La colonne de nains avançait lentement à travers l'épaisse forêt de pins qui marquaient la frontière hostile et glacée du Norsca. Le soir déclinait lentement à l'Ouest et le ciel prenait des teintes dorées zébrées par quelques fines lignes de nuages. L'air était déjà givré et le tapis de feuilles et de fougères commençait déjà à se cristalliser lentement, craquant sous les bottes des marcheurs fourbus dont l'haleine formait un petit nuage de vapeur à travers leurs barbes. Voilà deux semaines qu'ils avaient touché terre et foulé le sol gelé. Depuis lors, ils progressaient lentement à travers les forêts hirsutes, les vallées enneigées et les rivières agitées, en direction de Kraka Ravnvake. Leurs seuls guides étaient le soleil pâle sous ces latitudes, les étoiles quand la nuit le ciel était dégagé, et la boussole et les vieilles cartes d'Hitrik l'intendant. Ils suivaient en colonne de vieilles pistes oubliées et enchevêtrées qui serpentaient à travers ces étendues sauvages, dans cette zone transfrontalière entre le Pays des Trolls et le Norsca. Les journées étaient longues et fatigantes, silencieuse. Les soldats du Haut-Roi, dirigés par le Longues Barbe Thorak Grim'azul, avançaient en silence, sur leurs gardes en ces terres inhospitalières. Quand enfin ils montaient un campement pour la nuit, ils se pressaient contre des feux de fortune, emmitouflés dans des fourrures, tandis que les poneys renâclaient nerveusement. Durant leur longue marche vers l'inconnu, ils n'avaient rencontré que des animaux sauvages craintifs qui s'étaient enfuis à leur approche : lièvres roux, cerfs, parfois un loup. Mais quand le soleil tombait et que la nuit glaciale assombrissait la forêt, il était alors aisé pour les nains de sentir la corruption qui régnait en ces lieux. Ils avaient sans cesse l'impression d'être observés par des yeux vicieux et nocturnes, quelque part caché dans les rochers autour d'eux. L'air était lourd, chargé de froid et de malsaines effluves et parfois, lorsque le vent cruel se mettait à souffler et à se faire courber et craquer la cime des pins, il était possible d'entendre l'insupportable murmure des voix du Chaos, crachées depuis le Nord, qui s'infiltraient dans votre tête pour y frapper des lettres cruelles.
Et quand enfin le matin se levait, la troupe se remettait en marche sans un mot, engourdie et n'ayant qu'en réalité peu dormi. Les visages burinés des hommes de Thorak étaient fatigués et sales, leurs barbes emmêlées et pleine d'aiguilles ou de feuilles. Ils portaient de miteuses fourrures rapiécées par dessus leurs armures et marchaient la tête mais l'oeil vif, la main jamais loin de leur arme, sur un qui-vive constant et épuisant. Au milieu de la colonne progressaient les poneys de bât guidés à la longe, protégés du froid par leur pelage épais. Ils portaient sur le dos, sanglés, les caisses de vivres et les fournitures des nains. Mais s'ils résistaient avec courage aux température et aux assauts du vent, ils semblaient dans un état de constante nervosité, les naseaux dilatés et renâclant souvent, comme si leur sixième sens animal leur faisait ressentir la nature viciée de ces forêts. Leurs petits sabots fendus par les jours de marche inlassable frappaient le sol gelé en soulevant quelques mottes de terre fraîche, produisant un monotone "cataclop" rythmant la marche.
En plus de ces guerriers, Thorak Grim'azul était suivis de ses compagnons d'aventure. A ses côtés marchait Bartam le ranger, emmitouflé jusqu'au cou dans une épaisse fourrure d'ours, sa lourde arbalète passées dans le dos. Il scrutait les bois d'un oeil sombre, les traits tirés, et jurait continuellement dans sa barbe à voix basse, grommelant et grognant avec mauvaise humeur. Il maudissait le froid, le vent, cette forêt hostile, ses pieds qui le faisait souffrir, cette mission et même les dieux du panthéon khâzalid, bien qu'il s'excusait à chaque fois à voix basse en décochant une nouvelle bordée de jurons à faire rougir un Tueur. Non loin derrière suivait le Fou. Lui restait impassible et silencieux, vêtu d'une simple armure en cuir et visiblement nullement dérangé par le froid. Son regard perçaient frénétiquement les bois alentours et la hache du Sergent Poingd'acier ne quittait jamais sa poigne. Son visage marqué par la torture et ses yeux grands ouverts n'exprimaient qu'un état de transe silencieuse et dérangeante auquel Thorak s'était finalement habitué. Hitrik l'intendant marchait quant à lui à côté du poney transportant le coffre transportant l'or et les gemmes du Haut-Roi, supposé financer l'expédition, ainsi que la missive royale adressée aux Nains du Nord. Il marchait la mine basse et sombre, les mains fourrées dans les manches de sa tunique, enfermé dans une lourde cape en fourrure de loup, traînant des pieds. Il fumait de temps en temps sa pipe sans décrocher un mot, visiblement atteint par l'humeur morose et fatiguée qui fauchait toute la troupe. Egill le Norse, quand à lui, aussi grand et fort qu'il fût, était toujours faible suite à sa proximité avec la malepierre, dans les tréfonds de l'Ungruvalk. Il était étendu sur un brancard de fortune tiré par l'un des poneys, et recouvert d'une épaisse fourrure. Quand bien même il régnait un froid glacial, son front était constamment perlé de sueur et le guerrier norse passait de période de lucidité végétative en crise de folie, les yeux révulsés et le souffle court. Ses nuits étaient agitées et il semblait lutter, couché sur son brancard, pâle, les paupières frémissantes et ses lèvres se mouvant dans sa barbe pour prononcer des mots inaudibles. Cependant il semblait s'attacher à la vie et tâchait de causer le moins de désagréments possible, bien conscient moral rongé des nains.
Le Longue Barbe avançait parmi ses hommes, son fidèle marteau de guerre passé à la ceinture, les épaules couvertes par une lourde fourrure d'ours recouvrant sa cuirasse. Son cor de guerre sculpté frappait contre sa ceinture à mesure qu'il marchait et son casque en cuir et en métal était recouvert d'une fine pellicule de givre, tout comme sa barbe fournie. Il dirigeait sa troupe à travers cette forêt lugubre avec autorité, mais malgré la fidélité de ses hommes il sentait que leur moral était au plus bas. Quand, pensif, il observait ses guerriers monter le camp, il ne voyait que fatigue morose et épuisement gelé. Il n'en perdait pas pour autant de vue la mission que le Thane Aeric lui avait confié il y a maintenant plus d'un mois au sein de Karaz-a-Karak, sur ordre du Haut-Roi lui-même. Il devait mener cette troupe esseulée jusqu'aux citadelles de leurs cousins du Nord pour leur remettre la missive de Thorgrim le Rancunier. Il devait revenir avec la promesse que les nains du Norsca enverraient des renforts au sud pour soutenir l'Empire Eternel dans ses effort pour reconquérir les forteresses perdues et sa lutte contre les envahisseurs souterrains. Et la loyauté et l'honneur qui animaient le Longue Barbe le poussaient à continuer son voyage vers le Nord glacé, en essayant de surmonter les épreuves auxquelles ils avaient dû faire face. Renato le marin tiléen leur avait assuré qu'ils seraient attendus à Erengrad, la cité portuaire kislévite. Encore restait-il à ne pas se perdre dans ces montagnes sans fins qui se dressaient à l'horizon et au coeur des forêts lugubres qu'ils traversaient, et à prier pour que les nains du Norsca habitent encore leurs forteresses de pierre gelées.