[Darmalion] L'heure et le temps des Bêtes

Plutôt que de charger dans un choc, Darmalion et Ohrein décidèrent de s’invectiver avec véhémence. Tous les autres autour d’eux, les Ungors et les disciples de Khornes, fer au clair, jambes prêtes à bondir, étaient pendus aux futurs faits et gestes des deux protagonistes de la rixe. Ils lavaient leur linge sale en public.

Plutôt que d’utiliser son sabre à la réponse de l’indigne magicienne, le Minotaure décida de continuer de parler. C’était un choix risqué, à la manière de découvrir une Ohrein qui affichait bien ses crocs bien plus aiguisés que ceux d’un être humain normalement constitué, et dont la magie noire semblait picoter autour d’elle.
Si Grimhar s’était fait discret durant le quelque battement de secondes, il se fit entendre après le mugissement de la bête. Avec un ton sec, anormalement autoritaire pour celui qui avait trop souvent l’habitude de se plier et de se faire discret devant le monstre, il se mit à crier :

« Toi quoi foutre ?! Toi débile ?!
Baisse toi arme ! »

Les Ungors semblaient définitivement indécis, les pointes de leurs lances dirigées vers le sol. Les deux disciples, eux, pointaient leurs armes directement vers le Minotaure, le véritable chien de guerre de la meute.
Un petit sourcil sembla tiquer au-dessus du front d’Ohrein. Et la magicienne, un instant, un tout petit instant, parut réfléchir.

« Baldr ?
Baldr… Veut… Ma tête ? »

Elle semblait considérer cette proposition. Darmalion avait sans doute dit cette phrase innocemment, bêtement, avec toute sa débilité de monstre.
Mais en réalité, il en avait déjà trop dit.
Comme il en avait bien trop dit au Jarl Baldr lorsque celui-ci s’était emparé de lui.

Alors, l’expression d’Ohrein se mua en une expression absolument terrifiante. Figée. Elle arborait des traits de démone.
Des larmes noires coulaient de ses yeux. Ses joues et son cou furent marqués par des veines rougeâtres sous sa peau violacée. Un trait de bave coulait à la commissure de ses lèvres.
Et elle se mit à hurler avec un cri porté par ses vents d’aethyr, si bien qu’ils raisonnassent dans les tympans de la bête.

« C’est toi ?!
C’est toi qui m’as trahi ?!
C’est toi qui as convaincu Baldr de se retourner contre moi ?! »

Darmalion entendit un craquement de branchage derrière lui.
Son comparse Grimhar, qui était censé l’escorter, était en train de courir, à toute vitesse, vite suivi par quelques-uns de ses camarades.

« JE DEVRAIS ARRACHER TON CŒUR ET LENTEMENT LE DÉPECER TANT QU'IL BAT ENCORE, ET MARQUER TA DAMNATION DE SANG ! »

La folle à la peluche et le lubrique à la hache s’écartèrent. Ils se plaçaient vivement, à gauche et à droite, de telle façon qu’ils puissent chacun attaquer Darmalion de part et d'autre.

Message par **Darmalion** » 21 août 2020, 17:46

GLADIATURE

Un moment d’accalmie s’instaura. S’il fut néanmoins fugace, il fit naître dans l’esprit du Minotaure un doute persistant, un doute qui malgré la colère s’imprégna des paroles de la Soigneuse pour proliférer à l’intérieur de son esprit. Comment Ohrein n’avait-elle su que le Jarl Baldr voulait sa tête ? N’avait-elle pas été son ennemie, après la mort du neveu du Jarl ? Darmalion avait toujours le museau tendu vers l’avant, ses babines dégoulinantes d’un filet visqueux tombant dans son hirsute barbe ; entre ses cornes, sa crinière hérissée paraissait se dresser, semblable à des pointes se tendant sur sa peau. Les bras écartés comme pour étreindre sa proie et la broyer entre ses membres, il manifestait avec on ne peut plus de véhémence sa volonté d’en découdre, de tester ce colosse casqué, de casser en deux cette femme à peluche, de gober la tête d’Ohrein puis de la lui arracher avec les dents.

