent cette dernière conception. Mais maintenant, il est l’heure de passer à l’action.
On descendit à l’étage le plus inférieur du fort, là une lourde porte de bois barrée d’acier se tenait face à nous. Deux gardes liches l’ouvraient avec labeur pour laisser apercevoir d’immense couloirs qui s’étiraient tout le long des sous-sols du promontoire construit à partir des ruines de la forteresse. Les couloirs donnaient sur de petites cellules contenant à chaque fois un humain. A côté des portes donnant sur celles-ci, un écriteau indiquait le nom, le genre, l’âge et la qualité du sang de la personne ainsi que d’autres indications.
Le premier prisonnier que je vis était un homme d’une cinquantaine d’années, de longs cheveux gris chutaient sur sa maigre poitrine. Il ne portait pour tout vêtement qu’un pantalon troué. Au-dessus de son écriteau était marqué : « A recycler ». Je lançais alors un regard interrogateur à Malta qui me répondit d’un air grave :
– Étant donné son âge et sa faible condition physique, on ne peut le laisser vivre plus longtemps. D’ici quelques nuits, il sera transformé en goules pour travailler sur les chantiers de Bazilstal.
– Combien de prisonniers y-a-t-il ici ?
– Quelques dizaines de milliers qui sont divisés en catégories en fonction de leur âge et de leur condition physique qui influe sur la qualité de leur sang. L’objectif est ici fixé à long terme. Les plus faibles sont éliminés pour être transformés en goules tandis que les autres sont laissés en vie en échange d’un prélèvement de sang quotidien. Mais étant donné que les Sudrabs ont la fâcheuse idée d’être mortels, nous devons alors augmenter la taille du troupeau pour permettre sa survie. Nous favorisons ainsi la reproduction entre deux Sudrabs de qualité en leur offrant de meilleures cellules. Plus un couple a d’enfants et plus il vivra convenablement. De plus, nous mettons quelques stimulants dans leurs repas car nous n’avons pas de temps à perdre. Et pour améliorer la qualité de leur sang, nous leur faisons faire de l’exercice, s’ils refusent nous les torturons sans gâcher la moindre goutte de sang, cela va sans dire.
– Mais attendez, tout cela a dû prendre du temps et doit donc dater de la coalition. Léona a donné son accord à ce...projet ?
– Elle n’a pas eu besoin, Kaélo XVIII l’a fait en refusant tout asile aux soldats de la défaite donc on peut dire que leur seule chance de survie était parmi nous. Notre production de sang a ainsi explosée et nous n’avons plus besoin des Transformateurs pour nous nourrir car on peut prélever à la source. Mais on continue à les utiliser pour nourrir les goules. Ainsi, dans un souci d’efficacité et de productivité, la chair des bêtes que l’on jetait est maintenant utilisée pour nourrir notre troupeau de Sudrabs, quelle ingéniosité !
– Mais en quoi cela concerne le culte impérial ?
– Tu n’es pas familière des mystères vampiriques ?
– Non, mon rapport à la religion a toujours été limité aux prières adressées à Hel ou à assister aux résurrections.
– Il me tarde de te montrer cela. De nombreuses fêtes sont organisées entre vampires pour louer Hel et elles sont toutes tenues secrètes, même si je pensais qu’avec le temps, les liches se seraient passés l’information. Les douze mois de l’année se déroulent de la même façon. Comme tu le sais, chaque mois est composé de trois semaines de dix nuits sauf lorsque l’on rattrape la course du soleil bien sûr avec l’ajout d’une semaine tous les cinquante ans. Désolé mais j’ai l’impression d’être un manuscrit à te raconter tout cela comme à un étudiant mais passons...
Lors de la première semaine nommée la Petite Hélique, on fête la première nuit Hel et la dixième le Sang. Il n’y pas de fête la deuxième semaine, celle du Repos, à la différence de la dernière semaine, la Grande Hélique où la première nuit, c’est la grande fête de Hel, la troisième nuit c’est la fête de l’Empire, la cinquième c’est au tour de la fête de la puissance et de l’unité avant de finir la neuvième nuit par la fête de l’éternité. Chaque fête a ses particularités que je te laisserai découvrir. Mais tout ce qu’il faut que tu saches c’est que chacune de ces fêtes nécessite une grande quantité de sang ainsi que de corps à offrir à Hel d’où l’utilité de cet enclos. Notre devoir est de veiller à ce que toutes ces fêtes se déroulent conformément au dogme.
– Qu’est-ce qui ne serait pas conforme au dogme ?
– Tout ce que tu peux imaginer d’abject mais c’est généralement le cannibalisme entre Nécros qui est le plus répandu. Et même la consommation de chair humaine comme celle des Sudrabs mais cela ne fait pas l’objet d’un consensus.
On continuait de parler ainsi de tous les aspects liés au culte tandis que l’on avançait dans les galeries de la prison souterraine. Les yeux des Sudrabs enfermés nous dévisageaient à la fois avec haine et avec crainte. Certains Sudrabs avaient des marques de strangulation, ceux-là fuyaient notre regard. Un couple procréait tandis que deux liches les observaient et notaient leurs observations sur leurs carnets avant de remplacer l’écriteau « classe 2 » par « classe 1 ». Tellement de visages défilaient devant moi, toute une galerie de portraits de Sudrabs, aucun n’avait plus de cinquante-cinq ans, aucune n’arborait la joie. Des corps bruts, animalisés, aliénés dans leur cage, des poches périssables d’un sang renouvelable.

