[Armand de Lyrie] La solitude du dirigeant

La Bretonnie, c'est aussi les villes de Parravon et Gisoreux, les cités portuaires de Bordeleaux et Brionne, Quenelles et ses nombreuses chapelles à la gloire de la Dame du Lac, mais aussi le Défilé de la Hache, le lieu de passage principal à travers les montagnes qui sépare l'Empire de la Bretonnie, les forêts de Chalons et d'Arden et, pour finir, les duchés de L'Anguille, la Lyonnesse, l'Artenois, la Bastogne, l'Aquilanie et la Gasconnie.

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[MJ] Katarin
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Re: [Armand de Lyrie] La solitude du dirigeant

Message par [MJ] Katarin »

Peu importait la connotation du mot "connaître" qu'avait employé Armand, Thecia sembla tout à fait ravie de l'interprétation qu'elle en fit puisqu'elle offrit à Armand un sourire qui semblait sincère. Elle laissa partir Armand en le saluant d'une courbette polie et d'un "messire" respectueux.

Armand passa le reste de la journée à administrer ses terres et ses gens, installé dans l'étude de sa maison particulière. Des lettres de condoléances furent écrites aux familles Baillet, Fluvia et Favière, et confiées aux herrimaults. En compagnie de Gotlinde et Jehanne, tous les sujets furent évoqués : recensement des habitants, état général de Derrevin, de Cinan et de Punoy, objectifs à court moyen et long termes. L'on parla des frontières, des routes bloquées et des chemins dérobés arpentés par les herrimaults. Du Gilleau, des gillites, de la pêche, et de la forêt de Chalons de l'autre côté du fleuve dont les arbres étaient illégalement coupés par les villageois. Du procès à venir d'Aubertin d'Elbiq, des forces et faiblesses de la famille Maisne, des impacts politiques d'un mariage officiel entre Armand et Jehanne, des possibles réactions du duc à la mort de Mélaine.

Devenir le gestionnaire de trois domaines du jour au lendemain ne se faisait pas sur un claquement de doigts, et le jeune seigneur de Lyrie put constater lors de ce premier jour la quantité de travail colossale qui l'attendait dans les temps futurs. Il fallut un nombre conséquent de verres de cidre à Armand pour affronter ce torrent d'informations à digérer, et pour protéger sa voix de l'essoufflement lors de ces longues conversations - et d'ailleurs, Jehanne l'accompagna pour chaque verre pris, appréciant apparemment tout autant que lui le plaisir de la bouteille.

Tous trois furent si occupés qu'ils ne virent même pas la journée passer, et furent surpris de déjà voir le soleil décliner à l'horizon. Période hivernale oblige, l'astre se couchait tôt - et si les tâches du jour avaient été intellectuellement épuisantes, il leur fallait désormais se préparer pour la soirée à venir. Gotlinde quitta l'étude la première, laissant Armand et Jehanne en tête à tête. L'héritière de Montagu, scruta le jeune homme de haut en bas, fronça les sourcils puis s'approcha afin d'arranger quelques plis de la tunique d'Armand.

- Pour fêter la venue au monde de notre enfant et notre première apparition publique officielle en tant que couple, j'aurais préféré pouvoir vous dénicher quelque chose de plus... distingué, mais ces imbéciles de paysans ont mis le feu à toute la garde-robe des nobles du château quand ils l'ont pris d'assaut, et ont revendu le reste. J'ai néanmoins laissé quelques autres pièces dans votre chambre à votre attention, que j'ai réussi à dégotter ça et là. Mais après tout, peut-être est-il mieux pour obtenir leur confiance que vous ne soyez pas habillé trop royalement.

Vous me ferez honneur ce soir. Vous rappellerez à ces bouseux qui est leur dame désormais, mais aussi l'unique mère de leur dieu vénéré, et à qui ils doivent le respect maintenant que leur petit épisode révolutionnaire s'est terminé. Qu'ils ne prononcent plus mon nom que dans leurs prières, qu'ils ne m'adressent plus la parole que pour m'offrir des présents, qu'ils ne me regardent plus avec d'autres intentions que de s'aplatir devant moi.


Jehanne avait bu plus d'un pichet à elle seule. Son regard était dansant, sa bouche pincée, et sa voix portait une colère froide qu'elle n'avait laissé transparaitre qu'une seule fois jusque là, lorsque le nom de Margot avait été abordé. Croisant les prunelles bleues d'Armand, elle se défendit d'une accusation qu'il n'avait pourtant pas formulé :

- Ne me regardez pas ainsi. Vous savez ce que cela a été de vivre ici pendant six mois ? De subir la familiarité de ces cul-terreux qui croyaient être devenus les nouveaux seigneurs de ce monde parce qu'ils avaient fait griller le leur ? De vivre dans leur misère, à manger de la soupe à tous les repas pour se remplir l'estomac ? De devoir porter une foutue armure et d'apprendre à me battre à l'épée comme un homme parce que la moitié de la ville me déteste pour mon statut ? Je suis l'héritière de Montagu, et ces bouseux ils... ils me...

Elle s'était mise à trembler de colère, le poing serré, tant et si bien qu'elle n'arrivait pas à finir sa phrase. Si Armand croyait avoir l'alcool mauvais, il semblerait que sa nouvelle compagne pouvait lui tenir tête en la matière - mais peut-être que la fatigue soulignée par ses cernes noires partiellement dissimulées par son maquillage avait aussi un rôle à jouer dans son humeur.

Pourtant, la réponse très digne d'Armand fit fondre son acrimonie comme neige au soleil. En rappelant à son épouse de circonstance sa supériorité morale et intellectuelle sur les gens qui l'avaient accablé, et en lui assurant d'une voix ferme qu'il serait désormais toujours là pour protéger son honneur, il fut si convaincant que toutes les défenses de Jehanne semblèrent s'écrouler. Elle détourna le regard, et sembla même rougir un petit peu - à cause de l'alcool, de la honte ou d'une soudaine timidité face à la déclaration du seigneur de Derrevin, impossible à dire.

- Merci, messire. Vous méritez mieux que mon caractère acariâtre pour l'importante soirée qui s'annonce. Je vais corriger cela pour vous.


Elle mit alors la main dans sa poche, et en saisit le flacon de nectar que le borgne lui avait confié dans la matinée, qu'elle fixa avec un air de défi. Après un temps de réflexion, elle se décida à se l'envoyer brusquement cul sec au fond de la gorge. Puis, seconde après seconde, ses muscles raidis se détendirent, ses épaules perdirent la tension accumulée, et son visage retrouva un air bien plus serein avec des joues prenant une teinte rose et un début de sourire apparaître au coin de ses lèvres.

- C'est une excellente idée que vous avez eu d'organiser une fête pour notre fils.

En une poignée de secondes, elle avait changé du tout au tout d'expression. La soudaine hargne qui l'avait envahie avait totalement disparue, remplacée par une alacrité qui ne semblait même pas feinte.

- Gilles adorera ces instants ! Sa mère, son père, et tous ses fidèles réunis rien que pour lui, à partager l'euphorie de la vie qui lui a été offerte. Ce sera un grand moment, que nous pourrons partager ensemble. Je vais tâcher de m'apprêter afin d'être aussi resplendissante que possible pour faire honneur à mon fils et mon mari. Si vous voulez bien m'excuser...

Une courbette plus tard effectuée tout en soulevant les plis de sa robe, Jehanne était partie de l'étude en gloussant, laissant la porte ouverte derrière elle.



***


La population de Derrevin avait drastiquement baissé depuis la dernière fois qu'Armand avait remonté ce chemin vers l'est en direction du temple : pendant sa période de récupération en compagnie d'Ophélie, les habitants de Cinan et de Punoy avaient regagné leurs foyers, le danger représenté par Mélaine ayant été écarté. Restaient néanmoins plus de sept cent âmes, qui à l'instar de leur seigneur, se dirigeaient vers le temple de Shallya à la lumière du des étoiles et du crépuscule.

Jehanne marchait aux côtés d'Armand, avec la prestance d'une reine. Elle avait échangé sa cotte ocre contre la magnifique robe rouge vermeil qu'elle avait porté quelques jours plus tôt et avait été trempée de boue - mais les lavandières de Derrevin avaient réussi des miracles avec le vêtement qui était désormais parfaitement propre. Elle avait gardé son collier de diamant ainsi que sa coiffe, mais avait agrémenté cette dernière d'un voile qui lui descendait jusqu'en bas de la nuque. Elle s'était également débarrassée de son attelle, même si les mouvements de son bras gauche trahissaient une gêne encore présente. Délicatement maquillée pour faire blanchir son teint, elle avait aussi pris le temps de se parfumer et dégageait désormais de douces fragrances d'amande et de noisette.

La grande place devant le temple avait été aménagée pour l'occasion. Plusieurs braseros avaient été posés sur son périmètre extérieur. Aucun feu n'avait cependant encore été allumé sinon ceux servant à alimenter des rôtissoires sur lesquels on faisait tourner d'énormes cochons dont l'odeur parfumait tout l'endroit. Même si le vent était doux, les couches de vêtements superposées d'Armand ne furent pas superflues pour se protéger de la température très fraiche. Pourtant, les habitants vêtus bien plus simplement ne semblaient pas le moins du monde indisposés, et Alys avait fait installer tables et bancs en demi-cercles concentriques sur la moitié sud-ouest de la place et dans les ruelles adjacentes , prévoyant apparemment que tout le monde festoie en extérieur. Le mobilier en question était composé de meubles récupérés dans toutes les chaumières mis bout-à-bout, produisant un ensemble hétéroclite peu régulier : quant aux chaises et tabourets, ils étaient collés les uns aux autres dans l'optique de maximiser les gains d'espace.

De nombreux oiseaux brunâtres avaient été peints sur les murs des maisons jouxtant la place, et de ci de là on pouvait trouver des tissus colorés de formes disparates accrochés à des fils tendus entre deux bâtiments. Une estrade de fortune avait été constitué au nord, composée de pierres volées dans les ruines du château et de planches clouées à la va-vite, décorée par deux drapeaux blancs sur lesquels on avait cousu une colombe rouge.

Cette fois-ci, tout le monde put entrer dans le temple de Shallya, quand bien même l'espace dédié à chacun était réduit au strict minimum, et alors que la nef se remplissait, tout le monde finissait par marcher sur les pieds de ses voisins. Lorsqu'Armand et Jehanne entrèrent, les trois quarts de la pièce étaient déjà pleins à craquer - et avec autant de gens agglomérés, l'atmosphère capiteuse de la pièce non aérée semblait avoir encore gagné en chaleur et en moiteur. Les habitants de Derrevin se poussaient naturellement sur leur passage, s'écrasant davantage encore entre eux pour leur faire de la place. La majorité d'entre eux souriait au couple seigneurial, les saluant d'une inflexion respectueuse, ou d'un "madame, messire" poli - à sa surprise, il entendit également quelques fois le titre de "Père" provenir de la foule lui étant manifestement adressé. Quelques-uns lui exprimèrent également de brefs remerciements pour avoir défait le monstre Mélaine, encourageant leurs voisins à se manifester à leur tour, et c'est dans une cacophonie de louanges timides qu'il traversa la masse de ses sujets avec Jehanne jusqu'à la colombe de pierre rougie. Devant la sculpture, entre deux candélabres allumés, était posée sur l'autel une très grande vasque en pierre, à moitié pleine d'un nectar rose facilement identifiable.

Alys les attendait devant l'autel. Elle n'avait visiblement pas ménagé ses efforts depuis ce matin, comme en témoignait son visage rongé par l'épuisement et sa posture voutée sur son bâton qui semblait être la seule chose qui l'empêchait de s'écrouler au sol. Si Armand ne l'avait pas vue quelques-heures plus tôt en pleine forme, il aurait pu croire qu'elle n'avait pas dormi depuis trois jours. Elle l'accueillit néanmoins avec le même sourire aimant que d'habitude, une douce étreinte entre ses bras, et un baiser sur sa tête, puis procéda de la même manière avec Jehanne.

Les dizaines de minutes qui suivirent furent dédiées à l'attente : la cérémonie ne pouvait commencer tant que l'intégralité de Derrevin n'avait pas fini de s'entasser dans le temple. Dans les premiers rangs, Armand reconnut quelques visages familiers - Jacquot et sa fille Gervaise, quelques herrimaults qu'il avait aperçu plusieurs fois sans retenir leurs noms, et le chevalier Arnoulet de Crete de vert vêtu. Le reste des visages était noyé dans une foule trop compacte pour pouvoir y distinguer des traits particuliers. Apparemment, les habitudes prises ces derniers mois étaient restés, et aucun respect social ne permettait aux gens biens nés de bénéficier de meilleures places que les autres pour la cérémonie. De nombreuses conversations semblaient animer tous ces gens, dont les chuchotements cacophoniques résonnaient sur les murs de marbre blanc.

S'il sembla que la dernière personne attendue avait pénétré l'enceinte du temple depuis déjà quelques minutes, la cérémonie ne démarra pourtant pas immédiatement. Il y eut encore un long moment d'attente qu'Alys laissa s'écouler, avant qu'enfin elle ne lève lentement la main au ciel, faisant taire en cinq secondes les sept cent personnes présentes. Puis naturellement, la foule s'écarta une nouvelle fois en deux, ouvrant un chemin entre la grande double porte et l'autel.

Une figure vêtue d'une gigantesque chape rouge terni entra dans le temple, dont l'apparence ne pouvait qu'évoquer à Armand ses anciens cauchemars. Son visage était entièrement dissimulé derrière les plis d'une grande capuche. Dans ses bras, elle tenait le petit Gilles emmailloté dans les replis de l'ample vêtement. Tous les habitants à portée tendirent leurs bras dans sa direction, effleurant le bébé du bout de leurs doigts, tandis que l'apparition rouge progressait assez lentement parmi eux pour leur laisser le temps de bien observer ou toucher l'Enfant Divin.

Ce n'est que lorsqu'elle se retrouva devant l'autel qu'elle releva enfin la tête, laissant entrapercevoir son visage jusque là dissimulé.

Thecia offrit un doux sourire à Armand, puis prit place aux côtés d'Alys.

La grande-prêtresse prit enfin la parole.

- Mes enfants.

Elle marqua une pause. Le silence dans la foule était total : pas un mot, mais également pas un son, pas un frottement de vêtement ou un raclement de gorge. Seulement des visages plein d'allégresse dont tous les yeux étaient tournés vers elle.

- Je suis tellement heureuse de nous voir ainsi rassemblés. Hommes et femmes. Jeunes et vieux. Fermiers et chevaliers.

Un autre silence, tandis qu'elle englobait la foule de son regard.

- Tant de différences entre vous. Des différences auxquelles nous attachions tant d'importance. Des différences tels des murs batis pour nous rassurer, mais surtout, nous séparer. Car nous étions hier encore divisés, ne vous y trompez pas. Avec orgueil, nous nous étions crus meilleurs que nos voisins, car nous avions fait chuter la noblesse de son piédestal, et étions certains de pouvoir créer un meilleur monde sans elle. Mais quel a été le résultat ?

Alys se tourna vers Armand et sa compagne.

- Dame Jehanne était notre invitée. Combien d'entre vous lui ont manqué de respect ? Combien d'entre nous ont craché sur elle dans nos rues ? Combien encore ont essayé de l'agresser, la forçant à s'enfermer chez elle ou se déplacer uniquement sous bonne garde ?

Armand de Lyrie était notre invité, recueilli par Shallya alors qu'il avait sauvé l'une des nôtres. Pour le remercier, nous l'avons provoqué et agressé en supériorité numérique le jour même de son rétablissement.

Voilà donc tout ce que nous étions capables de créer avec l'opportunité qui nous était offerte ? Un monde dans lequel l'oppressant et l'opprimé sont inversés, où la violence reste le ciment de nos relations ? Ceux qui étaient riches de leurs biens ne les ont pas davantage partagés aux plus pauvres, ceux en bonne santé n'ont pas davantage dédié leur vie aux plus malades souffrant dans ces murs, ceux qui battaient leur femme et leurs enfants n'ont pas arrêté de le faire.

Nous avions cru bien faire en se débarrassant de la noblesse, mais nous avons échoué à faire le bien.


Si Armand croyait avoir entendu un silence total précédemment, c'est qu'il n'avait pas encore pu gouter de ce nouvel instant. Toute la foule venait de se faire écraser par un fardeau colossal de culpabilité, et désormais sept cent individus baissaient le regard de honte en direction de leurs pieds.

- Relevez la tête, mes enfants. Nos erreurs d'hier sont les fondations de nos résolutions de demain. Car il nous a été offert l'opportunité de nous racheter. Tout comme la Dame du Lac a vu dans Gilles le Breton l'élu à même de façonner le destin de ce pays, l'Enfant Divin a vu en Derrevin le terreau fertile d'un changement bénéfique pour le monde à venir. Il nous a choisi, nous, pour accueillir son vaisseau de chair et de sang. Il a eu pitié de nos errances, et a deviné combien notre cœur était grand. Il a décelé notre potentiel, a été inspiré par notre désir de bâtir un monde meilleur, et a choisi de venir parmi nous pour nous guider dans notre aspiration, et faire tomber les barrières nous séparant de l'idylle.

Gilles, Dieu d'Amour, nous a élu, nous, peuple de Derrevin, parce qu'il nous aime de tout son cœur.


