Lèchku ne pouvait pas quitter des yeux l'immense cadavre blanchâtre du serpent qui se perdait entre les hautes herbes. Haletant, son petit coeur battait la chamade et il ne réagit même pas quand ce fût Bartam qui tint sa laisse alors que Thorak pansait ses plaies avec l'aide d'Igmir. Alors que les trois nains se restauraient après lui avoir lancé une ration comme on lance un os à un chien, le petit gobelin s'accroupit au sol en grignotant son maigre repas sans cesser de jeter des coups d'oeils craintifs autour de lui. Ce qui ne présageait rien de bon pour la petite troupe, car le peau-verte semblait connaître ces marais et donc les dangers qui y rôdaient. Une fois le repas terminé, le guerrier nain interpella rudement le gobelin. Ce dernier poussa un gémissement plaintif et se redressa sur ses maigres jambes cagneuses et encore tremblantes.
- "Non maitr' cé plu tré louin ! L'Arbr'o'barb' é a deu jour d'march' dan lé maré." piailla-t-il. "Suivé moi é jvé vou montré où k'sé !"
En vérité, il ne semblait pressé que part une chose : s'éloigner des hautes herbes. La troupe se leva alors que Thorak récupérait la laisse de Lèchku et tous se remirent en route vers les frondaisons. Devant eux se dressaient la forêt et les montagnes du Marais de la Folie, ce qui ne les empêcha pas de s'y engouffrer aussi vite que la blessure de Igmir le leur permettait.
Navré pour l'orque, en réalité il n'est pas là.
A côté de ces marais, marcher dans les hautes herbes était une promenade de santé. Moustiques et coléoptères, trous de vase et eaux stagnantes, odeur de putréfaction, chaleur étouffante ... C'était l'environnement dans lequel les nains et le gobelin progressaient. Ce dernier ne semblait pas incommodé et au contraire avançait à bonne allure sans se plaindre, suivant un chemin inconnu qui serpentait entre les troncs couchés, les buissons épineux et les racines des arbres titanesques qui formaient une voûte au dessus d'eux. Quelques crapaud poussaient des croassements monstrueux alors que des aigrettes blanches au cou décharné volaient de branches en branches avant de se poser dans les mares alentours, à l'affût d'un quelconque poisson chat. La canopée bloquait les rayons du soleil et irradiait une lumière verte et tamisée qui rajoutait à la sensation de chaleur et d'humidité qu'éprouvaient les trois nains. A peine quelques minutes après leur entrée dans la forêt, de grosses gouttes de sueur perlaient déjà sur leur front et les rangers retirèrent leurs capuches pour souffler un peu.
Après quelques heures de marches sans marquer une seule pause, la lumière commença à décliner et bientôt l'obscurité fût totale. La faune nocturne remplaça la faune diurne et bientôt la jungle entière résonna des cris d'étranges animaux. Des chauves-souris grosses comme des halflings passaient au dessus d'eux en vrombissant, à la recherche des énormes phalènes blancs qui voletaient ça et là. Autour d'eux, des branches craquaient et des feuilles se froissaient, signe d'une activité intensive. Mais bien que ces bruits n'avaient rien de rassurant, ils n'étaient en rien menaçant d'autant plus que Lèchku ne semblait pas s'en inquiéter. A bien y réfléchir, cet horrible petit peau verte été utile aux nains. Non seulement il leur servait de guide, mais aussi de sentinelle. En effet, il connaissait parfaitement bien les marais et leurs pièges. Ainsi, Thorak et ses montagnards n'avait qu'à l'observer pour savoir quand ils étaient en danger ou non. Du moins, en théorie. Pour la première fois depuis qu'ils étaient entré dans les Marais de la Folie, le gobelin ouvrit sa bouche aux dents jaunes et parla de sa voix nasillarde.
- "Mert' ! Lèchku il é fatigué. E marché la nui dan le maré cé pa tré tré sûr ! On devré sarété pour la nui metr'."