La lune se reflétait dans l’immensité noire qui s’étirait à perte de vue. Le vent soufflait doucement et faisait voltiger avec légèreté les cheveux des Nécros qui s’installaient face à leur destin. Si l’on avait d’abord pensé à s’installer dans les marécages pour être mieux protégé, Zahoé avait elle fait le pari de l’optimisme et les premières tentes s’élevaient ainsi à l’embouchure de la Dria. On avait posé ici les premières fondations de Mareist signifiant le cri de la mer.
Quand le camp fut monté, tous me suivirent vers une petite crique de l’autre côté des falaises bordant l’embouchure du fleuve. Suivant le plan que j’avais avec moi on se dirigea vers un énorme rocher qui trônait au milieu de la mer, à moitié immergé. C’est alors que confiant envers ce que j’avais vu dans le passé, je plongeais à partir du rocher vers la mer. Une faille dans les fonds-marins se dressait ici pour accéder à une caverne sous-marine. La caverne s’élevait progressivement et au bout de quelques mètres, on pouvait accéder à de l’air avant d’arriver sur une plage de pierres sculptées. Chaque pierre avait une perle qui réfléchissait un faisceau lumineux traversant la pièce depuis son plafond constitué de stalactites, eux aussi sculptés. Un léger embrun flottait dans une atmosphère remuée par notre présence. Au fond de la pièce qui s’étirait sur plusieurs dizaines de mètres, une arche donnait accès à une autre chambre. Celle-ci avait été construite par la main des Nécros. Elle était rectangulaire, vingt mètres de larges sur cent mètres de long. Un unique bassin vide prenait presque tout l’espace sauf les rebords qui permettaient d’accéder à des sièges de pierres dans la paroi. Une sorte d’île se tenait au centre du bassin. Une statue de jeune fille en larmes y trônait. Elle semblait comme nous juger depuis son îlot solitaire. Tout cela m’emplissait de tristesse, une jeune fille en pleurs isolée par un bassin vide.
– Lucius, c’est donc ici que se tenait le culte de Shinuth ? Me demanda Zahoé.
– Oui, que veux-tu en faire ?
– Prenons la statue avec nous, une déesse ne devrait pas être vénérée dans un lieu si obscur.
– C’est que son culte était secret. Je crois qu’il est temps que je rappelle la théogonie. Écoutez tous, ceci est un extrait de la Théogonie des Nécros que nous allons ensuite ensemble coucher sur papier :
« A l’origine, l’univers était peuplé d’Anciens, des entités matérielles qui s’étendaient sur des années et des années lumières. Ils possédaient en eux, des millions de formes de vies à l’intérieur de leur corps qui vivaient en paix jusqu’à ce que, poussées par la curiosité, ces entités voulurent sortir et firent exploser les corps des Anciens. Les débris de ces corps formèrent les galaxies, les systèmes solaires et les planètes. Les entités libérées se propagèrent alors dans tout l’univers jusqu’à ce qu’ils commencèrent à se former des empires célestes, ce qui leur donna le nom de dieux. Sur ce qui allait devenir notre planète, deux dieux commencèrent la propagation de leur création, ils créèrent les océans, les montagnes et tentèrent de manipuler les êtres vivants, mais ils échouèrent de nombreuses fois avant de concevoir non pas une mais une multitude d’espèces qui prirent alors possession de leur monde. Mais il manquait quelque chose, il leur manquait une descendance, car le pouvoir qu’ils avaient utilisé les affaiblissait et ils ressentaient chaque nuit, le besoin de passer le relais à une nouvelle génération. Ainsi Ankou et Xolotl donnèrent naissance à un enfant : Hel. Ils lui inculquèrent comment créer la vie et quant ils eurent finis, ils s’en allèrent et s’exilèrent dans les profondeurs de la terre, loin de leur création. Ainsi Hel, put étendre son pouvoir, il se fit nommer « Dieu Suprême », mais il commença à s’ennuyer car il était seul, il partit alors vers d’autres systèmes pour trouver une épouse. Il la trouva en la personne de Niobé, qui ramena avec elle, sa sœur, Orcus. Il eut alors un fils, Azaraël. Mais Niobé avait un but secret, renverser son mari et devenir le « Dieu Suprême ». Hel eut vent de ses projets par Orcus et l’enferma alors dans une prison de pierre où nul ne pourrait la délivrer. Il prit alors pour épouse Orcus avec qui il eut une fille : Shinuth, cette fille devint follement amoureuse d’Azaraël avec qui elle eut un fils : Haleum, mais Hel voyant cet odieux inceste, fit brûler éternellement Haleum dans le feu du Soleil, castra Azraël et exila Shinuth dans les profondeurs de la mer.
La planète prospérait lentement, les formes de vie s’épanouissaient mais il manquait quelque chose pour Hel, il voulait dominer la vie mais aussi la mort. Il créa alors les Nécros. »
Les cultes d’Azraël, de Shinuth et d’Haleum étaient ainsi interdits car déviants, on pourchassait leurs fidèles. Chaque dieu avait son sanctuaire : Niobé à Varslat et Orcus à Driaroth tandis que le culte de Shinuth était avant tout développé à Mareist et ceux d’Azraël et de Haleum se partageaient Driaroth et Varslat.
– Mais qu’en est-il des autels à Hel, Xolotl et Ankou ? Demanda Zahoé.
– Ils se trouvent actuellement en territoire aragtis.
– Tu ne me l’avais jamais dit mais c’est parfait. Ainsi, pour accéder au sanctuaire de Hel, il faut donc vaincre les Aragtis.
– Je préfère te laisser des surprises surtout quand ce sont de bonnes nouvelles.
– Nous avons donc notre raison de partir en guerre. Il ne reste plus qu’à répandre la vérité dans la population.

Nos-Driaroth baignait dans une lumière solaire. Aucun Nécros n’était en vue. J’étais la seule à avancer encapuchonnée aux côtés d’une intruse. Léona conservait sa mine assombrie depuis son renvoi du gouvernement et son bannissement. Derrière mon dos, je sentais sa lame infestée de poison qui me menaçait.
On arriva devant une porte de maison, deux discrets points bleus ornaient la poignée. Une main durcie par le désert l’empoigna avant de me faire signe de rentrer. Une seule personne se tenait là, armée d’un sourire de comploteur qui prit tout son éclat quand il reconnut Léona. Dans cette maison des plus ordinaires où crépitait les dernières braises d’un immense âtre qui trônait au centre de la pièce principale, la présence de Kotor semblait comme extraordinaire.
– J’espère que Léona ne vous a pas trop menacée pour venir ? Me souffla au visage Kotor.
– Dans la limite du raisonnable, répondit Léona d’un sourire sans franchise.
– Que me voulez-vous, demandais-je.
– Que tu honores ta promesse à Zahoé de nous fournir des informations sur Bazilstal, prononça Kotor.
– Les temps ont changé, Bazilstal a retrouvé le pouvoir, l’heure n’est plus celle de Zahoé. Seul notre Empereur est maître des horloges. Vous avez perdu car tous reconnaissent son emprise. Pourquoi m’allierais-je avec les perdants ? Je ne suis plus dans une de vos cages ou dans une de vos tentes, je suis dans la ville de Bazilstal, que pouvez-vous me faire ?
Kotor et Léona sourirent d’un regard complice. C’est alors que Kotor sortit un petit manuscrit d’une de ses poches. Sa couverture de cuivre mettait en scène plusieurs personnages et lorsque je soulevais la couverture rougie, je fus plongé dans cette trame de papier qui prenait vie dans mon esprit. Je lisais avec hallucination et déchiffrait les signes, les traces de vérité en usant de la logique qui bataillait contre ce qui semblait être impensable. En le refermant j’étais partagée entre refuser totalement ce que je venais de lire ou alors d’y adhérer. J’avais envie de crier « C’est impossible » mais ma voix intérieure me hurlait en une intuition que ce que je venais de lire, la Théologie des Nécros, était vraie. Je voyais défiler devant moi toutes les raisons qui ont amenées à l’effacer de notre histoire. Hel ne serait donc pas notre seul dieu. Encore un mensonge. Où se trouve donc la vérité dans ce monde des apparences et des reflets ?
– Malta, tu es l’apprentie de Gani et tu es chargée de protéger le culte impérial. Crois-tu que tu pourras continuer à le défendre en sachant que celui-ci n’est qu’une partie minime de notre réelle religion ? Si tu conserves ta loyauté à Bazilstal, alors tu vas embrasser l’hypocrisie et devenir toi-même un agent du mensonge. Es-tu prête à cela pour préserver ce soit-disant ordre nécros protégé par ton cher Bazilstal ? Me demanda Kotor.
– Oui, avec toute la force de mon être. Jamais je ne trahirai Bazilstal, jamais vous m’entendez ! Vous complotez, vous m’emprisonnez, vous me mettez au pied du mur, crucifiée par des paroles impies. Il n’y a pas de vérités en ce monde, seulement des mensonges crédibles. Ce livre de la vérité, c’est une vérité ancienne, dépassée, elle est maintenant mensongère. Je ne serai jamais l’agent de Zahoé. Il n’y a même pas besoin que Léona parle pour comprendre que Zahoé s’est alliée avec tous les rebuts, toutes les vermines qui se trouvaient dans son sillage. Vous n’aurez jamais le pouvoir car vous n’êtes rien, des extensions de puissances qui vous dépassent, comme je suis moi-même dépassée. Vous demandez à la marionnette de trahir son maître, ne voyez-vous donc pas que cela est insensé, ne voyez-vous donc pas toute la bêtise d’une telle chose ? Qu’espériez-vous ? Qu’en me montrant toute une succession de vérités, je vous rejoindrais les bras grands ouverts. Mais je ne me bats pas pour la vérité, je ne me bats pas pour un idéal mais pour notre race. Les idées sont creuses, seule la chair existe réellement. Votre combat est vain et je vous demande de me relâcher et de vous enfuir loin de la réalité !
J’avais parlé avec tellement de rage dans la voix que ma gorge était devenue un désert. Les mots m’avaient quitté au son de la dernière syllabe, le requiem de ma parole.
Kotor avait la larme à l’oeil, la déception inondait son visage. Derrière-lui telle son ombre, Léona se tenait là silence, stoïque, le corps momifié dans sa grâce cadavérique. Un léger sourire flottait sur ses lèvres asséchées. Kotor fit un pas vers moi pour poser sa main sur mon épaule. Il tremblait légèrement, le visage peiné. Un mince filet de lumière perçait la meurtrière pour réfléchir l’acier d’une lame qu’il tenait dans sa main gauche. Un mouvement brusque plus tard et le jour semblait s’abattre sur moi, une lumière si blanche obscurcissait ma vision pendant que mon corps s’effondrait au sol.

