Cette même neige, tous les habitants peuvent le voir, elle est en train de s'accrocher sur les toits comme aux murs, sur les coupoles et les flèches assombries, à l'architecture baroque ; elle commence d'ailleurs à encombrer les rues et les avenues de cette cité, dont l'atmosphère est déjà bien enténébrée au quotidien. Ainsi, les flocons de cette satanée poudreuse finissent par se coller sur les pavés, sur les pierres des bâtiments, ou bien se fondent dans la boue, quand ils ne sont pas écrasés sous les sabots d'une monture toute distinguée, celle d'un elfe ambitieux, d'un aspirant cavalier noir: Morgoroth.
Et pourtant, le jeune druchii n'avait pas vraiment de quoi faire le fier, car son ambition du moment était surtout de progresser jusqu'à la caserne de Clar Karond, sans que son cheval ne s'empêtre dans la gadoue ou ne dérape sur les dalles gelées.
Il n'était d'ailleurs pas le seul dans cette situation, car ce temps déplorable ne dissuadait en rien les autres citadins de vaquer à leurs occupations. Le futur engagé peut donc apercevoir ses sinistres congénères qui arpentent les rues, par dizaines, d'un pas pressé ; les visages fins et allongés de ces cruelles créatures arborent un air maussade, quand ils ne sont pas cachés sous des capuches ou derrière d'amples foulards. Personne ne s'échange un regard, personne n'ose fixer ses yeux dans ceux de son voisin, car personne ne veut être à l'origine d'une provocation mal calculée ou d'un pugilat sanglant au beau milieu de l'avenue.
Il faut aussi dire que la présence de la garde, armée jusqu'aux dents, contribue également à garder la situation sous contrôle.
Plusieurs patrouilles d'affrelances et de sombretraits passent régulièrement entre les foules ; leurs yeux en amande, animés par l'étincelle de la suspicion, surveillent constamment tout ce qui les entourent, tandis que leurs lances barbelées et leurs arbalètes à répétition, à peine abaissées, sont toujours orientées vers les passants.
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"Arvenduil etaïs! Relève-toi maudit keigh-mon! Qu'est-ce que tu essayes de faire là hein!"
Ces mots, transpirants d'un mépris haineux, parviennent d'un coup aux longues oreilles de Morgoroth.
Le cavalier tourne alors son regard vers l'une des rues adjacentes à la sienne ; à travers les passants et les flocons de neige, il peut ainsi voir un duo de squales, enveloppés dans de longues capes d'écailles de Dragon des Mer, qui sont en train de copieusement molester un esclave. Il semblerait d'ailleurs que d'autres corsaires, derrière eux, gardent le reste d'un petit troupeau d'humains, immobilisé au milieu de cette allée ombragée.
"Misérable sous-race! Tu as intérêt à te lever tout de suite ou je te garantis que tu vas le regretter...
ET BAISSE LES YEUX QUAND JE TE PARLE!"
Contre toute attente, malgré ce forban colérique et les menaces qu'il profère, l'homme asservi ne bouge pas d'un iota ; visiblement épuisé et haletant, il pèse de tout son poids pour rester au sol, ne voulant décidément pas être entraîné par les squales.
"Anqueïton, laisse tomber ce cloporte, camarade,intervient son congénère sur un ton aigre et assez pressé, posant sa main sur l'épaule de son compagnon, Un keigh-mon comme celui-là ne vaut rien crois-moi, ce ne sera pas une grande perte. Et puis nous avons le reste du bétail à vendre, ne nous attardons pas sur ce débile,fit la fière créature.
-Non...Non-non-non-non-non,lui répondit son sinistre comparse, sa voix prenant un ton de plus en plus inquiétant,On va justement s'attarder sur ce petit insecte. JE VAIS LUI MONTRER MOI!"
D'un coup, même depuis l'avenue où il se trouve, Morgoroth aperçoit le squale qui dégaine son sabre, avant de saisir l'humain au bras. Son coup part en un éclair, sa lame s'en va déchiqueter la chair et l'os de l'asservi au niveau de l'épaule ; la violence de l'attaque est telle qu'elle tranche le membre tout entier, mutilant l'esclave qui pousse alors un hurlement de souffrance, tandis que son bras, convulsif, s'effondre dans une grande giclure de sang. Mais la cruelle créature ne s'arrête pas là. De suite après, l'aspirant cavalier peut voir le sabre siffler vers le ventre de l'esclave, avant de plonger dans ses tripes, arrachant la peau, perforant l'intestin et l'estomac, qui, avec un déchirement dégoûtant, sortent de sa panse pour se répandre au sol, accompagnés d'un ruissellement sanglant.
"Eh bien eh bien,remarqua son camarade, un sourire carnassier se dessinant sur son visage aquilin,Et moi qui croyait que tu avais perdu la main depuis notre dernière expédition! poursuivit-il, ne pouvant s'empêcher de ricaner à la vue de cet humain désormais estropié, sanguinolent, larmoyant, recroquevillé dans sa douleur et agonisant sur le sol gelé.
"Oh le cavalier!interpelle soudainement une voix stridente, toute proche du jeune druchii,Bougez-vous de là! Vous gênez la circulation!lui signale une arbalétrière, qui patrouille à cet instant sur l'avenue.
Rester immobile, au beau milieu d'une grande allée fréquentée par de nombreux elfes noirs, n'était certainement pas une bonne idée, et Morgoroth ne tarda pas à s'en rendre compte....Aussi, il finit par reprendre sa progression, à travers les rues et les bourrasques de neige, pour enfin arriver devant la caserne de la cité.
Avec son imposant corps de garde fait de granit noir, ses hautes murailles aux créneaux tranchants, ses tours de guets aux formes agressives, et ses bâtiments massifs, à l'architecture imposante -voire intimidante, le quartier militaire de Clar Karond était une véritable forteresse au sein de la forteresse, à tel point que l'on pouvait se demander si cette citadelle servait à défendre la ville, ou bien à se défendre de la ville.
Alors qu'il se dirige vers la double herse en acier qui sert de porte d'entrée, l'aspirant cavalier remarque que deux grandes bannières, à l'héraldique et aux runes stylisées, flanquent de part et d'autre l'accès à la caserne ; il y a celle du Drachau de Clar Karond, mais aussi une autre, plus travaillée et personnalisée: celle du Roi-Sorcier, lui-même.
"HALTE-LÀ! Oï potamon e'thaldur? Où est-ce que vous allez comme ça! Qui êtes vous et que venez-vous faire ici?" apostrophe l'une des fières créatures qui gardent l'entrée du casernement, tandis que deux arbalétriers aux oreilles pointues, du haut de leurs postes d'observation, scrutent l'arrivée de Morgoroth avec leurs regards pénétrants.