Sur cette exclamation, Thecia porta à deux mains le petit bébé dénudé au-dessus d'elle, le brandissant comme un flambeau devant la foule. Et de manière parfaitement synchronisée, la foule répondit :

- Nous t'aimons de tout notre cœur, Gilles, maintenant et à jamais.

- Nous te demandons humblement de nous débarrasser de nos craintes.

- Nous te demandons humblement de nous débarrasser de nos craintes.

- Nous te supplions d'effacer nos pêchés et de pardonner nos erreurs.

- Nous te supplions d'effacer nos pêchés et de pardonner nos erreurs.

- Nous nous soumettons à ta miséricorde, à ta bonté, et à ton amour

- Nous nous soumettons à ta miséricorde, à ta bonté, et à ton amour

- Nous destinons nos vies à la réalisation de ton dessein.

- Nous destinons nos vies à la réalisation de ton dessein.

- Nous te jurons notre dévotion et notre obéissance éternelle.

- Nous te jurons notre dévotion et notre obéissance éternelle.

Nouveau silence, mais désormais teinté d'une émotion différente. Il y avait de la ferveur dans la voix de la foule, une piété profonde et respectueuse, et elle est encore présente dans ce moment où les mots se sont tus. Nombreux sont ceux qui pleurent en regardant le petit Gilles, que Thecia maintient en l'air. Il ne pleure ni ne s'agite : calmement, il observe ses fidèles avec ses petits yeux vitreux et humides, ouvrant et fermant ses petits poings mécaniquement.

Puis Thecia se tourne avec Gilles vers Armand, lui offre un sourire rayonnant, et semble attendre quelque chose de lui. La scène était étrangement familière à Armand : la silhouette vêtue de rouge portant la représentation divine haut dans le ciel, la vasque devant elle, la foule priante observant la scène... ne manquait qu'un chevalier pour compléter le tableau de Naudin qui se jouait ici.

Finalement, elle fit doucement redescendre Gilles, le couvrant de nouveau au sein des amples manches de sa chape. Elle se mit alors en retrait, Alys également, et d'un mouvement du bras, invita Armand à s'avancer pour prendre la parole.


Je sens bien que tu aimes mettre en avant ton petit plaisir à te descendre de l'alcool en toute situation alooors :
Jet de VOL(-2) sur ton END pour l'addiction à l'alcool : 2. Armand est un homme de contrôle, son mental est plus fort que la boisson.
Je reprend tes ajouts du wiki pour ce pichet de cidre : je te considère "pompette" pour le soir, donc +1CHA, -1INT. Un peu moins vif d'esprit, mais plus libre et confiant dans ta tchatche habituelle :D Ca s'ajoute à tes états temporaires de signature pour le moment.

Jet de VOL de Jehanne sous effet de l'alcool : 10, raté. Elle s'emporte un peu.

Tu peux t'apprêter selon ton bon plaisir : la salle de bains est disponible, et Jehanne a laissé à ton attention plusieurs habits et accessoires (tu peux inventer ce qu'il te plait, dans un niveau de qualité "bourgeois" - donc bonne qualité, mais peu de couleurs vives et chatoyantes. Il y a une ou deux pièces plus nobles, mais considère qu'elles ont toutes un défaut - mal ajusté à ta taille, couleur ternie ou tâche indélébile visible, etc. Il y a aussi des accessoires en tissu/cuir (gants, chaussures, écharpe, tout de qualité bourgeoise) mais aucun bijou. Tu peux aussi rester comme tu es - après tout c'est ce qu'a choisi de confier Jehanne aux shalléennes pour ton réveil.

Jet de END informatif : 10, raté de 1. Je ne refais pas le jet de VOL du temple, tu l'as réussi précédemment, l'endroit ne t'affecte pas le ciboulot. Néanmoins, il y a fait vraiment chaud et humide, et ton personnage se sent clairement étouffer dans ses couches de fringues - tu sues pas mal et t'as la tête qui tourne un peu. A moins de retirer quelques vêtements, tu auras un malus de -1 sur tes jets de CHA ici. Note que pour le moment, c'est compensé par l'alcool.

Jet de CHA pour voir un peu la réaction de la foule à ton arrivée : 12, réussi de 2. Réaction positive.

Jet de perception (INT) pour reconnaître des visages dans cette masse : 13, raté de 5. Trop de gens agglutinés pour réussir à poser ton regard de manière précise sur chacun.

Jet de peur sur END+INT / 2 (vivement la stat de volonté) : 14, réussi tout juste grâce à Esprit compatissant, Sang-froid et Volonté de fer (techniquement tu as raté de 1 car sang-froid c'est pour des actions accomplies dans un climat de stress, mais du coup l'échec du jet te file un malus de 1 à tes jets à cause du stress engendré en voyant la figure rouge, que tu compenses automatiquement par la suite via sang-froid, donc...). Bref, voir la figure encapuchonnée du tableau face à toi t'a fait rater un battement de cœur mais ça va, t'es pas en apoplexie :mrgreen:

Jet d'INT : 9, réussi. Une scène familière semble se jouer, et t'inviter à y participer... ce qui peut te rappeler de très mauvais souvenirs des déréliches qui procédaient de manière similaire :mrgreen:

***

Spécial : le post suivant d'Armand ayant fait tomber un 1 en CHA envers Jehanne, j'ai ajouté un paragraphe avant qu'elle ne boive sa fiole de nectar pour rendre tout ça plus homogène. Il est visible en italique.

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Armand de Lyrie
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Re: [Armand de Lyrie] La solitude du dirigeant

Message par Armand de Lyrie »

Rédiger les lettres de condoléances suivantes est très facile : il faut juste recopier et changer les noms. J’ai à peine le courage d’être sincère, j’écris les missives suivantes tel un automate, à la ligne près.
Il n’y a vraiment qu’au moment où je parle d’Albert de Favière que je sens ma gorge se serrer. Si les autres sont morts, c’est par la main de la Banshee — une partie de moi qui est passée soudainement, et qui est déjà disparue, comme un cauchemar qu’il faut vite oublier. Mais le Couronnais m’appartiens pour l'éternité.
C’est les dents serrées que je signe son nom.



Après, il y a beaucoup de parlotte. J’estime être un homme intelligent (Inutile de faire de la fausse modestie, je sais que je vaux bien mieux que la majorité des aristocrates partageant mon titre…), mais le travail me fatigue, et du haut des vingt piges d’Armand, on ne peut pas dire que j’ai beaucoup d’expérience dans le commandement — Anne était bien plus studieuse que son époux, en revanche. Surtout, même si je n’ose pas le dire, je doute franchement de la légitimité de Jehanne de Montagu à pouvoir prétendre donner son avis sur tout, même pour la gestion des terres, la pêche, ou les futurs travaux qu’il faudra entreprendre en ville. Gotlinde a un grand esprit, mais elle n’est pas véritablement une intendante non plus ; si je l’aie appelée, c’est surtout parce que je l’estime beaucoup, pour une raison que je ne saurais totalement expliquer.
Il faudra rapidement doter de la ville de moyens de se gérer elle-même. Je fais avec ce que je trouve pour l’instant.
Plus intéressant pour Jehanne, en revanche, il y a nos conspirations à l’encontre des Maisne et des Elbiq. Les prochains jours seront presque entièrement dédiés à des tentatives de séduction de nos voisins, mais il est clair qu’un homme comme Brandan respecte surtout la force et l’autorité ; j’ai besoin du soutien du duc pour tenir Maisne à l’écart, et j’ai besoin de Maisne pour me renforcer face au duc, difficile de ne pas se tromper. Peut-être devrions-nous même prospecter du côté des Fluvia et Desroches, mais nous n’en sommes pas vraiment encore là…


Bref, beaucoup de noms, beaucoup de paroles, et si je fais un énorme effort pour suivre, en hésitant pas à hausser du ton de temps en temps, je me retrouve vite atterré par une migraine et avachi sur un fauteuil.

C’est Gotlinde qui part en premier, et qui me laisse avec mon épouse. C’est à mon grand regret, car la fille du baron ne fait strictement rien pour alléger mon mal de crâne. Quelques vives invectives avinées et des souvenirs douloureux plus tard, la voilà qui se plaint de manger de la soupe et de se défendre elle-même — oui, heureusement que Gotlinde est sortie, je ne suis pas sûr que la fière Impériale voit ces privations et ces entraînements d’un mauvais œil, mais hé, je la boucle et ne fais pas ce genre de remarques à voix haute.

À la place, je pose une main sur son poing serré, et la rassure d’une voix douce.

« Ils ont vécu de terribles choses sous Binet. Ce n’est pas une excuse pour leur comportement — mais ce sont des roturiers, ils rendent les coups dès qu’ils en ont l’occasion. Nous sommes nobles, nous avons le devoir d’être meilleurs qu’eux et de demeurer dignes, même quand on est forcés de manger de la soupe et de dormir dans les puces.
Au moins, plus personne ne vous manquera de respect maintenant que je suis là.
Pas parce que je suis le père de l’Enfant Divin, entendez. Parce que vous savez ce que j’ai fais au dernier Derrevinois qui m’a agressé. »


Je lui offre un grand sourire vicelard. Pauvre Rémon.

Et la voilà qui descend une fiole offerte par la révérende-mère. Là, je perds mon sourire, et je la regarde avec un mélange de fascination et d’inquiétude. J’étudie. Je la regarde très intensément, comme je fais depuis que je suis mêlé à tout ce nouveau culte qui vient de naître dans le Vieux Monde. J’essaye d’avoir la réponse à des questions, rien qu’en essayant de deviner quelque chose dans les traits de son visage, puis dans le son de sa voix lorsqu’elle me parle d’un air soudain rassuré et jovial.

Elle a l’air… Heureuse. Pour ce que ça vaut. Elle glousse comme une jeune fille en partant avec sa révérence, alors que je suis toujours avachi dans mon fauteuil, comme un sac. Ses… Ses paroles ont l’air cohérentes, comme ses souvenirs, comme sa compréhension de la situation. Personne ne l’a forcée à boire cette fiole, ce n’était pas par pression des pairs. Alors…
Alors qu’elle ferme la porte, je commence à douter de mes appréhensions. Tout ce que j’ai vu d’Alys et de Gilles, c’était de la douceur, et de la bonté. Même-…

Je ferme mes yeux en soupirant longuement.
Même Margot avait l’air comblée quand elle mettait Gilles au monde. Des épines la transperçaient, il y avait du sang partout, et pourtant, elle était tellement heureuse. Ce n’est que moi qui aie amené la violence et la terreur.
Ouais. Ophélie a tort. Je lui en veux pas, c’est une petite fille. Mais c’est que moi le monstre, dans toute cette histoire. Surtout depuis que Symbiose a transpercé mon cœur, et a injecté tout le mal qu’elle avait bien à l’intérieur.



C’est mécaniquement que je me prépare pour ce soir. Y a aucune appréhension, aucune nervosité, parce qu’en fait, il y a strictement rien. Certes, quel abruti pense à grand-chose en enfilant ses chaussettes ? J’ouvre l’armoire désignée par Jehanne, je fouille dans les manteaux et les vêtements qui ont été collectionnés par ses soins. Il y a pas grand-chose, mais au moins une paire de gants, et un bonnet en feutre qui fait, selon moi, beau genre — il est important de se couvrir la tête quand on est une personne respectable, dans notre pays. Je prends tout sous le bras et me dirige vers la salle de bain.
Je mets un moment à me déshabiller, à cause de mon tas de couches de vêtements, d’une part, mais aussi parce que je redoute de découvrir mon corps. Je tâche de bien rendre mon regard dans le miroir, sans errer vers ma poitrine. Un rasoir en main, je m’approche de mon visage, et coupe net les poils de duvet récalcitrants, afin de garder une mâchoire la plus glabre possible. Je passe un peu de sauge sur mes dents, elles ont bien besoin, je puais de la gueule après des jours sans pouvoir prendre soin de moi. J’ai des cernes horribles, mais malheureusement, rien pour les camoufler — le tiroir n’a pas assez de baumes et de choix dans les drogues pour m’aider de ce côté-là. En revanche, il y a une eau de toilette qui cocotte pas mal ; j’en laisse quelques gouttes sur mes poignets et dans mon cou, car c’est ainsi qu’on fait deviner un parfum sans agresser le nez des autres. Cela va faire tellement longtemps que je ne m’étais pas parfumé, la dernière fois, je crois que c’était à… Une soirée qu’organisait mon père, en fait. Mes cheveux, je glisse un peu de crème dedans, et essaye de les arranger pour qu’ils tombent bien sur mon front, d’une façon harmonieuse.
Du reste, je ne fais que passer de l’eau froide fort désagréable sous mes aisselles et dans le creux de mon dos. C’est pas agréable, mais on m’a appris qu’il fallait mieux être propre qu’être à l’aise, dans la vie.



Je suis bien habillé pour le froid. Je crois m’en être pas mal sorti pour ma tenue. En revoyant Jehanne devant le manoir du régisseur, je me permets de faire une réflexion agréable à sa propre mise :

« Vous êtes sublime, ma dame ; je vais d’ailleurs finir par croire que vous l’êtes d’ordinaire, ça posera problème lors de grandes occasions. »

C’est niais, je le sais, elle le sait, mais j’y mets franchement le sourire pour qu’elle le prenne bien — après tout, elle désirait être courtisée.

J’ouvre les bras et fait un tour sur moi-même, pour qu’elle observe mes propres efforts.

« Et moi, j’espère être pas trop mal ?
Ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de jouer au coquet. L’errance le permet pas trop.
Tout au plus, ça sculpte le corps. »


Et sur ce, je lui offre mon bras pour que nous remarchions jusqu’au Temple de Shallya. Je commence à bien connaître le chemin.




La grande-prêtresse n’a pas manqué de moyens ou de volonté pour préparer la fête du baptême de Gilles ; alors que Derrevin est pauvre, ce qui nous reste de jours gras sera dépensé ce soir, sous le firmament nocturne. Malgré le bon repas de midi, les porcs gras font gargouiller bruyamment mon ventre, ce qui gâche un peu mes tentatives d’être élégant et me fait avoir un sourire crispé de gêne. Plus impressionnantes, les peintures, et surtout les bannières qui balisent le chemin. Il semblerait que, de fait, Alys ait fait adopter un nouvel armorial au village de Derrevin. Je comprends parfaitement la colombe — je me souviens qu’il y a des semaines, j’avais proposé au duc d’Aquitanie de confier la seigneurie de ces lieux directement au temple de Shallya. Mais la couleur rouge vif… ça, ça demeure bizarrement exotique. J’arrive pas à mettre le doigt dessus, c’est juste une bête couleur, mais je sais pas…


Il fait une chaleur étouffante dans le Temple. C’était déjà le cas quand je n’étais qu’avec Alys, c’est encore pire maintenant que tout Derrevin est là. Je manque de tourner de l’œil, et je me rends vite compte que mes mains gantées sont maculées de sueur, comme mon dos et même mon front — ça valait bien le coup de se laver et de se peigner, putain. Je remue la tête comme un bilboquet à chaque remerciement, et souris tant que ça me fait mal aux lèvres ; c’est un sourire sincère, pas une grimace, surtout lorsqu’on me parle de Mélaine, et de comment j’ai pu sauver cette ville, ça, ça éloigne bien ma culpabilité. En revanche, j’entends quelques fois des « Père », qui eux me laissent un peu plus dubitatifs, même si je tente de ne rien en montrer.

Nous allons jusqu’à l’autel, où nous retrouvons Alys. La grande-prêtresse dormira bien ce soir, je le sens. Alors qu’elle me prend dans ses bras et m’embrasse sur le front, je lui offre un remerciement :

« C’est très beau, tout ce que vous avez fait. Merci. »

Puis protocolairement, je fais quelques pas de côtés et je me retrouve debout, les deux mains dans le dos. Si j’avais une épée, j’aurais pu prendre la pose en ayant mes mains sur le pommeau, mais hélas, je n’ai pas pensé à exiger une arme ; peut-être que ça aurait été inconvenant, dans le temple d’une Déesse pacifique.
À condition, bien sûr, que ce soit toujours le Temple de Shallya. Ce n’est plus tellement certain.




Ensuite, on attend.

Ça me gêne pas. L’étiquette ça consiste beaucoup à attendre en faisant rien, c’est la croix à porter des nobles, je suppose. Je me contente de rester là bien droit, avec ma tête de circonstance, le visage le plus neutre possible. Je regarde les habitants, sans parvenir à trop distinguer du monde ou comprendre leurs conversations. Je souris quand je regarde Jehanne, ou Alys, ou une des prêtresses dont j’ignore le nom qui est en train de travailler derrière, en remettant correctement des draps ou en poussant des bougies. Le plus important, quand on attend solennellement, c’est de ne pas se mettre à sautiller, ou jouer nerveusement avec ses mains.

Une espèce de souvenir bizarre remonte à mon esprit. Quand j’étais petit, ma mère m’engueulait quand, dans ce genre de situation, je me rongeais les ongles. Mais ce souvenir a un écho, un miroir. Une petite fille aux cheveux noirs faisait la même chose, et subissait les mêmes remontrances de la part de sa gouvernante — Anne de Lanneray recouvrait toujours ses ongles d’une solution amère, pour s’empêcher elle-même de tuer son stress comme ça…




Et puis, sur ordre d’Alys, tout le monde se tait.

