La petite femme releva délicatement son jupon pour descendre les escaliers. A sa démarche quelque peu mal assurée, Amon pu facilement déceler qu'elle était déjà passablement ivre après son petit "goûter" avec ses amies. Elle se dirigea vers le pont des luxueuses suites, sans s'apercevoir que l'assassin était sur ses talons, silencieux comme une ombre. Le soleil était d'ailleurs tombé derrière les bois qui bordaient le Reik et les lampions de couleurs avaient été allumés, projetant des formes dansantes sur les cloisons en bois du navire. La bourgeoise passa l'entrée, salua le garde qui ressortait du compartiment pour continuer sa ronde sur les coursives, et remonta le couloir. Elle sortit une clé de son corsage et ouvrit la cabine qu'elle partageait avec son mari : c'était la troisième bâbord, côté proue. Elle referma derrière elle et le Ramier pu entendre distinctement le cliquetis de la serrure que l'on tournait de l'intérieur. Au moins savait-il où dormait en théorie sa proie, désormais.
Amon remonta donc vers la Grande Salle. Les clients commençaient lentement à affluer, discutant et rigolant entre eux. L'humeur était à la fête et les tables avaient été repoussées de part et d'autre de la vaste pièce tandis que les employés passaient parmi les bourgeois avec des plateaux garnis de coupes de vin et de petits canapés aux pruneaux.
- "Monsieur Walter !" lança une grosse voix derrière l'assassin. C'était Youri, bien entendu. Il lui asséna une claque phénoménale dans le dos. "Je croyais que vous étiez passé par-dessus bord !" lança-t-il en éclatant de rire. Le marchand tiléen et sa femme fardée plus que de mesure l'accompagnaient. "Je ne vous ai pas vu de la journée, j'ai eu peur que quelque problème de santé ne vous garde enfermé dans votre cabine, mais je vois que tout va bien ! идеальный, parfait ! Buvons désormais, et amusons nous. Nous aurons tout le loisir de discuter affaire plus tard dans la soirée, n'est-ce pas ?" dit-il en lissant ses moustaches avant de désigner le couple tiléen. "Voilà Monsieur Monticelli et sa charmante épouse. Ce sont des amis chers. Joignez-vous à nous, vous avez un teint de mort et un air profondément ennuyé ! Allez, venez."
Et sans attendre sa réponse, il l’entraîna à sa suite et ils s'installèrent dans l'un des angles de la salle, garnis de fauteils et de sièges confortables. Le kislévite commanda derechef trois carafes de vin et une bouteille d'aquavit, ainsi que de quoi fumer et se restaurer et ils commencèrent à faire ripaille et à boire et à parler fort et à rire tandis qu'autour d'eux, les autres clients se mettaient de même à l'aise et que quelques employés des Lignes Hindelin se mettaient dans un coin, des instruments entre les mains. Il y avait un tambourin, une grosse caisse, une violon et une flûte à bec et ils se mirent à jouer un air joyeux et vif tandis que quelques couples s'avançaient pour danser en souriant. Il faisait bon vivre à bord de l'Empereur Magnus.