[Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

La Bretonnie, c'est aussi les villes de Parravon et Gisoreux, les cités portuaires de Bordeleaux et Brionne, Quenelles et ses nombreuses chapelles à la gloire de la Dame du Lac, mais aussi le Défilé de la Hache, le lieu de passage principal à travers les montagnes qui sépare l'Empire de la Bretonnie, les forêts de Chalons et d'Arden et, pour finir, les duchés de L'Anguille, la Lyonnesse, l'Artenois, la Bastogne, l'Aquilanie et la Gasconnie.

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[MJ] Le Faussaire
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[Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par [MJ] Le Faussaire »

"L'émotion la plus ancienne et la plus forte est la peur.
La peur la plus forte et la plus ancienne est celle de l'inconnu."

Huguard-Philippe Adormétier (retrouvé mort en l'an 959 - 1937 du Calendrier Impérial)


Précédemment, en Bordeleaux
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Test d'END : résultat caché
Le roulis dura un temps immense, immémorial. Il y eut des cris, des bruits, des pas, des souffles... Un souffle en particulier. Un soupir long et répété, sourd et étiré. Un écoulement se joignait parfois, par moments, comme si l'effluve revenait encore et encore glisser contre la pierre pâle. La lueur cramoisie lui donna soif, mais plus que tout, il avait faim. Il avait faim, et un jour, par miracle, une pitance lui vint en bouche : Un repas chaud, visqueux, acide. Un choc. Une ombre qui l'agrippe, et qui le serre.


-" Aidez-moi à le relever ! Allez, ouvrez-lui la ... !"

L'effluve se faisait forte, et le repas abondant. Le calcaire lui irrita le dos, le brun lui cisaillait le bras. Était-ce son bras ?

- "... ! Qu'y-ss-qu'il ô?"

Des voix. Des voix ! Il n'était plus seul !

- "Tenez-le bien ! Par les eaux, qu'est-ce que ... ?"

Il voulut crier, mais ne parlait plus. Il voulut souffler, mais ne sentait plus. L'air se faisait rare, et la lumière aussi. L'ombre dévorait tout devant ses yeux, tandis qu'il peinait à déguster.


***
Test d'INT : 6.

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Une goutte coula sur son nez, fraîche et rosée. L'air lui vint lentement, à pas feutrés. Le ciel grondait de toute part, les branches grinçaient à chaque instant. Le paysage forestier lui intima quelque odeur de piété, là où les deux hommes frêles gâchaient cette vue si dégagée... Mais la selle lui faisait mal, le cuir lui serrait le ventre, la corde lui raclait le dos.

- "... Non, ce n'est pas à moi d'en juger. C'est Sa volonté, Marcus.

- Mais qu'en est-il d'elle, alors ?

- Pour l'instant, ce n'est pas la priorité. Il faut à tout prix ...

- Ou... S'ra... Marcus, dès l'aurore.

- D... de Ponte-Vileau ? De Car.... ? De Tourfa..."

Un frisson le fit bondir, et ce sursaut le déchira des côtes au front.

- " Qu'est-ce ? Par les Eaux, pas cette fois !

- " Allons, pressons !"


***
Test secret : 3.

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- " ...gneur des Vagues et des Terres, nous te r... Prince-Trombe, aide-nous, guide-nous dans notre effort. Sauve-n... -yade, comme tu nous a donné ta Bien-Aimée. En cette offrande, nous te remercions des mortes-eaux, du long-courant. Que foc, chanvre et roc nous gardent de tes colères, sous l'os-et-ancre."

- " Sous l'os-et-ancre".

Chaque mot tonnait avec force, et un écho décousu se faisait entendre au-delà. D'une voix, il en fut mille, et de mille, une voix. Le sel grattait sa peau, collait ses froques, scellait son nez. Il avait soif. Horriblement soif. Il sentait son ventre tiraillé, ses os fatigués, écrasés par la chaleur sous ses paupières. Un songe lui vint enfin, calme et apaisé. Les flots se firent plus calme à présent, ses bras plus mous, ses mains plus douces. Et sur ce flotteur, il trouva enfin le repos.


***
Lorsqu'il recouvrit la vue, le ciel était clair, il faisait beau. L'air soufflait loin, mais pas très fort. La terre meuble et le bois sec soutenaient son dos, retenaient ses armes et un manteau. Assis, dos à la butte, il pouvait voir le calcaire se dresser en arche au-dessus de sa tête. Le sommet lui semblait herbeux, si loin, si haut.

- " Vous êtes réveillé ? M'entendez-vous ?"

Des pas annoncèrent un homme, d'une voix dure et monotone.