Y a un silence tel qui règne soudain qu’on entend une quinte de toux lointaine, et que je peux ouïr ma propre respiration. Jusqu’à ce que tout le monde se déplace. Et là, de la marée humaine qui se fend en deux, surgit la pire chose que mon esprit aurait pu apercevoir.

C’est pire qu’un chevalier armé couvert de rouille, à la lourde respiration derrière le heaume. C’est pire qu’un fantôme aux yeux noirs, qui me touche pour glacer mon sang. C’est pire qu’une vingtaine de mercenaires rutilants. Pire qu’une mère qui hurle strident à en écorcher les tympans. Ou que Margot ensanglantée, qui en pleurant de joie, me traite d’idiot.


C’est une femme en rouge.



J’ouvre les yeux si gros que je n’arrive plus à cligner. Mon cœur pulse si vite que je le sens dans ma gorge. Je sue, je respire fort. Je deviens un roc. Jehanne tend une main ; dès que je la sens se poser sur mon bras, j’ai un vif mouvement de côté pour l’en dissuader.

Elle est sortie de son tableau. La Dame rouge marche tout droit, avec sa capuche, vers moi. Gilles est entre ses mains, mon bébé toujours aussi bizarrement sage, quand bien même des centaines de doigts se lèvent pour tenter de l’effleurer. Je sens mes doigts trembloter, alors je serre mes poings pour les maîtriser.

La Dame rouge dépose soigneusement Gilles sur l’autel, et elle lève sa tête, afin de me montrer le visage souriant de Thecia. Je lui rends son regard, en ayant aucune idée de quelle expression mon visage affiche ; est-ce que j’ai toujours l’air aussi neutre ? Ou elle devine quelque chose ?
C’est plus seulement de la honte que j’éprouve en sachant ce que mon père a fait à cette jeune fille. J’ai les jetons.



J’ai du mal à me concentrer sur le sermon d’Alys. C’est Thecia que je n’arrête pas de regarder, avec insistance. Je sais que la grande-prêtresse parle d’amour, et de réconciliation, d’un grand futur, et d’autres trucs tellement futiles… Quand elle fait répéter à tout le monde leur profession de foi, je me contente de mimer les mots des lèvres sans rien dire, tellement je suis remué. Ça semble être efficace, en tout cas, car j’entends une ferveur folle dans l’assistance ; quand ils parlent tous en chœur, ça résonne sous mes côtes.

Alors, Thecia attrape Gilles, le soulève des deux mains, et le présente à la foule, comme le calice divin. On s’incline devant lui. Pourtant le bébé n’est toujours pas paniqué, rien ne semble faire naître de vives émotions en lui, excepté quand tout à l’heure j’étais rempli de haine face à Alys… Non, non ce n’est pas juste un enfant. C’est tellement, tellement plus que ça…

Et j’en suis d’autant plus convaincu lorsque Thecia se retourne. Et dos à l’assemblée, elle me présente Gilles très haut, à moi, et elle demeure ainsi, avec un grand sourire. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes.

Je clos mes yeux. Je me sens bizarrement à ma place. Détendu. J’ai peur, mais le tableau est trop beau. Tout est à sa place. Tout est parfait.
Je fais tomber un genou à terre. Je redresse mon buste. Et je lève haut la tête, pour regarder intensément et Thecia, et Gilles au-dessus de sa tête.



C’est uniquement une fois Gilles reposé confortablement au creux des bras de Thecia que je me relève. Un peu hagard, je me dirige devant l’autel. J’ai préparé un discours. Évidemment qu’avec Jehanne et Gotlinde, on a passé l’après-midi à écrire un discours. La baronne de Montagu m’a proposé trois fois d’écrire des notes, avec divers moyens de les placer discrètement — par trois fois, j’ai insisté, en colère pour la dernière, que j’étais parfaitement capable de retenir par cœur un satané discours, bon sang de bois, et que je n’avais pas besoin d’un souffleur ou de gribouillis pour tenir une foule.
Évidemment, avec tous ces événements, j’ai en fait complètement oublié ce que je voulais dire, et je me retrouve comme un con devant tout Derrevin alors que j’ouvre la bouche, et qu’aucun son ne sort.


Je me rends compte du paroxysme du malaise, alors, je décide de commencer :

« Ahem, heu,
b-bonsoir. »

J’ai trois fois plus mal à la tête quand je me rends compte que j’ai sérieusement commencé mon discours par « heu, bonsoir ». Après le spectacle qu’a assuré Alys, on peut pas dire que je sois le clou, bordel de pute.
Il fait tellement chaud dans ce putain de Temple, mais pourquoi j’ai mis autant de fringues…

Je ferme les yeux, je compte jusqu’à trois dans ma tête, j’inspire fort, et je reprends.

« Je suis venu…
Je suis venu ici devant vous, ce soir, pour vous présenter des excuses. »

Voilà. Je suis dedans. Ma voix tremble moins, mon ton est plus assuré. Et ce que je viens d’annoncer, d’un petit ton, a de quoi capter l’attention.
Imaginez votre seigneur, le père du Dieu que vous vénérez, qui se tient devant vous, et vous dit qu’il souhaite présenter des excuses. Voilà qui interpelle, pas vrai ?

« Je voulais vous présenter des excuses, car jusqu’ici, tout ce que vous avez pu apercevoir de moi, était un bien triste portrait. Celui d’un homme violent, et dangereux, qui n’amène rien d’autre avec lui que de la méfiance et de la terreur.
Je reconnais certains d’entre vous ici, et je sais comment je n’ai touché vos vies que d’une mauvaise façon. Et pour ça, je vous demande pardon. »


Je souffle. Je ne cherche plus tant mes mots. Si mon discours peut être innocent, si elles peuvent parfois traîner en fin de phrase, je sais ce que je veux leur dire.

« Quelle ville bizarre, que Derrevin », je ricane avec gaieté. « Pour certains ici, vous n’avez pas connu d’autre chose que le clocher de ce temple, depuis que vous êtes petit. Mais il y a aussi tellement d’étrangers. Vous avez terminé ici pour des raisons bien différentes, et rarement heureuses. Vous êtes arrivés ici, car cette vie humaine vous a fait du mal. Parce que des gens que vous aimez ont souffert, parce que vos corps et vos consciences ont été écrasées, et, pour ceux qui ont permis à cette ville d’exister, vous vous tenez ici car la personne qui était censée vous protéger, vous a offert aux pires des monstres, et a meurtri vos corps, et laissé des séquelles chez ceux qui avaient la chance de survivre. »

J’ai une pensée pour la petite Ophélie. Son cœur aussi beau que son corps est ignoble. Binet a fait ça à son enfant car il pensait la protéger. C’est tellement injuste. Et je suis d’autant plus empathique que je partage son sort.

« Moi, je ne suis pas venu ici de mon gré. Certains d’entre vous ici ont traîné ma carcasse jusque là. On dirait que ça devient une habitude chez moi : je vais chercher la bagarre, je suis détruis, et toujours les gens de cette ville viennent me chercher pour me retaper. »

Je laisse passer la plaisanterie, avant de reprendre une mine plus dure.

« Je n’aimais pas cette ville. Je traitais chacun d’entre vous avec mépris. J’éprouvais de la méfiance même envers les sœurs qui ont sauvé ma vie. J’imaginais des complots et des idées cachées dans vos têtes, et des paroles dans mon dos. C’est qu’au fond de moi, je ne voulais pas être ici. Au fond de moi, j’aurais préféré être… Tué.

Je ne voulais rien de cette vie. Et surtout, je ne voulais pas de Margot. »


Je tords mes lèvres, et regarde un peu dans le vide. Avant de soutenir à nouveau le regard de la foule ; pas tant de la foule elle-même, que d’une personne, au hasard, vers la 6e rangée. C’est un jeune homme — je regarde intensément dans ses yeux, comme s’il n’y avait plus que lui qui existait. C’est comme ça qu’on parle bien en public.

« J’ai fait peu de choses que j’ai regretté dans ma vie — car j’ai souvent eu l’impression de ne pas les choisir. J’ai été engendré dans ce monde par des personnes horribles. J’ai passé le plus clair de ma jeunesse comme un rude aristocrate sans lois, comme vous en avez tant connu, et comme tant vous ont fait du mal. Tout ce que j’avais pour moi, c’était de la foi ; j’aime tous les Dieux de cette Terre, mais les Dieux font de biens mauvais compagnons, et tout ce que je faisais de bien, c’était pour leur plaire, jamais pour vraiment aider mon prochain.

Margot, elle… Elle a vécu la même chose que moi. Il y a une personne dans ce temple, à mon arrivée dans votre ville, qui avait eut une phrase que je trouvais alors étrange : Margot et moi étions fort malchanceux, car contrairement à tant d’entre vous, nous n’avions pas de cicatrices. La vie ne nous a pas laissés borgnes, elle n’a pas tailladé au fond de notre chair nos blessures. Elle nous a écorchés dans nos cœurs, tout au fond, et c’est ça qui finirait par nous détruire, ou détruire les gens autour de nous… »

Je pense à Olivier, qui a été si bref quand je lui ai parlé de sa blessure. Et évidemment, à Thecia. Ils ont l’air d’avoir souffert dans leurs vies, et pourtant, ils ont l’air maintenant si heureux, tellement à leur place…
Cet endroit est un paradis. Ou disons, que c’est un paradis relatif au reste de notre pays.

« Margot m’a… Imposé, sa grossesse. Et je l’ai haïe pour ça. Et en revenant auprès de vous, j’ai… Déchaîné la blessure qu’il y avait dans mon cœur, pour la faire souffrir, comme elle m’avait fait souffrir. Et sans Alys, je… »

Je m’égare. Je rappelle un souvenir abominable à ces pauvres gens. Je ne complète pas mon récit ; à la place, je prends une grande inspiration, et je reprends, beaucoup plus fermement :

« Aujourd’hui je comprends. Tout ce temps, je ne faisais que suivre le courant, en pensant que je ne choisissais rien. Mais ce n’était rien de plus que de la peur. Et on n’échappe pas à son destin juste parce qu’on est un froussard. Je pensais être excusé parce que j’étais blessé, que je souffrais, ou que j’étais trop jeune, ou que sais-je encore.
Mais j’ai fait le serment de vous protéger. Alors, avec certains d’entre vous comme frères d’armes, je suis allé m’opposer à Celle qui venait pour détruire vos maisons, arracher les vies que vous aviez reconstruits, qui allait déchaîner la violence et le meurtre — et je l’aie empêchée de le faire. Et je n’ai pas réussi tout ça parce que j’étais fort, ou que j’utilisais de sombres maléfices : j’ai réussi car je me suis battu avec tout ce que j’avais de bon en moi. »

Je lève mon poing, et je le ferme devant eux.

« Je n’exigerai jamais rien de vous que je n’exigerais de moi-même. Maintenant, je sais pourquoi Margot m’a choisi. Je ne souffre plus pour moi-même ; j’ai décidé de souffrir pour Gilles. C’est lui, ma raison d’être, d’endurer, de rentrer les pieds devant complètement écorché : je suis prêt à offrir mon corps et mes peines, si ça lui permet d’être en pleine santé. Je veux éprouver la tristesse, si ça lui permet de ne jamais pleurer. Je veux prendre sur moi tout le mal de cette Terre, et en remplir mon cœur — car en échange, tout ce que vous aurez de mon fils, ce sera de l’amour.
N’est-ce pas ce qu’un père doit faire pour son enfant ? »



Je fais un pas en avant. Et alors, d’une voix lourde et solennelle, j’annonce :

« Carlomax — Approche-toi. »

Le chef des Herrimaults quitte la marée humaine. D’un pas un peu hésitant, il arrive juste devant moi.

« Agenouille-toi. »

Devant tout Derrevin, il pose une jambe à terre, et baisse la tête. Il doit croire que je suis en train de l’humilier publiquement. Mais non — je tends une main, et attrape son menton, afin de le forcer à lever le museau pour me regarder. Et c’est avec un grand sourire sur mon visage, que je demande très fort :

« Te souviens-tu de la première fois où nous nous étions parlés, toi et moi ? Tu m’avais demandé si après tout ce que j’avais vu, après tout ce que j’avais connu de la Bretonnie, je croyais encore en la chevalerie ?
Ma réponse n’a pas changé. Et je voulais te remercier, ici.
Il y a peu de gens dans ma vie que je peux considérer comme des exemples. Mais tu en as été un pour moi. Parce que tu m’as demandé de défendre Derrevin, je l’ai fait. Tu m’as aidé à revenir dans le droit chemin.

Un vassal doit assistance et conseil à son suzerain. C’est tout ce que je désire de toi — ton honnêteté, à chaque instant. Que tu sois toi-même. Car c’est ainsi que tu serviras Derrevin ; tu m’aideras à faire ce qu’il faut pour protéger mon enfant, et son peuple. »


Je tends mes mains.

« Lie tes paumes ensemble. »

Je le guide à travers ce rituel de chevaliers. Qui sait combien de mes ancêtres se retournent dans leurs tombes, alors que j’offre à un roturier un tel honneur ? Je gâche la surprise : Y en a un qui ne peut plus.
J’enserre ses mains entre les miennes, et demande :

« Veux-tu me protéger de toutes les armes qui pourraient me viser ?
– Je le veux.
– Veux-tu m’obéir, et me devoir jusqu’à la mort ton service ?
– Je le veux.
– Veux-tu m’être fidèle, et ne jamais me tromper ou abuser de moi ?
– Je le veux.
– Veux-tu devenir mon homme ?
– Je le veux. »

Je serre ses mains très fort. Alors, j’approche ma bouche, et pose mes lèvres sur les siennes, un bon moment. Enfin, je me redresse, et dit férocement :

« Alors lève-toi comme mon homme-lige. »



Je remonte près de l’autel, et reprend naturellement la cérémonie :

« Alys m’a demandé, en début de journée, d’amener un cadeau pour mon enfant. J’ai hésité ; je n’ai que très peu de biens sur moi, et puis, j’ai finalement trouvé. »

Je tire de ma poche un joli petit bijou d’argent. Une sorte de bouclier miniature, mais ce n’est pas l’arme d’un jouet, l’écu d’un soldat en plomb ; c’est un médaillon, peint, représentant un damier d’or et de bleu, au-dessus duquel un pauvre homme est en train de se faire dévorer par une vouivre.

« Nous les nobles, aimons les couleurs. Elles représentent notre histoire, et on les porte fièrement, sur nos meubles, sur nos châteaux, et surtout sur nous-mêmes.
Ceci sont les couleurs de la famille des comtes de Lyrie. Quand j’étais enfant, je les portais par orgueil, je me promenais avec ce bijou pour qu’on ne me confonde pas avec un roturier, et pour qu’on craigne le pouvoir que je détenais en tant que dynaste d’un puissant seigneur.
Lorsque j’ai dénoncé les horribles sévices de mon père, j’ai continué de porter ce médaillon — comme un rappel. Je souhaitais mourir et être retrouvé avec, pour que les chevaliers qui m’enterrent auprès de Mórr puissent connaître mon identité, et qu’ainsi, je rachète l’honneur familial. »

Je m’approche de Thecia, et dépose le médaillon entre les doigts de Gilles.

