L'agitation habituelle des mines réchauffait le cœur de la petite troupe qui avançait dans les boyaux infinis de l'Empire Nain.
Le spectacle avait de quoi ravir l'œil éclairé. Des myriades de tunnels de tailles et de formes standardisées s'élançaient dans les entrailles de la terre, telles les artères dans la chair d'un nain. La comparaison n'étant pas dénuée de raison. Comme les veines apportent le sang aux muscles qui s'en nourrissent pour produire du mouvement les mines amenaient un flot ininterrompu de métal, de pierre, de charbon et de joyaux donnant vie à la forteresse du niveau supérieur. Les fours qui fondraient l'acier, les machines à vapeur qui animeraient des mécanismes, les bijoux et œuvres d'art qui faisaient la réputation des nains, tout ça serait rendu possible par le travail acharné des mineurs.
Et ils étaient nombreux à avoir embrassé cette profession. La plupart venaient des puissants clans miniers, véritables institutions familiales comportant des centaines de passionnés de la pioche et de la poudre noire. Car oui, on aurait tort de penser que les mineurs n'étaient que des bas-du-plafond, uniquement capables de donner des coups de pic jusqu'à ce que la montagne leur cède. Non, cette qualification n'était vraie que pour les longues-barbes mineurs!
Tout nain moderne utilisait maintenant de la poudre noire pour déboucher le gros des galeries et laisser ensuite ses mains découvrir les trésors enfouis! Il est probable ainsi que la profusion de tonneaux de poudres qui ornaient les murs et les recoins des tunnels que la troupe de brises-fer puisse trouble les plus conservateurs de l'ancienne race, mais en vérité une fois encore l'efficacité l'avait emporté sur les traditions!
C'était d'ailleurs pour cette raison que de puissantes détonations retentissaient toutes les heures, faisant trembler jusqu'aux étais. Des mineurs sur le chemin expliquait qu'on creusait les impasses: des passages sinueux et incroyablement longs qui ne débouchaient sur rien d'autre qu'un mur. Des envahisseurs pressés fonceraient à l'intérieur, persuadés de découvrir par là un passage pour rejoindre la forteresse. Ils ne feraient que perdre leur temps. Mieux, l'objectif final était d'installer un système efficace d'éboulement dans la galerie, piégeant un attaquant intrépide. Une stratégie porteuse.
Lors d'une pause Hagin entendit même des jeunes nains parler de développer ce qu'ils nommaient le "tourisme minier", c'est à dire de faire payer à des nobles elfes ou humains un séjour dans les mines où leurs seraient expliquées l'histoire de la forteresse, du puits de mine, les combats qui s'y étaient déroulés, etc... La fessée qu'un ancien leur mis fût mémorable.
Mais bientôt aux mines joyeuses et prospères succédèrent les bastions nains, froids et gris. Perchés dans leurs fortins austères, les Veilleurs des Ténèbres, dans leurs armures de gromril, montaient la garde. Avec un respect muet ils regardèrent passer la quinzaine de nains. A l'intérieur des rires sourds étaient signes que certains de leurs camarades payaient leur tournée. Ils en auraient besoin pour tenir le coup.
Au bout d'une journée arrivèrent enfin devant leur objectif: la porte de l'Ungdrin Ankor. Plus imposante que toutes les portes mineures traversées jusqu'à présent elle était très large, très lourde, imposante. Devant elle une petite armée de brises-fer tenaient la garde, en arme, le regard sévère et déterminé. Des tours de guets et des meurtrières étaient creusées dans les murs, permettant de retenir un attaquant plusieurs heures en cas de pépin. Des herses d'acier supplémentaires pouvaient tomber à tout moment, broyant les imprudents envahisseurs et bloquant une avancée sans armes de siège. Plusieurs canons et cracheurs de feu étaient positionnés sur le chemin, garantissant un déluge de mort. Oui, la centaine de guerriers qui vivait ici en permanence ne plaisantait pas avec la sécurité. En bon chef de troupe, Ulfig lança:
-"Halte! On va passer la nuit ici, faites un camp derrière les canons et préparez les défenses."
La position choisie était stratégique. S'ils avaient dormis dans les dortoirs ils n'auraient été qu'une gêne pour les professionnels habitués du lieu et dormir entre les canons et la porte n'aurait été que la garantie de se retrouver entre le marteau et l'enclume. En se mettant derrière les engins défensifs, eux-mêmes déjà protégés par des sacs de terre, ils n'obstrueraient aucun mouvement et feraient même office de ligne de défense supplémentaire en cas de malheur. Sous les regards attendris de leurs aînés les jeunes nains commencèrent à se creuser des petits remparts avec des pelles d'usage pendant que leur chef et Coffre-d'Or allaient discuter des nouvelles.
Et de ce que purent en entendre les débutants, elles étaient classiques. Pas d'activité particulière dans la région dernièrement, d'après les patrouilles. Cela étant un convoi transportant des armures de gromril récupérées sur des patrouilles déchues au fil des siècles avait été attaqué récemment. Séparé du reste du groupe par un petit éboulement, deux chariots n'étaient pas rentrés. Cela faisait une semaine et les nains étaient sans doute morts maintenant, mais le chariot devait pouvoir être retrouvé. Des groupes de guerriers parcouraient d'ailleurs déjà les abysses avec cet objectif en tête, couvrant la zone encore plus que d'habitude.