L’air frais de la nuit était ponctué de clameurs venant du Sud-Est, d’où une lumière vive éclairait encore le ciel sombre. Le froid mordant saisit notre héros, mais le kislévite était habitué à de telles épreuves, et en de telles circonstances l’adrénaline qui parcourait ses veines semblait l’immuniser aux éléments. Lovisa, Zack et leur allié s’éloignaient en direction de l’Ouest, lorsque derrière eux, dans l’écurie du jarl, un cheval hennit.
Lovisa et Zack avaient envisagé d’en emporter avec eux. Mais dans le feu de l’action, ils semblaient avoir oublié ou renoncé à ce plan. De toute manière, il était maintenant trop tard pour faire marche arrière. L’absence de chevaux leur donnerait cependant un avantage dans le village : celui de la discrétion.
Les secondes s’écoulaient, lentes, angoissantes, tandis que le groupuscule progressait, courbé en deux pour que leurs silhouettes soient les plus basses et les moins visibles possible. L’itinéraire choisi était de prendre plein Ouest en restant à couvert en longeant l’arrière des bâtiments Nord, et ce jusqu’à rejoindre la palissade extérieure au Nord-Ouest. Ensuite, ils iraient plein Sud jusqu’à la façade Sud du dernier bâtiment avant la mer, toujours en restant collés aux murs des maisons. De là, ils fonceraient droit sur l’embarcadère, et si les dieux étaient avec eux, surprendraient les gardes et feraient main basse sur un navire.
L’idée était de rester cachés le plus longtemps possible, même au prix d’un important détour, afin d’éviter que le village entier rapplique, sans quoi ce serait fini d’eux. Avec leurs choix, ils ne seraient visibles que très peu de temps depuis le centre du village, mais prendraient plus de temps. Cela serait-il payant ?
Lorsqu’ils arrivèrent à hauteur des maisons Ouest, un cri d’alarme résonna. Le feu semblait plus ou moins maîtrisé au Sud-Est, et c’était maintenant celui qui s’était déclenché chez Kjell Bras-de-Bronze qui était repéré ! Il y eut quelques instants de flottement durant lesquels la panique et la désorganisation semblèrent dominer, puis, presque immédiatement, quelqu’un dût calmer la foule. Une poignée de secondes plus tard, des clameurs féroces résonnèrent. On avait du comprendre que ces deux incendies presque simultanés n’étaient pas le fruit du hasard, et sans doute le vitki avait-il compris qu’il venait de se faire rouler.
Ce fut à peu près à cet instant que le trinôme remarqua l’irruption d’un second groupe de trois personnes qui fonçaient dans leur direction depuis le mur d’enceinte. A l’instar du leur, ce trio se composait de deux hommes, deux guerriers norses en armes, et d’une femme rousse vêtue d’une épaisse robe de laine bleu foncé et de fourrures, et ressemblant étrangement à Lovisa quoique sans doute légèrement plus âgée que cette dernière. Pas un des membres du groupe de Zack ne réagit agressivement en voyant les autres, et pour cause : s’ils avaient été des ennemis, les autres auraient depuis longtemps averti le village de leur présence.
Non, au contraire, ils convergèrent et arrivèrent ensemble au coin Sud-Ouest de la dernière maison avant la mer de ce côté du village. Là, les deux groupes se saluèrent d’un bref signe de tête, car le temps n’était pas aux présentations, aux explications, ou aux palabres. Il devint évident qu’il s’agissait des fameux renforts promis par Lovisa. Ils auraient tout le temps de faire connaissance ensemble sur le drakkar, si toutefois ils parvenaient à s’en tirer en vie.
Six personnes, en tout et pour tout, dont deux femmes et deux blessés. Ce n’était guère brillant. D’autant que les fuyards s’aperçurent que Wilhelm Lutz et Kjell avaient pris en main une traque méthodique dans village avec une poignée d’hommes, tandis qu’un autre groupe était affecté à l’extinction de la longère. Ils ratissaient pour l’instant encore loin, encore concentrés sur les maisons les plus au Nord du village, autour de la longère. Sans doute n’imaginaient-ils pas l’audace du plan de Lovisa : s’emparer d’un des drakkars. Il fallait aussi admettre qu’ils ignoraient qu’elle disposait de suffisamment de complices pour pouvoir en manœuvrer un, ce qui était une chance pour ces derniers.
Mais désormais, le Tokavaleskï et ceux auxquels il avait lié son sort n’avaient plus le choix. Ils n’avaient plus qu’une issue possible : la mer. Mais s’emparer des drakkars ne serait pas chose aisée. Comme Lovisa l’avait prédit, l’on remarquait facilement dans la nuit illuminée par l’incendie de la longère quatre silhouettes sinistres qui se tenaient debout sur l’embarcadère, deux par bateau : les gardes des drakkars. L’affrontement avec eux serait inévitable. Pour le groupe des renégats, il faudrait à tout prix s’en débarrasser au plus vite. Dès qu’ils entreraient en vue de ceux qui les cherchaient, ils seraient repérés et tout le monde convergerait vers eux. Ils n’auraient alors que quelques dizaines de secondes de marge devant eux, tout au plus. Leur seule et unique chance serait d’éliminer les gardes assez vite pour larguer les amarres de l’un des navires et s’échapper avant que les renforts ennemis n’arrivent.
Ce serait un combat à 6 contre 4 et avec l’effet de surprise, certes, mais un combat où le temps jouerait contre eux. Il serait indispensable de réussir un engagement parfait pour ne pas perdre une seule seconde. Car chaque instant comptait. Les précieuses secondes perdues dans la longère du jarl allaient maintenant se payer, et chacune vaudrait son pesant de sang. Avaient-ils fait le bon choix ?
Lovisa proposa un plan d’action simple et clair, tandis qu’ils avançaient courbés en suivant la façade du bâtiment puis la ligne de la mer. Les guerriers norses intacts passeraient en premier. Ils lanceraient leurs armes de jet, des haches et des javelots, puis chargeraient dans la foulée sans attendre de voir s’ils avaient touché. Quant à Zack et aux deux rousses, ils seraient juste derrière eux et monteraient sur l’un des bateaux dès que possible pour trancher ses amarres et l’éloigner du quai. Ils n’auraient de toute façon pas le temps de chercher à saboter l’autre drakkar. Zack disposant d’un arc, il pourrait aussi ouvrir le feu à plusieurs reprises, d’abord en même temps que les hommes norses lanceraient leurs armes, puis ensuite depuis le bateau, afin d’augmenter leurs chances de l’emporter rapidement.