« Aujourd’hui, je te le donne, mon garçon, comme une obligation qui m’est faite.
Je ne désire plus sauver mon nom pour faire plaisir à des morts. Je veux que, quand tu seras grand, que je ne serai plus là, et que tu regardes ceci, tu n’aies que de bons souvenirs, et que des bonnes choses à dire aux autres de moi.
Je te le donne, pour me forcer à t’aimer et te rendre fier. »

Et j’approche mes lèvres de son front, afin de lui faire un bisou.
Modifié en dernier par [MJ] Katarin le 01 sept. 2022, 00:12, modifié 1 fois.
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Échiqueté d'or et d'azur à la bordure de gueules à la guivre de gueules halissante
Stats :
FOR 9 / END 9 / HAB 11 / CHA 15* (14) / INT 9 / INI 8** (10) / ATT 13** (15) / PAR 11** (13) / TIR 8 / NA 2 / PV 70/70
*Bonus grâce à la chevalière portée à l'auriculaire
**Malus à cause du harnois (inférieur)

État temporaire :
Compassion : +2 aux jets d'empathie (Reste une journée)
Esprit compatissant : +3 aux jets de résistance à la peur/terreur (Reste une journée)
Pompette : +1 CHA, -1 INT.
Migraine : -1 CHA
Visière épaisse : -2 aux jets de perception (Lorsque le casque est porté)

Compétences :
- Anticipation : +1 en ATT et +1 en PAR à partir du 3e round face au même ennemi
- Coup précis (1) : Malus atténué de 1 lors de la visée d'une partie précise
- Coups puissants : +1d3 de dégâts
- Coriace : Résiste à 1d3 dégâts de plus
- Dégainer l'épée : +1 en INI lors du premier round
- Parade : Valeurs de parade doublées
- Sang-froid : +1 lors d'actions réalisées sous stress
- Volonté de fer : +1 sur les tests pour résister à la peur

- Baratin : +1 pour embobiner quelqu'un à l'oral.
- Empathie : Capable, sur un test, de lire les émotions sur le visage de quelqu'un.
- Empathie animale : Capable, sur un test, de deviner les émotions d'un animal.
- Étiquette : +1 lors des interactions avec la haute société
- Humour : +1 pour divertir et amuser.
- Intrigue de cour : Capable de déceler et deviner des intrigues.
- Monte : Ne craint pas de chutes lors d'une montée normale
- Vœu de la Pureté échoué : -2 dans la résistance aux tentations terrestres

- Alphabétisé : Capable d'écrire et de lire le Bretonnien
- Art (Peinture) : Sait peindre des tableaux.
- Danse : Excellent danseur
- Héraldique : Capable de reconnaître les blasons des familles nobles, et d'en savoir plus sur eux sur un test

Équipement de combat :
- Épée bâtarde (Inférieure) : 2 mains / 23+1d10(+1d3*) / 22** (11) parade
- Lance d'arçon : 1 main / uniquement à cheval / 20+1d10(+1d3)* / 16** (8) parade / "Long" (Malus de -2 ATT pour les adversaires) / "Épuisante" (Malus de -1 d'utilisation après END/2 tours, à chaque tour, max -4) / "Percutante" (Relance du jet de dégât, meilleur résultat gardé) / "Rapide" (Malus de -2 PAR et/ou -2 HAB pour toute esquive tentée par l'adversaire) / Se brise après 4/5 utilisations
*Avec la compétence Coups puissants
**Avec la compétence Parade


Tête : 13 protection
Torse : 13 protection
Bras : 13 protection
Jambes : 8 protection

- Destrier Bretonnien (Ravel) : FOR 10 / END 13 / SAU 8 / RAP 10 / INT 9 / DOC 12 / ATT 9
Équipement divers :
3 Eo

- Un beau doublet
- Un grand manteau
- Des bottes neuves
- Une jolie écharpe

- Nourriture
- Hydromel

- Bague affichant un lion - +1 CHA

- Insigne argenté marqué du blason de Lyrie
- Pendentif monté en clou
- Un flacon à l'odeur immonde
- 3 bouteilles de tonique miraculeux
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[MJ] Katarin
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Re: [Armand de Lyrie] La solitude du dirigeant

Message par [MJ] Katarin »

Le compliment d'Armand à l'attention de Jehanne était peut-être d'une banalité affligeante, mais il fit néanmoins mouche puisqu'elle y réagit avec le sourire ravi d'une adolescente en émoi. Lorsqu'elle lui répondit, ce fut en prenant une mine chafouine :

- Votre errance vous aura néanmoins sculpté de bien singulière façon messire. Mais je me réjouis de voir que malgré votre extravagance corporelle et la qualité tout juste passable des pièces à votre disposition, votre prestance et votre charisme naturel suffisent à vous rendre tout à fait charmant.

Elle s'agrippa au bras offert par Armand, se tenant plus proche de lui que l'étiquette ne le recommandait, et conclut avec un regard en coin dans sa direction, et un ton bien plus sincère :

- Vous êtes très beau, messire.

Ce n'était qu'arrivée devant l'autel du temple de Shallya que Jehanne avait relâché le bras d'Armand, pour se positionner dignement aux côtés d'Alys. Elle s'était mise en retrait de la grande prêtresse, mais pas tant que ça, s'assurant de rester bien en vue de tout le peuple de Derrevin, sa grande robe rouge jurant naturellement avec la blancheur de celle de la nourrice.

Sa robe parut pourtant bien terne lorsque Thecia la rejoignit, en se postant devant elle pour afficher l'Enfant Divin au peuple de Derrevin. Volontairement ou non, son éclatante vêture écarlate était si ample qu'elle dissimulait presque totalement Jehanne aux yeux de la foule. Armand ne put néanmoins pas constater si l'héritière Montagu affichait quelque jalousie sur ses traits, puisque lui aussi se retrouva obnubilé par la vision de cauchemar qui se présentait à lui. Car devant lui se rejouait une scène qui avait hanté nombre de ses récents nuits, et si quelques détails différaient, le cœur du tableau de Naudin était bien là.

A l'instar de l'invitation des déréliches de Lyrie, Armand ne peut s'empêcher de jouer le rôle qui lui est alors confié, tel un comédien de théâtre répétant la gestuelle qu'on lui avait appris. Thecia jouait le rôle de la Dame du Lac, l'Enfant Divin celui du calice du Graal, et Armand celui de Gilles le Breton. Lorsqu'elle le vit s'agenouiller devant elle, la jeune prêtresse au crâne rasée laissa ses émotions la submerger, souriant de toutes ses dents et pleurant à chaudes larmes en même temps. Au bout de ses bras tendus, le petit Gilles observait son père sans plus bouger, sans même cligner des yeux.

Un moment étrange et hors du temps, où tout Derrevin semblait s'être figé dans un monde où n'existaient plus qu'eux trois.

Puis le temps reprit son cours, Thecia et Gilles s'écartèrent, laissant Armand seul face aux sept cent habitants de Derrevin.

Commencer son discours par des excuses était une stratégie risquée. La plupart des aquitanais règnent avec un gant de fer et non de velours : reconnaitre ses torts et montrer de la faiblesse face à une population ayant un lourd passif de défiance envers la noblesse pouvait très facilement se retourner contre le nouveau seigneur de Derrevin.
Et pourtant, peut-être ce fut la meilleure approche qu'il avait pu choisir. Car son auditoire fut captivé, et réceptif à chacun de ses propos. Par son empathie naturelle, Armand pouvait ressentir les émotions que ses mots provoquaient dans la foule, et elles répondaient exactement comme il l'avait voulu à ses effets de style. Ils furent touchés par ses excuses. Ils hochèrent la tête pour acquiescer à son constat sur les souffrances qu'ils avaient traversé, sur les raisons ayant pousser tant de réfugiés à risquer leur vie pour rallier ce village renégat porteur d'espoir. Ils rigolèrent quand leur seigneur admit que cela devenait une habitude pour son peuple que de trainer sa carcasse au temple pour se faire soigner. Ils froncèrent les sourcils et s'offensèrent lorsqu'il admit n'avoir aimé ni cette ville ni ses habitants à son arrivée. Des protestations commencèrent même à se faire entendre lorsque le nom de Margot se fit entendre, plus encore lorsque le sujet de sa grossesse se fit entendre. La tristesse de sa perte était encore vive dans le cœur de nombreuses personnes, et des larmes apparurent sur plusieurs visages. Puis ces émotions négatives redevinrent positives lorsqu'Armand évoqua sa rédemption, comment il avait changé, avait fait serment de les protéger, avait défait la prophétesse maléfique, avait choisi d'embrasser entièrement son rôle de père de l'Enfant Divin avec toutes les responsabilités que cela impliquait.

Carlomax fut obéissant aux directives d'Armand, à défaut d'y montrer un grand enthousiasme. Comme un pantin, il effectuait ce qu'on demandait de lui, mais son visage semblait dénué d'émotion, ses pupilles vides de toute volonté. Il ne parla que lorsque c'était nécessaire, accepta le baiser sans broncher, puis rejoignit la foule une fois la cérémonie terminée. Malgré son attitude léthargique, les habitants de Derrevin semblèrent pourtant comblés par l'évènement auquel ils venaient d'assister, et le chef des herrimaults reçut nombre de claques sur le dos afin de le féliciter pour son titre officiel de vassal de leur seigneur.

Pelotonné dans les bras de Thecia, Gilles commençait à somnoler. Néanmoins, lorsqu'Armand glissa son médaillon familial contre sa minuscule main, son fils eut un réflexe d'agrippement naturel pour s'en saisir et le serrer fort dans son poing.

L'offrande de ce bijou ouvrit la seconde partie de la cérémonie, celle des cadeaux. Ce fut Jehanne qui fut invitée à intervenir la première après Armand. Dès qu'elle s'avança vers Gilles, Daniel de Louvières sortit de la foule avec dans ses bras un impressionnant bouquet de fleurs dont les couleurs allaient du blanc le plus pur au rouge le plus éclatant, qu'il tendit à l'héritière de Montagu avant de reprendre sa place.

- Pour toi mon fils, j'offre cette composition florale d'hiver, dont les spécificités sont autant de qualités que je souhaite te voir cultiver. Tout d'abord, des hellébores blanches pour ta pureté immaculée - qu'elles t'aident à guérir la folie des hommes. Ces clématites roses ensuite pour la confiance en soi et l'ambition, ainsi que des fleurs de cornouiller pour l'espoir - qu'elles t'aident à ne pas te reposer sur tes acquis, à toujours désirer porter ton message d'amour plus loin en dépit de toutes les difficultés. Des hépatiques luisantes pour développer ton charme, qu'il soit à la digne mesure de celui de ton père afin de séduire le monde. Et pour finir, des pensées, pour que jamais tu n'oublie ta mère qui t'aime.

Elle déposa le bouquet au pied de l'autel, puis embrassa le front de Gilles. Alys s'approcha alors d'elle tendant à Jehanne une courte lame qui était apparue d'on ne savit où dans sa main. Un poignard familier à Armand, puisque c'était celui avec lequel Thecia avait essayé de le tuer lors de la naissance de Gilles.

Jehanne se saisit de l'arme, puis pressa son pouce contre la pointe de la lame, avant de le positionner juste au-dessus de la vasque de nectar rose. Quelques gouttes de son sang tombèrent à l'intérieur et leur couleur rouge se dissipa immédiatement au sein du lait maternel de Gilles.

Elle fut la première d'une longue, très longue suite. Après elle, chaque habitant de Derrevin vint à tour de rôle pour offrir son cadeau et verser sa goutte de sang. Parfois ils venaient seuls, parfois ils venaient en groupe ou en famille - mais même ainsi, le défilement de la foule prit plus d'une très longue heure.

Si le rituel de don de trois gouttes de sang fut rigoureusement le même pour chaque habitant quel que soit son sexe ou son âge - à l'exception d'Armand - la nature des présents différa grandement d'un individu à l'autre. Il y eut beaucoup de langes en lin ou en chanvre ainsi que des draps de laine pour vêtir Gilles et le protéger du froid pour son premier hiver, mais aussi des écharpes longues permettant à Alys de le porter plus confortablement. Guimart lui offrit un petit cheval de bois sculpté tout à fait adorable. Maussade aussi avait travaillé le bois, fabriquant une épée pour enfant, peut-être un peu trop pointue. Gotlinde lui offrit une griffe d'ours montée en pendentif porte-bonheur. Carlomax, guère plus énergique, déposa sobrement une petite flute en bois contre l'autel avant de disparaitre à nouveau dans la foule. Arnoulet de Crete, le chevalier bégayant, offrit une corne de vache qu'il avait nettoyé, évidée, percée et gravée de jolis motifs symétriques afin qu'elle puisse servir de biberon. Olivier et son père offrirent un tintébin, tuteur de bois et d'osier à roulettes pour faciliter l'apprentissage de la marche à Gilles. Deux chevaliers affichant la vingtaine, qu'Armand ne connaissait pas encore, offrirent sobrement un petit coffret contenant une quantité non négligeable d'écus. Un troisième bien plus vieux se fit davantage remarquer encore lorsqu'il tendit un tout jeune bébé chiot à Alys afin qu'il devienne le compagnon de jeu de Gilles. Jaquot et sa fille offrirent un assortiment de plantes médicinales à Alys qui selon eux permettraient à la grande-prêtresse de produire un lait plus nutritif et énergétique pour Gilles. Rémon et sa famille (car il avait une femme tout à fait charmante et trois enfants qui malheureusement ressemblaient davantage à leur père qu'à leur mère) donnèrent, à l'instar de nombreuses familles plus pauvres, une poupée de chiffon. Un groupe de herrimaults offrit un arc de belle qualité avec une unique flèche, sans doutes davantage pour la connotation avec Rhya que par réelle praticité.

Après avoir été mélangé au sang de tous les habitants de la ville, le nectar divin dans la vasque avait pris une teinte d'un rouge profond. Des ondes partant du centre se propageaient jusqu'aux rebords sans qu'Armand ne puisse expliquer la raison de ce mouvement. Dans la nef du temple, la chaleur n'avait eu de cesse d'augmenter au fil des minutes, et était devenue absolument insoutenable - mais seul le seigneur de Derrevin semblait indisposé par la situation. L'ambiance de la pièce était restée rigoureusement religieuse pendant toute la cérémonie des offrandes : il régnait une quiétude respectueuse que personne n'osait troubler. Et lorsqu'enfin le dernier présent fut offert et que la dernière goutte de sang eut coulée, et qu'Alys invita les habitants à rejoindre la place de Derrevin pour commencer les festivités, l'ambiance ne devint pas plus festive immédiatement. La foule quitta la nef de manière presque ordonnée et dans un calme remarquable.

Une fois dehors alors qu'il faisait partie des derniers à sortir, Armand eut la surprise de constater que l'extrême température qui régnait dans le temple s'était propagée et diffusée à l'extérieur. De manière surnaturelle pour une nuit d'hiver, il régnait une température douce qui justifiait la tenue légère portée par tous les habitants de Derrevin, comme s'ils avaient tous prévu cette situation et que seul leur seigneur n'avait pas été mis au courant. Bras dessus bras dessous avec Jehanne, il rejoignit à son tour la grande place du village. Derrière eux, Alys progressait lentement en se tenant bien à son bâton, tandis que Thecia serrait en hauteur et fort contre elle le petit Gilles, le regard rivé sur lui, multipliant les baisers affectueux sur son front.

Le banquet s'organisa très rapidement, les habitants se partageant les tâches avec efficacité, guidés par Jaquot qui donnait des ordres à tout va. Les grandes tables vides se remplirent rapidement de tranchoirs, qui furent prestement recouverts par de généreuses portions de porcs rôtis accompagnés de cardons, de blettes et de panais assaisonnés par une sauce au miel. Des places centrales avaient été réservées à Armand et Jehanne par Gotlinde qui leur fit de grands signes de main, avec de plus belles chaises et davantage de mets disponibles devant eux, notamment des châtaignes grillées, des épinards, du héron grillé, ainsi que des coupes remplies du même vin qu'Armand avait apprécié en compagnie des frères Louvières. Du reste, il n'y eut pas grand respect de l'étiquette ou des us aristocratiques : tout fut servi en même temps et non pas en différents services, et les chevaliers se mêlèrent aux paysans sans aucune séparation de classes, serrés les uns contre les autres sur une place définitivement trop petite pour réunir autant de monde.

Tout en mangeant, l'ambiance religieuse présente dans le temple se dissipa au rythme des conversations, puis des premiers rires. Mais c'est bien lorsqu'arriva un groupe d'initiées shalléennes portant difficilement et avec une infinie prudence la lourde vasque pleine de nectar pour l'apporter à table que l'atmosphère s'égaya soudainement. Les habitants se saisirent de leurs chopes et gobelets, et les plongèrent dans la vasque pour en extraire un peu de nectar qu'ils burent cul sec.

Toute inhibition fut alors abandonnée, au service d'une fête qui laissa éclater la joie de chacun sans entraves. On mangea et but plus franchement, on éructa sans gêne et on se mit à rire à gorge déployée la bouche pleine, on oublia la classe sociale de son voisin et chevaliers et paysans mangèrent sur le même tranchoir, burent de la même bière, et rirent aux mêmes blagues. L'estrade fut mise à contribution, chaque habitant ayant envie de se donner en spectacle pouvant s'y rendre. Il y eut un discours poignant du vieux Crespin qui leva son verre en l'honneur d'Alys, d'Armand et de Jehanne en les remerciant d'avoir apporté l'espoir et la joie dans sa vie qui en avait toujours été dénuée. Il y eut la jeune Gervaise qui surprit tout le monde en chantant une ballade d'une voix sublime. Un duo de herrimaults vint montrer leur talent de jonglerie, puis ce fut au tour d'Arnoulet de venir réciter de la poésie. A la surprise de beaucoup, Carlomax apparut aussi pour jouer un morceau de flute aussi sublime que mélancolique, arrachant des larmes aux plus sensibles ; mais la tristesse de sa mélodie se dissipa dans la minute qui suivit, lorsque Rémon apparut pour entonner des chansons à boire plutôt grivoises qui firent éclater de rire tout le village.

Lorsque le repas commença à se conclure, ce furent des musiciens plus conventionnels qui s'invitèrent sur l'estrade, qui firent résonner le son du luth, du tambour, de la flute et de la guimbarde. Les premiers danseurs apparurent au son de la musique profane, et bientôt des rondes apparurent pour s'amuser en rythme à la lueur des flammes dansantes dans les braseros. Les enfants furent les premiers à s'agglutiner pour sauter et chanter en riant, mais les adultes ne tardèrent pas à les imiter. L'alcool et la chaleur aidant, l'ambiance devenait aussi joviale que passionnée, et les danses tout comme les discussions de plus en plus décomplexées. On riait très fort, on se parlait de très près, on dansait très serrés, et on se touchait très régulièrement sans autre raison que d'apprécier le contact de l'autre.

