[Régil et Arnaud] La route rend libre

La Bretonnie, c'est aussi les villes de Parravon et Gisoreux, les cités portuaires de Bordeleaux et Brionne, Quenelles et ses nombreuses chapelles à la gloire de la Dame du Lac, mais aussi le Défilé de la Hache, le lieu de passage principal à travers les montagnes qui sépare l'Empire de la Bretonnie, les forêts de Chalons et d'Arden et, pour finir, les duchés de L'Anguille, la Lyonnesse, l'Artenois, la Bastogne, l'Aquilanie et la Gasconnie.

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[MJ] La Fée Enchanteresse
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[Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

Lorsque Taal épousa Rhya, et qu’ensemble, ils clairsemèrent les forêts, bêchèrent la terre et mirent les animaux en enclos, ils firent de l’Aquitanie le plus beau pays du monde — cela, Régil et Arnaud en étaient persuadés. La terrifiante famine, et la terrible peste, ça n’existait que dans les contes que les aînés racontent au coin du feu ; dans leur province, le terroir est riche, les récoltes abondantes, les animaux pâturent sur de l’herbe grasse et on fait pousser du bon froment qu’on vend aux villes, avec lequel on touche de l’argent à la foire deux fois l’an ; c’est une vie difficile d’être paysan, une où on se casse le dos, où on vit nez au vent, et on apprend vite à tenir son rang et baisser les yeux. Mais il valait certainement mieux être paysan dans la terre du Compagnon Frédémond que n’importe où ailleurs. Dans leur village, il y avait un moulin, une église en pierre pour honorer Shallya, et le château d’un seigneur — qu’exiger de plus ? Ce n’était pas une terre de cocagne, mais c’était leur paradis.

Malheureusement, Arnaud avait tué quelqu’un, et depuis une semaine, les deux frères commençaient à quitter leur humble paradis, en marchant dans les empreintes laissées par les sabots d’un lourd destrier de guerre…

Arnaud et Régil avaient passé la nuit à dormir à la belle étoile, comme lors des veillées les soirs d’hiver. Blottis l’un près de l’autre, pour conserver le plus de chaleur possible en cette toute fin d’hiver, ils s’étaient couchés sous un ciel noir parsemé d’étoiles, tout habillés, chaussures comprises, sous une grosse couverture en laine grattée fort inconfortable, mais qui les garda du vent et du froid. L’avantage, de dormir dans le grand pays ouvert d’Aquitanie, c’est qu’on n’a pas peur des monstres de la forêt — cette peur humaine, instinctive, naissante dans tous les esprits des hommes qui s’aventurent au cœur du domaine de Taal, où règne le loup, l’ours, et les sorcières, elle est éloignée dans un pays qui a été domestiqué de force par l’homme. Les arbres qui demeurent, les pommiers et les chênes, ils sont bien alignés, entretenus, clairsemés, plantés pour maximiser le rendement du bois d’œuvre et des fruits, en évitant le danger des feux de forêt. Les deux frères avaient pu se permettre le luxe immense de faire un feu de petit bois et de cailloux avant de sombrer entre les bras de Mórr, et alors que leurs yeux s’ouvraient légèrement, ils pouvaient voir un peu de fumée noire s’échapper de quelques brindilles calcinées.

Il était encore très tôt — cinq heures, peut-être. L’hiver mourant, Ulric abandonnait petit à petit son emprise sur le monde, et si l’équinoxe n’était pas encore arrivé, on observait bien que les nuits se faisaient de plus en plus courtes.

Ils eurent à peine une ou deux minutes pour se réveiller paisiblement. Car ensuite, ils entendirent des bruits de pas, et Arnaud put sentir un gros coup de pied frapper son mollet sous la couverture. Et une grosse voix bien guttural à présent familière qui se mit à gronder :

« Lève ton cul, paria. Fais-nous à bouffer. »
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Émile Beau-Sourire, pèlerin exalté de Bretonnie — il avait une énorme dent contre le-dit Arnaud depuis l’heure même où il avait rejoint le chevalier du Graal. Un petit bonhomme qui devait faire 1m60, bien moins costaud que Régil, il paraissait bien incommode, avec sa dentition éclatée et son gros nez gonflé, probablement par de gros coups reçus à la tête.

Comme chaque maintenant depuis huit jours, c’était à Arnaud et Régil qu’incombait le job de préparer la popote avant le réveil des autres. Il leur fallait chercher du bois mort tombé par terre (Car cueillir du bois d’un arbre sain était un crime puni par les seigneurs), sortir la vaisselle, et faire chauffer le grain et les légumineuses pour préparer une bouillie assez insipide mais nourrissante. Le repas serait probablement prêt dans une heure, lorsque le soleil commencerait enfin à réchauffer leurs os ; au moins, l’exercice ne ferait pas de mal.

Le temps de se réveiller et de rassembler leurs affaires, ils purent voir celui qui, comme d’habitude, avait été de corvée pour surveiller le campement.
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Bruno. C’était tout ce qu’ils savaient du gars, son prénom. Un type patibulaire, oreilles décollées, laid, chauve, avec des scarifications partout sur son visage, il passait toutes les nuits avec sa brigandine à rester un peu à l’écart de la tente, la charrette, les montures et les sacs de couchage composant le maigre campement. Savoir que ce grand muet qui clignait presque pas des yeux les surveillait pendant qu’ils dormaient n’était que modérément rassurant.

Les deux frères s’éloignèrent du camp. Ils en revinrent bien vite, grâce à Régil, qui eut la bonne idée de suivre un petit sentier de sapin, parsemé de petit bois qui servirait très bien. Ils purent donc retourner après un quart d’heures, et se mettre à la tâche, tout en découvrant leurs deux derniers collègues réveillés qui eux aussi, s’étaient mis au boulot.
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Pierre Bigleux, celui qui avait un œil qui disait merde à l’autre, était en train de brosser les quatre chevaux du campement : un poney hobby tout trapu, une haquenée grise, un joli palefroi bai, et surtout, le plus impressionnant des montures, un énorme destrier aussi grand que large, qui avait en un seul jour de repos complètement avalé toute l’herbe autour de la tente de son maître, sans éprouver la moindre satiété, vu comment il dévorait les carottes que lui tendait le Bigleux à même la main, manquant de lui arracher quelques doigts.

Pierre Bigleux salua les deux frères d’un hochement de tête, même si on ne pouvait trop dire lequel des deux il regardait. Les poings sur les hanches, il parla avec une voix nasillarde de canard :

« Céti qu’ça va être une belle journée aujourd’hui ! Ouaip ! Va pas pleuvoir aujourd’hui ! On va p’têt même suer aujourd’hui, qu’je dis ! Z’en pensez quoi ? »

Il était gentil et amical. Il y a deux jours, alors que lui et Régil avaient passé toute une soirée à rire et se raconter des blagues, cette teigne d’Émile était venu dire en secret au jeune homme que Bigleux était en pèlerinage parce qu’il avait jeté le nouveau-né de sa femme dans un puits, en apprenant qu’elle l’avait fait cocu — pour une étrange raison, le chef des pèlerins avait eut un terrifiant sourire éponyme après avoir raconté cette « anecdote » à glacer le sang.

Luc, lui, se chargeait de brosser et curer les sabots du mulet et de l’âne qui tiraient la charrette ; un joli wagon à quatre roues, dans lequel on stockait du matériel, deux tonneaux, des sacs, et du fourrage pour la petite troupe de chevaux. Alors qu’on était encore aux aurores, le voilà qui dégoulinait de transpiration, si bien que ses cheveux formaient des épis moites.
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Un tout petit gamin timide, qui disait avoir quinze piges, Luc était tout maigre, même ses haillons paraissant trop grands pour lui. Il ne déméritait pourtant pas par le boulot, et il ne s’était jamais plaint. C’était un bon dévot, bon croyant, bon bosseur, qui avait même fait des grands yeux apeurés quand un jour Bigleux avait proposé un jeu de cartes aux deux frères pour briser la glace — il tenait les cartes pour un instrument de Ranald, Dieu des filous et des cambrioleurs, et un mauvais esprit à ne pas trop tenter en se reposant sur sa fortune.

« Oh, Régil ! T’as besoin d’aide, je peux faire quelque chose pour toi ? »

Les deux frères ne lui avaient pas posé la question qui pourtant était évidente : Pourquoi était-il en pèlerinage, lui ?


Émile, Bruno, Pierre et Luc étaient quatre mauvais hommes. Tous les quatre laids, pauvres, avec des bottines fendillées et des bandes molletières pour protéger leurs pieds aux ongles couverts de crasse. Ils parlaient mal, ils puaient la boue et la sueur, et ça faisait longtemps qu’ils n’avaient même pas passé de sauge sur leurs dents pour les entretenir. Ils avaient ces têtes de fanatiques, d’ermites hirsutes qui font pleurer de peur les tous jeunes enfants.
Ils étaient les vrais croyants. Chaque soir, Émile Beau-Sourire leur demandait de s’agenouiller devant lui, et il ouvrait son livre remplit de petites images dessinées, et il racontait les histoires de preux chevaliers et de jolies damoiselles qui tuaient les Gobelins, les Orques, les Vampires, et les serviteurs des Dieux Noirs. Et il racontait comment les gentils gagnaient toujours à la fin, que les méchants étaient détruits par le chevalier Vert et les esprits vengeurs de la forêt sacrée de Loren, et que la Dame du Lac ne laisserait jamais une veuve, un orphelin, ou un pauvre homme subir l’injustice — sous peine de châtier le mécréant.

Aujourd’hui, ils étaient devenus les compagnons d’Arnaud et Régil, au moins jusqu’à ce qu’ils aient réparé leur crime envers les lois du Roi Louen. Peut-être que le tribut serait le repos éternel, dans un jardin de Mórr le Veilleur.



Une heure plus tard, et le soleil commençait enfin à bien se lever. Alors, la seule tente du campement s’ouvrit. Régil et Arnaud purent trembler un instant, mais il n’en était rien. C’était les deux compagnons de la suite qui venaient chercher leur pitance ; Un jeune homme et une damoiselle un peu plus âgée, qui eux étaient bien habillés, avec des visages aimables à regarder.

Le garçon, qui devait avoir l’âge d’Arnaud, s’appelait Ingram Maltravers, et il était un jeune page au service de son maître — et probablement quelqu’un de sa famille, ce qui lui donnait une espèce d’aura aux yeux des pèlerins.
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La fille, qu’on nommait Lucie Deschênets, portait un long mantel, avait, comme d’habitude, relevé la capuche du vêtement, de manière à couvrir ses cheveux roux — c’était important, car dans la culture Bretonnienne, la chevelure est le plus bel attribut des femmes, et celles qui vont tête-nues sont ou bien les enfants, ou bien les courtisanes aux mœurs volages.

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Elle était dans une étrange compagnie, entourée d’hommes qu’elle était ; Arnaud et Régil savaient que la place d’une femme était auprès de son père, puis auprès de son mari, à qui elle devait une obéissance totale, car c’était un commandement de la Dame elle-même qui avait organisé la société ainsi. Il n’y avait que les prêtresses qui échappaient à cette règle, et c’est ce qu’elle était : au procès d’Arnaud, elle avait sorti un grand ouvrage et un encrier, et avait rédigé le procès-verbal. Son amulette autour du cou était celle d’une chouette, car elle était une sœur régulière du culte de Véréna, la Déesse de la justice et des lois.


Ingram et Lucie ignorèrent royalement Arnaud et Régil. Les deux, de sang bleu, fils et fille de chevaliers, ne regardaient même pas dans les yeux les deux pèlerins, et ne leur parlaient jamais directement. Il n’y eut pas un « merci », pas même un hochement de tête en guise de courtoisie, lorsque les deux paysans remplirent une assiette pour chacun et leur tendirent. En fait, quand le page Ingram planta sa cuillère dans le plat et en mangea une bouchée, il fit le même commentaire qu’il avait fait tous les matins au cours de toute la semaine :

« C’est répugnant. Il faudra rajouter du sel la prochaine fois. »

Lucie claqua des doigts ; c’est ainsi qu’elle appela Émile, comme on faisait avec un chien. Beau-Sourire s’approcha et s’inclina légèrement.

