Le pont Promenade était aménagé pour assurer un maximum de confort aux clients des Lignes Hindelin. Des espaces de détente munis de fauteuils confortables et de bancs en fer forgé étaient arrangés ça et là. Au milieu du pont se trouvait une vaste cabine réservée au personnel, faisant probablement office de quartier des officiers. D'énormes ficus plantés dans des pots en terre cuite lustrés et vernis de vert étaient disposés autour des deux gigantesques mâts de l'Empereur Magnus, dont les voiles titanesques étaient pour le moment repliées. De longues perches, disposées tout le long du bastingage, supportaient une corde à laquelle étaient accrochés des lampions colorés, éteints en cette heure matinale. Un bar en chêne massif avait était installé contre le grand gaillard central où se trouvaient probablement le capitaine et ses pilotes. Un serveur de la compagnie, habillé d'une redingote pastel, y accueillait les passagers avec un grand sourire et leur proposait une collation.
Amon s'avança parmi les nombreux groupes de clients qui profitaient déjà de la vue qu'offrait la Promenade. De là haut, on bénéficiait en effet d'un panorama dégagé sur le Guilderveld et ses riches bâtiments à colombages entre lesquels serpentaient de nombreux canaux, ainsi que sur les collines bâties du Paleisbuurt et des dômes et des flèches élancées de ses bâtiments officiels. Lorsque l'on venait flâner à la proue de l'Empereur, on voyait face à soi le célèbre Hoogbrug, qui traversait le Reik de l'Île de Haute-Tour au Quartier des Palais. Ce pont aux proportions inhumaines était soutenu par des arches suffisamment hautes pour laisser passer un navire de haute mer. Chacune de ses extrémités était terminée par une tour supportant une rampe extérieure en spirale assez large pour que deux attelages importants puissent s'y croiser sans problèmes. A l'exception des bacs, des péniches ou de la natation, le Hoogbrug était le seul lien entre les moitiés Sud et Nord de la cité marchande, raison pour laquelle la loi exigeait qu'il reste dégagé, y prohibant les constructions anarchiques qui poussaient comme des champignons sur les autres ponts de la ville. Le Directorat, en outre, refusait de voir le moindre obstacle ralentir le flux du commerce ou les troupes envoyées pour mater les émeutes récurrentes du Suiddock.
La plupart des passagers avaient embarqué désormais, et beaucoup étaient montés sur la Promenade juste après avoir déposé leurs valises afin de ne pas rater le spectacle du départ. Sur le quais, en contrebas, les employés de la compagnie finissaient de charger quelques caisses avant de laisser les autorités du port relever les débarcadères. Le Ramier fît mine de vagabonder sur le pont supérieur, marchant lentement entre les groupes de marchands et de nobles aux discussions animées.
Amon se retourna et remarqua l'un des groupes installés aux fauteuils disposés sur le pont. Il reconnu sur le champ le grand moustachu qui s'était retrouvé derrière lui dans la file d'embarquement, avec son crâne luisant, son manteau de fourrure, sa médaille en étoile d'argent et son épée ouvragée. Il était installé aux côtés de deux individus, des marchands probablement, et de leurs femmes. Tous étaient très richement vêtus, ornant leurs doigts de bagues et de pierres précieuses, portant des tissus finement ouvragés et des chausses chatoyantes. La table basse qui se trouvait entre eux était déjà garnie de gobelets à pied et de deux bouteilles vides aux inscriptions trop petites pour qu'Amon puisse les lires depuis sa position.
Les trois hommes se resservirent et levèrent leurs coupes.
- "A nos femmes !" lança le premier.
- "A nos chevaux." continua le grand moustachu, sobre.
- "Et à ceux qui les montent !" s'exclama le troisième, hilare, avant qu'ils ne boivent le contenu de leurs coupes d'un trait.
C'est à cet instant qu'un employé en redingote pastel se plaça entre eux et Amon, un sourire poli aux lèvres et un plateau en cuivre dans la main, garni de petits fours au saumon ou aux airelles confites et de coupes de vin de pêche.
- "Les Lignes Hindelin ont le plaisir de vous offrir une collation de départ."
Et derrière eux, Andretti Krigler vint se placer au milieu du pont en souriant aux groupes de clients présents. Il avait une grosse cloche en bronze entre les mains qu'il fit tinter avec force, attirant l'attention des personnes présentes.
- "Mesdames et Messieurs ! Les Lignes Hindelin vous souhaitent la bienvenue à bord de l'Empereur Magnus !" clama-t-il, souriant. "L'équipage et moi-même vous garantiront un voyage des plus plaisants, et restons à votre dispositions tout le long du trajet ! Maintenant, nous allons enfin lever l'ancre. Profitez des splendeurs de Marienburg, car bientôt nous nous enfoncerons dans le cœur de l'Empire !"
Et comme pour faire écho à ses paroles, une corne de brume puissante retentit à la proue du navire, tandis qu'une autre lui répondait depuis les quais. Un tambour lent et régulier, lointain, se mit en route depuis les cales de l'énorme vaisseau, et les rames plongèrent dans les eaux du Reik avec force.