D'étranges scènes commencèrent à se dérouler tout autour d'Armand. Alys restait attablée et dévorait une quantité surnaturelle de nourriture, tenant de gros morceaux de lard entre ses doigts brillants de gras, arrosant le tout avec de belles rasades de bière. Daniel et Guimart dansaient l'un avec l'autre en riant, se serrant dans les bras dans une étreinte pleine d'affection, des larmes de bonheur coulant de leurs yeux embués. Le vieux Crespin avait pris un couteau, et sous la surveillance d'une jeune sœur shalléenne souriante, était en train de se blesser intentionnellement pour faire couler davantage de sang dans la vasque de nectar, récitant la litanie de Gilles faite au temple précédemment. Gotlinde s'était installée sur les genoux du jeune Arnoulet et lui caressait les cheveux, tandis qu'il bafouillait laborieusement, apparemment dépassé par la situation. Carlomax avait littéralement plongé la tête dans la vasque de nectar et avait failli se noyer dedans si Maussade ne l'en avait pas sorti - depuis lors, ils s'étaient tous deux couchés à même le sol et observaient les étoiles en silence, tête contre tête. Les plus indécents furent sans conteste Florent et Perrot, les deux jeunes chevaliers qui avaient offert un coffret d'écus à Gilles : sans prévenir, le premier se coucha sur l'une des tables par-dessus les assiettes de nourriture, avant que le second ne vienne lui grimper dessus pour l'embrasser langoureusement, leurs mains se perdant rapidement dans les braies de l'autre. Loin de s'offusquer, les habitants les entourant étaient en train de les encourager et de les applaudir, commentant la beauté de leur amour, motivant les deux hommes à se montrer de plus en plus passionnés.

- Messire, vous... venez danser avec moi ? J'en serais honorée et... vraiment.... vraiment heureuse.

C'était Gervaise qui était venue le voir. La tête rentrée dans les épaules, le rouge aux joues et les mains liées pour se triturer nerveusement le bout des doigts, elle luttait manifestement contre sa timidité maladive... et aussi contre le regard de Jehanne qu'elle s'efforçait d'ignorer. Cette dernière ne pipa mot, mais se tourna vers Armand pour lui faire un énigmatique signe de la tête. Elle attendait manifestement quelque chose de sa part, mais sans signifier clairement quoi.


Jet de CHA envers Jehanne pour estimer un peu sa réaction à ta réponse quand vous étiez tous les deux dans ton étude : 1. Ah, euh... bah... ok ?
En plus de l'éventuel impact sur la suite des évènements, je vais devoir un peu réécrire la scène précédente pour gérer ça - va voir le post précédent, j'ai réarrangé la chose en ajoutant quelques lignes en italique.
Le charmeur de ces dames quoi :mrgreen:

La scène où tu t'agenouilles devant ton fils, reconnaissant ainsi être toi aussi son serviteur devant tout Derrevin, est particulièrement marquante et s'est imprimée définitivement dans la mémoire de tous les habitants. T'accordera un bonus de +4 en CHA pour leur parler.
Normalement j'aurais du gérer la jalousie de Jehanne qui te voit t'agenouiller devant Thecia, mais avec la réussite critique précédente elle laisse pisser :D

Jet d'éloquence devant la foule (-2 pour avoir tabassé des paysans dès ton arrivée, -12 pour avoir essayé de tous les tuer et d'avoir égorgé Margot, +4 d'avoir battu Mélaine la sorcière chaotique, +4 pour t'être agenouillé devant Gilles, +4 pour le fait qu'ils soient tous drogués au nectar, +2 pour avoir choisi un discours humble (mais lol, la somme fait 0, je reve, c'est bien la peine que je m'emmerde tiens) : 7, réussi de 8.

Je m'excuse de l'anachronisme sur le mot biberon, j'arrivais pas à formuler mieux :D

Le bébé chiot :
Image

Jet de connaissance animale : 10. Raté de 2 : c'est un chiot, il est mignon, voilà.

Quelques jets de volonté (-2) de tout ce petit monde - les ratés sont plus ou moins désinhibés selon le niveau de ratage.
Alys : 10
Thecia : 5
Jehanne : 1
Gotlinde : 14
Carlomax : 18
Maussade : 12
Arnoulet : 1
Daniel : 17
Guimart : 17
Rémon : 6
Jaquot : 3
Gervaise : 17
Crespin : 14
Olivier : 11
Florent et Perrot (le duo de jeunes chevaliers) : 20. Bigre.
Jacques (le vieux chevalier) : 9

Jet d'empathie : 7. Jehanne est toute souriante toute aimable avec tout le monde, mais tu ressens clairement une tension vis-à-vis de Thecia - et d'ailleurs dès que la soeur est dans les parages, Jehanne fait ce qu'il faut pour monopoliser ton attention. Si le nectar l'a détendue et rendue bien plus avenante, elle semble toujours parfaitement maitresse d'elle-même.

Pendant le repas, tu peux discuter avec Jehanne et Gotlinde qui sont assises à côté de toi.
Après le repas, quand tout le monde est drogué au nectar, tu peux faire ce que tu veux.

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Armand de Lyrie
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Re: [Armand de Lyrie] La solitude du dirigeant

Message par Armand de Lyrie »

Je suis toujours aussi doué, pour faire faire ce que je veux aux autres. Encore que ce n’est pas réellement une fierté, de captiver un auditoire qui semble de toute évidence sous l’influence d’une sorte de drogue aux propriétés pas encore totalement définies — mais voilà, une tirade plus tard, et alors que je suis un peu sidéré sur place, j’observe du bonheur dans les yeux des Derrevinois que je regarde un par un.
Je suis sûr qu’il y a un conte ou une pièce de théâtre avec un antagoniste comme ça, qui parvient à obtenir beaucoup rien qu’en ouvrant sa bouche. N’est-ce pas comme ça que Ranald est devenu un Dieu ? Je flippe moi-même de ce que de simples mots peuvent faire. J’ai tué un paladin de Bretonnie comme ça. Je suis crédible, parce que quand je parle, je suis toujours sincère. Et vu comment je n’ai pas arrêté de trahir et de me retourner, je pense que ça en dit long sur ma sanité d’esprit.


J’ai le temps de me remettre de ces émotions durant le déballage des cadeaux. Je me contente de rester dans mon coin à étouffer sous mes couches de vêtements, à regarder un peu dans le vide, tandis que l’un après l’autre, des dizaines et des dizaines et des dizaines de gens viennent offrir un présent : des fleurs, des pièces, un chien pour l’un d’eux — peut-être le meilleur cadeau de tous, si le cabot peut être dressé.

Mais à côté de ces offrandes se déroule un étrange rituel, où chacun verse du sang dans une vasque. Très lentement, cette vasque se remplit, alors que le même couteau échangé par chacun des habitants devient ruisselant de rouge. En voilà une coutume perturbante — est-ce qu’elle a sa place ici, dans une chapelle de Shallya ? S’ouvrir le pouce pour répandre son rouge, c’est le genre de chose que j’imaginerais, je sais pas, dans une confrérie d’assassins, ou chez des guerriers suivant Ulric. Lier son sang, le terme est assez parlant, mais il y a un monde entre l’image et la réalité. Oui, ça glace le mien, de sang, de voir l’enthousiasme avec lequel tout le monde, hommes et femmes, chevaliers et roturiers, accepte moutonnièrement de suivre ce rituel. On pourrait croire qu’il y a un effet d’entraînement, c’est comme ça que j’imagine qu’une religion fonctionne — les vrais dévots poussent les incertains à l’imitation, la pression des premiers s’exerce sur les derniers, mais non, il y a personne qui semble hésiter au moment de se couper le pouce, comme si c’était un acte naturel et habituel. Est-ce que tout ça a réellement put se mettre en place en quelques jours, quelques semaines au plus ?
Je me sens intrus. Pourtant, la honte m’empêche de réagir, de protester, ou même de simplement demander des explications.




Enfin, aussi long que soit ce calvaire, vient bien le moment où la dernière ouaille du temple offre le dernier présent et contribue une ultime fois à augmenter le volume de la vasque. Et c’est avec soulagement que je vois les personnes du fond commencer à sortir en file parfaite — j’ai hâte de ressortir dehors pour inspirer de l’air glacé, et calmer cette fièvre infernale qui s’empare de mon corps. Faut dire que je suis moite de partout, même du fion. Je m’approche des portes comme si j’espérais quitter un fumoir.

Mais il n’y a pas de vent d’hiver dehors, et il fait tout aussi chaud en plein air qu’à l’intérieur. J’essaye de garder un air dur, les épaules bien en arrière, mais en réalité j’hyperventile sur place. Ma main gauche gantée tripote nerveusement ma ceinture, tandis que Jehanne me colle beaucoup trop en monopolisant ma droite — il me faut prendre beaucoup sur moi pour pas lui donner un coup d’épaule afin qu’elle dégage un peu et me laisse respirer, mais non, elle me colle d’autant plus à chaque fois que je regarde derrière moi pour observer Gilles entre les bras de Thecia, comme si elle voulait m’empêcher de regarder.

Heureusement, il y a des chaises, trouvées par Gotlinde. On peut donc aller s’asseoir grâce à la grande impériale, qui sera donc mon héroïne de la soirée. Je la remercie d’un grand sourire alors que je m’affale sur un siège.

« Gute nacht, meine freundin », je fais dans quatre mots sur vingt que je connais de Reikspiel, et probablement avec un accent abominable par-dessus le marché. « Je n’en ai pas eu l’occasion alors : merci d’avoir ramené Jehanne saine et sauve à Derrevin.

La pauvre Jehanne s’était fait mal au bras et avait complètement ruiné sa mise — probablement pas le moment dont elle restera la plus fière dans sa vie, et je la sens faire un sourire bien crispé alors que je dis ça.
Moi je me souviens surtout de ce qui est arrivé à son cheval. Elle ne l’aimait pas, pour elle ce n’était qu’un bourricot quelconque, mais la mort d’animaux me glace le sang, alors bon…


« – Je n'ai fait que mon devoir, messire, et de nous deux ma mission était de loin la moins périlleuse. À moi donc de vous remercier d'avoir failli prendre la rose noire en combattant le monstre déguisé en demoiselle qui nous menaçait. Et de l'avoir vaincu. »

La chevaleresse s’empresse de boire sa coupe après avoir dit ça d’un ton bien solennel — ça se sent qu’elle aurait aimé faire plus face à Mélaine, plus que ramener une Jehanne en robe à travers une route secondaire, je veux dire. Je hoche de la tête, alors que mon ton se fait un peu plus dur.

« Je pensais vraiment pas m’en sortir. Mais c’est, disons, justice, que les choses se soient terminées ainsi — beaucoup de herrimaults ont péri, je préfère avoir souffert et presque partagé leur sort plutôt qu’être l’enfoiré qui commande la mort sans m’y risquer moi-même.
‘fin… J’ignore si c’est une bonne façon de penser ou si c’est de la témérité. Je suis un gosse, c’est vous qui portez les traces de la guerre, la vraie, pas celle des tournois. »


Et là-dessus, je glisse un doigt sur mon œil gauche, là où elle est barrée d’une marque qui a laissé sa rétine vitreuse.
En tout cas, j’imagine mon père, mon papy, et tous ceux avant eux s’étrangler en m’entendant parler — non seulement je demande des conseils en chevalerie à une femme, ce qui est déjà gratiné, mais en plus je cherche à être recommandé par une enfant de Sigmar. Mes ancêtres ont botté le cul de ces barbares hors de Parravon, et mes compatriotes ont passé les quelques siècles suivants à gaiement cramer Ubersreik, y manquerait plus que ça, que Gotlinde Weinbaum me donne son opinion sur ce qu’un chevalier doit faire. Encore qu’en bon mâle Bretonnien, je pourrais juste le recueillir sans l’écouter.

Mais voilà, une cicatrice, ça s’invente pas. On respecte quelqu’un qui est marqué, surtout de face. C’est pour ça que je les fais remarquer avec Gotlinde aussi franchement — en Bretonnie, c’est un compliment. C’est même devenu une mode, il y a des chevaliers qui vont danser avec un manteau couvert de coupures et de taillades sur la cape. Mais en avoir sur le corps, ça ça égaye mieux les traits que le maquillage.
C’est pas le standard de beauté qu’on attend d’une dame, certes, mais ça me fait respecter Gotlinde comme pair.
Par mimétisme, la chevaleresse passe également son index sur son œil. Elle sembla être songeuse, interdite, comme si des souvenirs lui remontaient en tête. Et puis, pour toute réponse à ma non-question, la voilà qui hoche solennellement de la tête — ça suffira, comme approbation.



Il fait tellement chaud… Je commence alors à tirer sur mon écharpe, la glisse hors de mon cou, et retire les boutons les plus hauts de mon doublet afin de dégager un peu ma gorge. Mais tout autour de moi, il y a que des robes légères et des tuniques ouvertes — ça donne une scène ridicule, comme si on était en plein été caniculaire, pour le solstice, et qu’un gars se ramenait en fourrures pour affronter le Kislev hivernal. Pourtant, ce matin même, les enfants jouaient avec des boules de neige, et je n’ai donc pas l’impression d’être en plein délire…

« C’est bien joyeux, tout ça, la bouffe et tout je veux dire. Je crois mon dernier banquet ça remonte, à…
à y a des mois en fait. »


Je me rends compte que j’y avais pas réellement réfléchi. Mais je suis un fêtard. Merde, le premier truc que j’ai fais en arrivant à Derrevin, c’était aller chez Jacquot. Et en allant à la capitale, aussi, je suis tombé dans le premier boui-boui possible. J’adore ce genre d’ambiance, l’alcool, les brouhaha, le fait qu’il y ait tellement de monde que c’est impossible d’être seul — et pourtant si, on peut sentir la solitude dans la masse. Mais une vraie fête, qui se finit bien, ça ça me semble tellement éloigné de moi…

« Des chevaliers d’Averland, ça doit s’y connaître en beuveries, ou c’est juste une idée que je m’invente ? » je demande avec une grimace taquine.

J’ai choisi mon meilleur moment pour poser la question — Gotlinde, soudain ragaillardie, s’est resservie, et elle boit comme un trou. Elle a une excellente descente, et confirme bien le cliché, tant dans les gestes qu’avec la parole :

« Vous n'avez pas idée messire, qu’elle lâche après avoir retrouvé son souffle. Le vin c'est une religion de par chez moi. Presque toutes les familles, même les plus modestes, possèdent au moins un petit vignoble afin de fabriquer leur propre moût qu'ils font fermenter dans leur cave. On peut pas rendre visite à quelqu'un sans qu'il nous propose de nous faire goûter son petit cru personnel, et il n'y a pas un repas qui ne puisse être accommodé d'un rubis local.

Elle leva sa coupe à moitié vide et la vida cul sec, avant de s'en resservir une autre.

« C'est sur que notre picrate donne davantage envie de faire la fête que ceux d'ici… sans vouloir manquer de respect à votre pays messire. Les chevaliers de l'Ours Noir ont des moyens conséquents, c'est plein de petits bourgeois qui détournent des caisses des meilleurs crus du comté, alors c'est sur que lorsque vient le moment de s'encanailler, on peut se mettre minable avec de la très grande qualité… même si la plupart d'entre nous ont le palais si ravagé qu'ils seraient incapables de différencier de la pisse de stirlandais à un Grenzstadter de 2513. »

Elle ricane à sa plaisanterie, la bouche pleine. Je la laisse parler avec un simple signe de tête, et je cherche une coupe pour également m’empoisonner. Bien moins vite qu’elle, il faut dire ; mais avec le ventre plus vide, aussi, parce qu’elle mange avec appétit.
Comme un vrai chevalier, en fait.

« L'Averland est un bel endroit vous savez. On a des plaines magnifiques, une terre fertile, des élevages de chevaux aussi beaux que rapides, de nombreux fleuves d'où coule une eau pure et limpide. En été, il fait bon y errer sur les routes, se faire saluer par les jeunes hommes s'occupant des vendanges, déguster les premiers crus de la saison chez chaque viticulteur qu'on croise. L'Aquitanie... c'est beau aussi mais l'ambiance est... différente. »

Elle soupire, puis repose son verre, pour mieux se remettre à manger et retrouver le sourire.

- Pardonnez-moi ce moment de nostalgie messire. Je disais donc qu'en effet, vous n'aviez pas tort en supposant que les chevaliers de l'ours noir étaient loin d'être les derniers lorsqu'il s'agit de rouler sous les tables. Gilles soit loué, nous organisons même des tournois de beuverie dans lesquels sont déclarés vainqueurs les derniers à vomir ou perdre connaissance…

Elle jette alors un œil à Jehanne, et je suis son regard.

- … et excusez-moi ma dame, mais je me dois d'énoncer avec un certain mélange de honte et de fierté que vous avez devant vous une championne en titre, à deux reprises consécutives.

Et elle éclata de rire à nouveau, avant de reprendre sa coupe et de boire à nouveau. Moi-même, j’observe mon « épouse » avec un air goguenard. La Gotlinde a tenté de viriliser Jehanne, mais visiblement, elle avait de l’avance.

« Marrant, comment vous décrivez l’Averland, c’est exactement comme ça que je parle de l’Aquitanie aux autres. Et je suis tellement triste quand je m’en éloigne. Peut-être que tous les gens avec une patrie sont ainsi.
Du coup vous devinez très bien ma question suivante. »


Pourquoi avez-vous quitté l’Averland ?. Quand on a décrit d’un air amoureux sa nation d’origine, la question arrive toujours, inévitablement. Elle a mille réponses, parfois simples, parfois complexes, parfois heureuses, parfois tragiques.

« Mais dans tous les cas, si je peux faire quelque chose pour que vous vous sentiez chez vous, n’hésitez pas.
Et promis — j’essayerai pas de massacrer le reikspiel pour. »


Mes questions ont l’air de provoquer un malaise. Gotlinde cesse sa goinfrerie, tandis qu’elle se redresse, et se donne un air plus sérieux, en se relevant bien sur sa chaise.