« Ma sœur ?
– La prochaine étape, c’est le château du sire Desroches — il est un comte d’Aquitanie, qui a un siège au conseil de Son Altesse. Je compte sur une discipline irréprochable de la part de tes pèlerins.
– Aye, ma sœur.
– Fais qu'ils lavent leurs pieds et cachent leurs visages sous des chaperons ; et qu’ils se tiennent très éloignés du seigneur, ils n’ont pas à lui faire honte.
– Bien sûr, ma sœur. Ils seront lavés et, heu… un p'tit peu plus présentables. »

Lucie hocha de la tête, puis leva fièrement son menton et s’éloigna avec Ingram pour qu’ils mangent ensemble près de la tente, sans avoir à souffrir de la proximité des pèlerins. Émile foudroya du regard Arnaud, comme s’il était le seul responsable de son état — difficile en fait de rester propre quand on passe ses journées sur les routes, à constamment bosser puis dormir en plein air. Même les paysans, contrairement au stéréotype, comprennent l’importance d’avoir un minimum d’hygiène, leur triste état était imposé par leur nouvelle vie.


Le tissu de la tente bougea un tout petit peu. Et cette fois, Régil et Arnaud eurent une très bonne raison de trembler, pour de vrai.

Le chevalier venait de se réveiller.
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Un homme gigantesque, plus grand que tous les autres voyageurs, il alla dehors en tenue de nuit — il n’était vêtu que d’une grande chemise qui tombait jusqu’à ses genoux, et le voilà qui s’étirait comme un chat en levant bien les poings au-dessus de la tête. Il bailla, se gratta le ventre, et regarda le soleil avec un petit sourire.
Barbu, chevelu, avec une belle physionomie d’un homme qui mange très bien et se dépense pour ne pas finir empâté. Un Impérial aurait probablement juste vu un bel homme, et rien de plus.

Mais cette personne était un chevalier qui avait bu le Graal. Il était un de ces héros de romans, capable de tuer des Orques et des Hommes-Bêtes par centaines, contre qui la sorcellerie n’avait aucun effet, pas plus que les murmures des démons — un sur-homme, qui pouvait résister à la corruption, au froid, à la faim et à la soif, qui encaissait les blessures qui tueraient les hommes moins excellents que lui. Un paladin de la vertu, qui défendait les dames, et qui était le digne héritier du temps de Gilles le Breton, où les vraies lois de la chevalerie étaient le début et la fin de tous les commandements du pays.

Il s’appelait Rorgues de Vouvant, et il était justicier du duc Armand d’Aquitanie. Et là, il s’approchait du petit feu sur lequel Régil avait cuisiné la popote, et, avec une voix grave de grand bonhomme, il n’émit qu’une simple suggestion.

« J’ai la gorge sèche — j’aimerais bien un verre d’eau. »

Jets d’endurance :
Arnaud : 4, la nuit s’est très bien passée pour toi
Régil : 12, tu te réveilles un peu ensuqué avec la nuque qui te fait mal — mais ça va, pas de malus.

Jets de fouilles :
Arnaud : 11, échec
Régil : 1, réussite critique — grâce à toi, la popote sera rapide à faire.
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Arnaud d’Aquitanie
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par Arnaud d’Aquitanie »

Son regard hautain lui donnait envie de vomir. Il avait beau se pavaner dans ses attirails et dans sa fausse modestie, Arnaud n'était pas dupe. Il avait enfin une piste entre les doigts. C'était sûr, c'était obligé ! S'il refusait de lui dire quoi que ce soit, c'était qu'il savait forcément quelque chose. Il voulait jouir de son minable avantage pour étaler son statut sur lui. À quel point il était intouchable. Arnaud serra les dents de rage. Il n'allait pas le laisser s'en tirer ainsi. Empoignant fermement le col de la veste de haute couture de ses mains sales. Il tira de toutes ses forces, pour que ses yeux rageurs puissent confronter ceux du ménestrel. Il arracha à sa ceinture un couteau de chasse qu'il avait hérité de son père. Il plaqua la lame sur la gorge de l'homme qu'il tenait entre ses mains.

- S'tu crois t'en tirer, s'tu ne veux pas parler, j'men vais faire cracher des réponses à ta langue de vipère !

Sa lame s'enfonça lentement dans la gorge du barde. Arnaud attendait des réponses. N'importe quoi. Le barde lui répondit par des gémissements et plaintes, alors il pressa encore la pointe de sa lame, faisant perler lentement le sang de l'homme le long de son cou et souillant le haut de sa chemise. Arnaud afficha une grimace crispée. Les dents serrées comme s'il menait un véritable bras de fer. Les yeux injectés d'une rage aveugle trahissant un instinct des plus bas.

- Allez ! Parle ! Ou j'te crève comme un porc !

Lentement, mais sûrement, Arnaud égorgea l'homme dans le but de le faire parler, d'obtenir n'importe quoi. Un geste guidé par le désespoir, et ironique pour le ménéstrel dont le métier consistant à inventer des histoires, meurt dans l'incapacité d'en raconter une. Le regard d'Arnaud plongea dans les yeux du cadavre encore chaud et crispé dans une expression de terreur et de confusion.

« Lève ton cul, paria. Fais-nous à bouffer. »

La voix d’Émile Beau-Sourire l'arracha à son cauchemar. Il s'éveilla en sursaut, suant, les mains moites. A ses côtés, se réveillait Régil, son frère. Qui s'était porté garant pour lui. Si Arnaud était encore en vie à l'heure qu'il est, c'était sans aucun doute grâce à la dévotion et à la bonté de son frère. Il afficha une grimace désolé. Il avait beau être là de son propre chef, il n'aurait jamais fini ici s'il n'avait pas agi en imbécile. Il avait tant fait pour lui. Et tout ce dont il avait l'impression, c'est d'être un fardeau qui l'encombrait, au point qu'il ait sacrifié ce qu'il restait de sa vie. Condamné à marcher sur les routes, sans foyer, sans rien à se rattacher.

Il y avait bien la Dame. On peut pouvait toujours se rattacher à la dame. Arnaud passa ses doigts terreux sur son porte-bonheur. Remerciant la dame et sa générosité pour lui accorder une nouvelle chance. Une chance de se repentir à ses yeux et aux yeux de la Bretonnie. Mais lorsque son regard croisait celui d'Emile. Alors sa foi disparaissait pour laisser place à une froideur pragmatique et calculatrice. Ce pèlerin ne représentait pas la foi de la dame. Il ne l'incarnait en rien. C'est un homme à l'image d'une mouche attiré par le miel. Un parasite. Un misérable ver de terre prêt à se jeter à terre dans la direction du regard du chevalier juste dans l'espoir égoïste et pathétique d'être vaguement entraperçu. Il n'existe qu'au travers des autres.

Arnaud ramassa ses affaires avec Régil pour préparer la pitance du camp et ses besoins. Les chemins lui étaient inconnus et hostiles, le vent lui paraissait accusateur, la terre, prête à se dérober sous ses pieds. La chasse, qui est pourtant son domaine ne fut pas fructueuse. Et c'est encore une fois Régil qui lui sauva la mise. Même si le frère aîné n'en pensait rien, peut-être même qu'il n'y avait pas pensé du tout. Mais cette simple sortie prouva encore une fois qu'Arnaud représentait un poids conséquent pour sa famille et surtout son frère.

Ils étaient ainsi revenus au camp. Chargés de maigres victuailles pour sustenter tout le monde avec une pitance misérable. Du gruau cuisiné par Régil, nourriture et alimentation typique du paysan misérable qu'il était. Arnaud mangeait sa part avec les doigts, songeur et assailli d'idées noires. Il porta à sa bouche une gourde d'eau remplie il y a deux jours dans un puits. Elle avait un goût de terre. Une voix le tira de sa rêverie. Impossible de l'oublier. Impossible de l'ignorer. La voix du Chevalier Rorgues de Vouvant, justicier du Duc Armand d'Aquitanie se tenait à ses côtés. En égal, et demandait un verre d'eau. En égal selon lui, car jamais Arnaud n'aurait pensé voir le preux chevalier, cette icône de dévotion vivante partagée de son temps et sa présence avec les misérables de son espèce. Une véritable vertu d'Empathie. Un être proche de son peuple et à l'écoute de ses besoins. Son regard se porta sur sa gourde. C'était la seule source d'eau qu'il avait à disposition. Elle était d'une piètre qualité. Mais c'était la seule chose qui pourrait satisfaire les besoins du chevalier.

Arnaud s'agenouilla, portant la gourde ouverte de ses deux mains vers le preux chevalier, il évita de croiser son regard.


- Monseigneur, C'qu'j'ai que ça. Mais c'est un honneur de subvenir à vot' besoin. Tenez !

Il attendit ainsi, immobilisé, que le chevalier s'empare de la gourde.
Arnaud D'Aquitaine, Voie du Pèlerinage Bretonnien
Profil: For 9 | End 9 | Hab 9 | Cha 9 | Int 8 | Ini 10 | Att 10 | Par 9 | Tir 8 | Mag 0 | NA 1 | PV 65/65
Lien Fiche personnage: wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_arnaud_d_aquitaine

"…Tu offriras, à ton preux Seigneur le champart qu'il requiert,
Toujours, tu travailleras, hors les jours saints
Tu ne gardera pour toi et les tiens qu'un dixième des fruits de ton labeur
Et réjouis-toi, car un Chevalier de Bretonnie te protégera…"

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Régil d’Aquitanie
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par Régil d’Aquitanie »

Huit jours. Huit jours qu’ils étaient sur les routes et leur départ de leur village natal lui semblait déjà très lointain. Régil n’avait pas l’habitude de voyager autant, sa vie de paysan s’étant surtout limitée à ses champs et à leur entretien. Bien sûr, lorsqu’il était plus jeune, il lui était arrivé de se rendre en compagnie de son père observé de petits tournois organiser par des nobles locaux, où le petit peuple était accepté parmi les spectateurs. Il avait eu aussi l’occasion de l’accompagner dans des villages voisins, afin de faire la vente de ses récoltes, judicieusement gagnées à la sueur de son front. Mais c’était tout. En son for intérieur, il se réjouissait de pouvoir enfin quitter cette vie monotone, qui menaçait de le tuer d’ennui au moindre instant. Le travail de la terre ne l’avait jamais intéressé : il le faisait seulement parce que son père l'y avait formé et qu’il le devait bien pour subsister. Les terres étaient déjà défrichées et travaillées, le jeune homme aurait été bête de cracher dessus. Mais maintenant, c’était différent. Il avait enfin une occasion de prendre un nouveau chemin et de vivre sa foi à son paroxysme. Accompagner son frère, prétexte pour faire se lancer dans un pèlerinage, en était une bonne façon.

Leurs nouveaux compagnons étaient ce à quoi il se serait attendu de gens dépareillés qui suivaient un juge - et un chevalier du Graal en plus de cela; des criminels, des vauriens qui avaient commis un crime et qui espéraient obtenir le pardon en servant la Dame. En somme, des gens qui avaient subi le même sort que son frère. Au cours de ces huit longues journées, il apprit à les connaître, à en prendre certains d’affection et d’autres se méfier. Émile était quelqu’un de dur, cruel, qui semblait prendre un malin plaisir à tourmenter son frère. Il ne savait pas ce que celui-ci lui avait fait, mais il avait décidé de fermer les yeux sur ses agissements. Jamais il n’avait été dit que ce pèlerinage serait facile. Arnaud, son frère adoré, mais non moins stupide, avait commis un crime odieux sous l’emprise de la colère. Ainsi, il avait violé les lois, son sort était donc d’expier ses fautes. Tant que son petit jeu n’allait pas à l’abus physique, Régil n’interviendrait pas en sa faveur. Il l’avait déjà fait une fois, il ne le referait pas à la moindre difficulté. Cependant, il devait bien avouer que s’il avait encore été dans son village, une crevure comme Émile aurait eu tôt fait de terminer avec un poing dans la gueule. Le géant réussit cependant à ravaler sa fierté, car il savait qu’une sorte de hiérarchie s’était installée dans ce petit groupe de vauriens. Il connaissait la vie d’errance en compagnie d’un chevalier; cela voulait aussi dire qu’il connaissait ses dangers, ce qui était une bonne raison de l’écouter et de suivre son commandement.