Je ne voulais pas voir le monde des Morts, je voulais la voir elle. Je cherchais de toute ma force mentale la sortie, pour revenir à la réalité, qu’importe si ce n’était que pour contempler son cadavre.
Sa dernière expression reposait sur son corps inerte. Je la tenais de ma main droite. Elle était si légère et si frêle. Je sentais son essence se vider sur mes vêtements avant disparaître sur le sol où il s’écoulait paisiblement le long des voies du ciment. Je touchais pour la première fois ses cheveux roux avant de fermer ses paupières. Alors que je la contemplais une dernière fois, Léona entassait les bûches sur le foyer et le feu rougissait avec une force prête à tout consumer. Alors dans un dernier adieu, je la déposai sur le feu.
Elle disparaissait progressivement. Les flammes s’élevaient vers elle tandis que mes larmes s’écrasaient au sol, rejoignant son sang qui avait tant coulé.
Je pris les derniers os et les cendres avec moi avant de les disperser dans le fleuve alors que la nuit allait bientôt se lever. Solitaire aux bords de l’eau, je repensais une dernière fois à elle, à sa chevelure avant de revenir dans mon antre désormais infesté de sa présence.
On ne pouvait la laisser en vie. Nous avions échoué à lui faire prendre raison, à la retourner vers la vérité.
Voir le visage satisfait de Léona me donna envie de la tuer elle aussi. Elle nous disséquait de son regard aride et n’avait qu’une vocation : nuire aux Nécros, nuire à notre pouvoir. Ambassadeur des Sudrabs disait-elle, notre agent de liaison avec la main de Kaélo XVIII qui offrait ses services que ce soit en hommes ou en armes pour nous permettre de lutter contre un fauteur de trouble : Bazilstal. Léona est un mal nécessaire, me répétait sans cesse Zahoé. Il faut de l’ombre pour mettre en scène la lumière, comme j’ai tué Malta pour préserver notre cause juste et me permettre de devenir un vampire, ce que me refusait Zahoé.
– Zahoé n’avait pas ordonné son meurtre si ma mémoire est bonne. Un coup de stress ? Me lança Léona.
– Un acte nécessaire pour nous préserver, elle était dangereuse.
– Quel gâchis…elle était si jeune et innocente pour un Nécros.
– Je préfère qu’elle meure maintenant avant de faire plus de mal.

Fragment VI

« L’éternité n’est qu’une idée, on peut l’envisager mais on ne l’atteint jamais. Tout doit s’arrêter une nuit pour ensuite renaître avec quelques différences. » La Théologie des Nécros


Dans le fort transformé en palais, toute l’atmosphère brûlait d’une rage répressive. Une marée de vampires, de liches et de goules s’écrasait contre les portes des bureaux impériaux. Un seul nom était répété sur toutes ces lèvres mortes : Malta. Sa disparition ne laissait aucun doute, elle était soit enlevée, soit morte. Certains pointaient du doigt Zahoé tandis que d’autres criaient « les Sudrabs » avec une telle force primordiale qu’elle réchauffait mon cœur meurtri. On avait osé m’enlever mon apprentie. Mais plus encore, cela était une attaque contre le pouvoir impérial lui-même. En attaquant un de ses agents, on l’avait lui-même attaqué. Bazilstal l’avait lui-même qualifié d’« acte terroriste ». En l’absence de preuve, il fallait en trouver et chercher le ou les coupable(s) s’ils étaient toujours en ville. Holtar l’Ancien demanda une expédition punitive contre Zahoé mais avec Bazilstal, on lui fit part de nos doutes concernant la culpabilité de Zahoé car cela n’étais pas vraiment son style que de s’attaquer à un membre du pouvoir plutôt qu’à son cœur.
On quadrilla toute la ville, quartier par quartier. Je ressortis tout mon savoir de l’Ancien Empire pour extirper au mieux les réponses des suspects potentiels. Tous les anciens zahoïstes et partisans secrets des Sudrabs furent torturés avec plus ou moins de dévotion. La violence de notre répression enflamma les habitants les plus loyalistes qui se lancèrent dans une envolée de mises en accusation. Des maisons furent incendiées, d’autres vandalisées. Les moindres points bleus sur vos habits pouvaient vous valoir d’être tabassé. De nombreux meurtres furent commis. De nombreux liches devinrent vampires et découvrirent une vérité qui les dépassait. Nous étions inondés pas les débordements et les déboires. Petit à petit les zahoïstes et les partisans des Sudrabs quittèrent la ville de gré ou de forces. Seul resta un zahoïste.
Il était écartelé sur le mur sud du palais de nuit comme de jour. Il était hanté par la soif et poussait des cris de manque comme pour combler le sang par les mots. Sa chevelure blonde tombait sur un corps affaibli et décharné. De nombreuses lésions lézardaient sa chair qui faisaient s’écouler les dernières gouttes de sang de son âme meurtrie. Kotor était là, étendu, projeté en pleine lumière, rendu fou par la soif et la lumière qui brûlaient son essence.
Il avait tout raconté dès qu’il fut capturé. Les remords l’avaient dénoncé aussi bien que son inutilité. Zahoé avait refusé de le rapatrier du fait de sa désobéissance. Sa solitude devait l’envahir. Dès la première nuit l’assassin de Malta fut découvert et pourtant, on continua les recherches devenues vaines, personne ne fut mis au courant à propos de Kotor. Il fallait se débarrasser de toutes les menaces possibles. Malta rimait maintenant avec prétexte, raison d’État ou nécessité. Nous n’allions quand même pas passer à côté d’une dernière purge de nos possibles opposants.
Mais en vérité, sous le nom de zahoïstes ou de soutien aux Sudrabs se cachait le nom atroce de « polythéiste ». Lors de la découverte de la Théogonie des Nécros dans les vêtements de Kotor, la purge devint une croisade. Nous étions maintenant divisés entre les fidèles aussi bien à Hel qu’à l’Empire et les autres. Mais heureusement, seule une infime minorité semblait avoir été corrompu par ces écrits d’un autre âge que la maturité nous avait fait oublier.
En l’honneur de Malta, on décida que la grande fête de Hel lui serait aussi dédié au nom de tous ceux morts pour la réussite de notre Empire. Elle permettrait ainsi de fédérer la population loyaliste autour de Bazilstal et de Hel.
Mais chaque nuit, je me réveille en sursaut en me remémorant ce qui est pour moi la plus grande faute de Bazilstal : ne pas vouloir exterminer tous les occupants de cette prétendue ville de Mareist. Qu’importe le nombre de fantômes qui doivent s’ajouter à la liste de ceux qui hantent mes jours, chacun de ces morts a et aura été utile pour mener à bien notre projet impérial. Seule l’élite peut survivre car elle seule se tient debout, prête à affronter notre nécronité, notre pouvoir de domination.

