« Très bien…. Rare sont les jeunes mages s’intéressent autant aux navires. Trop exotique à mon goût...»
La réponse des parents est un mouvement de tête vertical, ils approuvent les dires sans aucune hésitation.
« Bien, je vais être clair, et je ne vais pas me répéter. Pour la vitesse, quand toutes les voiles sont déployées, on monte dans les vingt-cinq nœuds, en comparaison, un vaisseau mon-keigh dépasse rarement douze nœuds. De toute ma carrière, je n’ai jamais vu de navire en pleine mer plus rapide qu’un épervier. Rien ne les rattrape et ne leur échappe. »
Il s’assoit sur un tonneau sur le côté et il montre les voiles du bout du doigt.
« Je vois que votre enfant veut les détails les plus importants, tant mieux. Pour les deux pièces d'artillerie, ce sont des balistes à répétition modèle Serre d’Aigle. On parle de douze tirs par minute chacune, douze tirs capables d’empaler des soldats en armure lourde. Et de mon immense expérience, un seul projectile est capable de pénétrer à travers cinq humanoïdes. Bien supérieur aux canons des races inférieures, car elles sont précises et parfaites pour nettoyer les ponts en cas d’assaut. Et non, nous n’avons pas besoin d’aborder quand on peut juste exterminer à distance. »
Quand il prononce le mot “canon”, une forme de dégoût sort de sa bouche. Son regard en devient même dédaigneux.
« Pour ce qui est de l’équipage, ils ont tous fait leur formation de tir à l’arc, en plus d’être entraînés au combat maritime. Ce type de vaisseau n’est vulnérable que si il est immobile ou combat un ennemi tout aussi mobile, et même là, mon expertise fera encore toute la différence. Pour ce qui est de la tempête, j’ai mes méthodes extrêmement efficaces. Concernant l'absence de vent, la mer des Griffes en a toujours, et même si nous en manquons, naviguer sans vents n’est pas difficile avec ma maîtrise sur la gestion des vagues. »
Malgré ses mots plein d’arrogance, Eluharath ne semble même pas pompeux, mais plutôt ennuyé, comme si c’est la centième fois qu’il répète cette tirade.
« Oui, mon expertise… Et bien, ce vaisseau n’est pas le mien, il appartient au Clan Tallaindeloth. J’ai passé les derniers siècles sur un vaisseau Aigle. Dame Angaliel m’a engagé pour cette mission. Nous allons longer les côtes jusqu'à s'approcher d’un point le plus court vers les côtes de la Norsca, et je préviens d’avance, nous allons devoir faire parfois des arrêts, et ils seront dangereux. La dernière fois que j’y ai été, nous avons coulé sept navires norses, et sans compter les monstres qui s’y trouvent. Rien de terrible tant que l’on obéit à mes ordres. »
Il se lève, et avance vers le mât en quelques longs pas, il pose la main dessus, et respire un grand coup.
« Nous partons demain à la première heure, les préparatifs du voyage seront terminés ce soir. J’autorise l’utilisation de la magie à bord. Tant qu’on daigne me prévenir avant de son utilisation. Nous organiserons une cérémonie demain matin au nom de Mathlann avant de partir. Sur ce, j’ai des problèmes à régler.»
À peine le capitaine descend dans la cale, l’équipage reprend les préparations. Des caisses de vivres sont transportées, des boîtes d’outils sont acheminées et de nombreux cordages de réserve sont entreposés. Ainsi, la famille repart vers leur demeure pour passer le reste de la journée et dormir dans un lit confortable. La nuit est douce et rafraîchissante, et pourtant, le sommeil a du mal à venir. Une excitation que beaucoup de gens ressentent avant de partir en voyage, les rêves sont stimulés par les émotions après tout.
Le matin est brusque, rapide, et bien difficile pour la servante humaine. En effet, dès les premières lueur du soleil, la famille et Aïke montent à bord du vaisseau. L’équipage étant à bord, la cérémonie commence. Tout le monde met un petit objet de valeur sentimentale dans un panier. Un collier, une broche, un petit colifichet, plein d'objets différents et tous personnels. Ulliasor et Linthan ändril jettent dans le panier un petit sac, dans celui-ci se trouve un objet que l’apprenti mage connaît très bien. Un bracelet de naissance, qu'on offre aux parents après la venue au monde de leur progéniture.
Quand le panier est presque rempli, le capitaine avance, et sort une pièce que personne ne reconnaît. Comme si son origine est tellement exotique que seuls les marins comme lui peuvent espérer en posséder une. Le visage du vieil elfe est plein de fatigue et d’ennui. C’est peut-être par son instinct, mais le jeune elfe a l’impression que mettre un tel objet dans le panier est un effort colossal mentalement pour le vieux loup de mer. Cette pièce existe peut-être depuis plus longtemps que lui après tout.