Pierre était quelqu’un de sympathique, même si l’anecdote morbide d’Émile vint quelque peu entacher la vision qu’il avait de lui. Son action le dégoutait au plus haut point, mais le pèlerin n’oublia pas que le bigleux était là pour trouver sa rédemption, une chose qu’il admirait malgré tout. De nombreuses personnes auraient préféré fuir face à la menace d’un jugement, mais le voilà sur les traces d’un éminent chevalier, prêt à servir sa Dame. Ou peut-être se faisait-il des idées. Sa foi lui montait parfois un peu trop à la tête et il en oubliait qu’il avait à faire à des Hommes; des êtres prêts à mentir et à jouer à la comédie pour se sortir de n’importe quelle situation. Seul le temps montrerait s’il était vraiment sincère.

Le huitième jour, le réveil fur plutôt brutal. Régil avait mal dormi et le vacarme provoqué par l’algarade du chef de la troupe n’aida pas ce point. Encore que lorsqu’il était fermier, il avait l’habitude de se lever tôt, mais au moins il avait un lit à peu près convenable. En lâchant un bref grognement, il s'extirpa de sa couche afin de se préparer à la tâche qu’ils avaient gagnée dès le premier jour de leur « intégration » . Régil n’avait pas l’habitude de se plaindre des missions qu’on lui confiait et cette habitude il la garda. Il s’habilla et sans un mot s’engouffra dans la forêt voisine en compagnie de son frère, à la recherche de petits bois. Après quelques minutes de recherche, et ce en suivant un sentier de sapin, ils trouvèrent quelques branches éparpillées sur le sol qu’ils transportèrent jusqu’au campement, non sans croiser en chemin un petit autel de Shallya, sur laquelle reposait quelques maigres offrandes de voyageurs. Grâce à sa rapidité, ils purent rapidement mettre la popote sur le feu, afin que le repas soit prêt lorsque la suite du maître, et le maître lui-même, sortiraient de leur tente. C’est que eux n’avaient pas besoin de travailler très tôt le matin. Les nobles gens, surtout ceux affiliées à un serviteur de la Dame, n’avaient pas besoin de faire des tâches aussi ingrates et indignes de leur personne.

Une voix aigüe l’interpella alors qu’il était en plein travail, chose assez étrange lorsqu'on considérait l’âge général de la troupe. Luc était un adolescent bien amical, bien qu’il ne savait rien de lui. Il n’avait pas osé lui demander la raison de sa présence, mais au final ça lui importait peu. Il leur dirait en temps et en heure, si l’envie lui prenait.

« Ouaip ! Vien ici Luc, tu peux p’tête nous aider à préparer la popote, avant que les maîtres se lèvent » Il désigna la casserole sur le feu. « Tiens, brasse-moi ça pendant que j’vais chercher encore un peu de d’bois. C’est qu’ça pas encore trop pris le l’feu. »

Quelques minutes plus tard, le tissu de la seule tente du campement bougea, installant un moment de tentions parmi les pèlerins, désireux et en même temps appréhensif à l'idée de voir le justicier du Duc en émerger. Cette excitation se relâcha soudainement lorsque ce fut au lieu de cela sa suite. C’est néanmoins avec déférence qui les servit, tous deux d’une très grande stature. La prêtresse d’une Déesse et le proche d’un chevalier du Graal, ce n’était pas rien et il se dégageait d’eux, surtout le jeune homme, une aura qui le contraignait à leur donner le plus grand des respects. Il accueillit le commentaire sur le plat de la même façon qu’il l’avait fait les sept derniers jours, c’est-à-dire dans un silence de plomb, car il n’osait guère leur adresser la parole, de peur d’agir de façon déplacée. Régil laissait la tâche de communiquer avec eux à Émile Beau-Sourire, puisqu’il était leur meneur et donc le mieux placé pour le faire.

Ils eurent raison cette fois de sentir leur tripe se retourner dans leur ventre lorsque la tente bougea de nouveau. Cela signifiait qu'une seule chose; le Chevalier allait en émerger à son tour. Les yeux de Régil se fermèrent à la vue de celui-ci, comme s’il n’était pas convenable de poser son regard sur sa personne. Là, les yeux clos, il adressa une prière silencieuse à la Dame, la remerciant de tous ses biens faits, et les rouvrit, osant cette fois-ci observer un peu plus en détail son maître. Sa routine n’avait rien de bien différent d’un humain normal, s’étirant tel un chat et observant le soleil avec un petit sourire, heureux de pouvoir constater de son ascension une nouvelle fois. Pourtant, malgré ce semblant d’humanité, Régil n’était pas dupe. Il leur était bien supérieur, et ce sur tous les points, que ce soit moralement ou physiquement. Il était un parangon de justice, l’envoyé dévoué de la Dame. Les idées se bousculaient dans la tête du paysan à l’idée de tout ce qu’il pouvait accomplir et il n’en connaissait même pas une fraction. Pouvait-il voler ? Probablement ! Pouvait-il soulever le genre de rocher à fendre un navire en deux ? Certainement. Rien n’était impossible pour lui.

Soudain, il y eut quelques mots prononcés, et ce fut une véritable panique qui vint prendre possession du corps de Régil. Ce n’était pas une simple suggestion ou une idée émise à haute voix, non ! C’était les paroles d’un saint et ses désirs étaient ses ordres. Sa phrase s’imprima au fer rouge dans son esprit, incapable de penser à autre chose que la soif qui assaillait le preux. Alors qu’il reprenait ses sens, il remarqua son frère s’agenouiller et tendre sa gourde à leur maître. Régil réagit vite et s’avança afin de se saisir brusquement du contenant.

« C’est qu’té fou toi. Tu lui donnes pas d’la merde, en plus souillée par not' bave » dit-il durement entre ses dents. Le géant repoussa légèrement son frère vers l’arrière et regarda le vide, incapable de fondre ses yeux dans ceux du chevalier. « L’noble seigneur y va vite recevoir de l’eau fraîche. La meilleure, oui ! J’reviens bien vite ». Sur ces mots, le paysan détala aussi vite qu’il put, en direction des bois où il trouva l’autel de Shallya vu précédemment lors de leur routine matinale, de laquelle s’écoulait doucement un filet d’eau. Il vida le contenu de la gourde, essuya les contours de l’orifice pour y retirer la salive de son frère et la remplit à moitié afin de ne pas prendre trop de temps. Il revint à la même vitesse, comme si sa vie en dépendait, et comme Arnaud avant lui, s’agenouilla et tendit la gourde, sans mot dire cette fois-ci.
Régil d'Aquitanie, Voie du Pèlerin Bretonnien
Profil: For 10 | End 9 | Hab 8 | Cha 8 | Int 8 | Ini 8 | Att 8 | Par 9 | Tir 8 | Mag 0 | NA 1 | PV 60/60
Lien Fiche personnage: wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_regile_d_aquitanie


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[MJ] La Fée Enchanteresse
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

C’était trop tard — Arnaud avait lourdement fauté ! Alors que tous les pèlerins autour de lui ouvraient très grand leurs yeux, tout écarquillés, une chose tout simplement terrible allait se produire !

Rorgues de Vouvant, champion de la Dame du Lac, paladin du plus grand pays du monde, était déjà en train de tendre sa main sainte vers l’outre de cuir du paysan avant de se désaltérer !

Il fallut l’intervention aussi prompte que solennelle de son frère pour soudain retenir son geste, et voilà qu’en une phrase, Régil se leva, bondit à toute vitesse, et s’échappa en courant, permettant à Beau-Sourire de soupirer de soulagement.


Le jeune homme sprinta à travers la forêt comme s’il avait un démon aux fesses, et c’est avec une adresse pressée par son devoir qu’il sautilla au-dessus des ronces et des branchages, jusqu’à atteindre le petit autel dédié à la Déesse-Colombe, sainte Shallya défenderesse des malades, des pauvres et des aliénés.
Sur un tout petit filet d’eau au faible débit, des paysans du coin, probablement des serfs employés dans le verger pas éloigné, ou des bûcherons de passage, avaient laissé des petites figurines d’ailes ou de cœurs, taillés grossièrement dans du bois. Une inscription que Régil ne parvint pas à déchiffrer, la faute à son illettrisme, était gravée à la surface d’un gros caillou posé juste devant, le filet d’eau coulant dessus. Très vite, Régil rinça donc le bouchon, et fit le chemin du retour.

Le chevalier du Graal n’avait pas bougé. Il était resté tout fixe, les mains dans le dos, ses deux compagnons — la prêtresse et le page — silencieux et interdits. Enfin, Régil réapparut, courant à toutes jambes et avec ce qui lui restait d’haleine ; il se trouva à genoux, et tendit l’outre.

Alors, Rorgues fit quelque chose de fabuleux ;

Il hocha de la tête. Très légèrement. Puis il attrapa l’outre des mains du garçon (En le touchant presque !) et prit quelques grosses gorgées — c’est qu’il en fallait, de l’eau, pour abreuver un garçon si grand comme ça !

Quand il eut terminé, il la reboucha, et la jeta en l’air. Par chance, Régil ne fut pas assez sidéré pour ne pas la reprendre à la volée.

« Bon, Ingram, habillez-moi. C’est que nous avons du chemin aujourd’hui. »

Les deux hommes retournèrent vers la tente. La prêtresse lança un long regard vers les paysans qui baissaient tous les yeux devant elle — peut-être moins à cause de son sacerdoce que du fait qu’elle était une femme, et que les paysans ont appris à ne jamais regarder trop longtemps le beau visage d’une femme noble dans ce pays. C’est un bon moyen d’avoir des emmerdes.

Et une fois tous les trois un peu éloignés, Luc se mit soudain à attraper ses cheveux et à se jeter vers Régil pour observer sa gourde.

« Il l’a touchée ! Il a touché ta gourde, Régil !
C’est devenu un artefact de la Dame ! »


Bruno, tout muet, se mit au-dessus de l’épaule de Régil pour regarder à son tour. Il faisait des gros yeux et semblait un peu hyperventiler. Bigleux, quant à lui, poussait des « oooooooh » de fascination.

« Oui. », dit simplement le muet sur le ton le plus sec du monde.

Beau-Sourire s’approcha, et toussota un peu.

« Du calme, du calme… Oui, c’est un peu un objet important maintenant. Mais pas une relique non plus ! Disons que ça a sa place dans une chapelle du Graal, mais pas sur l’autel !
Allez, allez, un peu moins d’émotion, bonshommes, faut qu’on lève le camp parce que ces messeigneurs veulent qu’on marche. »




Régil était obligé, à un moment, de se remettre de ses émotions. Pourtant, il tenait véritablement dans sa main un objet immensément important — le tout artefact qu’il avait, rien qu’à lui, une chose touchée par un chevalier du Graal. Pierre Bigleux, par exemple, n’arrêtait pas de montrer partout un éperon fendillé que Rorgues avait jeté en changeant les siens en passant chez un forgeron — c’était après tout la chose qui avait servi au chevalier pour mener son destrier, le roi Louen, en étant sacré, a eut un duc qui lui a porté ses éperons pour lui, c’est bien là la preuve que c’est important.

Malheureusement, il fallait maintenant éteindre le feu, rassembler la vaisselle, rembarquer les sacs de couchage et retirer les piquets des tentes. Tout fut fait dès que Rorgues quitta à nouveau sa tente, cette fois-ci bien habillé d’une tunique bleu-azur et de braies turquoise, un habit très simple fait pour voyager. À sa tête, il avait un chapeau de feutre, et à sa taille, une ceinture marquée de son héraldique, qui servait à retenir son épée de passot.