Un vent putride venant de l’intérieur des terres s’échouait sur la côte de Mareist entourée par les brumes. Des centaines de cabanons étaient agglomérés en une forteresse de bois qui dominait une mer agitée. Au centre du complexe, un immense hall occupait un tiers de la ville. On y entrait par une grande porte de presque dix mètres de haut. Les piliers de pierre bruts s’enfonçaient dans la charpente de bois. Seules les quelques bougies apportaient un peu de luminosité et faisaient bouger les ombres des visiteurs qui se perdaient dans cette immensité occupée par une noirceur dont on définissait avec difficulté les limites. Devant chaque pilier se tenait une statue de pierre représentant une divinité. Les visages de Xolotl et Ankou nous accueillaient avec sévérité tandis que plus loin Orcus regardait avec douceur un Hel rayonnant. Ces quatre divinités étaient séparées des autres par deux bassins de sang de chaque côté qui irriguaient un immense bassin central s’étirant sur toute la longueur de la pièce. Dans la seconde partie du hall, on retrouvait ainsi Niobé du même côté que Hel et qui le regardait avec jalousie tandis qu’à ses côtés Haleum adressait un regard plein d’espoir à Shinuth et Azraël qui se regardaient avec amour tout ouvrant leurs bras vers Haleum.
Le hall était aussi bien habité par ces statues que par les fidèles qui venaient s’y recueillir. Certains embrassaient les silhouettes de pierres, d’autres se prosternaient. Certains s’ouvraient la paume de la main avant de toucher la statue voir même s’ouvraient les veines avant de projeter leur sang. Tout était accepté, tout était toléré. Au fond de la salle, une petite statuette était même dédiée aux dieux inconnus.
Le hall était rempli de monde, habité par toutes sortes de prières. Seul le bassin central restait vide, comme une plaie dans le corps de pierre et de bois. On discutait du Livre, de la Théogonie des Nécros avec ferveur et dévotion. De nombreuses disputes intellectuelles et physiques éclataient que ce soit entre ceux qui voulaient bannir Haleum, Azraël et Shinuth et ceux qui voulaient bannir Hel, car trop lié à Bazilstal. La grogne s’envolait depuis l’arrivée du flux de réfugiés en provenance de Nos-Driaroth qui ne rêvaient que de prendre leur revanche sur Bazilstal et Gani qui incarnaient leur haine. Holtar l’Ancien avait su garder ses distances avec ce projet de répression interne. On dit qu’il préférait brûler Mareist aidé par Gani mais que Bazilstal a refusé, comme pour montrer sa clémence envers moi. J’ai toujours trouvé qu’on ne détestait pas assez Holtar l’Ancien.
Mais ce qui me troublait avant tout, c’était la réaction à avoir et décider s’il fallait agir maintenant. Une porte dérobée dans le hall menait à la salle où nous nous trouvions, Lucius, moi et Holtar le Jeune. Ce dernier arborait une expression indescriptible, à la fois joyeuse et triste. Il laissait tellement passer d’émotions qu’on ne savait laquelle il ressentait vraiment.
– Zahoé, si je suis venu c’est uniquement pour te conseiller de ne pas lancer une action qui risquerait d’emporter notre civilisation à la ruine, prononça Holtar le Jeune d’une voix assurée.
– Holtar le Jeune, crains-tu vraiment pour notre civilisation ou plutôt pour Gani ? Car tu sais que si nous attaquons Nos-Driaroth, elle sera lynchée pour ce qu’elle a fait. Comment fait-on pour aimer un monstre ? Répondit Lucius en me prenant de vitesse.
– Mais l’un de va pas sans l’autre. Lyncher Gani, c’est lyncher vos valeurs, c’est montrer que vous ne valez pas mieux. Tu fais de Gani un monstre mais n’oublie jamais nos actions, tous ces massacres dans le désert sudrabs aussi bien contre les Sudrabs que contre des Nécros récalcitrants. Nous sommes tous des monstres, des abominations pour tous. Si vous prenez le pouvoir, vous ne ferez que retourner les choses : les polythéistes gouverneront au lieu des monothéistes tandis que ces derniers deviendront des rebelles qui pourront possiblement vous renverser. Je suis ici pour vous demander de mettre un terme à ce jeu binaire. Tendez la main à Bazilstal, unissez les Nécros plutôt que des les faire s’affronter, sinon nous n’avancerons jamais, avança Holtar le Jeune.
– Mais cela est impossible, tu le sais bien, aucun Nécros ne pourrait nous unir sans combat. Si nous prenons le pouvoir, nous ne commettrons pas la même erreur que Bazilstal, nous massacrons tous ses soutiens pour les reformater. Il n’y aura pas de compromis. Il n’y aura pas d’innocent. Il n’y aura que du sang.
– Alors, je ne puis vous faire changer d’avis et éviter les pleurs de notre peuple ?
– Rien ne peut nous arrêter maintenant, annonçais-je.
– Mais dis-moi Holtar le Jeune, ton rêve d’unité inclus aussi les Sudrabs car on m’a susurré à l’oreille qui tu abritais la fugitive Léona dans ta forêt ? Projeta Lucius au visage d’Holtar le Jeune.
– Toute main tendue est la bienvenue. Au bout de tant de siècles, tu ne sais donc toujours pas qu’il faut garder ses ennemis à proximité pour mieux les contrôler, les manipuler. Mais je trouve cela bien hypocrite car on m’a rapporté des livraisons d’armes et de corps sudrabs à Mareist. Combien de fois n’ais-je pas eu envie de faire mon bandit de grand chemin. Malheureusement, comme je le vois, mon inaction est peu récompensée. Néanmoins, je viens d’y penser, mais étant donné que vous voulez faire table rase de possibles opposants, j’aimerais tout de même savoir où vous me placez, histoire de savoir quand est-ce qu’il va falloir que je fuis.
– Tu ne fuiras pas, répondis-je, tu vas nous suivre lorsque nous attaquerons Nos-Driaroth, car comme tu l’as dit, il faut tenir ses amis à proximité.

