Le Baron se réveilla en sursaut, regardant sa femme qui s’était réveillée en même temps que lui, sans doute à cause du cri qu’il avait poussé. La regardant dans les yeux, il lui agrippa les épaules, une expression de terreur sur son visage. Il lui somma de lui donner la date du jour ce à quoi elle lui répondit après un certain temps de réflexion, encore partiellement endormie. Le visage de Lukas se décompose alors comme si on venait de lui annoncer la fin du monde… Mais était-ce bien différent? Sa femme, une beautée au trait Tillien, commença alors à s’inquiéter également, lui demandant ce qu’il n’allait pas.
Le seigneur du village d’Alynd ne répondit pas, lui demandant de rapidement s’habiller et de prendre des affaires pour fuir le plus rapidement possible. Quant à lui, il se pressait de prendre tout l’or qu’il pouvait trouver sur son bureau, jetant sac remplis de pièce et bijoux dans une sacoche en cuir. Il attachait une épée à son flanc quand sa compagne l'interrompit, refusant de partir ainsi à une heure si tardive sans qu’il ne lui en explique la raison. Les épaules du quadragénaire se firent lasses et il s’assit sur son lit à baldaquin avant de regarder sa femme:
-J’ai fait une terrible erreur dans ma jeunesse… Une erreur dont le paiement arrive ce soir, quand aujourd’hui fera place à demain…
Et il lui raconta:
Autrefois, quand il était encore jeune et plein d’espoire, il fut chassé de sa demeure familiale. La nature ne l’avait pas gâté, né bossu, sa mère était morte en lui donnant la vie. Son père ne lui avait jamais pardonné cet faute et dès qu’il avait pu, il lui avait ôté tout droit d’héritage. Cela s’était passé tandis qu’il approchait ses vingt années, son père s’était remarié avec une noble des environs. C’est ainsi que durant une nuit d’été, son destin vu gelé comme une goutte d’eau durant le plus froid des hivers. Un cri d’enfant déchira le ciel et il sut qu’il devait quitter le domaine au plus vite. La garde de son père le traquaient des jours durant, cherchant à l’éliminer pour supprimer cet héritier gênant. Lukas n’avait jamais compris ce qui avait empêché son père de l’éliminer plutôt, mais son hésitation lui avait sauvé la vie.
Seul, sans ressource, il chercha un refuge en fuyant dans les territoires des principautés, espérant ici pouvoir vivre sans risquer d’être dénoncé par un des proches de son paternel. Mais la vie était bien difficile pour un bossu qui n’avait jamais travaillé de sa vie!
C’est ainsi qu’affamé, frigorifié et fraîchement molesté, il fit la rencontre d’une créature étrange. Sous une bure miteuse, il découvrit un mutant à tête de porc et celui-ci lui proposa un juteux marché. S’il avait été plus réfléchi à ce moment là, sans nul doute qu’il n’aurait rien accepté, mais il était trop faible et désespéré pour refuser une main tendue, fut-elle celle d’un homme-cochon.
Le marché était simple, en mangeant la bouillasse infâme qu’on lui proposait, son corps serait pourvu d’une force et d’un charisme infiniment supérieur. Il serait alors en mesure de faire prospérer un village dans lequel personne ne désirait le voir choire. En échange, il devra rassembler cette population qui ne manquera de rien et profitera de l'opulence. Et quand viendra le soir de la vingtième année, quand le jour fera place au suivant, alors Kaot-let viendra récolté ce qu’il a semé.
A cette époque, le jeune noble n’avait pas bien compris la dernière partie du contrat, ne connaissant pas ce “Kaot-let” et supposant qu’il s’agissait du nom de la créature lui faisant face. Il avait accepté et avait mangé la nourriture qu’on lui donnait. Son corps voulut recraché presque immédiatement cette mixture au goût plus immonde que la fiente d’un troll dévorée par un ogre et ensuite ressorti par la voie basse. Mais il se força à avaler et il sentit alors ses os changés sous sa peau, ses muscles durcirent et son dos se redresser. Quand il reprit conscience, la créature avait disparu et il était devenu un puissant et beau jeune homme près à accomplir des miracles.
Sans mal, il fit sa place dans les Principautés, établissant le village Alynd sans que personne ne l’en empêcha. Il le fit prospérer avec autant de facilité que la créature lui avait dit. Avec le temps, il finit presque par l’oublier, négligeant un peu ce passage de sa vie qu’il voulait à jamais enfuire. Il profita de l'opulence en négligeant les gens qui vivaient dans son village, les laissant mourir si cela pouvait lui apporter plus d’or. Pourtant, ceux-ci restaient oisif, profitant de la vie comme du bétail dans un champ. Ce ne fut qu’à la nuit de la dixième année que l’homme-porc refit son apparition, lui rappelant son contrat et lui disant qu’il devait prendre plus soin de ses brebis.
Inquiet par ce retour de ce lointain passé, il fit ériger une épaisse palissade qu’il renforça encore. Mais le soir même de la finalisation de l’édifice, la créature surgit d’une ombre de sa chambre sans que nul garde ne l’ait vu rentrer, le menaçant de lui faire reprendre son apparence initial s’il n'honore pas sa part du marché. Le prince retrouva alors sa forme voutée et de terrible douleur s'emparaient de ses muscles parcourus de spasme. Prit de panique, il fit distribuer le lendemain, il fit distribuer de la nourriture à tous les habitants du village et quand la créature revint la nuit suivante, elle lui sourit, le remerciant de cet acte et lui sommant de continuer comme cela, l’instant d’après, Lukas était à nouveau beau et droit et le mutant avait disparu.
Durant les dix années qui s’étaient ensuite écoulée, il avait fait en sorte de toujours bien traité son peuple, évitant ainsi que la créature ne revienne. En même temps, il avait dépensé sans compter pour rechercher des informations sur cette chose et il avait découvert une terrible nouvelle: Kaot-let n’était pas la créature, mais un dieu mineur du chaos. Prenant l’apparence d’un cochon déformé par une panse immense et une gueule totalement disproportionnée, il s’agissait d’une entité très peu connue dont le concept même était l’individualisme. Tout devait n’être qu’un… tout ne devait qu’être lui. Il était bien sûr beaucoup moins puissant que les quatre dieux et n’était pas une grande menace pour l’Ordre… Mais cela lui fit comprendre la terrible vérité sur la dernière clause de son contrat! Son malheur était grand, car il avait rencontré une femme magnifique et il ne voulait pas la perdre.
-Je ne pouvais rien te dire, la créature l’aurait su et aurait pu te tuer! Je… nous devons fuir, maintenant! Avant que cela ne comm…
Un bruit sourd se fit entendre, des cris et des pleure. Le visage de Lukas blêmit et il prit sa femme par la main, courant dans les escaliers pour sortir dans la rue. Là, c’était le chaos, des créatures immondes sortaient de portails géants en forme de gueule. Difforme et parcourut de couture de toute sorte, elles ouvraient leur bouche dans un craquement de machoir insupportable avant d’avaler d’une seule bouchée des hommes et des femmes. Leur ventre devenait énorme et leur déplacement lent tandis qu’elle retournent se jeter dans le portail d’où elles venaient pour être avalée à leur tour.