Terre-Noire

Où s'écrivent les histoires, hors du temps et des règles compliquées du monde réel...
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Anton
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Terre-Noire

Message par Anton »

Une première présentation de la Baronnie von Adeldoch, je ne savais pas trop où la mettre.

Parle-moi de là d'où tu viens. Parle-moi de Terre-Noire, puisque tu ne m'y veux pas emmener.

Je souris, prends sa main.
Tu sais très bien pourquoi il nous est impossible d'y aller. Et tu sais aussi que ça ne dépend pas de moi...
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Nous sommes debout penchés l'un sur l'autre sur un remblais instable du haut parvis du palais impérial de Nuln, exposant notre insouciante jeunesse au ressac de l'air froid de la nuit qui vient, et, contemplant les sommets de la cité millénaire au bras de la plus belle de ses filles, je suis comme fou. Je suis fou d'elle, de ses allures, de sa voix, de ses manières, de son destin, de notre histoire. Elle est tellement...parfaite. Tout en elle m'attire, m'étonne, me tourmente, me fascine. J'aimerais...oui, j'aimerais l'emmener, la faire voir, sentir qui je suis et d'où je viens, l'immerger au cœur de ce que j'aime dans l'espoir fou peut-être qu'elle s'attachera encore davantage à moi.

Mais bien sûr, nous sommes deux aristocrates de vingt-deux et vingt-quatre ans à la cour de Nuln, et savons parfaitement distinguer les rêves de notre jeunesse de ses réalités. Sans présumer des voies tortueuses du destin, je sais parfaitement les obstacles qui s'opposent au voyage d'une jeune fille d'une telle famille aux confins sud-est de l'Empire. Mais, quoi! elle me presse tant et bien que j'ai à mon tour envie de rêver. Tout s'y prête, après tout... Alors je lui parle de mon domaine, de mon passé, de notre avenir.

Oui, je tenterai cela! De l'arracher un instant à la vie tourbillonnante de cette ville qui déploie sous nos yeux les reflets coruscants de ses événements mondains et particuliers, la tenir, rien qu'à moi, loin de cette richesse de lumière et de ce luxe d'histoires citadines qui agitent devant nous un tableau flou et vivant, celui d'une cité immense qui s'apprête à quitter un soir de fête pour s'enfoncer dans le repos de la nuit. Je veux l'enlever à la noirceur qui tombe, à nos corps ensommeillés, à l'alcool et aux échos de musique. Je l'amène, chez moi, dans le Sudenland, au pays du froid soleil et des plaines rugueuses. Elle rit, parce que, dit-elle, je lui décris-là le Wissenland! Mais je la reprend, et je raconte encore. Je raconte mon pays. Je raconte le Sudenland.

Nous suivons ensemble depuis Nuln un chemin qui, de bourg en bourg, nous éloignent de cet envahissant Wissenland. Je lui dis les routes sinueuses qui longent la Sol sous le regard des montagnes, puis ces chemins qui la quittent brutalement et vont zébrer l'immensité de mon empire. Je lui raconte les bois inquiétants, les villages pouilleux et fortifiés, les camelots pressés par la venue de la nuit et de ses dangers. Je lui peins les caravanes naines que nous croisons ensemble au détour d'un carrefour, serrant leurs trésors dans des chariots soigneusement bâchés, et avançant rapidement en ligne droite sur nos routes qu'ils tracèrent autrefois et qu'à présent ils sont seuls à emprunter. Je la fais frissonner au détour d'une ruine, ces sanglantes balafres que l'envahisseur a laissé à la face de mon Solland et que jamais nous ne pourrons vraiment guérir, avant que nous nous réfugions ensemble dans la grisaille de quatre mûrs ébréchés, un adossement de pierraille qui eut un jour un toit, et même un foyer, mais dont il ne garde plus aujourd'hui que la cendre.