Au lever de la nuit, tout ce que Nos-Driaroth comptait de vampires se réunit dans une salle au fin fond des sous-sols du palais impérial. Encapuchonnés, ils glissaient dans les rues tels des ombres. Le visage masqué, ils devenaient des formes universelles sans personnalités propres, une armée d’un même tissu noirci à la cendre. Dans les boyaux du fort, ils circulaient, se rejoignaient jusqu’à atteindre le cœur, cette salle du culte vampirique. Je me tenais face à eux, moi leur Empereur, le seul au visage découvert, le seul qui n’était pas qu’une forme encapuchonnée. Sur mon estrade de pierre, je dominais l’assemblée qui se tenait dans un bassin en demi-cercle, m’entourant. Je sentais les respirations, les souffles réguliers qui habitaient cet espace et le remplissaient de leur présence. Derrière-moi, une immense statue de Hel soutenait de ses bras le toit de la caverne. Son visage sévère jugeait celui qui entrait dans son antre. Un mince filet de lumière naturelle traversait l’ouverture faite par ses bras et plongeait sur mon visage qui rayonnait. Quand tous furent présents, je commençais :
« Mes sœurs, mes frères, nous avons enfin atteint notre objectif. Nous avons uni et purgé notre peuple pour qu’il ne reste que les meilleurs, que les méritants, ceux qui doivent rayonner dans la nuit la plus noire. Nous sommes la lumière qui créé les ombres, nous donnons vie à l’obscurité en l’incarnant. Ici, nous faisons corps ensemble, plus que jamais soudés par la nécessité de vaincre, de dominer aussi bien nos instincts les plus primaires que les parasites. Cette lutte a trouvé son martyr en Malta. Tous la connaissaient mais son triste sort ne doit pas nous enfoncer dans la dépression, non, louons son sacrifice dans la joie unitaire. Louons-la comme le martyr de notre pouvoir, de notre capacité à vaincre. Louons-la comme un avatar de Hel, comme l’un de ses meilleurs serviteurs. Louons sa dévotion pour qu’elle ne soit pas oubliée, pour qu’elle devienne un exemple. A présent, célébrons notre dieu et notre martyr. »
La litanie commença, d’abord un murmure rauque puis un chant qui montait du grave à l’aigu. Nous étions une unité harmonieuse, reliée par la musique, vibrant d’une seule voix en un vacarme qui résonnait en écho le long des parois de la grotte artificielle. Puis les corps se mirent à bouger en une danse de pas lourds qui tapaient de toutes leurs forces un sol qui répondait par un grondement répété. Les corps se lièrent ensuite par les bras et les mains, ce qui donnait une apparence compacte à cette masse que j’avais rejoint dès la fin de mon discours.
Quelques instants plus tard, les premiers états de transe arrivèrent, alors les voisins des vampires atteints par cet état se désolidarisaient et les laissaient être habités par Hel. Une odeur d’encens flottait partout et embrumait nos pensées.
Trois gongs signalèrent l’arrivée des Sudrabs alors que nous continuions à danser et chanter. Les liches préposés distribuèrent des couteaux à tous les vampires avant que ceux-ci ne transpercent de part en part les Sudrabs que l’on avait agenouillés dans le bassin, à nos côtés. Certains buvaient leur sang, l’autre le projetait sur ses voisins, sur les murs, sur la statue de Hel. D’autres encore, arrachaient la chair sudrabs et l’ingurgitait sous le regard courroucé de Gani qui voyait cela d’un mauvais œil, mais elle était trop en transe pour oser dire quelque chose. Les corps continuaient à arriver tandis que nous marchions de plus en plus sur les cadavres qui nous élevaient et dans une mare de sang qui montait. On se jeta dans le bassin pour se recouvrir de ce sang, pour se nourrir. Progressivement, les tenues furent arrachées pour faire place à des corps nus qui se mêlaient dans le sang. Seuls quelques-uns gardaient leur tunique. L’odeur du sang avait remplacé la flagrance de l’encens.
Mais alors que nous festoyions, une voix hurla : « Pour Zahoé et les dieux ». Et c’est alors que de nombreuses lames plongèrent dans les corps encore chauds de nombres de mes serviteurs. Ceux qui gardaient encore leur capuche l’enlevèrent et je découvris ainsi les visages de Zahoé, Lucius, Holtar le Jeune et Léona qui s’empressèrent de fondre vers moi. Voyons ma défaite arriver, je pris la fuite entouré par Gani et Holtar l’Ancien. Mais mes ennemis me prirent de cours et bloquèrent mon passage. C’est alors que Holtar le Jeune, donna un coup de dague aux mollets de Zahoé et Lucius avant de les pousser et de nous faire signe de le suivre. En tombant dans la mare de sang, Zahoé et Lucius avaient le regard de la personne trahie, qui ne s’y attendait pas, du moins, pas maintenant, tandis que Léona de tenait là silencieuse, comme observateur de la scène. Sur notre chemin, les liches se battaient partout, de nombreux cadavres étaient jonchés sur le sol, le sang était partout et emplissait tous nos sens.
Heureusement, le fort tenait toujours et on réussit à barricader la porte menant à la caverne. Alors que je prenais mon armure de guerre, je vis Holtar le Jeune et Gani s’embrasser en un dernier adieu. Nos ennemis s’avançaient depuis la porte extérieure du fort mais aussi depuis l’intérieur, à partir de la grotte. Nous n’avions aucune chance de les battre et j’entendais au loin mon requiem qui jouait ses premières harmonies. Le jour allait bientôt se lever.
On combattait avec la force du désespoir. Nous étions tous les quatre groupés, formant un bloc de défense au sein d’une mer de liches et de vampires, la plupart à demi-équipés. Au loin, on pouvait voir la ville brûler.
Alors que nous nous battions avec ferveur, Gani fut extirpée de notre bloc que l’on pensait presque invincible avant d’être transpercée par une marée de couteau puis décapitée. Zahoé arriva près de la scène et répandit de l’huile sur les deux parties de son corps avant d’y mettre le feu.
Holtar le Jeune explosait de rage et s’apprêta à foncer vers Zahoé quand je le retins par le bras, aidé par Holtar l’Ancien. « La vengeance est préférable au suicide » lui glissais-je à l’oreille. C’est alors qu’il sembla se calmer, le cerveau en ébullition. Voyant notre fin arriver, je prononçai d’une voix éteinte : « Laissez-moi à mon destin mais ne m’oubliez pas. » Alors ils partirent, le regard entendu en un dernier salut.
Désormais seul, les liches et les vampires m’entouraient sans vouloir m’atteindre. Seuls Lucius et Zahoé s’avancèrent en boitant légèrement.
– Bazilstal, Empereur déchu des Nécros, regarde ta création. Elle n’est faite que de sang et de ruines. Tu as échoué. Tu es bien seul, même les tiens t’ont abandonné, ils ont fui. Mais ne t’inquiète pas, ils te rejoindront dans les flammes car comme tu l’as si bien mis en pratique, il faut purifier le monde pour le recréer, pour le remodeler. Maintenant, vous allez mourir Votre Excellence, quels sont vos derniers mots ? Prononça avec solennité Zahoé.
– Je n’ai fait que mon devoir de Nécros et seule l’histoire pourra me juger à l’ombre de mes successeurs. Je vous défie de bien vouloir réussir là où j’ai presque échoué. Je n’ai aucun regret, aucune déception. Je m’éteins en paix, répondis-je.
Alors une lame transperça mon armure au niveau cou avant de ressortir. Mon sang inonda le sol que j’avais foulé avec mes derniers fidèles. Je m’y écroulai avant de perdre conscience. Ainsi s’achève mon règne, dans mon sang.

