« Vos désirs sont des ordres, maîtresses… Mais je dois avouer que ça me fait mal de maltraiter une pauvre bête qui a rien demandé. »
Rekhilve, qui mit également le pied à terre, paraissait elle franchement soulagée. Elle tira sur les rênes de sa monture pour l’amener un peu à l’écart afin de la camoufler.
« Tu sens de la pitié pour des canassons, Kehem ?
– Ce sont de nobles et gentilles bêtes. Sacrément loyales également.
– Ils sont grands et ils sont moches. Je perdrai pas de sommeil sur leur sort, pour ma part.
– Parce que tu perds du sommeil pour quelque chose ? »
Rekhilve ne répondit pas. Tout le monde s’équipa, l'Ombre ramassant quelques haches de jet, Kehem préparant la poix et le petit briquet à silex qu’ils avaient trouvé dans les sacoches, et après s’être rapidement organisés, ils purent se séparer en deux groupes.
« Fait gaffe à tes fesses, Kehem. Tu restes bien planqué le temps que les grandes personnes s’occupent du vrai boulot. On aura besoin de toi en vie.
– C’est comme si c’était fait, Rekhilve. Tâche toi aussi de continuer à respirer, ta sale tronche me manquerait si tu devais mourir ! »
Les deux se firent un rapide geste de la main, puis l’Ombre fit un signe de tête au capitaine tandis qu’elle commençait déjà à trotter à flanc de falaise.
« On va descendre à pic, mais je vais vous filer un coup de main.
Par ici, patronne. »
Si Rekhilve n’en menait vraiment pas large à dos de cheval, tout était différent sur un bout de falaise. Elle ressemblait à ces chèvres qui défiaient toutes les lois de la physique pour remonter une pente entièrement verticale ; Si elle n’était pas là, probablement qu’Akisha aurait préféré prendre un chemin bien moins accidenté. Mais voilà, l’Ombre parvenait toujours à trouver une prise plutôt solide au milieu du calcaire, et se retournant parfois pour tendre sa main à sa maîtresse, elle parvenait à la guider et à la soutenir pour passer d’un coin à un autre, sans risquer de se casser le cou.
Toute insupportable que Rekhilve avait pu être sur le navire, elle semblait véritablement tenir à la survie de son capitaine. Probablement plus par conscience professionnelle qu’autre chose.
Finalement, les deux Elfes parvinrent à atteindre le sous-bois. Elles dégainèrent leurs lames, et, se penchant légèrement, remontèrent lentement de tronc en tronc, de couverture en couverture, pour apercevoir les tentes bien plus proches.
Rekhilve posa un genou à terre. Elle dégaina une de ses lames, ainsi qu’un petit flacon qu’elle dévissa avec son pouce. Elle fit couler de nombreuses gouttes tout le long de la lame, et, avec de grandes précautions, utilisa un petit linge enroulé pour mieux l’enduire. Elle jeta ce linge au loin, en faisant bien attention qu’il n’y en ait pas sur ses doigts.
L’Ombre n’avait pas de leçons à offrir à Akisha sur les poisons. En tant qu’aristocrate de la société de Naggaroth, la fille Drakilos savait comment ses congénères affectionnaient particulièrement les divers produits qui servent à assassiner un rival avec quelques gouttes traînantes au fond d’un verre. Rekhilve devait probablement utiliser des toxines moins élégantes. Le genre qu’on utilise pour vaincre des bêtes bien plus imposantes et puissantes que soi.
Des bêtes humaines, comme les singes qu’elles se préparaient à attaquer.
« On attend plus que Kehem, maintenant... »
Elles attendirent un petit moment. Mais elles savaient être patientes.
Après une bonne quinzaine de minutes, il y eut un hennissement terrible. Et, comme Akisha l’avait ordonné, un cheval enflammé sorti de nulle part, hurlant de toutes ses forces, passant tout proche du campement.
Les Norses autour d’un feu de camp se levèrent en saisissant leurs armes. L’un d’eux attrapa une esclave par le bras, et la balança vers une tente en criant. Puis, il donna des ordres à ses hommes, et deux d’entre eux le suivirent pour courir hors du camp.
« Au travail... »
Rekhilve fit signe à Akisha de la suivre. Lentement, elle courba son dos pour contourner la tente dans laquelle s’étaient réfugiés les deux esclaves. Les Elfes tombèrent sur un Norse grognant. Akisha pouvait noter comme ceux-là étaient mieux armés que les patrouilleurs sur lesquels ils étaient tombés : Loin d’avoir de simples fourrures, ces maraudeurs-là étaient équipés de gros gilets mêlés à de la maille. Plus grands, portant des haches de meilleure facture, ils devaient peut-être constituer une sorte de garde rapprochée.
Les prendre par surprise avait probablement été une meilleure idée que de les attaquer avec des Corsaires.
Rekhilve attendit patiemment que le gros maraudeur penche la tête pour regarder quelque chose. Elle se jeta sur lui, à toute vitesse, afin de l’empoigner. Elle lui planta sa dague dans la gorge, et l’ouvrit. Le poison dût faire un effet bien plus important que la simple taillade, car il s’effondra bien vite dans les bras de l’Ombre. La meurtrière ne le jeta pas sans ménagement, mais elle l’accompagna dans sa chute, et le fit rouler au sol presque tendrement, peut-être afin qu’il ne fasse pas de bruit en s’étalant au sol.
Rekhilve fit signe à Akisha de la rejoindre. Deux maraudeurs leur tournaient le dos. Elle fit signe à Akisha de prendre celui de gauche, et elle-même, s’accroupit pour approcher de celui de droite.
Rekhilve murmura une prière à Khaine. Puis, les deux fondirent sur les Maraudeurs pour les taillader. Akisha attrapa le gros homme plus grand et plus épais qu’elle, et le fit tomber en arrière, planta son cimetière à travers sa gorge. De gros yeux écarquillés l’observaient. Le Norse qu’elle empoignait tentait de bouger dans tous les sens, posa une grande main contre son visage pour tenter de l’éloigner. Mais il ne parvint pas à se dégager. Avec toute sa force, Akisha parvint à le maintenir en place, contre elle, tandis qu’un geyser de sang coulait sur ses vêtements.
Après une bonne minute de lutte, il commença à s’affaiblir, et, entre ses bras, son âme quitta son corps. Imitant Rekhilve, Akisha n’eut plus qu’à le faire lentement tomber au sol, l’Ombre s’étant elle-même débarrassée de sa victime sans difficultés.
Elle fit un signe vers l’extérieur du campement. Les trois Norses éloignés s’agitèrent. L’un d’eux, criant, courrait vers le sous-bois.
Rekhilve chuchota à sa maîtresse :
« Ce crétin de Kehem a dû se faire repérer…
On peut aller l’aider ou bien on peut profiter de l’absence des maraudeurs pour fouiller le camp. Votre choix. »
Akisha regarda autour d’elle. Il y avait une des tentes où les deux thralls s’étaient planqués, ils n’avaient pas dû voir le triple meurtre qui venait d’être commis. À première vue, aucun indice particulier, rien de spécial. Elle voyait des vivres, des boucliers peints, des armes… Nul doute qu’il faudrait fouiller chacune des tentes, une par une, pour peut-être obtenir une trace de son père.