Puis, peu à peu, je lui dis les quelques bourgs fortifiés, et même les villes, qui battent le cœur d'une région que rien ne peut vraiment détruire ; je lui dis les convois et les caravanes, les expéditions et les artisans, les ateliers et les talents, les fiertés et les traditions que nous balayons en une seule chevauchée à travers la campagne -ma campagne, notre campagne. Avant de s'aventurer au-delà du dernier rempart de cette civilisation convenue... nous sommes sur un long chemin de terre qui semble s'avancer à l'infini à l'encontre d'une lointaine forêt, et qui a pour seule raison d'être une vieille borne de pierre sur laquelle une main a, des décennies plus tôt, gravé en style ancien ces deux mots reliés d'un trait si fragile:

Terre-Noire.

Oui, nous sommes tous les deux sur cette route, tandis qu'elle rejoint la forêt et quitte le confort de la campagne, puis qu'elle s'enfonce à travers des bois et sous leurs ramures. Il nous faudra camper à la belle étoile, et faire une marche vive pour atteindre un lieu qui n'y sera pas trop hostile ; je te montrerais une certaine colline qui s'élance bien au-dessus des plus hauts arbres, et qui ne les laisse pas s'approcher de son sommet ; nous nous adosserons au vieux dolmen que marque cette clairière, qui respire sur le toit de l'immensité verte qui mène à mon domaine, et nous nous endormirons sans plus nous soucier du bruits des bêtes et des bois, car nous serons alors sous une protection plus ancienne encore que le mal, la peur et la crainte. Au matin, je te montrerai au loin les montagnes qui se dessinent au fur et à mesure que l'aurore se lève. Tu ne les avais pas vu jusqu'alors, comme notre vue s’embarrassait des arbres! Tandis qu'elle court maintenant, dégagée, jusqu'au flanc énorme des Monts du Bord du Monde. Les vois-tu ces escaliers immenses qui embrassent un bout et l'autre de l'horizon et semble promettre une ascension divine jusqu'aux nuages? Ils n'ont nul part leurs pareils, ni en force, ni en âge, ni en taille ; notre Empire leur est bien peu de chose, et ils sont vastes à eux seuls comme deux mondes. Mais continuons! Car c'est à leurs pieds que je t'emmène.

La forêt, nous ne la quitterons plus pendant trois jours. Ce sont trois jours difficiles, car les plantes ne sont pas ici accueillantes ; les tronc sont torturés, et les feuillages assèchent toute la chaleur que le soleil envoi éclairer notre errance. Mais nous trouvons des sources, ça et là, dans de vieux bassins de pierre que je fais entretenir pour les besoins des voyageurs qui veulent, comme toi, découvrir Terre-Noire. Cette route, je la rendrai en mourant comme je l'ai reçue de mon père, droite et rude à la marche, avec ses arbrisseaux amputés, sa terre noircie, ses nuits agités, mais aussi avec ses fontaines d'eau toujours pures et ses clairières soigneusement élaguées pour le repos du voyageur. Je l'ai toujours connue ainsi et je n'en voudrais pas d'autre pour tout l'or du Reikland.

Mais regarde! Nous touchons au but! Notre chemin croise, au pied d'un large éboulement rocheux couvert d'un bois épais, une lancée de terre toute pareille à la notre qui s'élance, elle, vers le Nord-Est. C'est la seconde route, et la seule autre, qui permette d'atteindre Terre-Noire depuis l'Empire. Nous sommes tout proches! Nous presserons le pas, ma belle, pour rejoindre l'orée, qui se dessine en tache fauves et or au delà des frondaisons qui s'abîment dans le soleil tombant. La journée s'achève, mais notre longue route aussi. Voilà que nous quittons les bois. Oh, ma chère, songez au charme de ce décor après l’âpreté de la nature des bois!