« Je vous en avais parlé le soir de la naissance de Gilles messire, mais avec tout ce qu'il s'y est déroulé, je peux comprendre que vous ayez été distrait. La vérité c'est que je ne suis plus la bienvenue en Averland. Mon honneur avait été sali par un membre haut placé de notre Ordre, que j'ai logiquement provoqué en duel. Je l'ai vaincu à l'épée, il était à ma merci... mais même ainsi il a refusé d'admettre sa défaite. Il a continué de me provoquer, les yeux dans les yeux. Et mes camarades, plutôt que de me féliciter pour ma victoire, riaient aux plaisanteries graveleuses qu'il émettait à mon sujet. Je... »

Elle observa ses paumes ouvertes, tandis que moi-même termine mon verre, l’alcool picotant bien au fond de ma gorge.

« J'ai cédé à la colère. J'ai tué un homme désarmé qui ne m'agressait qu'avec des mots. En voulant prouver que j'étais digne d'être chevalier, je n'ai réussi qu'à démontrer le contraire. Gotlinde, la chevaleresse sans honneur. »

Je lève un sourcil, et je la regarde avec une grande incompréhension. En quoi ce qu’elle me raconte est un déshonneur ? Elle a l’air pourtant vraiment touchée par ce récit. Honteuse.

« Tout ce que je ressentais dans mon ordre, c'était de la jalousie pour mes camarades nés du bon sexe, de l'envie envers la réputation des plus gradés, et de la colère envers tous ceux qui refusaient de me considérer leur égale. Aussi, ne vous inquiétez pas pour moi, messire, car aujourd'hui mes sentiments sont bien différents. J'ai déjà trouvé ma place ici, auprès des herrimaults et de dame Jehanne. Carlomax m'a immédiatement fait confiance en me confiant des responsabilités. Et dame Jehanne, même si elle ne comprend pas mes choix de vie, les respecte. Me respecte.
– Je vous entends, Gotlinde, vous savez ? Fait Jehanne d’un air taquin.
– Je le sais, ma dame.

Et elles s’échangent un air complice.

« Pour la première fois depuis ma fuite de l'Averland, je commence à réussir à me pardonner. À abandonner la honte qui me chevillait le corps. À accepter la faiblesse induite par tous ces sentiments négatifs qui m'entravaient, et dont Gilles est capable de me débarrasser. Car l'Enfant Divin m'a acceptée lui aussi telle que je suis, et me montre la voie pour devenir meilleure. J'étais faible, et grâce à lui je vais enfin pouvoir devenir forte. »

Bien. Parfait.

Que ferait une personne normalement constituée et bien élevée en société après avoir entendu ça ? Après avoir reçu l’histoire de Gotlinde, et obtenu de tels compliments sincères ?
La personne normalement constituée, elle ferait un sourire poli, elle paraîtrait faussement modeste, elle assurerait qu’elle partage le sentiment — elle dirait que, moi aussi, Gilles m’aide à trouver le droit chemin, et elle agirait en bon ami, et on penserait d’elle que c’est une bonne personne.

Mais moi j’ai bu. Et je suis un peu con. Je ne peux donc pas m’empêcher de hocher négativement la tête, de droite à gauche, et de reprendre aussitôt la grande chevaleresse :

« Pas besoin de l’Enfant Divin pour vous débarrasser de votre honte. Vu comment vous me racontez votre histoire, vous n’avez rien fait de mal. »

Je pose mon gobelet, alors que je hausse les épaules d’un air quelconque.

« Je veux dire… Un homme insulte votre honneur. Il accepte votre cartel en duel. Vous l’avez mis à terre. Dès cet instant où cet imbécile a posé un genou devant vous, il était à votre merci. Le mot veut tout dire. Vous aviez tous les droits sur lui, tous. Et il a décidé de ne pas vous prendre au sérieux, et de vous provoquer.
Vous n’aviez en fait aucun autre choix à faire que de le tuer. Si, le mutiler, peut-être, même si on peut débattre de quel choix aurait été meilleur, entre ruiner sa vie ou la lui prendre.
Avec un peu de chance, cet épisode aura appris la politesse à vos frères d’armes. »


Et sur ce j’attrape de la bouffe qui traîne sur un coin de table et je me nourris en observant la fête autour de moi, sans même regarder la réaction de Gotlinde sur son visage.
C’est vrai, pourtant. La dame a traversé les Montagnes Grises et quitté sa patrie pour… Absolument rien, en fait. Elle a respecté toutes les règles, en Bretonnie on l’aurait félicitée. Enfin, on l’aurait félicitée, si elle avait une verge. On est un beau pays, mais pas pour tout le monde.
Heureusement pour elle, ça fait un moment que je ne m’arrête plus à d’aussi viles considérations.




Et donc, qu’est-ce que j’observe autour de moi, alors que la soirée commence à bien s’engager à présent ?

Des bacchanales. Une fête débridée, gaie et paillarde. Des dizaines de scénettes se jouent autour de mes yeux, alors que je reste là, étouffant sur ma chaise, encore incertain, convalescent, morne, et il faut le dire, avec l’alcool qui monte au nez. J’ai un sacré cafard, alors que je regarde des enfants courir dans tous les sens, la bonne révérende-mère manger comme une truie, des mains qui se caressent, et un couple d’invertis qui se bécotent avec bien trop d’empressement sur une table. Je vois de la débauche.

C’est bizarrement… Habituel. C’était ma vie. C’est ça le plus cruellement ironique de toute cette putain de situation, c’est ça qui me frappe alors que petit à petit, ma cervelle est en train de se remémorer des scènes du passé en même temps que mes yeux voient bien ce qui se déroule en temps réel, même si j’ai comme l’impression que je suis à part de tout ça — peut-être parce que moi, je n’ai pas bu dans cette immense vasque remplie de sang qui ondule d’un air hypnotique, très franchement par maléfice :

Ma vie, disons de l’adolescence jusqu’à il y a même pas l’année dernière… Eh bien, c’était ça. C’était juste ça, ce que je suis en train de voir. C’était une putain de fête géante et ininterrompue. C’était de l’alcool, des conneries, des virées qui dégénéraient. C’étaient des champs de paysans piétinaient alors qu’on partait à la chasse, des bandes bousculées dans des bagarres, des lices de tournois très peu honorables. C’est peu étonnant : c’est ça la vie de l’aristocratie d’Aquitanie, et si j’en crois tous les aristocrates de ce pays, c’était déjà ça la vie de mon père et même de mon grand-père.
L’Aquitanie est la terre rêvée dans les contes de fée ; c’est le pays où tout pousse, où on a trop, et les sang-bleus de ces contrées ne savent qu’en jouir. Là le plus étonnant, à la limite, c’est que c’est des paysans qui se joignent à la fête, mais hé, l’hiver est là pour ça, les festins se font quand on ne peut plus travailler aux champs. Aucune des scènes autour de moi n’est donc choquante en soi. Y a rien qui peut heurter ma pudeur ou me faire sentir exclu.

Non, la seule sensation étrange, c’est que j’ai détruit toute cette ancienne vie en pensant que je deviendrais un ermite, un parangon de vertu, un type qui se priverait de tout — et comme d’habitude, je suis revenu exactement au tout départ.

Et le seul truc que je me dis, là… C’est comment Margot aurait probablement adoré cette bamboche.




J’aurais pu passer la soirée vissé le cul sur ma chaise, à boire dans mon coin. Il y a toujours un type comme ça à une soirée après tout. Mais quelqu’un vient s’intéresser à moi. Et c’est pas la personne à laquelle je m’attendais ; je croyais pas qu’elle en avait le courage, pour tout dire.

Gervaise, la paysanne, la fille de Rémon, est arrivée jusqu’à ma table pour venir demander avec mille précautions si je souhaitais danser.

Je la regarde d’abord froidement. Mais à la voir essayer de cacher sa tête dans son cou comme une tortue, je peux pas m’empêcher de sourire. La pauvre fille, elle est si rouge qu’elle a viré pivoine, pourtant elle a essayé de se faire belle, avec sa robe du jour des Dieux et ses cheveux nattés. J’entrouvre mes lèvres, tandis que je cherche une tournure polie pour la rembarrer, mais c’est alors que je croise le regard de Jehanne, qui me fait un signe de la tête.

J’ignore ce qu’il signifie, ce signe de tête. Est-ce que c’est une… Approbation, de sa part ? Je ressens d’elle surtout une crispation quand elle a Thecia dans son champ de vision. Ma foi.
Je suis pompette, las, et depuis un moment maintenant, toujours dans les pattes de la dame de Montagu. Alors, j’ai soudain des fourmis dans les cuisses, parce qu’elle me prend par les sentiments, Gervaise…
J’adore danser.

« Honneur à celle qui a osé me le demander en premier, alors ! »

Je me lève brusquement, et je retire mon gros manteau pour rester qu’en doublet. Et là, je passe au-dessus de la table ; Non, j’en fais pas le tour, je me jette vraiment sur la table pour sauter derrière, tout vif, histoire de bien me faire remarquer. Allez, quoi, il y a de la musique, et de la plaisante, pas le morceau triste à se pendre de Carlomax de tout à l’heure ! Et donc, voilà que j’attrape la main de Gervaise, et j’approche mon visage d’elle pour souffler d’un air suave dans son oreille :

« Essayons donc de rendre ces dames jalouses, d’accord ? »

Et je l’attire à moi jusqu’à l’un des braseros. Il y a deux couples qui sont déjà en train de danser ; je m’immisce au milieu d’eux, et tourne les talons pour faire face à ma cavalière.

Je la lâche, et la laisse là, plantée toute droite, alors que je recule. Je prends une grande inspiration, j’écoute bien le rythme de la musique dans mon oreille ; j’attends que le refrain se termine, pour attraper au vol la mélodie. Et dès que c’est parti, je commence ma volte.


C’est une danse populaire, la volte ; c’est une de ces danses que les aristocrates font tout autant que les paysans. Elle est récente, et pourtant, il paraît qu’on la danse déjà jusqu’à Erengrad — Des Tiléens qui l’ont inventée, mais ça a traversé les frontières, contrairement à leurs pommades dans les cheveux et leur façon de parler avec les mains. Il paraît que le clergé Sigmarite veut la faire interdire, et je vois très bien pourquoi.
C’est une danse de couple, et pas une danse de groupe. Elle est faite pour lier deux personnes, qui se touchent et s’approchent beaucoup entre elles, en public — on voit bien comment c’est fait pour être sulfureux, et évidemment, tout le monde adore trouver des occasions de provoquer des scandales. Ça permet aussi de se mesurer discrètement aux autres, c’est une compétition, le m’as-tu-vu c’est important. J’adore la volte. Je me souviens de comment mon père et ma mère adoraient la danser ensemble, et c’est avec cette botte secrète que j’avais couché avec un macho Estalien durant un solstice d’été…


La musique suit le tempo que j’attendais — un simple ralentissement. Alors, je me lance.
Je lève haut le buste, et la tête. Et en rythme, je m’approche de Gervaise, avec des gestes exagérés avec mes mains. Je regarde intensément dans ses yeux, alors que je me mets à roder autour d’elle à pas de loups. Je lève ma main pour trouver la sienne, et la lever en l’air, alors que je tourne dans un sens inverse de celui dans lequel où je l’entraîne. Et toujours, toujours je la regarde bien au fond de son regard — la danse, c’est beaucoup ça, c’est du sport mélangé à du théâtre, les deux sommets de l’art humain. Comment ne pas aimer la danse ? C’est contrôler son corps en même temps que son cœur. Je ne fais pas confiance à un chevalier qui ne danse pas.

La musique s’accélère. Alors, mes pas furtifs se transforment en bondissements. Et voilà que je fais tourner Gervaise dans le vide, sur elle-même, juste avec le bout de la main. Je l’attrape, et la tire contre moi, pour l’attraper par la taille, et la coller à mon corps, alors que nous allons plus vite et plus vite alors que les mesures de la musique se rapprochent, et que les flûtes et les cordes s’endiablent…

Je suis doué, je me donne en spectacle. Malheureusement, ma cavalière a énormément de mal à suivre. J’ai l’impression qu’elle va s’évanouir après avoir fait la toupie, et voilà qu’elle casse mon rythme, et qu’elle danse faux. Elle semble en avoir honte, parce que son visage mélange du rouge plus rouge que jamais (Comment est-ce possible d’être aussi rouge?!), avec du blanc d’horreur. Je souris, et l’encourage à grands cris amusés :

« Continue ! Allez ! »

Je la tire à moi et souhaite la faire sauter ; au dernier moment, elle renâcle, et voilà que…
…Elle me piétine violemment le bout du pied, de tout son poids.

Elle casse toute la danse. Je souffle de douleur et recule, alors que je vois qu’autour de nous plein de gens nous regardaient. Depuis la table, il y a un grand rire cruel qui éclate : Jehanne vient de pouffer de rire si fort qu’elle en a craché de l’alcool, et soudain, elle met une main devant sa bouche avec un air d’horreur, tellement c’est sorti de façon incontrôlée de ses poumons.

Je regarde Gervaise, et la pauvre fille a un air sidéré comme je n’ai jamais vu quelqu’un de sidéré. Dans sa tête, Derrevin tout entier vient de la voir piétiner le seigneur, et il y a des rires qu’on peine à camoufler. Nous avons atteint des summums d’embarras qu’on ne pourrait pas qualifier avec des mots dans le dictionnaire. Et j’ai mal, putain, cette catin m’a complètement explosé le pied avec son gros talon de gueuse…



Alors, moi aussi, je me mets à rire. C’est un rire que je force, que j’essaye de puiser tout au fond de moi ; d’abord c’est nerveux, puis finalement ça sonne vrai. Je retourne vers Gervaise, parce que si je l’abandonne maintenant, j’ai complètement anéanti la soirée de la pauvre fille. Je recommence à la faire tourner, comme s’il ne s’était rien passé, comme si cette grosse honte était amusante.

« J’ai compris, Gervaise : Je ferai attention où mes mains se baladent ! »

Clin d’œil.
Et je continue de danser avec elle en grimaçant malgré la douleur.

« Danse ! Danse ! »

Et je claque dans les mains, en invitant avec de grand gestes les timides à nous rejoindre.
Modifié en dernier par [MJ] Katarin le 26 oct. 2022, 08:55, modifié 1 fois.
Raison : 6 xps / Total d'xp : 79
Fiche : wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_armand_de_lyrie
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Échiqueté d'or et d'azur à la bordure de gueules à la guivre de gueules halissante
Stats :
FOR 9 / END 9 / HAB 11 / CHA 15* (14) / INT 9 / INI 8** (10) / ATT 13** (15) / PAR 11** (13) / TIR 8 / NA 2 / PV 70/70
*Bonus grâce à la chevalière portée à l'auriculaire
**Malus à cause du harnois (inférieur)

État temporaire :
Compassion : +2 aux jets d'empathie (Reste une journée)
Esprit compatissant : +3 aux jets de résistance à la peur/terreur (Reste une journée)
Pompette : +1 CHA, -1 INT.
Migraine : -1 CHA
Visière épaisse : -2 aux jets de perception (Lorsque le casque est porté)

Compétences :
- Anticipation : +1 en ATT et +1 en PAR à partir du 3e round face au même ennemi
- Coup précis (1) : Malus atténué de 1 lors de la visée d'une partie précise
- Coups puissants : +1d3 de dégâts
- Coriace : Résiste à 1d3 dégâts de plus
- Dégainer l'épée : +1 en INI lors du premier round
- Parade : Valeurs de parade doublées
- Sang-froid : +1 lors d'actions réalisées sous stress
- Volonté de fer : +1 sur les tests pour résister à la peur

- Baratin : +1 pour embobiner quelqu'un à l'oral.
- Empathie : Capable, sur un test, de lire les émotions sur le visage de quelqu'un.
- Empathie animale : Capable, sur un test, de deviner les émotions d'un animal.
- Étiquette : +1 lors des interactions avec la haute société
- Humour : +1 pour divertir et amuser.
- Intrigue de cour : Capable de déceler et deviner des intrigues.
- Monte : Ne craint pas de chutes lors d'une montée normale
- Vœu de la Pureté échoué : -2 dans la résistance aux tentations terrestres

- Alphabétisé : Capable d'écrire et de lire le Bretonnien
- Art (Peinture) : Sait peindre des tableaux.
- Danse : Excellent danseur
- Héraldique : Capable de reconnaître les blasons des familles nobles, et d'en savoir plus sur eux sur un test

Équipement de combat :
- Épée bâtarde (Inférieure) : 2 mains / 23+1d10(+1d3*) / 22** (11) parade
- Lance d'arçon : 1 main / uniquement à cheval / 20+1d10(+1d3)* / 16** (8) parade / "Long" (Malus de -2 ATT pour les adversaires) / "Épuisante" (Malus de -1 d'utilisation après END/2 tours, à chaque tour, max -4) / "Percutante" (Relance du jet de dégât, meilleur résultat gardé) / "Rapide" (Malus de -2 PAR et/ou -2 HAB pour toute esquive tentée par l'adversaire) / Se brise après 4/5 utilisations
*Avec la compétence Coups puissants
**Avec la compétence Parade


Tête : 13 protection
Torse : 13 protection
Bras : 13 protection
Jambes : 8 protection

- Destrier Bretonnien (Ravel) : FOR 10 / END 13 / SAU 8 / RAP 10 / INT 9 / DOC 12 / ATT 9
Équipement divers :
3 Eo

- Un beau doublet
- Un grand manteau
- Des bottes neuves
- Une jolie écharpe

- Nourriture
- Hydromel

- Bague affichant un lion - +1 CHA

- Insigne argenté marqué du blason de Lyrie
- Pendentif monté en clou
- Un flacon à l'odeur immonde
- 3 bouteilles de tonique miraculeux
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[MJ] Katarin
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Re: [Armand de Lyrie] La solitude du dirigeant

Message par [MJ] Katarin »

Le sens du spectacle d'Armand se fit remarquer sans mal. Quelques exclamations avaient déjà échappé d'une poignée d'habitants lorsqu'il avait sauté par-dessus une table pour rejoindre les fêtards en compagnie de Gervaise, et alors qu'il commençait à déployer tous ses talents de danseur, nombreux furent les villageois à l'encourager de quelques rires et interjections admiratives. Son enthousiasme encouragea même de nombreuses personnes encore attablées à se lever à leur tour pour elles aussi se déhancher au rythme de la musique.