Mais charger et la pulvériser ne suffisait pas. Au-delà de la voir périr entre ses mains cyclopéennes, il voulait la voir l’implorer, concéder ses fautes, admettre ses torts. A présent qu’elle le défiait ouvertement en libérant d’occultes forces, il réalisait qu’elle était habitée par le chaos, mais se permettait encore de douter que cela émanait de Khornes ; comment le Seigneur des Crânes pouvait-il permettre à une femme aussi frêle d’être sa guerrière ? Ce qui était vrai pour certains Shamans des Hardes ne lui semblait guère l’être pour ces misérables humains ; si favoris fussent-ils des Dieux.

« GGRRRRRRRRRRRRUUUUUUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! »

Ses cris résonnèrent dans tout le secteur environnant, et sans doute que même Grimhar, dans sa fuite, put entendre la colère du Minotaure. Sa voix était, à l’image du monstre, un outil puissant d’intimidation qu’il usait bon gré pour affirmer sa présence ; ce qu’il avait fait dans son antre ; ce qu’il avait fait face à la manticore. Il tutoya du regard le guerrier arrivant sur son flanc, et jeta un bref coup d’œil derrière lui : il réalisa alors que ses troupes l’abandonnaient, et qu’il devrait à certains égards, peut-être affronter seul ces trois-là. Pour autant, rien ne faisait peur à cet inconscient à l’égo tellement surdimensionné qu’il n’était pas loin de croire pouvoir vaincre une armée à lui seul, même sans arme ; après, n’avait-il pas réalisé l’exploit face à la manticore ?

Toutefois, cela ne lui permettrait d’avoir une entière satisfaction. Car en dehors de la promesse d’un fracas sanglant, demeurait pour cet esprit rachitique le doute d’un secret défendu, qu’il voulait éclaircir avant qu’Ohrein ne succombe. Avant de la buter, autrement dit, il voulait savoir. Comprendre, dans les grandes lignes, comment il en était arrivé là. Ainsi, ignorant le déploiement de puissance de la bigote qui ne fit que l’exciter davantage, il répliqua à ses paroles :

« HAHAHAHA ! Toi foutre ma gueule encore ! Moi trahir toi ? C’est toi trahir moi, connasse ! Toi laisser moi seul ! »

Il regarda à sa droite, puis à sa gauche, fouetta l’air de son sabre comme pour interdire ceux sur ses flancs de l’approcher ; et jeta enfin des yeux farouches à ceux derrière lui. Comme pour leur faire comprendre qu’ils n’avaient pas intérêt à le trahir. Enfin, il se reconcentra sur son antagoniste principal.

« Baldr être con, inverse toi ! Lui croire pouvoir utiliser moi, mais lui erreur faire ! Lui perdre hommes contre Vikti, et Vikti libérer moi ! Garder chien-chien Ingjald avec lui ! Toi rien craindre Baldr ! »

Il attrapa la garde de sa lame à deux mains. Il révélait beaucoup de choses sans s’en rendre compte, mais continuait pourtant de palabrer : il la tenait, envers et contre tout. Elle ne lui échapperait pas.

« Toi rien craindre Baldr car lui faible maintenant ! Rien craindre parce que toi mourir ici aussi ! Toi venir maintenant ! Cœur moi attendre être arraché par petite main toi ahahahaHAHAHAHAHA ! »

Il se railla d’elle, l’incitant à le charger. Il n’attendait que cela pour la balayer d’un revers, sans se soucier du reste de savoir si d’autres de ses confrères étaient encore avec lui : s’il était terrible guerrier, Darmalion était mauvais chef.