Le panier est ensuite recouvert de multiples couches de tissus, et est ensuite emmené par deux membres de l’équipage et transmit à une autre elfe qui l’emmène vers le manoir. Tout le monde désormais à bord, l'Épervier largue les amarres et commence à s’éloigner des quais. Soudain, une éclaircie se dégage des nuages et vient illuminer toute la zone, un cadeau de départ de Mathlann, probablement. Une des voiles est libérée pour pivoter en angle droit, pour ensuite partir à pleine vitesse quand elles sont toutes ouvertes. Au tout début, les mages ont du mal à trouver une posture confortable, mais après quelques instants, ils parviennent à tenir droit et à maintenir leur arrogante posture, le menton légèrement levé.
Après quelques minutes, ils sont déjà loin des docks privés. Un léger soleil, bien que couvert par moult nuages vient caresser leurs visages. Un albatros vient se poser sur la proue, il marche d’une manière si maladroite qu’il en est comique. Il semble regarder dans presque toutes les directions, puis repart presque immédiatement. Ses grandes ailes majestueuses au vent, il monte vers le ciel. Cet oiseau n’est pas incroyable sur le sol ferme, mais est merveilleux dans sa zone de prédilection, les cieux.
Quelques longues heures passent, et après un bon déjeuner, les mages viennent quérir leur apprenti pour l’emmener dans une des petites pièces de la cale. Leur petite salle d’étude est juste assez grande pour qu’ils soient assis sur des coussins. Avec une petite table pour poser des livres dessus, ils sont préparés. Éclairés par une petite lanterne, sa mère l’éteint avant de faire apparaître une petite lumière magique et de la maintenir au-dessus d’eux.
« Pour cette première session d’enseignement, j’ai une idée pour t’expliquer comment les vents interagissent entre eux. Chérie, je vais m’occuper de ce cours, tu pourras faire le suivant. »
La mère sort de la pièce, elle laisse les deux mâles en privé en fermant la petite porte derrière eux. Le père sort un parchemin, sur lequel est écrit de nombreuses notes.
« A la tour, on t’a enseigné comment les vents de magie existent, comment les manier, et comment les comprendre. Cependant, je ne pense pas que tu ne saurais pas me dire actuellement pourquoi les vents peuvent co-exister ensemble.
Étant donné ton affinité à la musique, je pense que la comparaison suivante va te plaire. Les vents, c’est un orchestre. Chaque vent est un instrument dans un orchestre. Chamon, les sons tordants et chantants du Torban. Aqshy, intrusif mais élégant Rauschpfeife. Hysh, la royal et indomptable orgue. Même Ghur, primitif et sauvage, est le tambour.
Individuellement, ces instruments sont beaux à leur manière, mouvants, percutants, puissants. On ne peut pas dire que l'un soit objectivement supérieur à un autre. Et pourtant, quand un orchestre est formé, et que tous les instruments jouent ensemble, il a le potentiel d’étourdir une foule, d’influencer un public, de faire bouger une nation.
L'orchestre est une symphonie de maîtrise, une mélodie d'instruments travaillant en harmonie. Mais, dans l'orchestre, le manque de compétence d'une partie peut entacher la performance des autres. La performance d’une mandoline la plus émouvante peut-être ternie par un tambour trop agressif. Cependant, un maître du luth, jouant en solitaire, tirant sur ses accords, peut toucher un public à un degré stupéfiant bien que le niveau de maîtrise doit être plus élevé.
Il en va de même pour les vents de magie. Le mage peut tisser ensemble de nombreux vents en harmonie, et provoquer un plus grand changement, mais à un bien plus grand risque. Il devra s’appuyer sur un bien plus grand nombre de compétences, et de règles bien plus strictes. Mais le hiérophante, une fois qu'il connaît son art, peut être libéré des soucis des autres vents, et se concentrer sur la perfection d'Hysh.
Tout ceci revient à décrire la magie sans exprimer les véritables dangers, l’attrait du Qhaysh pour le primate l'amènera potentiellement au Dhar. La magie noire consiste à jouer tous les instruments à la fois, dans une cacophonie de discordance totale. En effet la performance fera du bruit. En effet, elle aura de l’impact et sera presque inoubliable, mais elle sera creuse, inutile, insensée et odieuse. Le Dhar, c’est le pouvoir sans l’art, c’est le bruit sans raison, c’est l’antithèse des mages.
En tant qu’elfes, nous pouvons manier Qhaysh car nous sommes plus sensibles et talentueux avec la magie. Mais attention, Qhaysh est bel et bien la plus puissante forme de magie, mais elle n’en reste pas moins dangereuse. J’ai vu un de mes camarades de classe à la Tour mourir lors d’un exercice. Il a perdu le contrôle, et sa tête a pourri presque instantanément, il est mort sur le coup malgré les efforts des instructeurs.
Quand nous serons en Norsca, il va falloir faire très attention. Les vents viennent du nord, et la puissance magique que nous pourrons utiliser sera décuplée. Plus on manie le pouvoir, plus le danger est grand. Nous allons nous limiter en puissance, en réduisant la quantité de vents que nous allons manier pour notre bien. Les vents sont aussi noirs que puissants en Norsca.
Pour voir si tu as tout compris, je vais te poser une simple question, bien que je veux du développement. Réfléchis bien, puis réponds, il n’y a pas de mauvaise réponse.
Quel est l’impact de l’intensité des vents environnant sur l’orchestre, concrètement ? »
Croisant les jambes et les bras, il sourit, et attend la réponse du futur mage.