J'entends déjà vos réponses qui agressent mes oreilles. On avance les nombres de soixante-dix ans, de quatre-vingts... Certains tentent même le siècle! Je ne puis vous donner à tous tort, tant vous avez tous raison. Mais il nous faudrait déjà, avant de commencer, définir ce que signifie vivre, non?
Pour moi, vivre n'est pas que de se maintenir à un état de vivant, c'est pouvoir agir. Bouger, danser, chanter, chasser, lire, se battre, rire. Tout ce qui fait du malheur humain une merveille, un monde entier à découvrir, à explorer, à connaître. Des dangers à affronter, être blessé parfois.
Ainsi, j'avais cessé de vivre depuis longtemps quand je suis mort.
Mais la mort est un concept qui ne semble pas s'appliquer à tout. Encore une fois, qu'est-elle? Le moment où votre corps cesse définitivement de bouger? Où vous ne pouvez plus rire, chanter, danser? Si le cas, j'étais mort en étant bien vivant!
Puis vint cet instant où je suis revenu, où les dieux m'ont laissés une seconde chance, une chance de faire ce que j'ai toujours fait, de me venger.
Je me suis alors rendu compte que la vie comportait bien d'autres facettes que les lames, les femmes, la nourriture et le plaisir. Ceux qui nous entourent sont importants, bien plus que nous-mêmes. Alors j'ai décidé de les protéger, de les sauver, de les défendre contre le monde ou contre eux-mêmes.
J'ai traversé les âges.
Parfois, mon corps a cessé de bouger, définitivement. Alors mon esprit s'envolait vers les royaumes de Morr, j'étais prêt à recevoir le repos éternel.
Mais toujours, on me relevait, toujours. Je voyais les êtres que j'aimais naître, grandir, vieillir puis mourir, alors que je restais là, le même, inchangé par le temps et les âges. Je me cachais du monde extérieur, on ne voyait pas mon vrai visage.
Mes prouesses sont pour beaucoup derrière moi, le temps m'a décidé. Ce monde me fatigue, ces combats incessants me lassent. Mais je dois continuer, car je le leur dois à tous. Mais par Sigmar, que j'aimerais mourir.
Parfois je tombe au combat, avec soulagement et plaisir. Alors je pars... Puis je reviens. Et je les vois, tous autour de moi, avec un large sourire, des larmes aux yeux et une joie sincère. Je soupire alors, même si cela fait des siècles que mes lèvres n'ont plus laissées passer un souffle. Je les enlace, les embrasse. Les enfants m'offrent leurs jouets pour me remettre, les parents me donnent une tape sur l'épaule en me souhaitant de me rétablir, les aînés disent qu'ils n'en attendaient pas moins de moi.
Que j'aimerais leur dire que je ne veux plus revenir, que je veux juste m'en aller, partir, loin, dans un monde où je connaîtrai enfin la paix. Mais je n'y arrive pas, je n'y arrive jamais.
Alors je reprends mon rôle, je protège, je défends, je conseille, je détruis.
Et parfois, alors que je contemple les yeux vides d'un vampire ou d'un champion du Chaos que je viens de briser avec violence, que je plonge mon regard dans le sien... J'y vois cette lumière fade, cette peur de la mort que tous les êtres vivants transportent.
Je retire ma lame de sa gorge. J'observe le cadavre à mes pieds puis je regarde mes mains de métal. Je tente de pleurer, mais rien ne coule.
Alors dans un fracas de vaisselle brisée, je me retourne violemment, jaloux de la paix que le monstre a gagné.
Je fête mes trois cent dix-sept ans de mort aujourd'hui. Car l'acier n'est pas vivant... Et donc moi non plus.