« Ton manque de courage me consterne, nous avons avec nous l’un des plus grands guerriers qui soit, un champion choisi par la Dame. Je pense sincèrement qu'à lui seul il pourrait nettoyer l’endroit. Mais c’est notre devoir de l’assister, d’être à ses côtés. Je ne vais pas me bercer d’illusion sur la raison de ta demande, car je n’en ai pas envie. »
Le plus vétéran de tous enlève alors son sac par la bandoulière avant de le poser au sol. Il commence à fouiller dedans, secouant quelques affaires personnelles et utiles, avant de poser la main sur quelque chose. D’un mouvement lourd, il soulève un orbe de fer noir. Dessus, un bout de ficelle, semblable à une minuscule corde en chanvre, semble rentrer à l’intérieur. À côté, une pierre noirâtre, en silex, attend son heure. Il la fait bondir sur sa main, avant de la tendre vers celui d’Aquitanie.
« Ceci, Arnaud, est une bombe, une arme de destruction redoutable que nos marins et corsaires adorent utiliser. C’est de la poudre à canon, à l’intérieur. Ça explose, et ça fait boum, comme le tonnerre. Pour l’utiliser, il faut la poser à l’endroit escompté, et allumer la mèche avec, par exemple, le silex. Après un court instant, tu as intérêt à être loin, ou sinon tu vas devenir une flaque liquide de merde et de sang.
Mon ordre est le suivant, tu prends la bombe, et tu vas descendre la pente quelques centaines de yards à gauche. Tu vas ensuite te rendre à l’autre pente, que tu vas grimper. Quand tu seras au-dessus du camp des orcs, tu placeras la bombe près d’un endroit fragile et instable. Tu devines la suite, et puis…
Et puis tu te démerdes hein ! Tu veux pas te battre ? Soit, mais t’as sacrément intérêt à faire ça bien. Hors de ma vue, on en rediscutera plus tard.»
Équipé de la sphère mortelle, le jeune forestier prend ses affaires, et n’ayant pas d’autres choix d’obéir, repart en arrière. Avec prudence, il descend de la pente, parfois sur ses pieds, parfois sur ses fesses. Une petite montée de poussière le suit, lui causant une légère irritation des yeux et de la gorge. Arrivé en bas de la vallée, un petit reste de cours d’eau desséché et verdâtre se meurt. Une odeur horrible d’urine et de défections lui fait presque vomir son repas matinal. Il devine sans difficulté comment les peaux-vertes locales évacuent leurs déchets. Il est presque étonné de ne pas voir plus de restes, comme dans une tanière de loups par exemple. À croire que les orcs et gobelins n’en laissent pas…
Motivé, par une force qu’il ne pensait même pas posséder, le jeune pèlerin escalade à toute vitesse la colline. Il bondit de flanc en flanc, sans perdre un seul instant. Il évite les endroits escarpés, les pierres peu ancrées, et les racines mortes. En quelques instants, il a parcouru plusieurs dizaines de yards d’un dénivelé très fort. Lui qui est forestier, est peut-être plus montagnard dans l’âme. Désormais arrivé à la bonne altitude, il observe rapidement ses environs directs.
Un infâme fumet de viande carbonisée remplit l’air local, il remarque la source de cette fumée. Au-dessus du camp des monstres, un énorme rocher circulaire, taillé, se tient seul et fièrement. Cette pierre, transformée à coup de poinçon, ressemble à un orc chauve aux dents particulièrement grandes. Deux torches hautes se tiennent allumées devant lui. Dans sa gueule, des dizaines de crânes humains lui servent de repas. Derrière lui, des piques plantées au sol arborent des têtes décapitées, enfoncées dessus. Elles ont encore de la chair et des cheveux, elles sont ici depuis peu. Pour ajouter au macabre, des porte-étendard ont remplacé les drapeaux pour des cadavres, les membres ayant été arrachés. Véritable autel de la mort et du carnage, Arnaud d'Aquitanie vient de découvrir comment les orcs rendent hommage à leur cruels dieux.
Cependant, il n’oublie pas son objectif. Près de cette construction, la descente correspond à ce qu’il cherche. Le versant a probablement été affaibli par le poids de l'œuvre sinistre locale, un coup de chance. Cependant, alors qu’il s’approche un peu à pas de loup, il voit des mouvements tout près. À côté du monument lugubre, deux formes humanoïdes se tiennent debout. Les deux, un peu plus petits que des hommes, ont la peau verdâtre. Leurs nez sont ridiculement longs, et leurs oreilles sont aussi pointues que des couteaux. Ils portent des fourrures, mélangées à des habits sur lesquels des bouts de métaux ont été accrochés maladroitement. Deux petits boucliers de bois, ainsi que des lances tordues leur servent d’armes. Ils discutent dans une horrible langue, similaire au bruit d’un homme avec un terrible mal de gorge. Il se rappelle d’avoir déjà entendu parler de ces créatures, ce sont des gobelins.
Perturbés par la présence des deux gardes, l’infiltrateur oublie de camoufler sa présence. Malgré le manque d’attention des deux gobelins, l’un d’eux se tourne dans la direction générale du Bretonnien. Il se met à genoux, évitant de justesse d’être tout de suite vu. Celui avec un casque prononce avec fiel les mots suivants.
KIWIQWA ? POA-KÉ !
Bien qu’il ne parle pas leur langue, si tant est que ce soit une langue, il devine la suite. Les monstres petits mais pas tant que ça commencent à se diriger vers lui. Il y a encore deux douzaines de yards entre eux. Le terrain n’est pas plat, il peut donc essayer de se déplacer sans être repéré, mais cela est risqué. Il peut fuir, mais cela implique le déshonneur. Mais est-ce que l’honneur à une véritable valeur quand on est dans le royaume de Morr ? Il peut tenter de se battre, il a ses armes avec lui, mais ils sont deux et lui seul. Il a un objectif, mais est-ce qu’il veut l’accomplir ? Si oui, comment ? Le temps passe très lentement, il sent son cœur battre un peu plus vite et ses muscles se tendre.