[Vaalnar] Marcher au grand air
Posté : 15 déc. 2022, 19:48
“Les idées fixes sont comme des crampes,
...
Le meilleur remède, c'est de marcher dessus.”
Sören Kierkegaard, Journal de Salzenmund.
***
Les bruits mous sous ses pieds ne pouvaient signifier qu'une chose : La neige commençait à fondre.
Il était parti avant l'aube, à la hâte, aux premières lueurs du printemps. Pourtant, l'air était encore frais, glacial par bourrasques, et la mer était encore dure. L'océan sur sa droite était aussi opaque qu'hier, aussi rugueux et immobile qu'un fauve assoupi. En parlant de fauve, Éclat - Glóa en langue norse, mais aussi Hehku pour certains - avançait calmement, quelques pas devant lui, remuant la neige foulée par chacun de ses pas. La bête était hirsute, épaisse de corps et longue de tête, et évidemment plus proche du loup que du chien. Il avait été un chiot agile, joueur et espiègle, avant de devenir un ami féroce, hargneux et affreusement vif d'esprit. Lorsqu'il se mettait à courir, il était impossible de le suivre, si bien que lorsqu'il avait une idée en tête, il valait mieux attacher la bête ou l'attendre plutôt que d'essayer de la ratrapper.
Partout où ils regardaient, l'hiver était encore omniprésent. Les premiers signes de dégel n'étaient en effet que prometteur de ce coté du Monde, puisque les montagnes à l'Ouest retenaient toute chaleur pendant de longues semaines avant de laisser l'été s'installer. C'était ainsi depuis qu'il était né - et avant aussi. La Norsca ne connaissait pas les quatres saisons, ni même les longues périodes de floraison. Pire encore pour les Baersonling - la grande tribu qui contenait son clan et son foyer d'origine -, leur environnement gelait au grand complet, et ce à chaque hiver pendant plusieurs mois.
Ainsi, une fois de plus, il avait passé l'hiver enfermé dans un village, alternant entre les huttes de sudation, l'entretien des navires et les repas amers mais copieux. Cependant, les choses changeraient désormais. Le village était à quelques lieues derrière lui, et à moins d'un coup de chance, le vent incisif avait déjà effacé toute trace de son départ, et toute chance de retourner se coucher. Il avait senti cet appel de l'inconnu, cet insatiable envie de nouveauté qui frappe tous les jeunes hommes de son âge et de son clan, cet appétit qui les disperse aux quatre vents, les place sur des navires-serpents pour ne revenir qu'au début du gel, chargé de trésors et de trophées insolites, mais aussi d'histoires étranges, de noms et de légendes, drôles ou terrifiantes.
C'est peut-être pour cela qu'il était parti, ou pour un tas d'autres raisons. Quoiqu'il en soit, quoi qu'il en fut, il était libre à présent. Oui, libre, dans tous les sens du terme... Mais pour aller où ? Il pouvait aller où il voulait, faire ce qu'il voulait, et ce dans toutes les directions possibles. Irait-il vers l'Est, sur l'étendue de glace trouble où vivaient des monstres invisibles, ou bien sur l'autre partie de la Mer Glacée, vers le Nord, là où les vents charriaient la mort et la colère des Dieux ? Tenterait-il un passage vers l'Ouest, à travers la plaine enneigée et les rivières lointaines... Ou bien vers le Sud, en directions des montagnes inhospitalières, vers les pics escarpés où vivaient soi-disant des esprits endiablés et des rochers enragés.
Il avait l'embarras du choix. Il n'avait ni ordre, ni mission, ni supérieur hiérarchique pour le surveiller. Depuis son échappée nocturne - qui avait été plutôt facile -, il n'avait plus aucun fardeau sur les épaules. La seule chose qui lui pesait, c'était son manteau, les armes à sa ceinture, et le barda sur son dos. Les seule chose qu'il voyait, c'était les roches du bord de mer, la pâleur du ciel matinal, et les pics acérés au loin, sur le coté.
Le vent siffla deux coups, comme pour le ramener sur terre, les pieds dans la neige.
Il était seul à présent, seul avec la neige, seul avec Eclat.