A notre gauche se dessine celle qui nous accompagne depuis quelques temps déjà sans qu'il nous ait jamais été possible de la voir : la Bruisse, qui descend directement des Montagnes qui nous oblitèrent notre horizon tant elles se sont faites proches au cours du voyage, et escorte à sa gauche le chemin qui mène à Terre-Noire. La route longe désormais un pan de colline abrupte -dont l'éboulement était un prolongement-, avant de le laisse à sa droite pour se diriger en terrain découvert vers les berges de la rivière en contrebas. Il s'y trouve là un village trapus, enfoncé dans ses claies et ses palissades comme un vieillard bougon derrières ses défenses, mais traversé de part en part par ce cours d'eau sur lequel il a jeté un pont si fort, si brutal de rondins et de cordes, qu'on se prend immédiatement à l'aimer. C'est Cardigan, et il veille sur l'entrée de sa vallée avec la tranquille assurance de celui qui a depuis longtemps compris ses forces et ses faiblesses.

Oh, bien sûr, ce n'est pas là ce qui t’intéresse n'est-ce pas? Tu as déjà assez vu de ces bourgades paysannes pour te pencher bien longtemps sur les rues boueuses, le temple rustique, la halle épaisse et qui sent fort le gibier. Non, toi, ce que tu veux, c'est Terre-Noire, n'est-ce pas? Patiente un peu encore, s'il te plaît. Il faut s'en approcher pas à pas pour bien la connaître et apprendre à l'aimer.

Cardigan, c'est effectivement un bourg paysan, car il en a la rigueur et l'austérité. Il y a là une auberge solide, aux vastes écuries, car ceux qui ont affaire avec le baronnie n'en connaisse bien souvent que cela. Mais il y a dans ses murs une atmosphère un peu spéciale. Il n'y a pas ici, vois-tu, de ces maisons ancestrales qui logent des générations entières, ni de vastes domaines que couronne la grange de telle famille. Les maisons s'y pressent comme de petits champignons fagotés à la hâte pour un long voyage; les toits sont longs, très longs, pour supporter la neige, mais les remises à bois sont rares. Nulle part de basse-court, et rarement des enfants. C'est une ville d'hommes, de travailleurs, et elle se vide au matin de sa population qui part en essaim conquérir de secrètes parcelles cultivées au creux des collines environnantes. Nous les verrons travailler, en dépassant Cardigan, au hasard d'un détour de la route, retournant la terre de leur outils pour en faire naître de l'orge et du blé. Tu te retourneras, peut-être même, et tu apercevras alors dans le soleil qui se lève un dôme dressé sur la butte que longeait notre chemin, là-bas, de l'autre côté de la Bruisse. Cette tour, que tu n'avait pas vue, c'est la Tour le la Croix. C'est grâce à elle que les portes de Cardigan étaient ouvertes pour notre arrivée, et c'est par elle que Terre-Noire se tient informée de ce qui se passe à Cardigan et échappe à sa vue. Deux hommes sont là-bas, de jour, et de nuit car l'escalade pour y parvenir est bien trop dangereuse pour la tenter deux fois par jour quand la lumière n'est pas au mieux. C'est l’œil de Terre-Noire, et sans lui, bien des catastrophes n'auraient pu être évitées à temps.