Le corps de Bazilstal s’étendait là. J’eus comme un sursaut au cœur que de le voir ainsi, si faible, si fragile. L’Empereur déchu n’est donc qu’un Nécros parmi d’autres. Un sentiment de compassion m’envahit. Mais Zahoé me ramena à la réalité quand elle projeta de l’huile sur le cadavre impérial avant d’y jeter une torche. Puis elle partit, complètement déterminée. Mais au lieu de partir vers le trône, elle s’avança vers le mur sud du fort. Là, Kotor à demi-fou hurlait en un langage incompréhensible. Son corps décharné était victime de spasmes. Un liche s’avança alors pour le détacher. Son corps s’effondra au sol, presque inerte. Mais tandis qu’il essayait de le faire se lever, Zahoé fut prise de colère et jeta de l’huile sur le liche et sur Kotor avant de leur mettre le feu et de dire « seul moi décide de qui vit et de qui meurt, ne l’oubliez jamais. ».
Cette besogne finie, on fila vers la salle du trône. C’est alors que je remarquais une étrange atmosphère. Nous étions suivis par une grande foule qui emplissait les couloirs du palais mais je ne sentais aucune ardeur, aucun sentiment de dévotion envers Zahoé. Comme s’il n’étaient pas vraiment ici pour Zahoé mais pour une nouvelle paix liée à une autorisation du culte polythéiste. C’est à cet instant que j’ai eu peur pour elle et pour notre peuple car elle a besoin d’être vénérée pour se sentir puissante, or, je sentais plus de pragmatisme dans cette foule que de dévotion.
En arrivant, devant la salle du trône, deux gardes vampires se tenaient devant la porte fermée. Quand ils nous virent, ils ouvrirent la porte avant de prononcer en chœur : « Que les dieux soient sur vous oh nobles Zahoé et Lucius. ». Zahoé débordait de joie avant de découvrir la nouvelle réalité impériale.
Dans la salle du trône, presque une centaine de Nécros se tenaient de chaque côté en rang. La plupart étaient des polythéistes mais je remarquais aussi quelques monothéistes. La raison de cette union était assise sur le trône, le visage sombre tandis qu’il tenait de sa main droite la Théologie des Nécros. Dès qu’elle le vit, Zahoé fonça vers lui, l’épée découverte mais elle fut arrêtée par toute la foule qui lui barrait le passage. Alors, Holtar le Jeune descendit de son trône, le regard empreint de sérénité :
« Vous n’auriez apporté que la ruine de notre peuple. Je n’en peux plus des massacres et des purges, l’heure est à l’union et à la liberté. Je suis un polythéiste et Holtar l’Ancien est un monothéiste et ensemble nous gouvernons, moi en tant qu’Empereur et lui en tant que chancelier. Nous formons l’unité des Nécros, entre l’ancien et le nouveau monde, entre nos racines et nos cimes. Il est temps d’avancer, il est temps de changer pour le meilleur. La paix chez les Nécros est de retour, soyez-en assurés. Zahoé et Lucius, je vous ouvre mon gouvernement malgré toute la haine que j’ai pour toi Zahoé car j’ai vu ici trop de sang couler. Je ne puis risquer une guerre civile. Acceptez-vous ma main tendue ? »
Je regardais une nouvelle fois la foule et je sentis que ceux qui nous avez suivi approuvaient ce discours. Nous avions échoué à prendre le pouvoir, car sans soutien populaire, l’Empereur n’est rien. A cet instant précis, Zahoé l’avait compris. Nos yeux se remplirent de larmes. Si proche et pourtant le trône nous semblait plus loin que jamais. Les rêves de pouvoir de Zahoé semblaient s’être brisés sur l’audace de Holtar le Jeune, lui qui crachait sur l’Empire. Quelle hypocrisie que de le voir prendre la place de Bazilstal.
Ayant repris ses capacités, Zahoé réussit à répondre :
« Ainsi, l’Empereur déchu est remplacé par un usurpateur. Je ne croyais pas que vous auriez le courage de me voler le trône. L’Empire est donc entre les mains de son plus grand adversaire. Je suis intriguée par le résultat que cela va donner donc j’accepte votre main tendue et Lucius aussi dans le même temps. Combien de temps allez-vous tenir, là est la question… »
C’est alors que je remarquais la présence de Léona dans la foule, elle rayonnait d’une joie juvénile. On aurait dit que Holtar le Jeune avait remplacé Zahoé au sein de la coalition, comme un retour de bâton contre sa trop grande soif de pouvoir.
Holtar le Jeune sur le trône, cela voulait donc dire que la Croisade contre les Aragtis allait être lancée, pour le plus grand plaisir des Sudrabs. Le nouvel Empereur promettait la paix chez les Nécros mais il allait déclarer la guerre au monde, cela en était presque certain.
Une nouvelle aube se lève pour les Nécros.
P.S. : J'ai grossi les noms des chapitres et les fragments pour mieux se repérer dans le texte
Bonne lecture !

Avatar du membre
Reinhard Faul
Monster Vieux Monde 2021
Monster Vieux Monde 2021
Messages : 294
Profil : FOR / END / HAB / CHAR / INT / INI / ATT / PAR / TIR / NA / PV (bonus inclus)

Re: [Dark Fantasy] La Chronique des Nécros

Message par Reinhard Faul »

Salut,

alors déjà j'ai pas vu de fautes d'orthographe, les phrases veulent dire quelque chose, et ça c'est déjà un bon point. Après je vais critiquer, mais bon c'est toujours plus facile que de se taper le boulot ! Je tiens à dire aussi que je n'aime pas trop la fantasy (qu'est ce que je fous là ?), j'ai lu la Horde du Contrevent mais ce n'est pas mon livre préféré de tous les temps. Je me permets de répondre parce que personne ne l'a fait et que ça doit être pénible de ne pas avoir de retours.

Déjà niveau mise en page c'est trop dense, les phrases sont trop longues, trop d'énumérations, trop baroque, dès le début. Comment expliquer ça ?

