Re: [Nola Al'Nysa] Bien loin de chez nous
Posté : 30 août 2022, 17:54
En premier lieu, l'infirmerie. Kidd était assis sur un tabouret, de généreuses jeunes femmes tout de blanc vêtu lui changeaient les bandages. Il regarda Nola en souriant. "Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement. Demain, je devrais pouvoir bouger. Je ne dis pas que je serais vaillant, mais je respire encore."
Une d'elle lui fit ingurgiter une cuillerée d'un remède qui avait l'air si ragoutant qu'il tira la même tête qu'il faisait la veille, à moitié crevé dans les Bois.
Après cela, retrouver un arc. L'arme fétiche des Amazones. Heureusement, le château disposait d'une Archerie. Les artisans spécialisés veillaient à la fabrication délicate des mortelles armes de trait et de leurs projectiles. Mais si d'ordinaire, ils n'étaient pas disposés à la vente, l'un d'eux lui souffla un tuyau. Pour le double du prix estimé, il pouvait bien se permettre d'en égarer un. Et la mine sympathique de l'Amazone dont la nuit avait été courte et arrosée arriva même à le convaincre d'inclure dans la somme exigée le carquois et dix flèches. De deux couronnes plus légère, elle alla dissimuler ses achats dans sa chambre.
En redescendant dans les mornes couloirs de pierre, elle croisa une tête reconnaissable. Dame Mathilde. La jeune bretonnienne lui lança un sourire un peu moqueur. "Maria, vous vous êtes remis du banquet ?"
S'arrêtant à sa hauteur, elle se força à sourire en retour malgré la migraine qui lui martelait les tempes depuis son réveil « Un peu de repos et un bon repas ce matin et me voici de nouveau sur pied ! » puis, comme pour répondre à la pique de la jeune femme, elle dit « Votre protecteur vous a laissé un peu de répit pour la matinée ? »
"Il s'entretient avec le Duc sur des questions d'ordre militaire. Les Hommes." Avant de demander, un regard complice et de la malice pleine le visage. "Cela vous direz de venir sur les murailles avec moi ?"
Elle hésita un instant, mais la curiosité prit le dessus et elle répondit : « Je devais rejoindre Fabio… enfin le seigneur de Guadalquera aux écuries, mais j'imagine qu'il peut attendre un moment. »
"Vous aurez tout le temps du monde après, mais je sais à quelle heure la relève arrive pour avoir la paix." Elle lui fit un clin d'œil avant de la guider dans le dédale des corridors comme si elle avait vécu ici toute sa vie. Elle la suivit, se demandant ce que la demoiselle de Bouvrois pouvait bien avoir en tête. Elle découvrait une facette plus mesquine de sa voisine de table de la veille qui semblait, en l'absence d'autres personnes, avoir abandonné le masque de sérieux qu'elle portait habituellement.
Leur ascension s'acheva sur une tour peu commode, mais où le vent d'été soufflait son air rafraichissant. La vue était à couper le souffle. Loin, très loin au sud, on pouvait apercevoir la bande bleue de l'océan. Et du château à là-bas, des hameaux accrochés au sol rocailleux, des ruines, des tâches verdoyantes, des rares forêts de la région. Au nord, au levant et au Ponant, la silhouette perchée d'autres forteresses tout aussi anciennes et convoitées. Le monde entier sous son œil sombre.
"Cette vue... Elle ne ressemble pas à celle que j'ai longtemps connue. Mais depuis petite, je grimpais sur les murailles de mon château pour voir le monde. J'ai bien peu progressé depuis ce temps." Elle gloussa. "Et vous ? Ce monde ressemble-t-il à celui que vous avez laissé ?"
Surprise par la question, elle tenta de masquer son trouble en rendant son sourire à la jeune noble « Hé bien, c'est très différent de Remas ici… Bien plus sauvage, quoique les faubourgs de la ville ne soient pas l'endroit le plus sûr du monde non plus. » Se pouvait-il que la jeune femme se doute de qui elle était vraiment ? Et si c'était le cas, pourquoi prendrait-elle le risque de lui en parler en privé ? Cherchant à faire diversion, elle ajouta « où avez-vous grandi ? »
"En Bretonnie, dans le Duché de Bastogne, à quelques encablures du berceau de Gilles le Breton. Pour ainsi dire, l'un des plus importants lieux de notre royaume. Ce n'était ni un faubourg, ni une forêt. Juste la cage dorée dans laquelle on enferme les femmes de haute naissance. Mais je ne vais pas me plaindre. J'ai mangé à ma faim tous les jours de ma vie, j'ai porté plus de belles robes que la plupart des filles d'ici ont de vêtement dans toute leur vie. J'avais tout. Sauf la liberté. Et aujourd'hui, je l'ai aux dépens de tout le reste. Et j'en suis heureuse. Vous êtes libre Maria ?"