La prêtresse monta sur son haquenée, en « amazone », les deux jambes du même côté. Ingram grimpa sur le hobby, quant à Rorgues, il ménagea son destrier de guerre, et chevaucha plutôt sur le magnifique palefroi plus beau que solide — sa vraie monture de guerre, celle terrifiante qui arrachait de l’herbe par vergées à chaque arrêt, il allait au pas derrière le page qui le tenait avec une longe.
Les pèlerins, eux, étaient en charge du train — celui content l’armure, la barde, tout le matériel de campement, le foin, la nourriture et les boissons pour survivre. C’était Bruno, le muet, qui montait sur le banc pour guider l’âne et le mulet. Tous les autres marchaient derrière quand le terrain avait du dénivelé, pour ménager les bêtes, avant de grimper sur les parois de la charrette pour ménager leurs godasses et leurs jambes.
C’était ça le plus dur : Ils n’arrêtaient pas de marcher, depuis une semaine maintenant.


Généralement, pour égayer le voyage, ils chantaient un peu. Ça faisait passer le temps, rendait les trajets moins longs, faisait venir la soirée plus vite. Ou ils discutaient un peu, grignotaient du biscuit en chemin. Ils racontaient des anecdotes, de leur vie passée, ou pour les plus vétérans, d’anecdotes entourant Rorgues de Vouvant — de quoi constituer sa légende.

Il faisait pas mauvais aujourd’hui. Frais, mais pas froid. Tout ensoleillé. Et après une petite heure de marche, voilà qu’à l’horizon, ils apercevaient une montée caillouteuse, qui menait vers une sorte de talus constitué de roches, avec une ouverture devant ; on pouvait voir les trois cavaliers qui prenaient une bonne avance s’arrêter, et se recueillir.

« C’quoi ça ? » demanda Luc.

Le garçon ne venait probablement pas d’Aquitanie. Régil et Arnaud savaient très bien ce qu’était cette chose : on disait qu’une druidesse vivait là, durant l’ère barbare de la Bretonnie, quand la Dame du Lac ne s’était pas révélée au pays.

« Pas grand-chose », répondit Beau-Sourire avec un grognement. « Une vieille cave, que mes compatriotes respectent. »

Bruno, le muet, décida enfin de parler. Avec une voix très faible, gutturale, comme s’il avait un problème à la gorge.

« Tu as tort de parler comme ça Émile », fit-il avant de prendre une grande inspiration buccale. « Certains esprits sont plus vieux que la Bretonnie », continua-t-il avant de re-inspirer, preuve que c’était difficile pour lui. « Il faut agir avec prudence quand on passe chez eux.
– C’est aussi aux esprits d’agir avec respect quand ils approchent d’un serviteur du Graal. Toi-même le sait, Bruno — cela fait depuis longtemps que toi et moi on a plus de raisons de craindre les fantômes. »

Et Émile sourit à nouveau d’un de ses purs sourires vicieux. Bruno lui, demeura peu impressionné, et se contenta de hausser des épaules.
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Le tertre, pour vous donner une idée.


Encore dix minutes plus tard, et ils avaient passé la colline. Et ils débouchaient maintenant sur une plaine verdoyante, productive, fertile, à perte de vue — et en plein milieu, un grand château épais, étendu et solide, sans aucune commune mesure avec le castel qui protégeait le hameau où Régil et Arnaud avaient grandi.

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« Le voilà, le château Desroches ! »

Les deux villageois connaissaient ce lieu — chaque année, ils accompagnaient leur oncle Bernard et plusieurs personnes de leur hameau jusqu’ici, car on y organisait une grande foire où on pouvait acheter et vendre ; les serfs se voyaient accordés une dispense expresse de leur seigneur pour s’y rendre le temps de trois semaines, et c’était l’un des rares moments, dans leur vie de paysans, où ils pouvaient découvrir un lieu plus « urbain ». Le village castral de Desroches possédait un bain public, une taverne, et des marchands de bibelots.

Les trois cavaliers éloignés s’étaient arrêtés pour faire une pause. En face, le long de la descente, on pouvait voir des charrettes de marchands remonter le chemin, ils seraient probablement arrivés au niveau du train des pèlerins dans quinze à vingt minutes. Émile décida donc de faire un signe de la main, et de souffler.

« On va s’arrêter là nous aussi, ménager l’attelage. »

Tout le monde s’arrêta donc. Et Émile grimpa dans la charrette, en tira un gros morceau de pain dur et un bon fromage qui sentait fort enroulé dans un linge. Tandis que les pèlerins s’asseyaient par terre, Bruno délaçant même les lacets de ses bottes pour aérer ses pieds, leur chef passa dans les rangs pour offrir une collation à tout le monde.

Beau-Sourire fit un signe de tête à Régil, et engagea la conversation avec lui — s’il était détestable avec Arnaud, il n’avait pas la même colère dans la voix en parlant à l’autre frère.

« T’as de l’argent sur toi ? Tu pourras payer le bain ou il faut que je t’avance les sous ?
Tiens, mange bien, faut que tu restes costaud. »


Il regarda ensuite Arnaud, et tiqua.

« Reste pas le cul par terre, paria. Toi tu vas t’occuper des bêtes. »

Jet d’initiative de Régil : 2, très large réussite. Dites donc ils sont utiles ces jets :orque:

Connaissances générales (Aquitanie) (+2) : 3 et 9, deux réussites pour vous
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Arnaud d’Aquitanie
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par Arnaud d’Aquitanie »

Régil intervint, poussé par le zèle de sa tâche. L'homme de basse extraction poussa son propre frère en arrière, s’exultant que le chevalier n'était pas digne de recevoir l'aide du paria. Pire encore, que son geste était une insulte envers le preux chevalier.

Arnaud encaissa les reproches en serrant les dents. S'il était traité comme un moins-que-rien par le pèlerin exalté Émile ou par les autres envers son statut. Cette action fit monter en lui une rancœur viscérale. Un sentiment qui pouvait sentir le parcourir dans ses tripes. Pourquoi le repousser ? Parce qu'il n'était pas digne ? Parce qu'il n'avait pas le droit à une seconde chance ? Parce qu'il était indigne de Rorgues ? La colère monta comme un torrent dans sa gorge. Arnaud l'étouffa d'un effort que lui-même jugeait surhumain. Il s'écrasa, baissant la tête pour garder une attitude humble. Si Emile avait prononcé ces paroles, il aurait encaissé, conscient de sa situation et de son statut envers les autres, mais voir son propre frère lui porter ces mots assassins, c'était bien plus douloureux à entendre.

Arnaud attendit, dans un silence de mort plein de jugement, de regards désapprobateur. Il le savait ! Il avait peine à le voir, car il évitait les regards, mais il pouvait les sentir comme mille lances qui venait l'empaler de part en part. L'attente lui parut une éternité. Une éternité à se noyer dans une culpabilité que lui imposait les autres membres de la compagnie. Leurs regards insoutenables écrasant le paria pendant de longues minutes de silence.

Lorsque son frère revint, Arnaud se risqua à relever les yeux pour voir son frère revenir. Apportant de l'eau "Sainte" dans une chapelle repérée pendant la chasse. Le chevalier tendit la main. Il porta la gourde à ses lèvres. Hocha la tête en guise de remerciement et lui rendit la gourde transmettant ses pouvoirs saints à l'objet qui attirait les regards et les louanges de tous. Arnaud serra les mains de jalousie. C'était son moment, cette gourde aurait dû être la sienne. On lui avait volé cette chance, et c'était son propre frère qui l'avait fait ! Lorsqu'il entendait la voix exaltée de son frère, il entendait celle d'Emile. Pourquoi agissait-il ainsi ? Pourquoi imiter ce parasite ? Arnaud se sentait honteusement floué. Dépouillé de ce moment. Exclu par une guerre d'attention minable. Et que son frère, sa propre chair soit à l'origine de cette mascarade lui donnait envie de vomir.

Arnaud se retira pour préparer les affaires de la troupe au départ. Il n'eut aucun mal à leur fausser compagnie tant leur regard béas étaient fasciné sur la "relique du Graal."

Lorsque la compagnie reprit la route, des nuées d'idées noires ne cessaient de tourmenter le pèlerin. Il ne voyait pas le paysage. Juste des questions qui s'affichait devant lui, une suite de couleur vague qui se succédait, masquée par la voix dans sa tête. Implorant la Dame de l'aider, de le pardonner que ses efforts ne soient pas écrasés par la jalousie mal placé de ses suivants. Leur chemin rencontra un tertre, lieu de résidence des esprits de la Bretonnie.

Il n'écoutait pas les simagrées de ses compagnons. Tout ce qu'il voyait était l'obscurité donnant sur l'intérieur de la grotte. Il fixait des yeux l'obscurité, ses yeux cherchant un signe, une silhouette. Une voix, n'importe quoi que la dame puisse lui envoyer pouvant lui dire "Je comprends." Mais l'Ombre ne révéla rien. Juste la voix de ses espérances résonnant dans son esprit.

Le groupe se remit en route pour contempler le Château Desroches dans toute sa splendeur. Si cet endroit pouvait représenter les vastes possibilités de la civilisation. Cet endroit représentait surtout les responsabilités. Accompagner son Oncle Bernard pour participer à la Foire Desroches. C'était la seule occasion de découvrir de nouveaux horizons, et les frères n'ont pu découvrir la ville que depuis une étable, coincée sur la place publique, aux milieux des cris, des chants et des cris de bête qu'on vendait ou qu'on achetait pour une poignée de pistoles, quelques couronnes si vous étiez bon en affaires.

Le groupe s'arrêta pour lever le camp juste avant la cité pour ménager le groupe. Arnaud revint à la réalité et les tâches qui lui incombait le rattrapèrent. Si Arnaud considérait normal qu'Emile le rabaisse à son statut de paria. Le cadet trouvait abject le ton qu'il employait pour parler à son frère. On aurait dit qu'il l'achetait avec quelques pistoles. Son frère était plus que ça. C'était son frère ! Le sien ! Si quelqu'un devait faire attention à lui, c'était bien lui ! Arnaud D'Aquitanie, et pas ce parvenu qui abusait de son statut pour se faire une place de choix dans cette compagnie ! Il traîna les bêtes vers un pâturage où elles ne manqueraient pas d'herbes à brouter. Il croisa Pierre Bigleux, assis sur un caillou, contemplant son espadrille rouillée. Arnaud s'approcha et posa une main amicale sur son épaule.


- C'Que t'es z'un veinard d'être gardien d'une relique. La dame, elle t'accorde de l'importance.

Il prit une grande inspiration, arrachant une touffe d'herbe pour la donner à un canasson.


- Tu connais Emile et Bruno ? Ils ont l'air qu'd'être là depuis longtemps, mais tu sais pourquoi qu'ils sont là eux ?
Arnaud D'Aquitaine, Voie du Pèlerinage Bretonnien
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Lien Fiche personnage: wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_arnaud_d_aquitaine

"…Tu offriras, à ton preux Seigneur le champart qu'il requiert,
Toujours, tu travailleras, hors les jours saints
Tu ne gardera pour toi et les tiens qu'un dixième des fruits de ton labeur
Et réjouis-toi, car un Chevalier de Bretonnie te protégera…"

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Régil d’Aquitanie
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par Régil d’Aquitanie »

Régil exultait. Jamais il n’avait ressenti quelque chose d'aussi intense. Au moment même où le chevalier posa ses lèvres sur la gourde, le paysan sut qu’il avait fait le bon choix. Ce grand gaillard, à la carrure imposante et bourrue, tremblait comme un vulgaire enfant, incapable de contenir l’émotion du moment. Encore une fois, il ferma les yeux et adressa une prière silencieuse à la Dame, la remerciant de tous ses bienfaits et de l’avoir récompensé pour sa pieuse servitude. Le contraste entre ce que vivait Régil et son frère ne pouvait pas être plus éloigné et flagrant. Plus que jamais, sa foi était renforcée et il naquit en lui ce désir de vivre encore ces moments, où des forces saintes, bien plus grandes que lui, pécheur qu’il était, lui donnaient de l’attention, ne serait-ce qu’un instant. C’était purement égoïste, probablement mal placé, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. C’était ce genre d'évènement qui le confortait dans ses croyances et lui confirmait qu’il était sur la bonne voie.