A mon souvenir, au début de la Horde du Contrevent, on découvre surtout les personnages en train de galérer dans une espèce d'expédition. On comprend qu'ils cherchent quelque chose, que chacun a un rôle... bon bien sûr Caracole vient assez vite nous exposer son énorme melon avec des monologues mystiques (quand il ne me relit pas du Nietzsche ou du Foucault), mais ai-je déjà précisé que je n'aimais pas trop le bouquin ? Pour en revenir à ton texte bah moi j'étais là avec un mon café devant mon ordi et on commence direct à me parler de mondes perdus, d'un soleil rouge, de déshonneur. Et je pige rien. Par exemple, la troisième phrase de la narration c'est ça :
Le fardeau de l’éternité avait permis aux Premiers Nécros, de survivre dans le monde des Sudrabs, le peuple des déserts de sable et d’eau.
C'est quoi le fardeau de l'éternité dans le contexte ? Si Armand (un autre joueur) ne m'avait pas parlé de vampire, je n'aurais jamais deviné. Enfin le début de ton texte est plein, rempli à craquer de références à un univers dans lequel tu te projettes déjà, mais moi je ne le connais pas et je n'ai aucune chance de me le faire expliquer clairement.

Enfin j'ai compris que la première scène c'est une fille à cheval qui examine le cadavre d'une araignée géante, et qu'elle résiste à une espèce de malédiction de vampire (enfin j'ai cru à un loup garou au début à cause du mot "bestial"). Mais c'est typiquement pour ça que je n'aime pas la fantasy. La meuf commence à baroquer sur la soif génocidaire des araignées géantes ("Un Aragtis peut-il aimer ?") et moi je me demande encore où est ce qu'on est, est ce que les personnages sont humains (genre avec deux yeux des bras des jambes, question pas inutile dans la fantasy), comment est ce que je vais faire pour retenir tous ces nouveaux mots. Ce genre de chose ne m'arrive jamais quand je lis la description d'un type qui va acheter une boîte de cassoulet à Liddl.
Dans le même registre, pour donner un autre exemple, j'ai aussi planté un moment sur le mot "Necros", parce que j'avais du mal à intellectualiser que des gens qui se nomment comme ça soient les gentils (on est pas obligé de les appeler "les bisounours" effectivement, mais il faut quand même tendre à aller chercher les gens là où ils se trouvent, sinon à quoi bon ? Autant se raconter une histoire tout seul dans sa tête si le lecteur ne nous intéresse pas. Tout ça pour dire qu'à chaque fois que tu introduis de nouveaux mots/concepts, ils faut les expliquer soigneusement et les ajouter à petite dose).

Enfin après je n'ai pas réussi à continuer, parce ça part dans tous les sens. Y a peut être un bon délire derrière, mais j'aurais besoin pour aimer que ça soit plus simple, plus terrestre, plus organique, et que les questions métaphysiques viennent dans un second temps, une fois que j'en ai quelque chose à foutre des personnages, parce que j'aurais eu l'occasion de les connaître (et qu'ils aient des émotions, des défauts, des habitudes...).

Après je sais qu'il y a des gens qui raffolent de descriptions de vaisseaux spatiaux en long en large et en travers, ou de connaître la grammaire du langage elfe dans le Seigneur des Anneaux. J'espère que je n'ai pas été trop brusque dans ma critique, ce n'est pas le but.
Natus est cacare et abstergere coactus est.
Image
Lien Fiche personnage: Ici

Stats :
Voie du sorcier de Nurgle (Profil avec empreintes occultes et mutations)
For 9 | End 14 | Hab 10 | Cha 6 | Int 15 | Ini 10 | Att 10 | Par 9 | Tir 9 | Foi 8 | Mag 18 | NA 3 | PV 140/140

Mutations/marques :
Nuages de mouches : -1 ATT/PAR/TIR/INI pour toutes les personnes à moins de 6m
Plaies suppurantes : 1d3 dégâts retranchés à chaque blessure
- Morsure Venimeuse : Poison hallucinogène
- Hideux (Effet : Peur)
- Organe du Chaos (-1 CHA/HAB, +1 END, +5 PV)
Pourriture de Neiglish : Porteur sain
Protection de Papy : 2d4 PdC à chaque critique en incantation
Grimoire :

- Lumière : À appliquer sur un objet ; Fait de la lumière pendant 1h
- Flammèche : Petite étincelle au doigt pendant une minute
- Météo : Connaît la météo prochaine
- Repos : Peu faire se détendre quelqu'un

- Infestation de Nurglings : 24m / 1d4 tours / Projectile magique. Une fois qu'une personne est touchée, elle subit 10+2d10 dégâts magiques par tour / Dès la fin du sortilège ou la mort de l'ensorcelé, des bubons explosent, libérant 2d3 amas de chair, qui sont autant de nurglings
- Fontaine putride : 6m / Instantané / 30+2d10 dégât devant lui + gain de 7 armure temporaire magique / +5 dégât par point de MA
- Gerbe corruptrice : 12m / 10+1d10 dégât dans une zone de 6m, esquivable ; métal rongé après 1d4 tours / -1 esquive par MA

- La multitude fait le tout : Se change en nuée de mouches
- Prodigieuse santé : Contact / Devient ultra bogosse et ultra chad
- Grande invocation de petits amis : Invoque des insectes pour servir d'ingrédients
- Immonde messager : Peut envoyer des messages twitter (Caractères limités)
- Allégresse fétide : Supprime toute douleur mentale ou physique
- Divine urgence : Force la cible à faire un jet d'END. Diarrhée en cas d'échec.
- Paludisme dévorant
- Vent de Nurgle
- Torrent de corruption

- Invocation : Nurglings
- Invocation : Bête de Nurgle
- Invocation : Porte Peste
- Octogramme de conjuration
Compétences :
- Résistance accrue : +1 END aux jets testant la résilience physique (Fatigue, drogue, alcool, torture...)
- Vol à la tire : +1 pour escamoter quelque chose
- Baratin : +1 pour endormir la vigilance de quelqu'un
- Déplacement silencieux : +1 pour fureter quelque part
- Déguisement : +1 pour s'infiltrer en étant déguisé
- Alphabétisation
- Autorité
- Humour
- Empathie
- Coriace

- Sens de la magie : Sur un test, détecte les événements magiques
- Incantation (Domaine de Nurgle)
- Maîtrise de l'Aethyr (Nurgle) : 3
- Contrôle de la magie
- Divination (Oniromancie) : Sur un test au cours de son sommeil, peut découvrir la destinée de certains personnages
- Langue hermétique (Langue Noire) : Parle la langue immonde du Chaos
- Confection de maladies : Peut fabriquer des maladies communes et rares
- Connaissance des démons
Équipement de combat :
- Bâton démoniaque : 2 mains ; 10+1d8 dégâts ; 8 parade ; Assommante & Utilisable seulement par les classes magiques. +1 PAR
- Pistolet à répétition : 46+1d8 dégâts, malus -2 TIR/8 mètres, peut tirer cinq fois à la suite avec un malus de -1 TIR par chaque nouveau canon qui fait feu
- Agaga (Épée à une main) : 18+1d10 dégâts ; 13 parade ; Rapide, Précise, Perforante (2) ; +1 INI
- Cocktail Molotov (x4) : Dans un rayon de 1m, toute personne qui est touchée par la bouteille prend trois états de « Enflammé ». Dans un rayon de 2m, c'est 2 états seulement. Dans un rayon de 3m, un seul état.

