Au même instant, dans l’une des monumentales pyramides de pierre qui dominaient la ville, le seigneur Nahuanda, prêtre-mage slann de cinquième génération, sortait enfin de sa médiation. Cette dernière avait duré une bonne dizaine d’années au moins, pendant lesquelles il était resté cloîtré dans sa chambre d’éternité, au milieu d’une calme mare d’eau, de lotus et de senteurs propices à la quiétude de son âme. Après avoir pris quelques larves d’ixti, le prêtre-mage sembla rester neutre, mais éveillé, comme en attente d’un évènement qui devait bientôt se produire. Dès qu’ils en apprirent la nouvelle, ses serviteurs skinks le mirent au courant que le prêtre Kioxtl avait eu une vision au même moment, et attendirent l’hypothétique réaction du vénérable slann. Ce dernier, après être resté totalement immobile pendant encore plusieurs minutes, leva la main vers le Nord-Ouest, en prononçant quelques mots emprunts de sa sagesse mystique, quelques mots qui provoquèrent une excitation extrême chez les skinks.
La Sentinelle des Bénis, un très vieux garde des temples plusieurs fois millénaire, observait d’un œil vigilant cette agitation parmi les prêtres skinks qu’il était chargé de protéger. Peu lui importait leurs chamailleries et leur excitation permanente, il restait tel une statue de marbre, placide et immobile, devant leurs quartiers. Pourtant, il était en réalité, tout comme ses subordonnés, extrêmement concentré sur sa seule tâche : s’assurer de leur protection, et n’hésiterait pas une seule seconde à intervenir au moindre signe de danger. Il semblait à présent qu’un prêtre skink important venait d’arriver dans les parages, revenant directement de la chambre d’éternité occupée par le seigneur Nahuanda. En effet, le saurus vit bientôt un frêle skink arriver devant lui, couvert de décorations rituelles, le désignant comme un prophète de second rang. Quoi qu’il en fût, ce skink s’adressa directement à lui, et lui donna des instructions à une vitesse incroyable. Il fallut attendre un moment pour que le vieux saurus hoche la tête et grogne en signe de compréhension. Le garde des temples attendit encore un petit moment, avant de se décider à bouger, ce qu’il n’avait pas fait depuis une bonne quinzaine d’années au moins. Il venait de recevoir des ordres très clairs -de toute manière, il n’aurait pas compris des ordres trop complexes-, et il savait d’instinct à qui confier la mission qu’on venait de lui transmettre. Le prêtre-mage slann de cinquième génération qu’il protégeait s’était enfin réveillé, et cela signifiait, compte tenu de sa jeunesse et de son activité, que les gardes des temples allaient probablement avoir à se battre de nouveau, très bientôt.
La marche de Quetli, ce qui signifiait approximativement « le serviteur d’obsidienne » en saurien -un nom qui convenait parfaitement à ce qu’il était : un serviteur aussi immuable, solide et dur que l’obsidienne-, l’amena à la périphérie du secteur central qu’il défendait. Là, il passa ses ordres à un de ses hommes-lézards, puis retourna à son poste, imperturbable. Le garde des temples à qui il avait transmis les instructions du prêtre skink se chargea ensuite de réunir tous les gardes des temples inférieurs sous ses ordres, soit exactement vingt individus. Parmi ces vingt individus, il en choisit sept, qu’il désigna du doigt. Les saurus, en effet, ne parlaient déjà que rarement, et les gardes des temples étaient encore moins bavards, surtout avec le temps.
Le groupe, composé de huit gardes des temples saurus de plus bas niveau, et d’un « chef » qui gardait un temple de plus haute importance, se réunit ensuite, conformément aux instructions reçues, à la base de la pyramide secondaire qu’ils protégeaient. Enfin, secondaire était une façon de parler, car la pyramide était proche du centre de la cité, et abritait quand même plusieurs prêtres-mages slann dans leurs chambres d’éternité : rares étaient les endroits au monde mieux protégés que celui-ci. La pyramide principale de la cité, qui était à la fois en position centrale, et la plus haute de la première cité, était toutefois mieux défendue, car elle abritait plus de prêtres mages-slanns, et de générations plus anciennes. Er sham faisait partie de ce groupe, mais ne le dirigeait pas. Dans la hiérarchie tacite, il était néanmoins second ou troisième.
Les gardes des temples saurus attendirent de nouvelles instructions, immobiles. Soudain, comme à leur habitude, un groupe de prêtres skinks surexcités -du moins du point de vue des calmes et lents gardes- sortit de la pyramide en parlant si vite entre eux, et avec des mots si complexes, qu’il leur était totalement impossible de comprendre ce que les petits hommes-lézards disaient. L’un d’entre eux, un prêtre skink du nom de Kioxtl, qui semblait être le plus important, et portait des signes le désignant comme un prophète mineur, s’adressa à ses gardes. A ce que ces derniers comprirent, ils allaient devoir protéger ces six prêtres skinks pendant leur voyage jusqu’à un temple situé relativement près de Quetza, la cité profanée, que les skavens du clan pestilens avaient jadis prise. Si la cité en elle-même avait été nettoyée par Tehenhauin, le prophète de Sotek, et ses skinks à crête rouge, mais elle était toujours corrompue par la maladie, et nul ne devait y pénétrer, sauf sur l’ordre d’un prêtre-mage, bien sûr. De plus, la menace skaven rôdait toujours entre Chaqua et Quetza, même si elle avait été fortement réduite et maîtrisée par les adeptes de Sotek. Le temple en question était un très ancien lieu de pèlerinage et de méditation, dans lequel des slanns venaient de temps à autre méditer. Mais ce lieu saint n’était plus gardé ni utilisé depuis des millénaires, avant même l’éclosion de Er Sham. Apparemment, l’objectif de leur mission serait donc de prendre possession, de sécuriser cet endroit et de protéger ce temple, tout en assurant la sécurité des prêtres skinks, et tout particulièrement celle du prophète Kioxtl. Il se pouvait, ensuite, que le seigneur Nahaunda lui-même se déplace en personne, si le prophète faisait là-bas une découverte d’importance. Et il semblait bien que les skinks et le seigneur Nahuanda croyaient qu’il y aurait bien dans ce temple quelque chose d’important…
Evidemment, les gardes des temples étant relativement peu nombreux par rapport aux autres hommes-lézard, il n’allait pas leur être demandé, à huit, de faire tout le travail. Les prêtres skinks avaient convoqués avec eux une véritable petite armée composée d’une soixantaine d’éclaireurs skinks, et d’une bonne trentaine de guerriers saurus, dirigés respectivement par un tupac (et ses seconds kapacs), et un kuraq (et ses seconds chasqui). En théorie, si tout se passait bien, les gardes des temples, qui formaient la garde rapprochée des prêtres skinks, n’auraient même pas à combattre.
Bientôt, la colonne s’ébranla, les prêtres skinks, au centre, entourés par leurs gardes du corps, eux-mêmes entourés par les guerriers saurus. Les éclaireurs skinks, eux, évoluaient en formation dispersée dans la jungle alentours et s’assuraient qu’aucun danger n’était proche…