Il attrapa avec empressement la gourde au vol et alors que les autres pèlerins se rassemblaient autour de lui pour partager leur émerveillement, Régil leva légèrement le nouvel objet saint au niveau de sa tête afin qu’il soit baigné dans la lumière du soleil. Le colosse l’observa en détail, comme s’il espérait y trouver quelque chose de différent après le toucher du preux. Mais non, il n’y avait rien. Ce n’était pas plus grave, il savait qu’elle était spéciale maintenant, et les mots de ses compagnons le confortèrent dans cette idée. Il serra brièvement l’objet contre lui avant de se décider à l’attacher à sa ceinture pour l’heure. Puisque c’était désormais un artefact de la Dame, il devrait y faire attention et veiller sur elle en tant que gardien. Il devrait par ailleurs se trouver une nouvelle outre puisqu’il ne comptait plus l’utiliser, de peur de la souiller. Cela faisait seulement huit jours qu’il était parti pour son pèlerinage, et la Dame lui envoyait déjà des signes. Le paysan ne pouvait être plus confiant.

Lors de leur trajet en direction des terres de la famille Desroches, Régil remarqua la tension qui régnait entre lui et son frère, le sentant distant et anormalement silencieux. Il le connaissait depuis sa naissance, il avait donc assez de jugeote pour savoir lorsque quelque chose n’allait pas. Son frangin était quelqu’un de particulièrement rancunier, et il se doutait bien sur qui cette même rancune se dirigeait à cet instant. Il avait sa fierté et Régil croyait bien l’avoir brisé en lui reprenant la gourde des mains, sous le regard sidéré des autres pèlerins. À cette pensée, il soupira de frustration, toute cette affaire l’agaçant. Cette situation était arrivée plusieurs fois entre eux, même si elle n’avait jamais atteint une telle gravité. Ça s’était toujours limité à quelques âneries et enfantillages lors de leur jeunesse. Même s’il reconnaissait l’humiliation qu’il lui avait fait vivre, il était certain de l’avoir sauvé d’une faute grave qui aurait probablement aggravé sa situation d'avantage. Le fait qu’il ne semblait pas comprendre la merde dans laquelle il s'était mis, et qu'il préférait se murer dans le silence, le frustrait au plus haut point. Régil se promit d’aller lui parler afin de s’expliquer lorsque l'endroit serait plus intime. Dans tous les cas, ils avaient probablement de nombreuses choses à se dire.

À la vue du château, Régil sentit une vague de nostalgie l’assaillir, alors que les souvenirs fusaient dans son esprit. Il se souvenait encore de ces journées passées avec leur oncle, à cette foire qui se déroulait dans le hameau au pied de la forteresse. Il s’y remémorait de bons moments passés en compagnie de son frère et des moins bons avec Bernard. Il ne put s’empêcher de lâcher un léger rictus amusé, alors qu’il pensait au fait qu’il n’aurait probablement plus jamais – ou du moins pas avant un bon moment – à revoir son visage. Si Régil et Arnaud pouvaient tomber en accord, c’était bien sur leur animosité mutuelle pour leur oncle.

Leur petit convoi s’arrêta soudainement, suivant l’exemple des trois cavaliers qui les devançaient. Une pause bien méritée à son avis, suite à huit longs jours de marche. Le paysan n’osait pas s’imaginer le temps que ses nouveaux compagnons avaient passé sur les routes. Des mois ou des années, peut-être ? Cette remarque lui fit judicieusement remarquer qu’il ne connaissait quasiment rien d’eux, même s’il était certain qu’il aurait amplement le temps d’en apprendre davantage. Au final, quelques jours n’étaient probablement rien pour eux. Une simple habitude, une broutille. Au contraire, Régil sentait qu’il allait devoir encore s’y habituer, non pas qu’il comptait se plaindre de la cadence ; il endurerait en silence, comme toujours. Perdu dans ses pensées, et la Dame seule savait combien de choses il avait à digérer après cette journée mouvementée, il fut accosté par Émile qui distribuait les collations, dans l'attente qu’ils se remettent en branle. Régil répondit à son signe de tête, par pure politesse plus qu’autre chose. Il allait sans dire qu’il n’appréciait pas le pèlerin exalté, celui-ci lui laissant une impression de malhonnêteté, mais ce n’est pas pour autant qu’il avait l’intention de détériorer leur relation. Pour une raison ou pour une autre, il semblait lui montrer une certaine forme de respect. En tout cas, il ne le traitait pas de la même façon qu’il traitait Arnaud. Il accepta la nourriture qu’on lui tendait et réagit à l’ordre cinglant lancé à son frère par un mince sourire, qui tenait plus du rictus d’un homme qui désapprouvait le ton employé.

« Non, t’inquiète pas, j’ai déjà d’quoi payer le bain. C’est qu’je suis venu avec quelques économies. » Il laissa peser un court silence, le temps de mordre dans son pain. « J’voudrais bien savoir quelque chose Emile; pourquoi t’appelles mon frère un paria ? Parce que le bougre a commis un crime ? Bah ! De c’que j’en sais, y’a bien Pierre qui a tué le gosse de sa femme, et il a pas l’même traitement, j'me trompe ? » Même si le ton était un peu dur, il y avait surtout de la curiosité dans sa voix.
Régil d'Aquitanie, Voie du Pèlerin Bretonnien
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[MJ] La Fée Enchanteresse
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

Tandis qu’Arnaud partait bosser, Pierre Bigleux et Luc vinrent également s’occuper des corvées. Sans se plaindre, l’homme qui louchait s’occupait de vérifier que le matériel de la charrette était bien fixé et ne partait pas dans tous les sens, tandis que le garçon inspectait les essieux du véhicule.

Bigleux leva le museau quand le jeune homme engagea la conversation. Il lança un coup d’œil vers les pèlerins plus vétérans, et tiqua des lèvres.

« Bruno et Émile ont toujours été avec l’sire Rorgues. D’pis que j’le suis aussi, ‘fait. »

Il arrêta son travail, et vint aider Arnaud avec l’attelage, et commença un récit d’une voix un peu hésitante.

« J’viens d’Cuilleux à la base. Un village montagnard, d’bergers. Près d’l’Orquemont. Y a genre, bwarf, deux ans, les peaux-vertes y descendent des collines et attaquent mon village — on a été forcés d’fuir avec les bêtes et tous les villageois. On part vite, mais ça traîne, entre les ânes et les vieux du patelin. On suit une vallée. On s’trouve bloqués d’vant une rivière, et derrière nous, y a les orques qui courent, prêts à tous nous… Nous tuer, quoi. On croit qu’c’est foutu. Tout l’monde s’met soit à prier, soit à s’jeter à l’eau en panique, ou pleurer, ou prendre des fourches pour s’défendre.
Pis là, à l’horizon, y a Rorgues de Vouvant qui débarque. Armure étincelante et tout, suivit par une d’mi-douzaine de gars armés qui hurlent, si fort qu’ça résonne dans toute la vallée, « La Dame ! La Dame ! ». L’sire Rorgues s’jette sur les orques, casse sa lance sur leurs chefs, dégaine l’épée et commence à les trancher par paquets d’quatre.
Juste derrière, les autres, dont Bruno et Émile, y arrivent, font un cercle d’vant not’ convoi, pour nous protéger avec leurs boucliers.
Les deux là, céti des héros. Y avaient b’soin d’un guide pour poursuivre les orques à travers les passes, moi et un aut’ gars du village, on s’est portés volontaires. Fallait bien rembourser not’ dette. »


Soudain, il parut triste.

« D’la bande de pèlerins qui nous a sauvés, y reste plus qu’eux deux. Ça a été un p’tain de combat, l’Orquemont.
L’pire, c’est qu’j’ai aucune idée de qui y sont vraiment. Genre, c’qu’ils f’saient avant ça. Bruno y parle jamais, il a une blessure à la gorge, l’aime pas causer. Émile, c’différent — il aime juste pas les gens. Mais le page et la prêtresse avec l’sire Rorgues, ils lui causent, pas comme à un serf ; donc j’me demande si… ‘fin, si l’type est pas plus important qu’on imagine.
En tout cas, j’mets pas en doute leur foi, ou leur courage. Tu verras Arnaud, quand on sera dans une vraie panade — ces deux-là y sauront nous mener au combat. »





Pendant ce temps, Bruno, Émile et Régil se la coulaient douce sans participer aux tâches, grignotant juste gentiment leur collation. Dans l’intérêt de son frère, ce dernier tenta tant bien que mal d’extraire quelques mots de la part du chef de la bande. Et pour une fois, Émile Beau-Sourire fut un peu plus loquace que d’ordinaire.

« Bigleux, j’le traitais de la même manière que je traite ton frère, avant qu’il mérite son pardon.
Faut qu’tu comprennes, notre vie, elle est pas simple. Devenir un pèlerin du Graal, ça attire pas mal de vauriens qui cherchent juste une bonne raison d’échapper à la loi, ou à leur condition. Peu de gens acceptent de faire ce qu’on fait simplement par piété pure.
J’vais pas t’mentir : moi non plus, au tout début, j’suis pas devenu pèlerin pour des raisons entièrement honnêtes. L’amour de la Dame, il m’est venu après.
Ton frère, j’attends de voir s’il cherchera pas à nous planter et s’enfuir, j’attends de voir s’il croit vraiment à ce que toi tu crois. T’es un bon gars, Régil, tu l’as défendu, tu t’es porté garant pour lui… Mais son pardon, c’est à lui-même de l’obtenir. Tu peux rien faire d’plus pour l’aider. »




Après une courte pose, Émile ordonna de lever le camp. On raccrocha les bêtes, puis les jeunes hommes purent terminer leurs gourdes et étirer leurs membres, avant de s’élancer sur la dernière étape de la journée, qui menait vers le castel Desroches.

Les gueux marchaient en avance sur les trois cavaliers, qui étaient assis en tailleur dans l’herbe à discuter entre eux. Cela permit aux pèlerins de revenir à leur hauteur et rattraper la distance. Rorgues de Vouvant et ses deux compagnons, sans un mot pour les pèlerins, se remirent en selle, et allèrent au pas devant le convoi, marchant cette fois-ci en bonne proximité des admirateurs du Graal.