- 15 balles et poudres

- Tenue de cultiste de Nurgle : 5 protection ; Tout le corps sauf tête

- Anneau d'Ulgu : Lorsque porté, vous pouvez faire croire à ceux qui vous entourent que vous êtes un humain lambda (sans mutation aucune ni trait particulier) pendant 1 heure. Vous ne pouvez utiliser cette capacité qu’une fois par jour. Vous ne pouvez pas prendre l’apparence d’une personne en particulier.

- Miroir de la Demoiselle d'Acques
- Cor de la harde des Museaux Annelés
Équipement divers :

- Marque de Nurgle
- Caresse de la vipère (poison) : Un sujet blessé par une arme enduite de ce venin doit réussir un jet d'END-4 sous peine de mourir dans END minutes. Chaque minute avant sa mort, le sujet subit 5 points de dégâts non sauvegardables, et un malus cumulable de 2 à ses caractéristiques.


- Couverts en bois
- Sac à dos
- Couronnes dentaires en bois
- Tatouages
- Porte-bonheur

- Sap-biscuit

- Costume de répurgateur + Fleuret (Déguisement)
Divers divers :

Image

Avatar du membre
Mathiarc
PJ
Messages : 0

Re: [Dark Fantasy] La Chronique des Nécros

Message par Mathiarc »

Tout d'abord, merci à toi pour ta critique !

Alors je comprends tout à fait ton point de vue, je vais essayer de remanier pour que ce soit plus compréhensible, plus simple dans la prochaine version de ce texte.

Après, je tiens à mettre à avant plusieurs choses pour expliquer cette/ces possible(s) maladresse(s) de ma part :
-> c'est un récit conté par ses propres personnages, donc il me semble illogique qu'ils se décrivent eux-mêmes(je vois mal le narrateur dire : "j'ai deux bras, deux jambes")...d'où le fait que je décris à travers les yeux de ce personnage un autre Nécros, quelques lignes plus loin dans le récit pour plus de clarté.
-> je pensais que l'expression "fardeau de l'éternité" était compréhensible pour signifier que les personnages étaient immortels et qu'ils ne considéraient pas cela comme forcément "positif"...je vais mettre plus de clarté à l'avenir...
-> comme intitulé un peu partout, c'est un récit de Dark Fantasy, ou du moins c'est la direction vers laquelle est tendue ce récit d'où cette appellation "Nécros" qui peut sembler négative pour le lecteur ce qui donne d'emblée un caractère à ce peuple, pour dire : les narrateurs ne sont pas les gentils de l'histoire. De plus, vers le chapitre 2, on découvre la signification de ce mot qui n'est en fait pas négative pour ce peuple…
-> pour l'aspect avalanche, je trouve qu'on peut difficilement passer à côté, surtout dans la Fantasy mais je vais essayer de m'améliorer pour rendre cela plus fluide.
-> le côté ultra réflexif est voulu et c'est le truc qui peut être vite pénible pour le lecteur qui n'aime pas ça...je le conçois parfaitement mais c'est comme cela que j'ai conçu cette histoire car pour moi les Nécros sont des gens qui passent leur temps à regarder leur nombril et à se poser 20 millions de questions car ils ont le temps. A cela s'ajoute justement ce côté ultra lourd, pâteux des phrases qui est s'incarne dans un style comme tu le dis, un peu "baroque" qui correspond justement pour moi à cet univers "vampirique" qui est ici un peu travesti. Car pour moi, la forme et le fond sont mêlés et quand un peuple aussi dominant, aussi autoritaire que sont les Nécros parlent, et bien selon moi, il faut que le style représente cette lourdeur, cet écrasement, cette grandiloquence qui prend presque le lecteur de haut.

Donc en résumé : merci pour ces bonnes remarques qui sont compréhensibles au vue de mon univers dépeint mais je vais quand même tâcher de rendre tout cela plus compréhensible, plus fluide, plus organique pour ne pas perdre le lecteur.

Merci beaucoup pour ta critique qui va bien m'aider pour la suite !

Avatar du membre
[MJ] Bugman
Maitre de jeu [MJ]
Messages : 373
Profil : FOR / END / HAB / CHAR / INT / INI / ATT / PAR / TIR / NA / PV (bonus inclus)
Autres comptes : Hagin Duraksson, Gormil Thorakfind et Ilahîn Alysante Esdalân

Re: [Dark Fantasy] La Chronique des Nécros

Message par [MJ] Bugman »

Petit retour comme promis ^^

Étant un fan de papi Tolkien et de la Horde du Contrevent, la question des descriptions et de la masse de vocabulaire ne me gêne pas spécialement (à vrai dire c'est même assez amusant de chercher les références glissées ça et là ^^).

Néanmoins mon souci premier reste le même, celui du manque de données sur l'univers en lui même, même si ma crainte de rupture du pacte s'est envolée via les détails glissés ça et là.

Une chronologie (incomplète en ce qui concerne les éléments que tu tiens à taire pour l'histoire) et/ou une carte permettrait une lecture bien plus fluide à mes yeux.

(Après j'avoue que je suis très intéressé par l'empire bien qu'il serve surtout de menace d'arrière plan/d'environnement/lointaine pour le moment)

Concernant le style en lui même, il colle assez aux personnages et ne me gène pas, néanmoins, si il devait y avoir une narration par des non-nékras, le style varierai-t-il?

Avatar du membre
Mathiarc
PJ
Messages : 0

Re: [Dark Fantasy] La Chronique des Nécros

Message par Mathiarc »

Merci pour ta critique !

C'est vrai que je suis avare en détails mais c'est pour donner un côté plus mystérieux tout en allégeant un peu un récit déjà assez lourd. Mais c'est vrai qu'il faudrait que mentionne plus le lore de mon univers. Tu as trouvé des manquements surtout par rapport à quoi ?

Sinon, oui c'était prévu que je fasse une carte mais j'ai des doutes sur l'extension que je veux lui donner. Et c'est vrai qu'il faudrait que je fasse une chronologie mais elle sera très brève pour comme tu le dis, limiter les possibles spoils.

L'Empire sudrabs va rester un peu secret malgré les quelques détails que je glisse sur lui...car il va me servir de décor principal pour une future histoire ;)

Totalement, mais étant donné que c'est "La Chronique des Nécros", et vu leur xénophobie, l'apparition d'un narrateur non-Nécros ou non-Nekra pour reprendre l'ancienne formulation (je repère bien un amateur de lore…) me semble hautement peu probable.
C'était d'ailleurs une idée que j'avais noté, celle de faire une "Histoire secrète des Nécros" en racontant l'histoire de la Reconquête du territoire nécros, mais cette fois-ci du point de vue des Sudrabs.

En tout cas, merci pour ta critique !

Répondre

Retourner vers « Écrits Libres »