Mais cela suffit amplement comme description ; la route, elle, continue. Plein sud, droit sur un contrefort montagneux qui surplombe de sa masse noire l'étendue de collines dans laquelle serpente notre chemin. Les champs dissimulés ont laissé place aux herbes folles et aux pâturages ; tu devines au loin les myriades de points blancs paisibles qui sont la braie richesse de ces terres, ainsi que les jeunes pâtres qui les guident, et dont nous parviennent parfois, soumis aux caprices des vents, les son de leurs flûtes. Des arbres rabougris et sans feuille témoignent de l’appétit vorace et sans concession dont les moutons du sudenland font preuve. Leur toison, leur peau, leur viande est notre ressource, et malheur au pâtre qui égard une des bêtes dont il a la charge! Car la baronnie tout entière vit au rythme de l’agrandissement et de la réduction du troupeau, qui est la véritable mesure de notre richesse ; et ce n'est que parce que des sacrifices ont été faits sur des générations pour accroître nos têtes que je peux aujourd'hui jouir de sommes dont bien des nobles aux terres pourtant plus vastes que les miennes ne peuvent prétendre. Mais je m’égares, pardonne-moi ma belle. Que t'importent mes moutons? Tu ne veux que comprendre ce qu'est Terre-Noire. Pourquoi alors ne pas suivre ce pâtre et son troupeau? Ils arrivent de notre droite, et suivent au pieds même du bras montagneux une voie qui se dirige vers notre gauche -vers l'est, et vers la forteresse de mes ancêtres. Nous prenons leur tête, et voilà le bout de la route ; au détour d'un bosquet qui arrêtait notre vue, voilà que la montagne s'ouvre à nous et dessine un cirque majestueux au fond duquel court la Bruisse : encaissée à mi-hauteur, rattachée au sol par les lacets d'une route qui zèbre le flanc de la roche noire qui lui donne son nom, elle est là. Terre-Noire.

Difficile bien sûr de comprendre au premier abord ce que c'est que cette masse sombre de pierres polies qui ne se distingue que confusément de l'immense bras montagneux à laquelle elle est adossée. Mais comme nous nous approchons, ton regard commence à percer certains de ses secrets. Il épouse un instant la noirceurs des murs pour saisir jusqu'au va le dernier de ces bâtiments, sans y parvenir tout à fait ; tente, vainement, de dessiner des voies d'escalade pour l'atteindre et échoue sur les amas rocheux et les flancs irrémédiablement gravillonnant ; saisit, d'un mouvement, un clocher et une tour dont seul le toit veut se montrer, des fumerolles de cheminées et les couleurs d'une ronde sur une courtine. Il court sur la longue muraille et saute d'une tour crénelée à une autre, avant de revenir sur la porte, face à lui, qui semble s'arracher de la roche pour aller avaler la route, glouton invraisemblable bardé de rocs et d'aciers, de contreforts et de mâchicoulis, couronné d'une ardoise noire, plus noire encore que la pierre formidable de ses murs, et par là-même donnant l'impression d'être écrasé au sol par la force implacable de la montagne du sein de laquelle il est sorti. Au-dessus, veillant sur notre arrivée avec froideur et impatience, une tour étrange, difforme, en entonnoir, tubule jetée hors du roc et tenant par quelque magie secrète, dominant la porte et la route de plusieurs toise, sans qu'elle semble pourtant être rattachée à la forteresse d'une quelconque façon que ce soit, sinon par quelque réseau de tunnels enfouis. De la noirceur de ses meurtrières se devine les aiguillons de mille guetteurs prêts à déchaîner sur nous l'enfer de ses éboulis. Et nous nous empresserons de nous présenter à la lourde porte de bois et d'acier qui est l'entrée du domaine des von Adeldoch.