Et soudain, le chien s'arrêta.

...
Le meilleur remède, c'est de marcher dessus.”
Sören Kierkegaard, Journal de Salzenmund.
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Les bruits mous sous ses pieds ne pouvaient signifier qu'une chose : La neige commençait à fondre.
Il était parti avant l'aube, à la hâte, aux premières lueurs du printemps. Pourtant, l'air était encore frais, glacial par bourrasques, et la mer était encore dure. L'océan sur sa droite était aussi opaque qu'hier, aussi rugueux et immobile qu'un fauve assoupi. En parlant de fauve, Éclat - Glóa en langue norse, mais aussi Hehku pour certains - avançait calmement, quelques pas devant lui, remuant la neige foulée par chacun de ses pas. La bête était hirsute, épaisse de corps et longue de tête, et évidemment plus proche du loup que du chien. Il avait été un chiot agile, joueur et espiègle, avant de devenir un ami féroce, hargneux et affreusement vif d'esprit. Lorsqu'il se mettait à courir, il était impossible de le suivre, si bien que lorsqu'il avait une idée en tête, il valait mieux attacher la bête ou l'attendre plutôt que d'essayer de la ratrapper.
Partout où ils regardaient, l'hiver était encore omniprésent. Les premiers signes de dégel n'étaient en effet que prometteur de ce coté du Monde, puisque les montagnes à l'Ouest retenaient toute chaleur pendant de longues semaines avant de laisser l'été s'installer. C'était ainsi depuis qu'il était né - et avant aussi. La Norsca ne connaissait pas les quatres saisons, ni même les longues périodes de floraison. Pire encore pour les Baersonling - la grande tribu qui contenait son clan et son foyer d'origine -, leur environnement gelait au grand complet, et ce à chaque hiver pendant plusieurs mois.
Ainsi, une fois de plus, il avait passé l'hiver enfermé dans un village, alternant entre les huttes de sudation, l'entretien des navires et les repas amers mais copieux. Cependant, les choses changeraient désormais. Le village était à quelques lieues derrière lui, et à moins d'un coup de chance, le vent incisif avait déjà effacé toute trace de son départ, et toute chance de retourner se coucher. Il avait senti cet appel de l'inconnu, cet insatiable envie de nouveauté qui frappe tous les jeunes hommes de son âge et de son clan, cet appétit qui les disperse aux quatre vents, les place sur des navires-serpents pour ne revenir qu'au début du gel, chargé de trésors et de trophées insolites, mais aussi d'histoires étranges, de noms et de légendes, drôles ou terrifiantes.
C'est peut-être pour cela qu'il était parti, ou pour un tas d'autres raisons. Quoiqu'il en soit, quoi qu'il en fut, il était libre à présent. Oui, libre, dans tous les sens du terme... Mais pour aller où ? Il pouvait aller où il voulait, faire ce qu'il voulait, et ce dans toutes les directions possibles. Irait-il vers l'Est, sur l'étendue de glace trouble où vivaient des monstres invisibles, ou bien sur l'autre partie de la Mer Glacée, vers le Nord, là où les vents charriaient la mort et la colère des Dieux ? Tenterait-il un passage vers l'Ouest, à travers la plaine enneigée et les rivières lointaines... Ou bien vers le Sud, en directions des montagnes inhospitalières, vers les pics escarpés où vivaient soi-disant des esprits endiablés et des rochers enragés.
Il avait l'embarras du choix. Il n'avait ni ordre, ni mission, ni supérieur hiérarchique pour le surveiller. Depuis son échappée nocturne - qui avait été plutôt facile -, il n'avait plus aucun fardeau sur les épaules. La seule chose qui lui pesait, c'était son manteau, les armes à sa ceinture, et le barda sur son dos. Les seule chose qu'il voyait, c'était les roches du bord de mer, la pâleur du ciel matinal, et les pics acérés au loin, sur le coté.
Le vent siffla deux coups, comme pour le ramener sur terre, les pieds dans la neige.
Il était seul à présent, seul avec la neige, seul avec Eclat.
Et soudain, le chien s'arrêta.
