Il n’y avait aucune colère dans la voix de la matriarche ; Plutôt un soupir agacé. Elle posa sa main sur son front afin de couvrir ses yeux, tandis que son arrière-petite-fille était incapable de faire semblant de lui donner une réponse.
« Tu es très fatigante, Akisha.
Si ce n’est pas une comédie, tu as intérêt à aller rendre visite à Magnouvac. Si ça en est une, je te prie de bien vouloir te reprendre le plus vite possible. »
Par instinct domestique, un des esclaves quitta son alcôve pour venir aider la Druchii ; une main gantée serra son épaule et l’en dissuada aussitôt. Rekhilve se pencha, et se dépêcha de relever sa compagne tout en lui rendant le pochon contenant son médicament.
Sighi suivait derrière, les mains ouvertes.
« Hé ? C’est quoi ces conneries ? »
Une main dans le dos, Rekhilve inclina la tête et répondit à sa place.
« Un simple épisode de toux. Ça lui arrive assez peu souvent, mais quand ça arrive…
– Hmm.
– Pardonnez-moi, elle a besoin d’air ; Vous n’avez plus rien d’important à lui dire ?
– Si, mais ça attendra. »
La matriarche chassa l’air avec dédain, et retourna vers son bureau. L’Ombre servit de béquille pour quelques pas, mais le traitement de Magnouvac fit bien vite effet. Sitôt sortie de la pièce, Akisha pouvait sentir ses poumons se dégager, et si son cœur battait encore à toute vitesse, elle retrouvait un rythme respiratoire normal.
Rekhilve accompagna son amie jusqu’à une grande terrasse en extérieur. Dehors, il faisait chaud, lourd et humide, et il y avait de gros nuages noirs qui versaient une fine averse annonçant une tempête bien plus grave. Assises sur deux chaises autour d’une petite table, un esclave leur amena à chacune une coupe de framboises glacées, et elles pouvaient tranquillement manger à la cuillère en profitant du spectacle des harpies lointaines qui dansaient à contre-jour.
Les bottes étendues sur la rambarde, l’Ombre demeurait assez peu loquace — mais Rekhilve n’était pas le genre de femme très causante d'ordinaire. C’est une fois sachant son amante plus à l’aise qu’elle se décida de parler.
« Une sacrée femme, Sighi Drakilos. Je sais pas pourquoi, j’imaginais pas une noble avoir…
Je sais pas comment dire. Son vocabulaire quoi. »
Elle regarda Akisha, et elle lui offrit un sourire.
Après quelques minutes toutes les deux, le traducteur un peu trop proche des Drakilos fit irruption sur la terrasse. Kehem s’avança sans aucune gêne vers les deux dames en train de parler, et, debout devant la table, il se mit à piailler à voix basse avec un ton étrangement paniqué.
« Megeth a un problème.
Votre frère Nokhis, il… Il est demandé par Sighi, et il n’est pas là. »
Rekhilve leva un sourcil, tandis que le pauvre Kehem, tiré à quatre épingles dans son costume tout neuf, avait un tic nerveux des lèvres.
« Nous pen-… Enfin, elle, Megeth, pense qu’il est à l’Oisellerie. C’est… Une situation assez gênante. Seigneuresse Sighi n’aime pas demander quelqu’un et ne pas être obéie.
– Tu m’étonnes. »
Kehem foudroya l’Ombre du regard. Mais Kehem étant Kehem, il ne trouva pas le courage de rétorquer quelque chose, et préféra simplement l’ignorer.
« Megeth voudrait savoir si vous… Si vous étiez disponible pour aller chercher Nokhis…
C’est que… Il faudrait le faire assez discrètement. Rapidement, mais, discrètement.
– Je savais pas qu’Akisha était voiturière. C’est nouveau ça. »
Agacé, Kehem lui montra un bout d’incisive. Mais cette fois, il lui fit bien un geste de tête.
« L’Oisellerie est un club exigeant. Tout le monde ne peut pas y entrer — Megeth ne peut donc pas envoyer un simple garde de mesnie pour aller chercher son frère. Mais elle ne peut pas y aller seule non plus, pas depuis qu’elle est héritière.
– Oui, elle faut qu’elle entre par la petite porte.
– Rekhilve, s’il te plaît !
Bon, dame Akisha, je veux dire… Vous, si vous vous présentez, on vous fera entrer sans aucun souci, on vous recevra même très amicalement, et alors vous pourrez trouver Nokhis, et, disons… Eh bien, le ramener ici. »
Rekhilve ricana, et leva les yeux au ciel.
« Sans vouloir te vexer Akisha — c’est une princesse ou quoi, ton frère ?
Sérieux, Sighi elle est terrifiante, il court sur les nerfs à Megeth. D’ac. Mais c’est pas ton problème cette affaire ? Si Sighi ça la fait autant chier, elle a qu’à demander à ses sbires de le ramener de force.
Avec ses jambes, y a juste à le porter.
– Comme j’ai dit, on ne laisse pas n’importe qui entrer. Et Nokhis ne veut probablement pas que des serviteurs de la famille Drakilos viennent.
– Alors il y a qu’à débarquer de force. C’est pas une prison l’Oisellerie, si ? »
L’Ombre tapota sur la table.
« Tu te souviens de ta subalterne, là — Vateci Tullaris ?
T’as qu’à changer ta robe pour une armure, aller la chercher, et on débarque à l’Oisellerie avec une demi-douzaine de Corsaires. Tu pourras tirer ton frère par le col et peut-être que Megeth et Sighi comprendront que t’es pas revenue à Karond Kar pour juste servir de messagère. »
Kehem fit les gros yeux, et prit sa petite voix plus paniquée encore.
« L’Oisellerie n’est pas un simple lupanar mal famé ! L’établissement reçoit des gens importants, des enfants de la famille du Prince !
Dame Akisha, on a besoin de quelqu’un de prompt et discret, Megeth ne vous prend pas pour une sous-fifre — elle sait que vous êtes quelqu’un d’efficace sur qui elle peut compter !
– L’Oisellerie, ça a pas des liens avec la Pègre ? Ils risquent de mal prendre le fait que tu fasses sortir Nokhis contre son gré. En ramenant des gars armés, t’es sûre que ton frérot pourra pas juste te dire non. »