Un dialogue, un rire. Elle se moque, ne me savais pas si guerrier, si fier de ma force, ni si grand amateur de noirceur. Je me défends, nous luttons, je l'embrasse, une fois, dix fois. Ce n'est pas la force de Terre-Noire. C'est sa vie, ses histoires, son organisations. Et je l'emmène visiter cet extraordinaire domaine, j'extorque en menaces et promesses quelques mètres, quelques minutes de plus avec elle sur mes terres. Elle me suit, prête à réduire les beautés que je lui peint en poussière. Mais nous nous avançons, malgré tout, dans la forteresse. Et au fur et à mesure que les portes se referment derrière nous, je la sens captive à nouveau, en mon pouvoir. Je l’appâte avec l'histoire de chaque corps de garde, chaque entrepôt, et elle m'y suit, non sans lutte de principe. Je lui raconte les folies de mes ancêtres, les six siècles d'asservissement d'une famille à un contrat insensé, le payement de cette dette, mes rencontres avec les nains, les négociations décennies après décennies, les centaines de tronc de chênes centenaires plantés par des arrières-arrières parents chargés sur des chariots à destination des montagnes naines. Je lui explique comment, en échange de tout ce bois expédié au cours des siècles, nous avons été le champs d'exercice d'une dizaine d'architectes nains en plein apprentissage. Je tente de lui représenter les sommes qui auraient pu être gagnées avec tout ce bois, la valeur invraisemblable payée pour la folie paranoïaque d'une poignée d'ancêtres, puis finalement l'attachement familial génération après génération de chacun pour la nouvelle aile construite à son époque. Je la conquière par l'histoire de la grotte aux moutons, la perds avec celle des cachots, nous nous réconcilions autour du récit de l'emménagement des paysans pour l’hiver, trois siècles plus tôt, dans les murs de pierres dessinés par des nains et de la mini-insurrection qui s'ensuivit. Je lui retrace en un mot les querelles juridiques de la barbacane aux portes taillées à hauteur d'enfant, les courses-poursuites dans les caves immenses et les drames qui ont conduit à les condamner, l'agitation horrible qui précède la remise de la cargaison de bois décennale durant laquelle même la famille Adeldoch manie le ciseau et l'égoïne pour que soient respectés les délais. Je lui raconte surtout les invasions gobelines, les sièges interminables dans cette région si perdue de l'Empire où l'ennemi s'est toujours lassé avant nous, le courage des habitants et la simplicité invraisemblable d'une défense que cent hommes décidés suffisent à pourvoir ; les flèches et les javelots taillés par les pâtres et les semeurs dans le froid de l’hiver bien à l’abri de nos murs de pierre. Je lui peins Terre-Noire, comme je l'aime et la dirige, les entraînements et la vigilance, l'odeur tenace du mouton que je fuis comme la peste et que ma cousine aime tant, mes appartement cachés dans une tour insensé loin des laines et des peaux, à dix mille pieds au-dessus du sol. Je lui détaille les caisses constamment vides, les chargements de grains qui reviennent chaque année après les départs de nos peaux, nos troupeaux que l'on cache à la vue, et les ventes que l'on réalise, parfois, sous un faux nom, pour taire nos richesses et les appétits des voisins. La Forteresse, enfin, si loin de tout que bien peu sont ceux qui l'ont véritablement vue, et que beaucoup la confondent avec le manoir simplet de Cardigan...

Elle accepte maintenant de me suivre sans résistance, me devance, même, de sa curiosité. Nous remontons main dans la main la longue rue pavée, grimpons sur les courtines, et admirons ensemble en longeant le large chemin de ronde la campagne sauvage qui se dessine, sous le soleil, devant nous. Les bâtiments de pierre derrière nous ronflent au bruit des foyers, et retentissent des cris de joies des jeux des enfants ; les femmes, en file indienne, descendent le chemin qui mène aux larges caves, et ramènent dans leurs paniers les portions de pain de seigle que l'intendant leur alloue. Nous poussons encore un peu, gravissons les courtes marches d'une tour massive et carrée qui domine la "ville basse", et nous penchons sur cet univers de masures et de cheminées, de places et de puits où quelques pas timides retentissent, et qui sera cet hiver l'abri de ceux qui d'ordinaire vivent en bas, dans les villages. Elle m'interroge sur un mur qui court, là-bas, tout contre la roche, et percé de meurtrières ; je lui explique le quartier troglodyte, domaine mort qui jamais n'abrita âme vivante, creusée sous le règne délirant d'un ancêtre mégalomane ; nous nous aventurons même jusqu'à son seuil condamné, et tendons oreille pour entendre souffle rauque que cause chaque seconde le souffle du vent dans les puits d'aération, puis nous replions bien vite vers la chaleur des lieux habités. Nous montons encore, atteignons à travers l'arche de pierre basse qui ferme l'accès aux quartiers nobles les deux temples, la Place du Soleil et le donjon rustique qui depuis six cent cinquante ans accueille la famille seigneuriale. C'est le cœur de Terre-Noire, le lieu que choisirent mes ancêtres pour se distinguer des paysans sur lesquels, peu à peu, la fortune et l'audace offrirent la mainmise. Oh, bien sûr, il prête à rire avec son échelle extérieure, ses fenêtres découpées à la va-vite et son sommet crénelé, ses renforts de vieilles poutres et ses étages inconfortables usés par les ans ; je lui montrerais plus tard la maison trapue qui siège, plantée sur ses rondins à peine équarris et toîtée d'ardoises, à son sommet. Il n'y a plus nulle part ailleurs en Empire de ces dinosaures-là, abrités derrière un fossé aux pieux noircis au feu, vestiges d'une époque où ils étaient la seule défense contre les hordes de peaux-vertes, et qui jure horriblement avec l'enceinte construite au siècle dernier. Non, pour l'instant, nous ne faisons que traverser son vestibule, qui sert aussi de salle de banquet dans les jours fastes, sans nous arrêter dans ses travées sommaires et basses de plafond ; non, nous courrons plutôt dans un couloir creusé à même la pierre, qui s'ouvre dans un de ses murs, et s'enfonce en serpentant dans les profondeurs de la montagne.