Malheureusement, toute cette attention se retourna contre lui lorsque Jehanne commença à montrer d'évidentes lacunes dans sa capacité à suivre son rythme. Armand était un excellent danseur, et peut-être avait-il mis la barre trop haute en proposant à Jehanne une danse aussi dynamique, car la pauvre fille, mortifiée par sa timidité naturelle et la sensualité des mouvements de son cavalier, développa la souplesse d'un bout de bois séché.

Grâce au statut d'Armand et à son talent de danseur, tous les yeux avaient fort malheureusement été braqués sur eux. Aussi, lorsque la fille de Jaquot écrasa de tout son poids le pied de son seigneur, les moqueries fusèrent partout autour d'eux. Armand tenta de manière chevaleresque de sauver la dignité de sa partenaire, mais personne ne sembla bien dupe de ce qu'il s'était réellement passé - et d'ailleurs il ne fallut pas longtemps pour que Gervaise éclate en sanglots et s'enfuie soudainement. Nul doute que ce terrible instant de gêne publique resterait gravé à jamais dans sa mémoire, et que la honte ressentie allait la hanter pour longtemps.

Armand n'eut pas à se demander bien longtemps quel comportement adopter alors : Jehanne, encore attablée quelques instants plutôt, s'était levée et avait en tout point imité son époux de circonstance : elle avait soulevé sa longue robe, puis avait grimpé sur la table pour se laisser délicatement tomber de l'autre côté, avant de traverser la foule qui s'écarta sur son chemin, afin d'aller droit vers le seigneur de Derrevin.

Arrivée devant lui, elle lui offrit sa main ainsi qu'un sourire narquois :

- Quelle cruauté d'ainsi humilier la gueuse messire. Il y avait d'autres méthodes pour faire comprendre au peuple que seule votre épouse était en mesure de maitriser votre fougue. Mais soit, je veux bien vous honorer d'une danse ou deux, tâchez d'être à la hauteur.

Sa voix était aussi confiante qu'arrogante. A raison, puisqu'elle s'avéra aussi bonne danseuse qu'elle le prétendait. Jehanne n'était pourtant pas une partenaire facile, car elle ne se contentait pas de suivre bien sagement la dynamique imposée par son cavalier. Elle répondait certes à chacune de ses invitations du pouce ou du poignet, tournant lorsqu'il le lui suggérait, virevoltant entre ses bras à sa demande, et n'hésitait pas une seconde à s'acquitter de mouvements sensuels, son corps collé contre celui d'Armand dans une ambiance charnelle. Mais elle faisait davantage que cela. Car dès qu'Armand commençait à construire un mouvement précis sur un rythme déterminé, elle ajoutait des pas supplémentaires pour lui compliquer la tâche, quand elle ne se lançait pas dans quelque cabriole qu'il était bien forcé de suivre s'il ne voulait pas voir sa partenaire tomber par sa faute. La volte est coutumièrement une compétition entre couples, mais ici Jehanne l'avait transformée en duel au sein du couple - elle faisait exprès de compliquer à l'envie chaque dynamique s'installant entre eux dans l'objectif évident de le mettre en difficulté.

Armand contra chacun de ses pièges, suivit chacun de ses pas, lorsqu'il ne profita pas des occasions offertes pour surenchérir davantage encore. Jehanne se retrouva piégée à son propre jeu, forcée de suivre l'incroyable technicité des pas d'Armand, et peu à peu incapable de contre-attaquer à son tour. Voyant qu'elle ne pourrait gagner pareil duel, Jehanne abandonna sa malice initiale et adoucit son comportement au fil des danses qui se succédaient : si à la première elle était une adversaire, à la quatrième et dernière elle était devenue sa partenaire. Son sourire moqueur semblait s'être mué en quelque chose de plus sincère : il paraissait évident que la jeune héritière de Montagu s'amusait beaucoup en cet instant.

A la fin de la quatrième danse, elle signifia son désir de s'arrêter là. Son visage avait rougi de fatigue et une fine pellicule de sueur faisait briller la lueur des braseros sur son visage désormais. Ses yeux étaient dardés dans les pupilles d'Armand, ses pupilles brillant d'une lueur très certainement due à l'alcool, et après un court moment de parfait immobilisme à se fixer, elle franchit le pas, glissant sa main derrière la nuque d'Armand et le tirant vers elle pour l'embrasser sur les lèvres.

Ce ne fut pas le doux et tendre baiser d'une jouvencelle timide. Jehanne le tenait fermement par la nuque et l'embrassa langoureusement, jouant de sa langue avec une passion teintée d'agressivité, avant de conclure en lui mordant la lèvre un peu trop fort pour que ce soit agréable.

Puis elle se recula, et fit une élégante courbette devant lui.

- Merci pour ce beau moment messire.

Et elle s'en retourna ainsi, sans attendre sa réaction. Mais elle ne prit pas le chemin de sa chaise - non, elle se dirigea droit vers Thecia qui semblait les observer de loin. Jehanne se mit à son niveau, lui chuchota quelque chose à l'oreille, puis se pencha vers Gilles pour l'embrasser sur le front, avant de faire demi-tour et d'aller aux côtés d'Alys, se saisissant d'une cruche pour remplir le verre de la grande prêtresse avant de se déplacer à nouveau de quelques pas, pour se positionner juste au-dessus du couple de chevaliers couchés sur la table, qui avaient franchi quelques étapes supplémentaires dans la luxure. Le premier avait en effet sorti de son fourreau une lame qui ne demandait qu'à être soigneusement nettoyée par la langue consciencieuse de son compère. Le visage de l'un et l'entrejambe de l'autre furent alors copieusement arrosés par quelques litres de bière, généreusement vidés par une Jehanne qui ne s'était pas départie de son sourire.

Armand fut trop loin pour entendre ce qu'elle leur dit, mais il put voir la réaction des deux chevaliers, les yeux baissés au sol, avant de piteusement se rhabiller à la hâte.

- J'vous souhaite bien du courage dans vot'mariage à venir, souffla un Guimart hilare aux yeux larmoyants. Vous nous accompagnez ?

Leur seigneur n'ayant manifestement plus de partenaire, les musiciens avaient changé de style de musique, optant pour des morceaux permettant d'avantage de danses de groupe que de couple. Des cercles s'étaient formés, les habitants dansant main dans la main en riant, et le plus grand des frères Louvières invitait Armand à lui prendre la sienne pour qu'il soit positionné entre lui et Daniel. Ce dernier hocha la tête, comme pour donner son aval à l'invitation faite par son frère, avant que tout le cercle déjà formé ne scande le nom d'Armand pour qu'il les rejoigne.


Jets de danse sur HAB :
Armand - 5, réussi de 7, offre ce bonus de +7 à Gervaise.
Gervaise - 20, elle est nulle à chier.

Jet de CHA pour voir si arrives à peu près à couvrir Gervaise - 16, non, même toi tu n'y arrives pas tant elle a été nulle :mrgreen:

Jet de danse de Jehanne
Jehanne - 7, réussi de 6. Pas de bonus d'Armand - leur danse est une compétition, pas une entente :D Tu gagnes d'un point sur elle en terme de réussite.

Jet d'empathie sur Jehanne : 16. Niet, ta femme est trop forte, impossible de comprendre ses émotions - d'ailleurs à force d'échouer tes jets d'empathie sur elle, je pense qu'on va partir du postulat que c'est presque une caractéristique de Jehanne qu'Armand peut notifier, contrairement à la majorité des gens elle est vraiment impossible à déchiffrer tant elle exerce un parfait contrôle de ses expressions, mouvements, et timbre de sa voix. Si elle montre une claire tension avec Thecia, il est possible qu'elle fasse exprès de le laisser paraître pour une raison ou une autre...

Pour la suite, les gens vont pas te lâcher et vouloir te faire danser encore et encore. En revanche, plus personne ne veut faire de danse de couple avec toi, et alors que ça flirte de partout bizarrement aucune fille ne s'approche de toi :mrgreen:

Pour le reste des gens, si tu veux encore discuter un peu avec certains :
- Daniel et Guimart dansent encore et encore, et se trouvent rapidement de jolies villageoises avec lesquelles flirter et danser dans leur cercle.
- Rémon, sa femme et ses gosses dansent en cercle aussi pas loin de toi. Si tu tentes de partir il va t'alpaguer avec sa grosse voix terrifiante, pour te présenter toute sa famille et rire des bons souvenirs de la baston dans la taverne.
- Alys et Jehanne se sont installées ensemble et discutent - la première mange beaucoup, la seconde picole beaucoup.
- Olivier a rejoint Thecia, et il semble flirter avec elle - elle rit à ses blagues et il est plutôt tactile.
- Gotlinde est sur le départ, elle tient par la main le bras d'Arnoulet qu'elle tire derrière elle pour l'emmener loin de la fête. Il y oppose une vague résistance timide et polie, mais la suite quand même pas après pas.
- Jacquot a disparu, tout comme sa fille Gervaise.
- Le vieux Crespin est assis sur une chaise, le teint livide, totalement léthargique, le bras qu'il s'est entaillé bandé, avec un gigantesque sourire heureux et débile sur le visage.
- Carlomax et Maussade ont pas bougé, ils sont toujours couchés au sol en train de regarder les étoiles. Carlomax semble aller un peu mieux vu qu'il montre certaines constellations du doigt en discutant avec elle (enfin, en monologuant)
- Jacques (le vieux chevalier) il est assis tout seul et il mange calmement en regardant les danseurs.

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Armand de Lyrie
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Re: [Armand de Lyrie] La solitude du dirigeant

Message par Armand de Lyrie »

Il y a peu de sentiments plus horribles que la honte — pire encore quand c’est en public. J’ai beau faire un immense sourire à Gervaise, la gamine craque ; elle doit prendre chaque rire comme une moquerie, chaque plaisanterie comme une insulte, chaque regard en coin comme du mépris, comme si tout l’univers entier s’était retourné contre elle histoire de bien la rouler dans sa honte. C’est évidemment exagéré ; dans trente secondes mon pied cessera de me faire mal, et dans dix minutes tout le monde sera à se poiler devant la bêtise d’un autre — tout ce qui subsistera de sa gaffe, ça sera une anecdote pour faire rire lors d’une veillée.
Mais allez dire ça à une gamine de quinze-seize hivers. À cet âge-là on a encore l’impression que le monde tourne autour de soi, et le moindre petit faux-pas est ressassé dans son esprit jusqu’à se rendre malade. Faut prendre un tout petit peu d’âge pour se rendre compte à quel point notre existence se fout de hontes de ce genre. Pendant un petit instant, j’ai envie de m’élancer à sa poursuite, histoire de la rassurer, mais je peux certainement que faire plus de mal que de bien. Quel goujat je suis, qu’est-ce qui m’a pris de l’entraîner là-dedans…


J’ai pas vraiment le temps d’avoir des remords de toute façon. Si le but de toute ma prestation c’était de rendre Jehanne jalouse, j’ai visé juste. Cette sale peste a beau jouer à la grande dame, il a fallu bien peu pour la faire réagir ; la voilà qui passe par-dessus la table, et passe devant tous les spectateurs qui me regardent pour me rejoindre. Je peux pas m’empêcher de sourire d’une belle grimace d’enculé alors qu’elle « m’honore » bien gracieusement d’une danse. Évidemment, avant d’accepter sa main, je m’incline bien bas en plaçant un poing dans mon dos, comme se doit de le faire un suppliant, comme le fait un chevalier devant sa dame.


Évidemment, les coutumes chevaleresques, c’est juste l’oripeau qui cache ce qu’il y a derrière. La danse, enfin les danses de cour, c’est fait pour jouer avec l’interdit, pour faire grincer des dents ses parents ou ses promis en public. C’est fait pour se chercher aussi, pour voir quels mouvements on peut se permettre. Faut le prendre comme un jeu, mais un jeu terriblement fatiguant et technique.

Et elle est douée à ce jeu, Jehanne. Trop douée. Je sens dès le départ qu’elle me ménagera pas, alors évidement, sitôt relevé, et après qu’elle m’a bien offert sa main, je la tire bien fort pour l’entraîner dans ma volte. Mais elle tente de me provoquer, de lutter contre moi. Je déchante très vite en me rendant compte qu’elle risquerait presque que je glisse contre le sol un peu boueux de Derrevin, ou que je me foule quelque chose ; c’est elle qui me force à suivre la musique, à la porter par les hanches, à tournoyer jusqu’à l’étourdissement.
Jehanne danse comme si elle dansait pour un duc. Peut-être qu’elle a grandi dans une cour ; ou qu’au contraire, elle a rêvé d’entrer dans l’une, sans y parvenir. Ou peut-être qu’elle veut rendre quelqu’un jalouse. En fait, je finis vite par oublier ces idées, et à me convaincre de la plus simple : elle a juste envie de s’amuser. De profiter de quelque chose qu’elle n’a pas pu avoir depuis des mois. Et je la comprends, c’est pareil.

Après Rhya-seule-sait combien de temps, et tandis qu’on est tous les deux complètement essoufflés, rouges, avec le cœur qui palpite même au fond de la gorge, notre volte est devenue plus celle qu’on attendrait de deux amoureux ; on offre à Derrevin cette vision de nos deux corps enlacés, alors qu’elle trouve encore la force de me sauter dessus, et de suivre mon sens, de marcher dans mes pas, bien autour de moi. Et c’est des minutes délicieuses, alors que je sens mes cuisses brûler et ma vision un peu se brouiller. J’aimerais que ça dure tellement plus longtemps… Mes plus beaux souvenirs, c’est des souvenirs de danses. J’essaye de graver celui-là bien au fond de mon esprit.
Juste à côté de celle de Margot, un soir de la fête des Lys. Elle dansait mieux que Jehanne. C’est sûrement pas vrai, mais la nostalgie, c’est ce poison qui vous fait croire que tout était tellement mieux avant…


C’est Jehanne qui m’arrête. Je n’osais pas le faire. Je la regarde avec un grand sourire, et je réfléchis à une remarque à la con à sortir pour bien l’achever. Un truc bien cliché, du style, « vous fatiguez, ma dame ? ». Le problème, c’est que j’inspire et expire tellement vite par ma bouche que je trouve pas l’haleine pour le faire.
Et puis, y a ce moment, là, que tout le monde doit connaître au moins une fois dans sa vie, autrement il a pas vraiment vécu. Le moment où je la regarde dans les yeux, et qu’elle me regarde, et qu’on est là à s’observer silencieusement, ‘fin, à part pour nos essoufflements bruyants. C’est le moment où l’un et l’autre savent très bien ce qu’ils désirent, mais aucun n’ose, pour un tas de très bonnes raisons — un moment trop court, où il y a le doute et l’envie, la peur d’être repoussé, la pudeur qui fait surface (Si il y a encore de la pudeur dans ce putain de village), le moment où on a mal au ventre, et des fourmis dans tous les membres. C’est presque le moment le plus décisif de toutes les histoires que pourront écrire ensemble une fille et un garçon — celui-là, et celui de la rupture, bien sûr.
Et c’est elle qui m’attrape le cou, qui le serre, et qui me tire vers elle. Elle se contente pas de me faire un peu pencher pour m’inspirer, pour provoquer la suite ; elle fait avec moi comme le ferait un homme selon les chansons d’amour courtois. Et moi, pris au dépourvu, je me retrouve à faire comme une femme : je ferme les yeux, j’entrouvre les lèvres, je gémis un tout petit peu alors que je sens sa langue caressant la mienne, je glisse mes mains sur ses flancs. En fait, je me rends compte que j’ai déjà embrassé des dizaines de fois, mais c’est peut-être la première fois que je suis embrassé, si on comprend ce que je dis… Enfin non. Il y avait ma mère. Mais c’est… Pas la chose à laquelle je veux penser. C’est une pensée parasite, horrible, qui reflotte toujours au pire moment.

Elle termine en me mordant la lèvre. Je siffle entre mes dents sous la petite douleur. Je m’attends alors que ce soit elle qui me sorte une belle réplique bien faite pour m’achever. Mais non. Elle reprend sa calme prestance d’aristocrate, me remercie, puis s’en va nonchalamment. Et moi je suis planté là, en vrac, trop content.
Elle arrive à se faire remarquer une ultime fois tout de même ; d’abord en chuchotant quelque chose (Quoi donc?) à Thecia, avant d’aller porter une cruche vers un couple : les deux Ulricains qui s’emballent un peu trop sont calmés par de la bière glacée, et mettent vite fin à leur scandale qui entrait un peu dans l’excès. Je pouffe de rire devant cette scène, et je suis pas le seul à en avoir profité, parce que je suis un peu bousculé par le Guimart qui me ramène sur terre.