Partagée entre un léger malaise à l'idée d'avoir une telle discussion avec femme née avec une cuillère en argent dans la bouche et la curiosité que le côté effronté de la jeune noble continuait d'éveiller chez elle, elle dit en haussant les épaules : « Personne n'est libre. Beaucoup ragent contre l'habit que le destin leur a tissé, mais cela ne les empêche pas de le ramasser et de l'endosser jusqu'à la fin de leurs jours. Moi… je préfère marcher nue à la rencontre de la tempête. »
Elle réfléchit un moment. En bas, au bord des champs, deux hommes s'échinaient à faire avancer un bœuf récalcitrant. Elle se tourna, la taille contre la pierre. "Marcher nue face à la tempête. Une bien singulière idée. Mais oui. Si nous ne pouvons être libres, forçons un peu la main au destin. C'est ce que m'a dit Léonard, et d'autres, il y a tant de temps. Toute une vie, j'ai l'impression. Alors que cela ne remonte qu'à un ou deux hivers. De fuir le destin que l'on m'imposait. J'ai connu tant de gens qui l'avaient fait aussi, une bien curieuse bande si vous pouvez l'imaginer."
Avec un sourire sarcastique, l'amazone la dévisagea des pieds à la tête avant de dire « Pardonnez-moi, mais qu'est-ce qu'une femme... comme vous peut bien avoir à fuir ? Et quel genre de protecteur donne ce type de conseils ? »
"J'ai fui une vie où je n'étais qu'une pouliche. Mon père m'aimait. Avec tout l'amour que peut donner un père. Mais il n'était plus. Et je ne voulais pas servir de monnaie d'échange aux hommes qui se seraient partagé ses biens. Je voulais enfin voir le monde ailleurs que du sommet d'un rempart." Elle marqua un temps de pause.
"Et ils furent là pour m'offrir cette chance. Sir Léonard. Le plus preux chevalier de Bretonnie qui pourtant était né ici même dans cette terre oubliée des Dieux et des Rois. Le Bougre. L'écuyer plus vaillant qu'un millier de soldats. Luçon. Un berger qui devait se battre, bien plus que tous les autres hommes. Et enfin... Erwan. Un homme qui par-dessus tout. Était amoureux de la Liberté. Ils m'ont offert la chance de voir le monde. La chance de marcher nue face à la tempête." Mathilde lui fit un clin d'œil complice. Bien singulière comme expression. "Dans un monde d'Hommes, je pouvais enfin être autre chose que ce que les autres attendaient de moi. Comment refuser ?"
Sans chercher à cacher ses doutes, elle dit « Vous êtes donc en fuite ? On a parfois la chance de rencontrer des gens bien, je crois. Même chez certains hommes il y a du bon, les autres… soit on les domine, soit on s'écrase. J'ai choisi de ne pas m'écraser et le destin a prélevé son tribut. » enchaîna-t-elle en désignant son œil laiteux barré d'une cicatrice, « Pourtant, je referai ce choix un millier de fois s'il le fallait. »
"Je le referai aussi. Malgré ce que le destin nous prend." La noble fugitive regarda le ciel azuréen. "Dites-moi Maria. Les Femmes de Lustrie dont vous parlaient les marins... Pensez-vous qu'elles aussi ont des choix à faire ?"
« Je ne crois pas » pourquoi continuait-elle de mentir sur sa nature ? Elle n’en avait pas la moindre idée. Mais Mathilde n’était plus dupe, « la vie dans la jungle est plus dure, le danger peut y prendre bien des formes. Mais les femmes qui y règnent savent dompter cet environnement, car elle le respecte, comme elle respecte leurs semblables. Je vous… nous souhaite de vivre un jour dans une société dirigée par des femmes. » conclut-elle tandis qu’un étrange sentiment de nostalgie la traversait.
"Les Femmes du Nouveau Monde auraient bien des choses à nous apprendre semble-t-il. Si le destin hasardeux que je trace devant moi devait me conduire jusqu'à une d'elles, je suis certain que j'en sortirais grandi. Et j'espère pour elle que sur ce continent si rigide, elle y trouvera ce que l'on cherche tous. Un peu de vent, la beauté de ce qui nous entoure, la liberté, les chants, et des Hommes qui chérissent plus les femmes que l'Or et les titres." Elle s'inclina respectueusement avant de se diriger vers la trappe qui les conduisait aux étages inférieurs. "Si d'aventure vous vous retrouviez à Banquestre ou à quelque endroit où je devais me trouver, vous serez la Bienvenue Maria. Vive les femmes de Lustrie et de Remas. Et vive ces braves qui savent nous apporter le sourire malgré tout. Au revoir."
Dans un élan de bétise ou de confiance, la femme de Lustrie et de Remas lança à la Noble avant qu'elle ne se dérobe à sa vue :
« Nola, vous pouvez m’appeler Nola. »