- Ouais, faut r'connaitre que c'était pas malin... D'autant que j'y connais rien en bateau. Mais qu'est-ce tu veux : quand t'as plus rien à perdre tu tentes n'importe quoi, conclut-il en se relevant pour retourner s'allonger sur son banc en sifflotant.
Un peu plus tard, peu après que la prêtresse de Shallya soit revenue pour changer le bandage, l'avoué de Surcouf refit son apparition. Il avait les joues arrondies par le rictus de contentement qu'il arborait. Son petit nez pointu frissonnait et même sa touffe de cheveux noirs semblait moins austère face à tant d'allégresse. Visiblement, il apportait une bonne nouvelle.
- Ah, cher client, tu vas être heureux d'apprendre que ton affaire a pris un autre tour. Un tour étonnant, même. Le jeune homme s'approcha de la grille pour parler à voix basse. Il avait jeté un coup d'œil aux alentours comme pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'oreilles indiscrètes. J'ai interrogé les miliciens de la Garde du Fleuve qui t'ont interpellé. Pris à part de ses collègues, l'un d'eux a, effectivement, confirmé ta version des faits ; notamment pour ce qui concerne le coup de lance qui t'a été donné. C'est un bon point. Ensuite, j'ai fait jouer mes relations... Enfin, ce sont plus les relations de papa que les miennes mais c'est le résultat qui compte, n'est-ce pas ? Donc, j'ai fait jouer quelques relations et j'ai pu rencontrer Jan Bergsen et discuter de cette sordide histoire d'enlèvement avec lui et il m'a autorisé à prendre la déposition de sa fille. Tiens-toi bien : elle t'a quasiment innocenté ! Elle a pu voir la bagarre sur ta barque et ce qu'elle m'a dit corrobore tes dires. N'est-ce pas formidable ? Bref, on arrivera sans peine à démonter les accusations pour le meurtre du milicien et l'enlèvement. Par contre, ta responsabilité demeure dans le meurtre du péager et je pense que l'accusation saura se débrouiller pour que tu sois aussi inculpé de complicité dans la tentative d'enlèvement. Jànos Böor s'essuya le front comme s'il venait de produire un effort physique harassant, soupira puis reprit son discours. Jan Bergsen a une proposition à te faire qui pourrait te convenir et t'éviter une trop lourde peine. Il est prêt à témoigner en ta faveur et ne pas réclamer les dommages et intérêt qui t'auraient valu une sérieuse amende. Par contre, il demande que tu acceptes de plaider coupable dans la complicité du meurtre du péager ; tu t'en tireras avec une peine d'emprisonnement à Rijker, soit un an et un jour. A ta libération, tu retrouveras ton embarcation et entreras au service de Jan Bergsen. Crois-moi, ce n'est pas cher payé en comparaison de ce qui t'attends si tu refuses.
L'avoué regarda Surcouf un instant, guettant ses réactions. Evidemment, celui-ci pouvait estimer l'arrangement inacceptable et tenter de faire entendre la voix de la vérité mais il encourrait, alors, une sentence plus rude en cas d'échec, voire même allongerait-il encore la liste de ses ennemis s'il venait à se mettre à dos ce Jan Bergsen.
- Alors, qu'en dis-tu ? Quelle est ta réponse ? demanda finalement Jànos.