On scande mon nom, et le grand gaillard de chevalier m’offre sa main. Quel idiot je suis — j’aurais dû bouger au lieu de rester bêtement en plein champ ! J’hésite un moment à filer à la bretonnienne, avec le sourire et la tête qui hoche pour dire « non », mais quand une douzaine de gens ronds comme des culs de pelles et saouls comme des Gospodars se mettent à beugler « AR-MAND AR-MAND » en tapant dans les mains, forcément ça me prend par les sentiments. J’aime beaucoup trop l’attention pour m’éclipser, bordel, c’est que je suis une salope facile à satisfaire.

Donc, voilà que j’attrape la main couverte de sueur de Guimart, puis que je me saisis de celle calleuse de Daniel dans l’autre, et les deux ours me broient les phalanges alors que je me retrouve avec eux dans une farandole. Ça doit donner une scène terriblement comique, le grand homme trop mince avec ses deux armoires à glace qui le flanquent. Et voilà qu’il y a des tambours, et des clarinettes, et tout le monde en cercle qui sautille alors qu’on chante un beau morceau paillard comme seuls les gueux sont capables d’écrire.

À ma grande honte, je connais les paroles par cœur.


♪ C’était un chevalier,
Qui rev’nait du Reikland,
Qu’était si mal vêtu,
Qu’on en voyait le membre ;

Une prêtresse d’charité,
L’fit rentrer dans sa chambre,
Allume cinq, six fagots,
Pour réchauffer le membre ;

Quand le membre fut chaud,
Il se lit à l’étendre,
Aussi long que le bras,
Aussi gros que la jambe ;

« Dis-moi beau chevalier ?
À quoi te sert ce membre ? »

« Il me sert à pisser,
Quand l’envie me prend,
Et aussi à baiser,
Quand l’occasion s’présente. »

« Eh bien beau chevalier,
Fous-le-moi dans l’ventre ! »
« Ah non non madame,
J’aurais peur de vous fendre ! »



On saute en rond comme des puces à chanter hyper mal tout du long ; les hommes prennent des voix aiguës en faisant parler la Shalléenne, les filles prennent des voix graves en faisant parler le sire de Gisoreux.
Daniel danse comme une putain de brêle, mais il meurt de rire à chaque fois qu’il me pousse. Moi, je remarque vite comment Guimart arrête pas de zieuter une paysanne avec des taches de rousseur en face. Je comprends qu’il a envie de se rapprocher d’elle, alors du coup je l’entraîne avec moi dans l’autre sens dès qu’on change d’air ; c’est complexe à faire quand on est dans un cercle, et faut bien que je calcule mon putain de coup pour parvenir à larguer mon compagnon pile devant miss poil-de-carotte juste au moment de changer de partenaire. J’offre juste un clin d’œil à Louvière n°1 tandis qu’il part gaiement gérer son assaut, tandis que j’ai toujours le second en arrière-garde. Je le garde avec moi un moment, me fais mousser en tirant Daniel pour le forcer à suivre mes pas. Ça fait glousser une fille bien dodue qui me remarque faire — génial, j’ai plus qu’à faire éclater le conroi et lancer Louvière n°2 sur les baraquements, et il avait en effet l’air bien pressé de se tailler pour se trouver une meilleure partenaire de danse.

Je suis complètement exténué, et fort content de m’être débarrassé de mes deux paladins, je me mets à les applaudir tandis que je me taille discrètement hors du cercle, pour retourner je ne sais trop où — vers les bancs, n’importe lequel, j’ai très envie de m’affaler et de souffler un bon coup.



J’ai pas le temps de faire dix pas que ça siffle. Je réagis pas, parce qu’il y a tellement de bruit autour de moi que n’importe qui pourrait siffler pour n’importe qui. Mais voyant que je l’ignore, une voix bizarrement familière se met à crier :

« Hé, Lyrie- ‘fin, sire ! Hé là ! Ho ! »

Je m’arrête et me retourne, et je vois ce putain de Rémon qui s’approche de moi à grands pas. Je pourrais croire qu’il viendrait prendre sa revanche de notre rixe vu les graaands pas de géants qu’il fait, mais son immense sourire d’une oreille à l’autre est censé me prévenir d’une bonne intention à mon égard — ou alors ça le rend justement plus flippant, je me suis pas décidé. Moi je suis comme un con sur place, tandis qu’une grosse pogne s’ouvre et vient taper dans mon épaule, ce qui me fait mal. Et Rémon me hurle au visage, probablement car la musique l’a rendu sourd et il se rend pas compte du bruit qu’il fait :

« C’était d’la bonne danse, hein ! ‘fin j’m’y connais pas, hein ! Mais hé, vous dansez aussi bien qu’vous bagarrez, hein ?! »

Et voilà qu’il ferme ses poings et les agite devant moi « pour rigoler », avant de rire gras et de me taper une deuxième fois, alors que je suis resté tout droit et figé — même avec tout le cidre et le vin clairet que je suis sifflé avant de venir je suis pas aussi torché que lui. En plus, je dois avouer que le gars me terrifie prorprement, et tout ce que je peux faire c’est lui offrir un sourire figé et un peu tremblant.

« Mais non j’rigole — c’était la chance du débutant ! La prochaine fois ça sera pas aussi simple, hein ?! »

Et il se prépare à me taper une troisième fois, mais arrête, et préfère tapoter plus gentiment mon dos, alors qu’il ouvre la main et me présente des gens derrière lui. Il y a madame Rémon, qui est plutôt jolie et rondelette, et trois gosses comiquement de trois tailles différentes, un grand, un petit et un moyen, avec tous le visage quasiment copié de leur père — même pour la fille au milieu, qui distingue son genre uniquement avec sa petite robe de jour de fête et ses cheveux longs noués en nattes.

Et là-dessus, Rémon me fait s’approcher d’eux (En fait il me pousse presque de force, je crois pas qu’il se rend même compte de sa brutalité tellement ses paumes sont des palmes), et il me présente à tout le monde en me filant des prénoms que je ne saurais pas retenir. Dans l’ordre, je penche la tête avec une main sur le cœur pour sa femme, je serre la main à son fils aîné, je souris à sa fille, et je tapote la tête du cadet. Le dernier geste est le plus bizarre et le plus gênant : c’est que j’ai que vingt-deux ans, et j’ai aucune idée de comment je suis censé me comporter en présence d’enfants. Mais visiblement tout le monde semble bien content de ce que je viens de faire.

« C’est une bien belle soirée, oui-da ! Une chance qu’on vous ait, au final, hein, sire ?! »

Je rougis en hochant la tête.

« Je suis heureux si tu es heureux, Rémon.
Je… Je voulais, quand même, présenter mes excuses, pour la dernière fois. Je les avais transmises à Crespin, je crois, mais je souhaitais les répéter ici. Voilà, heu, désolé, de… D’avoir, mal parlé.

– Ah, d’avoir hurlé devant tout le monde que j’étais un lâche ?! »

Je fais un sourire très gêné.

« Oui, heu, ça… Et puis, je dois admettre avoir… Eu très peur, pour ta santé. Quand j’ai frappé, ça a eu l’air, enfin… Je suis vraiment rassuré de te voir debout en pleine forme. »

Et là, Rémon arrête instantanément de sourire. Il me foudroie du regard, alors j’ai envie de rentrer ma tête dans mes épaules telle une tortue, tandis qu’avec la voix la plus froide et la plus sérieuse du monde, il sort :

« Parce que vous croyez qu’vous m’avez fait mal, c’est ça ?
Vous sous-entendez quoi, exactement ? Hm ? »


Je deviens muet comme Mórr alors que je réfléchis à comment reformuler ma phrase. Je regarde son épouse qui se cache les yeux avec sa main, et ses enfants qui m’observent comme trois paires d’yeux de chouettes tout droit, comme s’ils allaient venir m’aider.

« Je… Je sous-entends rien ? Enfin, je dis juste que, ça aurait été, mauvais de ma part, de… »

Et là, Rémon siffle de rire. Il agite la tête de gauche à droite avant d’éclater d’un rire beaucoup plus franc encore. Son fils aîné sourit comme une sale petite fouine, et finalement, j’ai une nouvelle claque sur l’épaule.

« Ah je l’adore ! Il est trop drôle ! Il parle tout le temps comme ça ! »

Je lève un sourcil interrogateur, mais il m’agite et parle à sa femme en me prenant par le bras comme si on était les meilleurs amis du monde.

« Mais c’est un bon gars l’seigneur, hein, malgré tout ! On est content de l’avoir ! Moi j’vois pourquoi Margot l’a choisi ! Mais hé, c’est un sanguin aussi — comme moi ! Hein, on est un peu pareils sire, hein ?! »

Sa femme a l’air gênée tandis que ses deux enfants plus âgés ont l’air ravis. Ils écoutent alors comment s’est déroulée la bagarre dans la taverne, fidèlement retranscrite du point de vue de Rémon. Comme c’est pas vraiment un souvenir dont je suis fier je me contente de regarder mes pieds, puis l’horizon, puis les diverses personnes de la fête que je peux reconnaître dans le noir, tandis que j’endure cette souffrance mentale qui me semble durer une éternité.
Puis là, y a le petit dernier de Rémon, celui à qui j’ai tapoté la tête, qui fronce les sourcils. Et qui me pose une simple question le plus directement du monde :

« Pourquoi t’as pô donné ton sang à dame Alys ? »

Maman-Rémon chuchote fort comme si je pouvais pas l’entendre :

« Arnold ! »

Le gamin regarde sa mère avec une lueur d’incompréhension dans le regard : il a posé une question importante, il veut juste savoir, pourquoi se fait-il gronder ? Mais voilà que Maman-Rémon semble être étrangement… Paniquée ? Et elle attrape son petit en inventant des excuses à sa place :

« Pardonnez-le sire, toute cette fête ça fait un peu tard pour lui !
– Cela va, il n’y a aucune faute. Ce n’était qu’une question. »

Mais je me rends compte que je n’ai pas de mensonge crédible à dire, même à un enfant. J’offre un visage aimable à Arnold, tandis que je lui réponds avec le même ton sérieux.

« J’ai fait beaucoup de mauvaises choses dans la vie. Comme d’autres qui vivent à Derrevin, mais je ne suis pas là depuis longtemps — pas comme toi, et pas comme ta famille. Je veux attendre de mériter votre confiance à vous tous avant de communier.
– Comme la mutante ? Il me demande la bouche-en-cœur.
– Comme Ophélie », je le corrige sèchement.

Putain, je sais vraiment pas parler aux gosses. Maintenant mon sourire est forcé, et doit franchement mettre mal à l’aise, parce que Rémon a eut un mouvement par pur réflexe qui ne trompe pas ; il a un peu bougé de côté, comme s’il voulait faire une barrière entre moi et son gosse. Mais il feint qu’il ne vient pas juste de faire ça, et renchérit sur les excuses de sa femme — ça se voit, qu’il aime sa famille.

« Nan mais ma chérie a raison, il se fait tard pour lui — hé, vous voulez pas boire un coup ?! Et puis manger, ça vous fera du bien, hein ! »

Il m’offre une porte de sortie honorable, je m’engouffre dedans ; je fais des sourires, et je renchéris même sur une plaisanterie : je donne un coup de poing joueur dans le ventre à Rémon, qui s’esclaffe de rire de plus belle. Très vite, on oublie ces quelques secondes gênantes, et on se sépare tous en bons fêtards.
Sauf Arnold, qui m’observe avec une sorte de suspicion dans ses mirettes de gosse.

Je déteste les enfants. Ils sont trop innocents. Et trop honnêtes.




Autour de moi il y a des scènes étranges. Certaines réconfortantes, comme Maussade et Carlomax allongés dans l’herbe. D’autres bizarrement inquiétantes, comme Crespin qui s’est lardé la chair comme un fou furieux. Ça souffle le chaud et le froid — à la mesure de cette neige qu’on voit au loin, alors qu’on est tous en train de brûler. Je sue comme un porc, et si je voulais rester trop habillé un moment, c’est raté — j’ai ouvert mon doublet en grand, et on aperçoit maintenant bien ma chemise moite de sueur. Je parviens à trouver ce que je désire : de l’alcool. J’ai dans la main un fond de spiritueux qui me brûle la gorge, c’est un paysan que je ne connais ni de Taal ni de Rhya qui me l’a filé avant de me raconter sa vie : un Derrevinois né-et-élevé, qui a connu le sire Binet. Il hallucine, de se dire que son village maudit soit la terre natale d’un Dieu. Alors qu’il a l’air si heureux, il se met à sangloter d’émotion en même temps qu’il me resserre.


Je croise Thecia du regard. Elle a l’air de passer du bon temps avec Olivier. Je n’ai pas envie de les déranger, même si j’avais promis à la jeune fille de venir la connaître au bout d’un moment. Peut-être qu’elle a oublié, peut-être qu’elle a mieux à faire de sa soirée — je n’ai pas envie de la lui gâcher. Je me contente juste de me mettre stratégiquement dans un coin, et je lève mon verre quand elle me regarde, pour la saluer. J’attends de voir si elle va m’inviter à venir, ou me rejoindre… Ou juste reconnaître que j’existe avant de se concentrer sur son cavalier.

Si elle est bien assez accompagnée, j’ai une idée plus amusante en tête, mais c’est probablement l’alcool, la danse, et le baiser de Jehanne qui m’ont fait envie. Gotlinde et Arnoulet ont l’air sur le départ, le pauvre va se faire embarquer par une ourse ; je cherche un godet qui traîne, pour aller leur offrir à tous les deux, les gêner dans leur empressement, juste pour bien les faire mariner.

Voire faire un peu plus que ça…
Modifié en dernier par [MJ] Katarin le 30 nov. 2022, 08:34, modifié 1 fois.
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Fiche : wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_armand_de_lyrie
Image

Échiqueté d'or et d'azur à la bordure de gueules à la guivre de gueules halissante
Stats :
FOR 9 / END 9 / HAB 11 / CHA 15* (14) / INT 9 / INI 8** (10) / ATT 13** (15) / PAR 11** (13) / TIR 8 / NA 2 / PV 70/70
*Bonus grâce à la chevalière portée à l'auriculaire
**Malus à cause du harnois (inférieur)

État temporaire :
Compassion : +2 aux jets d'empathie (Reste une journée)
Esprit compatissant : +3 aux jets de résistance à la peur/terreur (Reste une journée)
Pompette : +1 CHA, -1 INT.
Migraine : -1 CHA
Visière épaisse : -2 aux jets de perception (Lorsque le casque est porté)

Compétences :
- Anticipation : +1 en ATT et +1 en PAR à partir du 3e round face au même ennemi
- Coup précis (1) : Malus atténué de 1 lors de la visée d'une partie précise
- Coups puissants : +1d3 de dégâts
- Coriace : Résiste à 1d3 dégâts de plus
- Dégainer l'épée : +1 en INI lors du premier round
- Parade : Valeurs de parade doublées
- Sang-froid : +1 lors d'actions réalisées sous stress
- Volonté de fer : +1 sur les tests pour résister à la peur

- Baratin : +1 pour embobiner quelqu'un à l'oral.
- Empathie : Capable, sur un test, de lire les émotions sur le visage de quelqu'un.
- Empathie animale : Capable, sur un test, de deviner les émotions d'un animal.
- Étiquette : +1 lors des interactions avec la haute société
- Humour : +1 pour divertir et amuser.
- Intrigue de cour : Capable de déceler et deviner des intrigues.
- Monte : Ne craint pas de chutes lors d'une montée normale
- Vœu de la Pureté échoué : -2 dans la résistance aux tentations terrestres

- Alphabétisé : Capable d'écrire et de lire le Bretonnien
- Art (Peinture) : Sait peindre des tableaux.
- Danse : Excellent danseur
- Héraldique : Capable de reconnaître les blasons des familles nobles, et d'en savoir plus sur eux sur un test

Équipement de combat :
- Épée bâtarde (Inférieure) : 2 mains / 23+1d10(+1d3*) / 22** (11) parade
- Lance d'arçon : 1 main / uniquement à cheval / 20+1d10(+1d3)* / 16** (8) parade / "Long" (Malus de -2 ATT pour les adversaires) / "Épuisante" (Malus de -1 d'utilisation après END/2 tours, à chaque tour, max -4) / "Percutante" (Relance du jet de dégât, meilleur résultat gardé) / "Rapide" (Malus de -2 PAR et/ou -2 HAB pour toute esquive tentée par l'adversaire) / Se brise après 4/5 utilisations
*Avec la compétence Coups puissants
**Avec la compétence Parade


Tête : 13 protection
Torse : 13 protection
Bras : 13 protection
Jambes : 8 protection

- Destrier Bretonnien (Ravel) : FOR 10 / END 13 / SAU 8 / RAP 10 / INT 9 / DOC 12 / ATT 9
Équipement divers :
3 Eo

- Un beau doublet
- Un grand manteau
- Des bottes neuves
- Une jolie écharpe

- Nourriture
- Hydromel

- Bague affichant un lion - +1 CHA

- Insigne argenté marqué du blason de Lyrie
- Pendentif monté en clou
- Un flacon à l'odeur immonde
- 3 bouteilles de tonique miraculeux
Image

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