La réaction des auditeurs d'Ulricht à sa petite histoire le surprit. Rire général et bonne humeur. Gauvin se permit même de le taquiner.
Gauvin Mortblé a écrit :-"A d'autres mon ami! Haha! J'remets pas en doute ta rencontre avec les hommes du Jules, hein? Mais j'crois qu't'en fais un peu trop! M'enfin t'as pas tort sur le fond: faut s'éloigner de ces sorciers, ils servent juste à t'attirer le mauvais œil, moi j'te le dis!"
Le Tzeentchi esquissa un sourire, le même sourire que l'on trouve chez les bons perdants après une partie acharnée. Un coin de son esprit nota avec intérêt qu'on l'avait remit à sa place avec bienveillance. Ne venait-il pas de se faire une place au milieu de ces hommes ?
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Ah, touché ! J'aime enjoliver mes histoires pour les rendre plus agréables à écouter. Si je vis assez longtemps pour me faire des vieux os, je pourrais finir conteur ! Et je travaillerai le dosage pour la prochaine fois, ponctua-t-il en lançant un regard joueur à Gauvin.
Gauvin hocha la tête en gracieux vainqueur, mais la conversation revenait déjà sur la place de la loyauté dans les us et coutumes de la région. Et ce fut Madrelo qui secouait vigoureusement la tête en signe de désaccord.
Madrelo a écrit :-"Nan mais moi je pense qu'il y a de la saloperie partout. Les latrines sont salies dès qu'il y a des culs, hein? Les enfoirés, les traîtres et le reste, tout ça existe partout! Sont juste plus subtiles comme tu l'as dit, hé! Ici au moins ils ont pas besoin de se cacher, moi je trouve que c'est plutôt une bonne chose! On reconnait de suite en qui on peut et peut pas avoir confiance..."
Si révéler le fond de sa pensée n'avait pas mis sa vie en jeu, Ulricht aurait volontiers éclaté de rire. Hélas, ses quatre compères n'auraient guère apprécié l'ironie de la situation. Oh que non. Aussi se contenta-t-il d'une réponse qui se voulait philosophe et synthétique.
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C'est peut-être pas plus mal, comme tu dis... Enfin, chacun ses mœurs, hein ? On peut pas vraiment jugé quand on est pas du crû.
Mais fini l'agréable badinage, fait pour préparer le terrain et délier les langues : Ulricht posa la question, qui était l'intérêt et le but final de cette conversation. Quelles étaient les derniers ragots politiques dans ce trou paumé des Principautés ?
La réaction de Gauvin ne déçut point le cultiste en herbe. Le brasseur avait trop de décence pour se rengorger ouvertement de son importance, mais il était évident que le compliment d'Ulricht avait fait mouche. Gauvin se pencha vers lui, prêt à lâcher les pseudos-secrets des puissants de la région.
Gauvin a écrit :-"Y'a deux rumeurs qui se racontent sous les coins de table en ce moment... y'en a une qui dit que la Lénor chourré à Vodeski, tu sais la prêtresse de Sigmar là, un artefact vachement important. Depuis il lui en veut mais il ose pas passer à l'action, il a trop peur des représailles. Sinon y'en a qui murmurent qu'y a de l'eau dans le gaz entre Jules et Vodeski et que ça va pas tarder à dégénérer… Mila serait du genre à aider Jules cela-dit. Depuis que Vodeski l'a écrasée l'année dernière c'est à peine si elle ose pointer le bout de son cul sur ses terres, hé…
Ah et sinon tu sais qu'on a pas mal de ruines antiques dans la zone hein? Ben y'en a qui disent qu'elles commencent à s'agiter. On sait pas trop pourquoi et on espère que c'est juste des racontards hein, mais on sait jamais avec ces vieux trucs...
Ulricht n'eut pas besoin de forcer pour hausser les sourcils et adopter une expression de surprise. Cette région était assise sur un baril de poudre, plus explosif encore qu'il ne le pensait !
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Par la Sainte Pucelle, et moi qui trouvait le pays déjà bien agité... Il jeta un regard à Madrelo, Gaudino et Tierri.
On dirait que vous allez bientôt devoir utiliser vos hallebardes pour autre chose que chasser deux trois mutants et les gueuses en rupture de paiement.
À vrai dire, une situation chaotique arrangeait bien plus ses affaires qu'une stabilité morne. Ces informations restaient des rumeurs, des potins de seconde main, mais ce n'était que davantage d'opportunités à exploiter lorsque l'occasion se présenterait !