Ohrein était folle. Ohrein était fêlée. Ohrein était une orpheline à laquelle on avait appris que le meurtre de sa mère était une bonne chose. Elle servait Khorne depuis la naissance, perdue sur un continent meurtri et anéanti.
Mais elle était une mage. Une mage servant un Dieu qui détestait la magie. Elle était peut-être la plus fidèle de ses cultistes, mais jamais elle ne pourrait être remerciée par le Sanguinaire – ce n’était pas sa place. Son destin était d’être enchaînée, et torturée jusqu’au sang pour manipuler une magie impie, mais nécessaire pour invoquer des démons et fabriquer des armes forgées d’aethyr qui serviraient à des guerriers bien plus valeureux qu’elle. Elle n’était que ça – une prostituée sacrée, une qui répugne et ne commande aucun respect, mais qui a une place dans les desseins de celui qui souhaite meurtrir le monde.

Darmalion avait eu tort de s’attaquer à son honneur personnel, de la défier pour qu’elle charge. Cela aurait fonctionné avec n’importe quel autre cultiste de Khorne. Cela aurait pu servir face à un Seigneur comme Rash-Harn.
Mais non. Ohrein ne jouait pas selon les règles. Elle se fichait d’être maudite par Khorne, elle l’était déjà. C’était même son prénom. Celui avec lequel son père l’avait nommé.

Elle se recula. Elle leva les mains en l’air, et elle commença à psalmodier des phrases déchirées en Langue Noire. Des promesses de meurtre, et de damnation éternelle pour Darmalion.

Ses deux comparses attaquèrent le monstre à sa gauche et à sa droite. Agitant une grande hache à double-tranchant pour l’un, deux longs coutelas édentés pour l’autre, les tarés hurlèrent un cri de guerre avant de se jeter sur lui.
Darmalion n’eut aucun mal à déjouer l’attaque du premier. Il écarta adroitement sa lourde hache et lui cracha à la figure, le menaçant de ses longues cornes ; Mais la seconde, plus frêle et plus agile, agitait ses deux lames à sa figure, et le faisait saigner bien profondément. Darmalion n’avait qu’une personne sur laquelle se concentrer – la magicienne. La tuer, c’était peut-être briser leurs espoirs, c’était peut-être les forcer à se rendre, c’était, surtout, accomplir sa vengeance contre celle qui l’avait abandonné dans son antre et qui l’avait à présent menacé. C’était remettre le monde en état. C’était supprimer une lâche qui pervertissait le nom de son Dieu, lui qui l’avait toujours bien servi, et bien mieux qu’elle.

Il rata sa grande taillade de son sabre, trop occupé qu’il était par le dingue à sa gauche qui l’empêchait de manœuvrer avec ses moulinets de hache. Mais c’est alors qu’une javeline frappa le gros casque qui était vissé sur son crâne. Il rugit, postillonnant de sa bouche mutée.
Derrière Darmalion, deux Ungors n’avaient pas déserté. Écoutant leur instinct, ou un courage qui s’était insufflé dans leurs carcasses insignifiantes, ils restaient aux côtés du Minotaure, prêts à semer la mort parmi les hommes à ses côtés.

C’était d’autant plus beau, que, sous les yeux de Darmalion, le Minotaure pouvait assister à la manière avec laquelle la magie, impie, pouvait bien souvent se retourner contre les couards qui osaient en appeler à elle :
Quelque chose se passa. Darmalion n’avait pas l’esprit ou l’intelligence de comprendre quoi. Mais Ohrein hurla de douleur alors que des voiles noirs électrisaient son corps. Elle s’effondra à terre avec de gros yeux écarquillés, son teint violacé ayant soudainement tourné à un pâle diaphane. Elle utilisait une arme de faible, et voilà qu’elle aussi s’écroulait de faiblesse.