Le chemin fut un peu accidenté, mais rapide, et, pour une fois, fréquenté. La caravane de marchands remontait alors qu’ils descendaient, et voilà que les caravaniers faisaient halte et inclinaient leurs têtes par respect pour le chevalier du Graal qui marchait tout droit sur son palefroi, un poing sur la hanche. Rorgues se tourna vers son page, le jeune Ingram, et donna un ordre sur un ton sympathique :

« Mon pennon, cher neveu ! Allons, il faut bien qu’on me reconnaisse ! »

Sur ce, le jeune page se contorsionna sur sa selle. Il défit une demi-lance qui était fixée sous son étrier, et parvint à une main à la faire voler en l’air. Il la glissa sous son aisselle, et tira de la poche de son mantel un morceau de toile qui protégeait une étoffe de la pluie. Il la fixa, à la pointe de la demi-lance, puis la souleva, afin de présenter les armes du blason du sire de Vouvant, les mêmes que celles de son écu accroché à son destrier :
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Le château Desroches était grand non seulement par la hauteur de ses remparts, mais aussi (Et même surtout) par la taille des collines sur lesquelles on l’avait bâti, et qui d’ailleurs avait probablement donné le nom à la dynastie. En contrebas de cette falaise, se trouvait un petit hameau : un tas de chaumières de torchis, une seule petite église dédiée à Shallya comme unique bâtiment en pierre, des enclos à brebis, des champs actuellement inactifs à cause de la saison. Il faisait encore frais, et les paysans étaient, en cette saison, surtout occupés à entretenir leurs outils, leurs clôtures, et creuser les canaux qui serviraient à irriguer les champs cet été. Le début du printemps, Arnaud et Régil le savaient, était la pire saison pour le paysan — en hiver, on ne meurt pas de faim, parce qu’on consomme les réserves, c’est à l’aube de la fin d’Ulric qu’il faut se serrer la ceinture, et déjà commencer à travailler en se rationnant. Nul doute qu’au village, leurs voisins avaient fort à faire, et la perte de deux paires de bras vigoureux allait se faire sentir.
Le convoi croisa quelques paysans en train de travailler sur les tranchées à creuser. Les pieds dans la gadoue, certains levaient le nez pour observer le chevalier du Graal : aussitôt, ils demeuraient sidérés sur place, et inclinaient de la tête. Il n’y avait qu’un enfant totalement insolent, pour venir trotter à côté des pèlerins — un tout petit garnement, tout blond, qui tira sur le vêtement d'Arnaud pour l’alpaguer :

« Haaan ! C’est un chevalier du Graal ?! Un vrai ?! Un vrai de vrai ?! Jure sur Shallya qu’c’est vrai ! »

Sa mère l’engueula très fort, au loin, et l’ordonna de le rejoindre tout de suite. En fait, sur le passage, Régil et Arnaud pouvaient voir la façon dont ces serfs faisaient tout à la fois preuve de déférence et de peur ; si tous s’inclinaient avec respects, certains se mettant même à genoux, il n’y eut, en dehors du garnement, personne pour venir les acclamer ou les applaudir, mais plutôt au contraire des jeunes filles qui s’éloignaient.

Luc, un peu outré, ne put s’empêcher de se plaindre :

« Pourquoi ne sont-ils pas ravis de voir un chevalier du Graal ?
– C’pas du chevalier qu’ils ont peur, ils l’adorent, ricana Émile avec son explication. C’est nos sales tronches qui les mettent mal à l’aise.
– On a rien fait de mal.
– On est d’affreux jojos qui puent et qui sont armés — normal qu’on mette mal à l’aise !
Baste ; ce soir, on r’descendra ici. On f’ra une prière et on racontera les récits de Rorgues de Vouvant, ça d’vrait les détendre. »


Le chemin vers le château montait à pic, vers un immense pont-levis actuellement abaissé. D’un côté et de l’autre des tourelles mises en avant, de superbes drapeaux à la taille démesurée présentaient l’héraldique de la famille Desroches.
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Un sordide squelette doré assis sur un caillou, et une harpe Albionnaise au milieu d’une croix ; si Régil et Arnaud avaient déjà vu ce blason (Difficile d’y échapper quand on va à la foire), il était toujours aussi étrange.

Derrière le pont-levis et la herse relevée, s’offrait la basse-cour, très grande, et accueillant le village castral de Desroches. Ici vivait la « classe moyenne » du village, ceux qui n’étaient pas des paysans qui vivaient en bas. Des sortes de rues de terre séparaient des petites cabanes et des maisons en bois recouvertes de plâtre — c’est là qu’on trouvait des ateliers, ceux d’un forgeron, d’un boulanger, d’un boucher et de quelques drapiers et tisserands ; il y avait même deux tavernes (Et non une seule, quel luxe !), un magasin général, un relai de poste qui servait également d’écurie, et un moulin à vent bâti tout en haut d’une tourelle, juste plus bas que le donjon.
En bref, une petite bourgade bien peuplée. Pour Régil et Arnaud, qui étaient de purs paysans, déjà une ville.

Ici, les gens étaient encore mieux habillés que les paysans. Ils portaient aux pieds des poulaines en cuir au lieu de sabots, et tous avaient des chapeaux en feutre au lieu de simples capuches en toile pour se couvrir la tête. Ils regardaient les pèlerins avec un air à la fois curieux et inquiets, beaucoup chuchotaient à leur passage.
Une prêtresse de Shallya quarantenaire en robe jaune s’approcha d’eux et leur fit un signe de main tout en priant — elle bénissait non pas les nobles, mais eux, la demi-douzaine de pèlerins, avec une gentillesse spontanée et altruiste.

« Que vos pas soient guidés par Shallya, Elle fera que votre sentier soit sûr et prompt tant que vous suivez le bon chemin. Elle prendra vos douleurs et vos peines pour Elle. »


Et finalement, le groupe atteint la haute-cour. Il y avait là un grand lieu dégagé, un terrain sur lequel on pouvait s’entraîner à cheval ou à l’arc, juste devant un immense donjon dont la tour s’élevait vers le ciel. Beaucoup d’arbres fruitiers, et un chêne, offraient de l’ombre et un terrain de jeu pour les enfants, et derrière, on trouvait une chapelle du Graal, avec devant, un petit autel dédié à Shallya.
Pile devant le donjon, un petit groupe d’hommes d’armes portant la livrée de Desroches montaient la garde, tandis que les escaliers qui menaient vers l’entrée et la salle d’apparat était bouchée par des nobles et des bourgeois, hommes et femmes. Tous se tenaient bien droit, l’un d’entre eux en face de tous les autres.

Le chevalier du Graal et ses compagnons s’arrêtèrent. Les pèlerins s’avançaient pour attraper les rênes de leurs montures afin de bien les tenir, permettant à ces gens de mettre le pied-à-terre et de s’avancer vers le manoir. Alors, l’homme en face du groupe de l’escalier descendit les marches, et fit un salut militaire en posant sa main à son front, que lui rendit Rorgues.
Un héraut d’armes, un petit adolescent habillé comme un valet, souffla dans une trompette et annonça avec beaucoup d’emphase :

« Messire Manassès Desroches, comte de Desroches, sire de Villers-Ducey, maréchal d’Aquitanie ; Et Rorgues de Vouvant, par la grâce de la Dame chevalier du Graal, et justicier d’Aquitanie ! »
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« Messire. Vous avez fait bon voyage ? », demanda Manassès Desroches avec une voix acerbe, qui montrait une certaine impatience et bien peu d’envie de simuler de la courtoisie.
« Long », répondit Rorgues avec le même ton.
« Tant que vous êtes ici, vous et vos compagnons bénéficiez du droit d’hospitalité. Je vous offre le gîte et le couvert.
– Merci. Je n’en abuserai pas longtemps — je porte des ordres de Son Altesse, Armand d’Aquitanie ; ensuite, je tiendrai cour dans votre château pour recevoir les appels de vos sujets.
– Alors n’abusons pas plus de votre temps ; Je vous présente ma famille, mes enfants, et je vous ferai visiter mon château, en terminant par la chapelle du Graal. »

Il claqua des doigts. Alors, des valets et écuyers s’approchèrent du convoi, et reprirent les bêtes et les vivres des mains des pèlerins, pour aller les placer en lieu sûr.

Rorgues s’éloignait des pèlerins, et accompagna le comte Manassès pour aller serrer des mains à des hommes et baiser celles de femmes. Tous les Desroches s’étaient fait très beaux, et sans que Régil ou Arnaud purent reconnaître qui était qui, ils virent quelques jolies têtes d’aristocrates.
Une seule femme n’avait pas les cheveux voilés. Elle était particulièrement élégante, et fort jolie — même si un paysan apprenait qu’il ne fallait pas regarder une femme noble trop longtemps.
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Avant de rejoindre Rorgues, la prêtresse rousse de Véréna s’approcha des pèlerins, et engagea une conversation à voix basse avec Émile.

« Manassès Desroches est suspecté de félonie par le duc Armand. On l’accuse de préparer un sale coup contre le comte Fluvia, les deux hommes se détestent : Peut-être qu’il prépare une armée, ou un complot contre lui. C’est pour cela que le sire Rorgues est ici ; Il doit poser des questions et enquêter. Je vais malheureusement être vite coincée au donjon, je vais donc avoir besoin de votre aide…
– Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse, ma sœur ?
– Allez parler aux paysans et aux bourgeois. Visitez les tavernes. Faites ami-ami avec les locaux et demandez-leur si quoi que ce soit sort de l’ordinaire, ou bien espionnez-les. Le moindre petit indice ou détail que vous pourrez m’apporter me sera utile.
– Mais c’est pas contre les lois de l’hospitalité, ça ? Demanda Émile sur un ton faussement candide — visiblement, ce n’était pas la première fois qu’on lui donnait de tels ordres.
– Ne jouez pas au con, Émile. Et par pitié, je l’ai déjà demandé, mais je me répète : allez faire prendre un bain à tout ce monde ! Vous sentez si fort ! »

La prêtresse partit rejoindre les nobles sur les marches et se présenter. Alors Émile, vite seul avec les pèlerins, les héla avec un sifflement.

« Laissez donc ces bonshommes de la mesnie de Desroches nous décharger ! » fit-il en désignant du menton les valets qui partaient avec les chevaux et la charrette. « Venez plutôt avec moi dans la chapelle du Graal — on va commencer à prier, et rendre nos hommages, et ensuite on pourra discuter. »


La chapelle du Graal Desroches se trouvait juste à côté du donjon, sous l’ombre d’un immense chêne. C’était un beau bâtiment en pierre, avec quelques gargouilles très vilaines sur la pierre. Le petit autel de Shallya, qui représentait une colombe au bec ouvert, d’où sortait un filet d’eau, était le premier endroit où Émile rendit son hommage — il déposa un joli sou d’argent, et embrassa la colombe, avant de continuer vers les portes en bois du lieu de culte du Graal.

Il poussa la porte avec Bruno, et la troupe de pèlerins entra à l’intérieur. Plusieurs bancs remontaient la nef, jusqu’à un autel sur lequel il y avait un gisant représentant un chevalier aux mains jointes. Il faisait assez sombre ici, la lumière ne provenant que de quelques vitraux représentant des passages glorieux de l’histoire du Graal, et des bougies allumées un peu partout.
La plus belle chose de ce lieu, c’étaient les broderies — de grands pans d’étoffes décoraient les murs, représentant des créatures magiques, des Fées et des chevaliers.
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Une seule personne occupait le lieu, alors que les pèlerins entraient. Tout au bout de la nef, devant l’autel, se trouvait une silhouette à genoux, qui sursauta d’abord, avant de se lever. Tandis que les pèlerins déposaient leurs armes devant l’entrée, la silhouette s’approcha avec les mains devant elle — c’était une femme, aux cheveux blonds découverts, portant une ample robe blanche. La moitié de son visage portait des marques de brûlure.
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Elle offrit un petit sourire aux pèlerins, et s’inclina légèrement.

« Bienvenue, suiveurs du Graal. Mon nom est Alix, et je suis la recluse qui m’occupe de cette chapelle, fondée par Émeric Ier Desroches, qui repose ici.
– Salut à toi, Alix. Je suis Émile. Nous venons présenter nos hommages à la Dame du Lac.

Les recluses étaient l’équivalent féminin du pèlerin. Des filles, parfois roturiers, parfois d’extraction noble qui, pour une raison ou une autre, choisissaient de vivre une vie de prière et de contemplation au service du Graal. C’étaient elles qui s’occupaient de l’entretien matériel des chapelles et abbayes du Graal, qui se tenaient au service des chevaliers et damoiselles de passage, et bénissaient les armes et armures des combattants.

« Votre… Le sire que vous suivez, il est avec vous ? »

Elle avait demandé ça d’une voix toute tremblante, et timide. Les recluses, tout comme les pèlerins, vénéraient avec une admiration tenace ceux touchés par le Graal — quitte à provoquer des tensions et des jalousies avec les pèlerins.
Émile, lui, le prit avec le sourire.

« Ton comte est bien assez occupé avec lui. Mais il viendra, évidemment. Sire Rorgues est un bon croyant.
C’est toi qui as fait ces tapisseries ?