Cette partie, c'est la plus récente de Terre-Noire, hors certains ajouts à l'enceinte extérieure. Elle est mon fait, mon domaine ; j'ai piaillé tout jeune mes rêves de toucher le ciel à ce nain bourru qui, en venant visiter Terre-Noire, cherchait ce que serait le legs des apprentis architectes de son clan à la vieille forteresse pour ce demi-siècle, et eu gain de cause ; j'ai supervisé dix-huit ans plus tard, devenu seigneur, la réalisation des travaux selon les plans qu'il avait tracé ; j'ai payé jusqu'au dernier centime les matériaux qui furent, pierre après pierre, hissés le long du couloir tortueux et au flanc de la large falaise ; j'ai aménagé, enfin, la haute tour qui se dresse désormais au-dessus de tout Terre-Noire, dominant de sa forme élancée l'abîme et les terres qui se dessine sous elle ; j'en ai fait mon aire, mon repaire, mon secret. Et j'ai offert à ma cousine la terrasse qui se développe sans fin au bout d'une longue arche aventureuse pour en faire son jardin.

Mais voilà que nous sommes bientôt en haut du tout dernier étage de cette ultime tour. Et nous jouissons ensemble de cette vue, qui est le seul luxe et l'unique raffinement de Terre-Noire. Point de lambris doré aux rideaux de mes demeures. Point de peintures de maître aux bossages, de bas reliefs aux frontons, de dômes élancés. Les murs sont épais, les portes basses, les piliers trapus et sans fioritures. Les fenêtres sont des meurtrières ou des trappes de lumières, les routes des pierrailles usées par les pas des ovins. Ma famille a tellement dépensé pour des murs inviolables qu'il ne lui est rien resté pour les parer de sculptures. Mais je possède une tour qui s'élance loin au-dessus de la terre pour toucher au ciel et tend un bras de pierre à un jardin de blancheur et d'émeraude, d'où l'on voit chaque soirs les ultimes soubresauts du soleil qui s'éteint.