Darmalion chargea, malgré les attaques. Il tenta de l’exécuter sur place, et d’en finir. C’était sans compter sur sa garde rapprochée, sur les deux dégénérés : La femelle le frappait, le mâle se glissait devant lui pour le tenir à l’écart et servir de bouclier à sa salope. Et ils ripostaient, à nouveau, sans lui laisser le moindre répit, sans lui accorder un duel honorable.

Ohrein leva la main. Elle l’agitait. Rien ne se produisait. Oui, c’était magnifique : Une magicienne qui souillait le nom de Khorne, et qui échouait à utiliser ses faibles sortilèges face au vrai élu du Molosse. Il fallait la tuer, maintenant, sur place, en finir !

Il donna un coup d’épaule pour écarter le mâle. Il reçut une nouvelle estafilade sur le chemin. Il bouscula la femelle, quand bien même elle continuait de le poignarder. Il laissait derrière lui des geysers de sang, il en dégoulinait de partout sur son cuir – et alors ? Il avait déjà saigné. Toute sa vie, il n’avait fait que saigner. Face aux esclaves. Face à Hugleik. Face à Ingjald. Face à une Manticore titanesque. Il aurait aimé saigner face à Baldr, mais le Jarl avait été trop apeuré pour oser se mesurer à lui. Qu’importe : Tout ce qu’il saignait, c’était la preuve de sa dévotion. De sa piété. C’était une profession de foi vivace et vivante. Et à chaque fois, il avait gagné. À chaque fois, il avait remporté la mise.

De toutes ses forces, il frappa Ohrein. Il déchiqueta le bras de la magicienne à peine relevée. Il lui disloqua un bras, qui tenait à présent par les tendons. Elle eut un cri strident, perçant, dans un écho.

Elle souleva son autre main.
Elle prononça un mot.
Et un éclair noirâtre jaillit de ses doigts pour percuter le Minotaure.

Il tituba en arrière.
Il lâcha son sabre qui vola derrière lui.

Il était scotché sur place, avec la violence du choc inattendu. En face, Ohrein était toute seule. Les Ungors s’étaient jetés sur les sbires de la magicienne. Elle était seule. À bout de souffle. À bout de vie. Face à face.
Il racla le sol de son sabot.
Il baissa la tête.
Il chargea.

La folle à la peluche écarta l’Ungor, glissa sur le chemin du minotaure, et, d’un simple moulinet, elle lui déchiqueta la moelle du pied.
Darmalion roula au sol.
Il s’écrasa en laissant une traînée de terre et d'hémoglobine.
Il se faisait mal en plantant une de ses cornes sur un petit rocher.

Les Ungors fuyaient à toute vitesse. Ils avaient abandonné le combat sitôt que leur gros allié s’était effondré. Darmalion était par terre. Il se sentait étrangement… Plus calme que d’ordinaire. Un peu assommé. Il avait très envie de dormir.
Il tentait de bouger son bras gauche, mais il refusait de répondre. Il tenta de se relever, mais il aperçut comme l’un de ses sabots s’était déchiré.
Il leva les yeux vers Ohrein. La magicienne pleurait. Elle pleurait comme une chochotte. Du sang coulait en grande quantité sous elle. Elle croisa son regard.
Et là, Darmalion avait gagné :
Parce qu’elle était faible. Parce qu’elle était minuscule. Parce qu’elle refusait de terminer ce qu’elle avait commencé elle-même. Elle n’était pas une servante de Khorne. Elle ne le serait jamais. À la place, de la morve dégoulinant de son nez, elle appelait à l’aide, obligeant déjà la folle et sa peluche à chercher des bandages pour l’empêcher de s’effondrer d’une hémorragie.
Peut-être avait-il envie de rire.

Le guerrier à la hache lui donna un coup de pied dans la bouche pour le forcer à se retourner.
Il leva son arme bien haut.
Et d’un coup sec, bruyant, il lui éclatait le crâne, souillant sa lame de morceaux de cervelle.

Khorne ne s’occupe pas de savoir d’où le sang coule ; Simplement qu’il coule.

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