Le lendemain, l’ordre de mettre les chaloupes à l’eau fut donné. Les navires ne pouvaient plus continuer d’avancer dans cette eau boueuse.
Gillian laissa avec soulagement les marins prendre la tâche en charge. Lorenzo se tenait derrière lui, en sueur. Ses paumes étaient douloureuses à cause d’une corde qui lui avait glissé entre les mains.
- Eh bien, patron, dit-il, en se frottant ses paumes l’une contre l’autre tout en regardant la verdure derrière les marins. On dirait que les choses vont devenir intéressantes.
Maintenant qu’ils étaient assez près pour voir la jungle en détail, il commençait à réaliser à quel point il s’en faisait une idée fausse. Même durant le séjour à Bourbeville, il avait continuée à y penser plus ou moins comme une forêt. Il savait que les arbres seraient plus grands et que la chaleur serait suffocante. Il savait aussi qu’il y aurait des animaux et des plantes étranges tapies dans ce nouveau monde. Peut-être des frères reptiliens des ours et des loups qui peuplaient les forêts de Bretonnie.
En bref, il s’attendait à ce que la jungle soit reconnaissable. Ce qui n’était pas le cas…
Il n’y avait rien de reconnaissable dans la masse verdoyante et impénétrable qui s’étendait maintenant devant eux sur ce rivage étranger. Ce n’était pas qu’une collection de flore et de faune, pas le domaine ombragé de l’ours et du loup. C’était une seule forma imposante dépassant des vagues comme un animal monstrueux. Les creux entre ses membres étaient remplis de lianes et de ténèbres, l’air au-dessus était embrumé par son souffle chaud.
Et bien qu’elle semblât se tenir prête, retenant son souffle comme un prédateur aux aguets, cette grande bête était loin d’être silencieuse. Les murmures des vents humides dans les taillis, les cris des chasseurs et les hurlements des proies, le constant bourdonnement d’innombrables insectes, tout cela et un millier d’autres sons se combinaient pour murmurer une supplication, ou peut-être une terrible menace, aux hommes qui s’offriraient bientôt à son cœur affamé.
Gillian vérifia son paquetage, puis passa par-dessus bord, descendit le long du filet à marchandises tendu jusqu’à la chaloupe qui tanguait dangereusement. En dessous, le timonier attendait, tenant le bateau près du mur de bois de la paroi.
- Allez à la proue, capitaine,dit-il en montrant du doigt le rebord étroit où Lorenzo s’agitait déjà mal à l’aise. Bien, qui est le suivant ? Allez, allez.
Alors que Gillian commençait à rejoindre son ami, Lorenzo, un poids assez conséquent se fit sentir sur le bateau, qui s’enfonçait un peu plus dans l’eau. L’humain se retourna pour découvrir que Daggy Dug venait de monter dans la petite chaloupe. Le timonier essaya de calmer le tangage de la chaloupe, tandis que l’ogre se rapprochait de son compagnon. Le Hors-la-loi ogre avait passé la plus grande majeure du voyage dans la cale du navire à se nourrir de mets différents qu’il avait trouvé à Bourbeville…