Il termina sa boisson d'une ultime gorgée, avant de quitter son tabouret.
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Eh bien mes braves, il est temps que j'y aille. Je quitte cette brasserie le cœur plus léger qu'à l'entrée ! Il salua le maître-brasseur.
Si vous voulez reboire un coup autour d'une table un soir, je suis votre homme.
Il quitta la brasserie en saluant également les ouvriers sur le point de le suriner seulement quelques minutes plus tôt. En jetant un coup d'oeil sur le positionnement du soleil, il vit qu'il n'avait guère avancé depuis son entrée dans le bâtiment. Le temps n'avait que faire de l'intensité de l'instant, et même l'intervention divine ne bouleversait pas l'ordre des choses... Madrelo et sa bande rappliquèrent rapidement, le suivant à la trace pour son retour au fief du Margrave.
La petite marche de la brasserie du village jusqu'à la ville de Délivrance ne fut pas désagréable. Les terres inhospitalières autour de la route permettaient de voir et d'être vu à des lieues à la ronde, et la bourgade n'était qu'à une demi-heure. Sans être dangereux, le trajet laissait largement le temps au cultiste de ruminer ses nouvelles informations.
Ainsi, le Margrave s'était débrouillé pour se mettre à dos ses trois voisins. Le but ultime d'Ulricht était de finir Margrave à la place du Margrave, ou au moins de dédier le fief de Vodeski à la gloire de Tzeentch. Une guerre en situation d'infériorité était une belle occasion de faire avancer ses pions, mais il ne s'agissait pas non plus de faire brûler la ville... De plus, une question plus concrète se posait : à sa grande surprise, Vodeski s'était avéré bien plus tatillon sur la loyauté de ses serviteurs qu'Ulricht ne l'avait pensé de prime abord. Monter ses hommes contre lui serait bien plus compliqué que se le mettre dans la poche ou... Provoquer un accident après s'être installé en position d'héritier. Et restait toujours le cas Hubert. Le cruel gaillard restait toujours une énigme à Ulricht : chien loyal ou loup aux crocs un peu trop longs ?
Il songea également aux ruines dont parlait Gauvin, mais n'y prêta que peu d'attention. Ce genre de rumeurs circulaient toujours autour des lieux abandonnées. S'il existait parfois un soupçon de vérité, et que le jeu valait la chandelle pour Ulricht d'aller errer dans ces endroits, il n'avait de toute façon pas une assise suffisante dans la ville pour effectuer des mouvements aussi contestables. Il ne fallait pas non plus oublier les hommes-bêtes : à défaut de prendre contact avec eux, ils pourraient fournir une diversion ou un élément unificateur au besoin. Ni le forgeron et le vieux lieutenant, avec qui il avait conclu un accord, accord promis à une belle évolution s'il jouait bien ses cartes. Et ce brave Karl, qui ne débutait que seulement son long apprentissage.
Oui, à bien y songer, il avait de nombreuses cartes dans son jeu. Seulement, leur usage était plus que limité dans la conjoncture actuelle. Il fallait attendre.
Midi venait de passer lorsqu'ils entrèrent enfin dans Délivrance. Le frugal repas des paysans était terminé, et la pause du déjeuner le serait bientôt également. Après une dernière salutation aux soldats, Ulricht se mis en quête de Karl, qu'il trouva finalement penché dans les champs. Il songea que cette matinée avait au moins eu le mérite pour Karl de lui faire redécouvrir les avantages de sa nouvelle formation.
Après l'avoir ramené dans sa cahute, le cultiste fit décrypter au jeune garçon des mots venant de l'exemplaire défraîchi d'un livre récemment découvert au fond d'une étagère de son domicile : "
Des Principautés" du tiléen Benevito Vamechial. L'ouvrage, qu'Ulricht était en train de lire, exposait une méthode rigoureuse et implacable aux dirigeants tiléens pour se maintenir au pouvoir et étendre leur influence. Si la situation des Principautés Frontalières n'était en rien similaire à celle décrite par Vamechial, force était de constater que bon nombre de conseils restaient valables...
La journée suivit son cours, et celle d'après encore. Dans les faits, Ulricht se contenta de continuer son éducation avec Karl, attendant autant ses premières questions théologiques susceptibles de l'orienter sur la voie du Changement que la convocation certainement proche exigée par le Margrave Vodeski.