– Pas toutes, non — mais j’en ai faites quelques-unes.
– C’est très beau. Bien. Mes frères, prions. »

Les cinq pèlerins arrivèrent devant l’autel, pour s’agenouiller. Alix, elle, vint s’asseoir sur un banc. Et alors Émile se retourna en face de sa bande, et commença une courte prière.

Ça prit bien cinq minutes. Cinq minutes à parler du Compagnon Frédémond d’Aquitanie, qui incarnait la vertu du noble dédain, la haine des lâches qui tuent de loin sans rien risquer. Il implora les chevaliers de pourfendre le mal et demeurer courtois, il pétitionna la Dame du Lac pour qu’elle garde bien la Bretonnie, et que roturiers comme aristocrates s’unissent pour protéger leur terre.

Puis, ceci étant fini, il se détendit, et reprit son air moins solennel.

« Alix, un logis est-il prévu pour nous ?
– Malheureusement, non, mais vous pouvez dormir à l’écurie.
– Ce sera parfait : il fera chaud et nous serons couverts. Il n’y a pas à se plaindre.
Mes frères, vous avez quartier libre jusqu’à ce soir. Retrouvons-nous ici à sept heures pour manger ensemble, puis nous irons dans le village prier avec les villageois — si tu acceptes de nous accompagner, Alix.

– Avec joie, au contraire ! Mais… Le chevalier, passera-t-il bientôt ici ? »

Émile ne lui répondit rien, et s’en alla juste en ricanant. Au passage, il chuchota quelque chose à Régil.

« Si tu souhaites m’aider avec ce qu’a demandé sœur Lucie, je serais ravi d’avoir un coup de main. Mais tu dois avoir des questions. »
Jets de charisme d’Arnaud et Régil : 5 et 6, parfait
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Régil d’Aquitanie
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par Régil d’Aquitanie »

Régil hocha lentement la tête lorsque le pèlerin exalté se tut. Il comprenait mieux désormais le comportement exécrable dont il faisait preuve avec son frère. Même s’il n’avait pas encore expérimenté la vraie vie d’un pèlerin - de sueur et de sang - il se doutait bien qu’elle ne serait pas de tout repos. Lui-même avait ses doutes sur ses chances de survie et même s’il n’osait pas se l’avouer, il y avait une peur au fond de lui, bien cachée, qui attendait le bon moment pour surgir et lui rappeler qu’il n’était qu’un humain parmi tant d’autres, destiné à mourir comme plusieurs fidèles avant lui. En quoi serait-il plus différent ?

Ses lèvres soudainement sèches à cette pensée, il se les humecta avant de remercier Émile pour sa franchise; il en était encore un peu étonné, son chef n’ayant jamais été très porté à la discussion, depuis les quelques jours qu’il le connaissait. Ses petits sourires vicieux lui donnaient toujours froid dans le dos, mais l’opinion qu’il avait de lui avait drastiquement changé en l’espace d’une minute, car il passait d’un homme brutal et méchant à ses yeux à un homme dur et juste suite à ses explications. Régil espérait sincèrement que son frère réussirait à se racheter, pas seulement aux yeux de ses compagnons, mais de la Dame aussi.


Un ordre fusa, et ce fut la fin du repos pour les pèlerins. Sans trop avoir mangé, le jeune homme rangea les restes dans son sac, trop occupé à réfléchir à ce qu’il avait appris, et se mit en marche, les yeux rivés sur le paysage devant lui.

Bientôt, ils purent marcher dans l’ombre des armoiries du preux. Extirpé de sa torpeur par les ordres du chevalier lancés à son neveu, il les observa avec le même respect qu’il le faisait pour celles affichées sur son écusson. C’était quelque chose pour leur rappeler qu’il n’était pas du même monde. Ils étaient une famille, puissante, riche, ancienne, et lui, il n’était rien. Il ne pouvait pas dire qui étaient ses ancêtres, ni s’ils avaient été autre chose que des paysans. Il n’avait aucun symbole auquel se rattacher, aucun sentiment d’appartenance. Que pouvait-il dire ? Je suis Régil de la famille … ! Non. Il était d’Aquitanie, voilà tout.

En chemin, ils croisèrent inévitablement des paysans. Ils n’étaient pas aussi enjoués de voir la troupe du chevalier du Graal qu’il l’aurait pensé. Le fait d’apprendre qu’ils les craignaient lui fit l’effet d’une douche froide. Qu’était-il devenu en chemin; un monstre ? Pourtant, il ne croyait pas avoir tant changé que cela. Il serra le poing, vexé et humilié à l’idée qu’on puisse le fuir comme la peste, puis hocha vigoureusement la tête aux dires d’Émile : « Ouep. On va leur montrer qu’on est pas des putains d’barbares. » Ils suivaient un élu de la Dame, l’aidaient dans ses tâches saintes, consacraient leur vie au culte, et voilà comment ils étaient accueillis. Régil cracha au sol avant de secouer sa tête et de poursuivre sa route. En d’autres circonstances, ils auraient réagi comme s’il était l’un des leurs, mais c’était une autre époque – et pourtant pas si lointaine. Il devrait apprendre à vivre avec les désavantages d’être un fidèle de la sainte Dame. Les préjugés des gens en faisaient partie.

Bientôt, un drapeau bien connu des deux frères surgit à l’horizon. Régit ressentit le même malaise qu’il l’assaillait lorsqu’il se rendait à la foire; ce foutu squelette. Il lui foutait la frousse. Le colosse avait du mal à comprendre pourquoi l’ancêtre de la maison Desroches avait choisi un tel symbole pour les représenter. Il ne le saurait probablement jamais, puisqu’il se voyait mal leur demander.

La situation aisée des habitants du hameau lui rappela rapidement son ancienne condition de serf. Même parmi le bas peuple, on trouvait le moyen de se diviser en plusieurs statuts sociaux. Le sort en avait voulu ainsi; il était né au bas fond du panier. Personne n’aurait désiré son ancienne vie et il était le premier à le dire. Si sa nouvelle était pleine de danger, il se sentait pourtant plus libre. Il était avec des compagnons qui comprenaient - probablement - ce qu’il avait vécu et il faisait ce qu’il aimait, c’est-à-dire vivre sa foi. Personne ne l’avait forcé. Quoi qu’on puisse en dire; il était là de son plein gré.

La bénédiction de la prêtresse de Shallya fut accueillie par un hochement de tête, témoignage de son respect. Même si elle n’était pas sa déesse, en tout cas celle de son cœur, le jeune homme ne pouvait qu’être en accord avec ses enseignements. Il se rappelait encore de cette bagarre de taverne qu’il avait eue avec un voyageur qui avait confondu la Colombe avec la Dame. Un moment soudain de colère qui avait coûté au malheureux un nez cassé. Tant qu’on ne lui soumettait pas cette odieuse théorie, Régil n’avait aucun problème. « Merci ma sœur, vous d’même. »

La rencontre avec le maître des lieux fut quelque peu stressante pour le pèlerin, surtout si on ajoutait à tout cela une foule de gens, tous de grande extraction. Bien droit, au côté des montures de leurs maîtres, il écouta la conversation entre le comte et le justicier, sans jamais trop oser lever ses yeux plus de quelques secondes, de peur de regarder trop longuement le visage d’une noble. Il put cependant remarquer une femme sans voile, ce qui eut le don de l’intriguer. Il en resta là, incapable de la reconnaître - en partant du principe qu'il l'avait déjà vu. Il ne venait pas ici très souvent, après tout. Encore plus intriguant fut la discussion entre Émile la prêtresse de Verena. En entendant ses paroles, plus particulièrement le mot « félonie », Régil fronça les sourcils. Il avait de nombreuses questions en tête, mais il avait conscience que le moment serait mal choisi pour les poser. Il jeta un dernier regard à Rorgues et les gens qui l’entouraient et se décida à suivre le pèlerin exalté vers la chapelle. Avec le même respect qu’Émile avant lui, il accorda à la colombe une prière, un baiser, ainsi qu’une offrande sous la forme d’une unique pièce d’argent. Cependant, l’intérieur était ce qui l’intéressait le plus. Il était rare pour lui de croiser une chapelle de cette envergure, le lieu de culte de son village étant beaucoup plus petit et modeste en comparaison.

Régil prit son temps pour observer en détail l’architecture des lieux et ses décorations, plus particulièrement les broderies. Il resta médusé par celles-ci, avant d’être forcé à emboiter le pas de ses compagnons, où ils trouvèrent un peu plus loin une jeune femme, totalement dédiée à la Dame, de la même façon qu’ils l’étaient. Le jeune homme n’avait pas besoin de savoir qu’il y avait un gardien en ces lieux pour agir avec le respect qui était demandé. Puisqu’il était venu pour cela, il s’agenouilla devant l’autel, à la demande d’Émile, et écouta ses récits chevaleresques avec une pieuse attention, gravant chacun de ses mots dans son esprit. Lorsqu'il était enfant, son père ne savait pas écrire – tout comme lui d’ailleurs – ainsi chaque histoire était transmise à l’oral, il devait donc s’efforcer de les apprendre par cœur.

Une fois la prière finie, le paysan se redressa lentement, épousseta son pantalon et alors qu’il se dirigeait vers son frère, dans l’espoir de pouvoir lui glisser quelques mots, il fut abordé par Émile, qui lui proposa de se joindre à lui : « Ma foi, c'est qu'ça serait un honneur de rendre service à mon seigneur de Vouvant et la prêtresse. » dit-il en se sentant flatté. Régil réfléchit quelques instants et reprit la parole, à voix plus basse : « Mouais. J'me demandais; si l'compte c'est un félon et qu'on donne les preuves de ses magouilles et qu'il refuse de se soumettre à la justice du duc, on fait quoi ? On va quand même pas écraser la bouille à tout sa garde, si ? Pis, j'imagine qu'on peut pas trop approcher les nobles seigneurs sans qui nous r'gardent de travers ? » Il soupira. « Bah. Tu dois avoir un plan. Ç'doit pas être la première fois pour toi. »
Régil d'Aquitanie, Voie du Pèlerin Bretonnien
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Arnaud d’Aquitanie
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par Arnaud d’Aquitanie »

Arnaud écouta les récits de bataille épique de Pierre Bigleux avec une oreille attentive, digne d'un enfant à qui ses parents racontaient une histoire le soir avant d'aller au lit. La vision héroïque d’Émile décrite par Pierre se confronta aux premières impressions d'Arnaud. Au premier abord, le paria se sentit honteux d'avoir jugé si hâtivement Emile. Car même si son traitement était dur. Il avait raison, il en bavait depuis bien plus longtemps que lui auprès de Rorgues de Vouvent Et s'il faisait partie des premiers pèlerins à accompagner le justicier, ses talents méritaient louanges pour avoir survécu jusqu'ici. Le souvenir de son sourire narquois revenait se confronter à ses idées, cherchant à justifier la colère qui animait Arnaud, celle qui le poussait à aller de l'avant. Celle qui lui disait qu'il était l'un des rares ici à ne pas mériter son châtiment. Il prit conscience qu'il ne faisait que chercher un bouc émissaire. Peut-être inconsciemment, mais il pouvait faire des efforts. Il avait l'opportunité de se racheter, et le comportement d'Emile est justifié, il ne voyait en lui qu'un paria, un criminel, sans aucun doute.

Arnaud grimaça en une moue semblable à un sourire.


- "Surement oui. Merci Bigleux." Cette dernière phrase s'étrangla dans sa gorge.

Les pèlerins préparèrent les affaires du chevalier pour descendre la colline et rejoindre la route. Lorsque la bannière du justicier fut dressée, Arnaud se sentit véritablement comme un pèlerin du Graal. Un disciple de la Dame vertueux qui rayonnait par la chevalerie incontestable de son maître. Lorsque l'enfant approcha et tira sur ses vêtements, Arnaud eut pour réflexe de le prendre dans ses bras un court instant, pour le hisser sur ses épaules. Arnaud pointa du doigt la bannière du chevalier.