Oui, de là, je lui enseigne où vit le lynx, puisqu'elle porte sa peau sur son épaule, et comment on le chasse. Je lui désigne au loin la Tour des Faunes, l'autre œil de Terre-Noire qui s'enfonce avec la Bruisse dans la forêt, et n'est bien trop souvent peuplée que de fantômes. Je lui dessine ce soleil, qui en ces terres est toujours froid mais accompagne partout le chasseur, oui je le dessine tout de bon dans le creux de sa main que je dévore ensuite de baisers invraisemblables. Recense ces hommes et femmes, dont je connais chaque histoire, et celle de leur famille, les classe selon leur domaine, leur mérite : fidèles, pieux, cultivateurs, bûcherons, trappeurs, corroyeur, pâtres...et maudis tous les mercenaires vénaux sur lesquels notre défense repose et auxquels je n'ose vraiment me fier. Et je lui glisse, lentement, qu'elle devrait être avec moi lorsque se lève sur mes terres la borée nivéale, et que depuis ma chambre aux lambris ocres et sang je donne les ordres pour que s'ouvrent les merveilleux jardins d'hivers que les femmes de Terre-Noire depuis toujours ont bâti sur les terrasses de notre baronnie. Elle me réponds qu'elle ne demande qu'à se perdre dans les layons de nos houssaies, du moment que je l'y retrouve. Ce qui est une façon très élégante de me signaler que je m’égares dans un romantisme grandiloquent... Je bafouille, et elle rit encore.

Mais c'est elle qui a raison: le vent forcit, Nuln s'éteint, la fête se meurt. Je l'enlève à la fraîcheur nocturne et m'engouffre à sa suite dans les couloirs sans fins du Palais des Comtes. Notre histoire est encore à écrire, et nous avons toute notre vie pour cela.
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Anton se réveilla brusquement, en sueur. Dans sa main, sa plume était couverte d'encre séchée et la peau de mouton déroulée devant lui zébrée de traits incohérents et spasmodiques. Le yeux dans le vague, il se massa un instant les tempes pour y faire revenir le sang qui l'avait déserté. Quel étrange rêve. Revivre à une scène comme celle-ci, vingt ans après, aussi nettement! Comme mus d'un automatisme, les doigts du baron s'enfoncèrent dans une de ses poches et en retirèrent une petite pièce, toute usée, d'un genre qui n'avait certainement pas cours dans l'Empire. Anton se leva, marcha jusqu'à sa fenêtres, et poussa le lourd volet qui retenait le froid à l'extérieur. Le vent s'engouffra brutalement et éteint les bougies qui éclairaient encore faiblement la pièce. Sans en paraître incommodé, le baron jeta un long regard au paysage nocturne qui l'entourait, puis porta la pièce à ses yeux. C'était en fait davantage une médaille, ou une fausse monnaie, à la façon de celle que les poinçonneurs font en souvenir. Sur le côté pile se lisait très distinctement la valeur: "1 Nulnet". Sur le côté face, bien plus usé, un profil de femme, extrêmement jeune, riant de toutes ses dents. Avec ces seuls mots: "Bientôt Comtesse?".


Le baron Anton von Adeldoch sourit distraitement, et plongea un regard rêveur dans le paysage grandiose qui lui faisait face. Depuis la dernière fenêtre de l'ultime tour de Terre-Noire, parfois, il avait l'impression de vraiment voir le Bord du Monde.

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Anton von Adeldoch, Noble du Sudenland, lien vers l'aventure en cours: http://warforum-jdr.com/phpBB3/viewtopi ... 380#p97380
Profil de combat :
FOR 9/ END 11/ HAB 7/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 11/ PAR 8/ TIR/ 9/ PV 75/75, bonus de l'équipement inclus avec -2 Par/Hab à l'adversaire, -1 armure de l'adversaire et parade 10, protection tête/bras/torse de 9.

Détails permettant d'arriver à ce profil:
Profil: FOR 8/ END 10/ HAB 8/ CHAR 11/ INT 11/ INI 9/ ATT 10/ PAR 9/ TIR/ 9/ PV 75/75
Compétences: Monte, Arme de prédilection (rapière +1 Att)
armes: Arc court (dégâts:26+1d8, malus -2/16m) ; "fleuret estalien" (rapière, dégâts:14(+8)+1d8, parade 10, rapide (-2Par/Hab de l'adversaire pour parer/esquiver), perforant (1) (ignore 1 point d'armure adverse))
Protections: mailles. Torse, dos et bras, protection de 9, encombrement de -1 HAB, ATT et PAR
Talisman de Gork : +1 For Att et END
Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges
Fr.N.

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