- "J'jure pas sur Shallya petit ! Sur la Dame la même ! C'est qu'c'est Rorgues de Vouvent ! Le héros D'Orquemont, vl'à que son épée tranche la pierre et les peaux vertes par douzaines, son destrier là pourrait tirer quatre charrues en même temps et même le faire avec son Rorgues en selle !

Lorsque la mère du gamin l’appela à revenir. Arnaud le fit sauter de ses épaules pour retrouver le sol. Lui filant une tape dans le dos comme pour lui donner de l'élan. C'est alors qu'il remarqua ce sentiment étrange qui planait. Celle de ne pas être accueillit comme des héros. Quelque chose qui le mettait mal à l'aise. Lorsqu'il passèrent sous la bannière du squelette. Arnaud ne put contenir un frisson passer le long de son dos. Cette bannière lui foutait toujours autant la pétoche. Même s'il ignorait pourquoi, la présence du squelette n'était pas là au hasard. Elle racontait quelque chose. Quelque chose qu'il était incapable de comprendre ou d'appréhender. Cette ignorance participait à nourrir la peur qu'il avait en regardant ce drapeau. Car ce squelette pouvait représenter n'importe quoi. Le paria reprit toutefois espoir lorsqu'une prêtresse de Shallya leur accorda une bénédiction spontanée.

Mais ce regain d'espoir fut suivit d'une grande douche froide lorsqu'ils atteignirent la Haute cour de la ville. C'était la première fois qu'il venait ici. Plus jeune, Il avait voulu observer en secret les duels et les entrainements des chevaliers lors de la foire. Mais il y régnait une ambiance peu chevaleresque. Quelque chose de froid, comme si on accueillait des intrus. Les valets s'emparèrent des bagages et le regard d'Arnaud se porta un instant sur une femme merveilleuse, Aux cheveux carmins, une robe immaculée, mais un regard dur. Même si une partie de lui, profondément niaise désirait un regard entrecroisé, le bon sens du paysan le ramena à la raison et ne chercha pas à attirer son attention. Quelque chose derrière sa beauté et sa stature lui faisait peur. Une puissance qu'il ne voulait pas réveiller.

Arnaud poursuivit la visite en compagnie des autres pèlerins pour pénétrer dans la chapelle du Graal du comte de Desroches. Y avait pas à dire, l'autre chapelle du village. Que la Dame pardonne ces pensées : Mais c'était une bien belle chapelle de merde comparée à la merveille si se profilait sous ses yeux honorés. Des récits de chevaleries ornaient chaque parois de la chapelle et même si Arnaud n'avait pas les capacités de comprendre ce que ces lettres pouvaient bien raconter, observer les broderies lui permettait de reconstituer les faits à sa interprétation. Ils rencontrèrent ainsi Alix, recluse entretenant ces lieux et visiblement marqué par les flammes. Si la vision des grands brûlés pouvait repousser le commun des mortels, Arnaud ne voyait en ses blessures qu'une dévotion hors du commun. Se dévouant malgré ses handicaps à soutenir les autres. A les aider à trouver leur voie. Sa voie tremblante et timide ne tarda pas non plus à lui décrocher un sourire béat. Sourire qu'il effaça instantanément lorsqu'elle croisa un instant son regard avec le sien. Même si son visage était défigurée, elle incarnait une vertu de chevalerie qui éclipsait largement sa blessure. La beauté de son âme était désarmante.

Arnaud profita de hospitalité pour s'installer et prier. Il s'agenouilla devant un banc face à la lumière d'un vitrail et déposa devant lui une poupée de chiffon ainsi qu'un morceau de bois gravé qu'il tint entre ses doigts. La première pour son frère, le morceau de bois pour lui. Arnaud accordait beaucoup d'importance à la prière. C'était un moment de repos, où il pouvait se recueillir, espérant montrer sa volonté de se racheter, d'éloigner la malchance et les mauvais signes ou encore pour évacuer ses pensées et idées noires. Arnaud a souvent prié en parlant, s'adressant à une entité invisible étant la cible de ses interrogations. Elle pouvait Shallya, La Dame elle même ou n'importe quelle divinité pouvant écouter ses requêtes, ses doutes ou ses aspirations. Il passait régulièrement les doigts le long des gravures du morceau. Répétant à voix basse :"Un chemin pour lui, Un Chemin pour moi."
Arnaud D'Aquitaine, Voie du Pèlerinage Bretonnien
Profil: For 9 | End 9 | Hab 9 | Cha 9 | Int 8 | Ini 10 | Att 10 | Par 9 | Tir 8 | Mag 0 | NA 1 | PV 65/65
Lien Fiche personnage: wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_arnaud_d_aquitaine

"…Tu offriras, à ton preux Seigneur le champart qu'il requiert,
Toujours, tu travailleras, hors les jours saints
Tu ne gardera pour toi et les tiens qu'un dixième des fruits de ton labeur
Et réjouis-toi, car un Chevalier de Bretonnie te protégera…"

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[MJ] La Fée Enchanteresse
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Re: [Régil et Arnaud] La route rend libre

Message par [MJ] La Fée Enchanteresse »

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La réponse de Régil fit ricaner Émile — en même temps, Beau-Sourire méritait bien son surnom en ricanant absolument tout le temps, parfois de façon sardonique, parfois de manière sincère. Il fit un signe de tête vers l’extérieur de la chapelle, intimant le jeune homme à le suivre tandis qu’ils conversaient encore.

« Va pas trop vite en besogne — je te d’mande pas d’aller faire une clé d’bras au sire Manassès au besoin ! Not’ bon duc il a des centaines de chevaliers pour maintenir sa loi, faut bien qu’ils donnent l’impression d’être utiles au peuple de temps en temps, pas vrai ? »

Son propos avait de quoi choquer, même si c’était une critique commune des paysans. Visiblement, se moquer des aristocrates ne gênait pas un dévot de la Dame.

« Il est évident qu’t’approcheras pas de quiconque de sa famille. Et tu fouilleras pas dans sa correspondance non plus, et encore, c’est si tu savais lire…
Nan, c’que je te demande, c’est plus simple. Mais aussi plus… Sensible. »


Il parut hésitant. Les deux dehors, ils pouvaient observer l’immense chêne de la famille Desroches. Ils en firent le tour, et c’est à voix basse, s’assurant qu’il n’y avait point d’oreilles indiscrètes, que le pèlerin exalté commença à cracher le morceau.

« Sœur Lucie Deschesnêts, tu dois bien t’douter qu’céti pas une dame comme les aut’. J’veux dire, une fille qui caracole à cheval en compagnie d’un ch’valier du Graal, ça fait lever un sourcil, hein ?
Elle n’est pas tout à fait une prêtresse de Véréna. Elle est ce qu’on appelle une investigatrice. Elle est spécialisée dans un tas de choses fourbes et franchement pas chevaleresques, alors qu’elle est fille de chevalier : elle sait ouvrir des lettres sans les décacheter, elle sait lire plein de langues anciennes, et décrypter des messages codés. C’est une détective, et un peu une espionne aussi.
Pourtant, elle utilise ses dons pour l’bien d’la Bretonnie, et indirectement, pour le service de la Dame. Rorgues céti un preux chevalier, un vrai de vrai, un combattant comme y en a peu sur cette Terre. Mais c’est aussi un justicier, un type qu’applique la loi du Roy. Et y sait que c’boulot, ça s’fait pas uniquement avec des épées. Même si les épées ça aide bien. »


Et ayant dit ça, il posa une main sur sa ceinture où pendouillait son fauchon. Et, comme d’habitude, ricana.

« C’est Lucie qui s’occupera du vrai travail. Mais elle peut pas fouiller dans les tiroirs du sire Manassès et enquêter sur ses agissements si elle a pas des suspicions crédibles, ou un début d’piste — ça s’rait totalement suicidaire de sa part.
Pour ça qu’on peut lui être très utiles. Avec nos yeux, nos oreilles, et nos bouches. Nous on parle facilement aux paysans quand on fait des prêches. On peut voir c’qui se passe par ici, poser des questions innocentes, pas dangereuses, trouver des petits détails — est-ce que des aristocrates importants sont v’nus par ici ? Est-ce que Manassès a levé des impôts ? Est-ce qu’il y a eut des absences notables ? Est-ce que des chevaliers sont v’nus en armes et pas pour un tournoi ? T’vois, ce genre de choses.

Manassès Desroches et Palamède de Fluvia sont deux comtes très importants en Aquitanie, et deux maréchaux. Autrefois, y étaient potes inséparables, puis récemment, pour une raison inconnue, y s’sont mis à se haïr et y ont quitté la cour en même temps. Rorgues de Vouvant a été chargé par not’ duc d’y mettre bon ordre. Ni Desroches, ni Fluvia n’est un criminel recherché — mais s’ils enfreignaient les lois d’la chevalerie, not’ duc pourrait exiger d’eux qu’y r’viennent présenter leurs explications d’vant sa cour. Pour ça qu’on est là. »


Il s’arrêta, et posa une main sur l’épaule de Régil, avant de le regarder très intensément au fond des yeux.

« Il est évident qu’ce que j’te dis là, tu dois faire gaffe à qui tu l’dis. Ton frère va t’aider, si tu lui fais confiance. Mais crie pas tout ça sur tous les toits.
Lucie Deschesnêts, elle a ses défauts… Mais not’ chevalier du Graal l’aime et tient à elle comme sa fille, donc, ça veut dire, qu’nous aussi on doit la protéger coûte que coûte. Tu piges ? »




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En Bretonnie, tous les enfants, garçons et filles, nobles et roturiers, paysans et artisans, enfants de princes et enfants de meuniers, reçoivent un cadeau à la naissance — une poupée. Simple morceau de chiffon pour les pauvres, élégant bibelot en bois pour les riches, il est décoré de petits yeux en boutons de chemises ou bien a des traits du visage gravés là où on trouve sa tête. La poupée a une fonction simple, importante dans un peuple si superstitieux : tromper les Fées, qui enlèvent les enfants doués de ce qu’on appelle le 6e sens.

Arnaud se recueillait en face d’un des quelques vitraux de la chapelle. Pour les analphabètes, ces images étaient importantes — elles constituaient un récit, quand on ne peut lire les chroniques des érudits qui ont laissé leurs mots sur le parchemin. Il était en face d’une jolie scène fleurie, de damoiselles du Graal aux cheveux au vent, qui portaient sur un palanquin en or leur Fée Enchanteresse, Morgiana, celle qui régnait depuis plusieurs siècles maintenant sur Athel Loren. À gauche et à droite, des mosaïques représentaient des blasons héraldiques, et des pèlerins du Graal qui avaient contribué à faire construire des chapelles dans le royaume.

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Alors qu’il priait silencieusement, il sentait quelqu’un venir près de lui. Il ne puait pas, alors il ne pouvait pas s’agir d’un de ses collègues couvert de sueur par la route ; un simple mouvement de la tête lui permit de reconnaître Alix, la femme au visage brûlé, qui s’était installée à ses côtés. Et, doucement, il entendit sa voix bourdonner dans son oreille :

« De la foudre et du tonnerre,
Ma Dame, délivre-nous.
De la maladie, de la tentation et de la guerre,
Ma Dame, délivre-nous.
De la soif du Serpent,
Ma Dame, délivre-nous.
De la malédiction des mutants,
Ma Dame, délivre-nous.
Du blasphème des défunts,
Ma Dame, délivre-nous.
Des présents des démons,
Ma Dame, délivre-nous.
Des horreurs des corrompus,
Ma Dame, délivre-nous.
De nos vices et de nos fautes,
Ma Dame, délivre-nous.
 »


La recluse regarda la poupée d’Arnaud. Et, après un petit instant d’hésitation muette, elle demanda, sur un ton triste :

« Quel était son nom ? »

-1 sou d’argent retiré à Régil
+1 PdC de Shallya acquis

1 PdC de la Dame du Lac acquis par Arnaud
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