- "Si vous le pouvez, levez-vous."

La silhouette était usée, sèche, ébouriffée. L'homme qu'elle dessinait était alerte, agité, exténué. Des gants noir, des bottes hautes, un haubert dépareillé. Il guettait l'horizon, le ciel, le sol. Et alors, seulement alors, il posa les yeux sur le chevalier.

- "Votre œil a l'air capable, tâchez de le garder. Je vous remercie pour mon coursier. La carne a perforé deux des pauvres hères dans sa chute, mais nous a tout de même porté. Tenez, vous l'avez mérité."

Il sortit une gourde lacérée de beige.

- "Buvez, c'est issu de bonne-terre."

Il lui laissa la gourde, et s'enquit jusqu'à la butte. En se retournant, l'errant compris son erreur d'appréhension : La butte était une pente, et la pente se parait d'un long chemin, sous la falaise.

- " Quand vous serez prêt, montez. N'ayez crainte pour la gourde, vous pouvez la garder."
Test d'INT : 2.
En levant la tête pour s'orienter, le chevalier vit quelque mouvement sur le sommet du promontoire calcaire. Trois formes, encapuchonnées, l'observaient sans sourciller.
Les voix en gras ne sont pas forcément issues de la même personne. Tu n'arrives juste pas à les différencier.
<< Bah alors, qu'est-ce que tu cherches mon gars ? L'or, les femmes, le pouvoir ?
J'ai tout et plus encore dans ma baraque, viens jeter un œil !
Oh non, ce n'est pas loin, c'est au coin de la rue là-bas.
Mais attends, t'as les moyens j'espère ?

...

Oh, tu sais, on peut toujours s'arranger... >>

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Prestenent d'Affreloi
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par Prestenent d'Affreloi »

Être inconscient est de ces expériences qu'il est facile d'imaginer indolore tant que l'on y a pas goûté. Prestenent, lui, en avait soupé. Rares sont les choses plus éprouvantes et terrifiantes que la perte de ses sens, le simple fait de ne plus savoir quel monde vous entoure, où se situent les différentes parties de votre corps, ou même par moment, ne plus se souvenir qui vous êtes.

Avec des sursauts de conscience, toujours vagues et torturés, Prestenent avait juste assez d'informations et d'ordre dans ses pensées pour endurer toute cette souffrance, et cette terreur panique de celui qui ne sait pas. Si la peur de l'inconnu est la plus grande peur qui soit, inutile de dire que ne rien savoir est une expérience que même un chevalier ne peut endurer sans être secoué. Il avait entendu des voix autour de lui, impossible à reconnaitre. Il n'était pas en un lieu accueillant, il n'était pas chez lui, il ne savait pas qui parlait autour de lui et cela le tendait de plus en plus. Chaque fois qu'il pouvait bouger l'un de ses membres, qu'importe lequel, il l'agitait frénétiquement pour essayer de se libérer de liens imaginaires. Le plus souvent toutefois il n'en était pas capable, et son esprit n'était pas assez éveillé pour même compter l'écoulement du temps. Il était perdu, et inquiet. L'imagination de Prestenent était toujours la première chose à fonctionner, de manière tronquée et absurde, mais toujours. Prestenent restait paranoïaque.

Il y avait des gens autour de lui. Il y avait des gens autour de lui. Des gens !
On l'avait porté. On l'avait soulevé. On l'avait touché. On l'avait touché !
Et si...

Il entendit des conversations, amputées à moitié par les va et vient capricieux de ses sens. Il entendit des noms, des "elle". Ce seul mot le fit frissonner.

Et si ils l'avaient fouillé ? Et si, même pour le soigner, ils l'avaient...
Déshabillé ?
Ils auraient découvert...
Rien. Il n'y avait rien à cacher. Rien de secret. Rien à découvrir.
Mais tout de même, s'ils avaient découvert ?

On le ballotait. Ou était-ce autre chose qu'une action humaine ? Les voix semblaient se démultiplier. Il n'avait plus aucune idée de combien de personne se trouvaient autour de lui, mais elles répétaient la même chose, comme une litanie. Par un instinct superstitieux, ses lèvres furent tentées de suivre le mouvement, mais il n'y parvint pas, et fut effrayé à l'idée d'avoir manqué quelque chose et ainsi offensé un dieu.

Pour une fois il ne rêvait pas. Le visage de femme informe n'était pas revenu le hanter. Son sommeil, ou plutôt son coma, était sombre et sans humeurs aucune. Juste un froid et glaçant vide.

Quand enfin il ouvrit les yeux entièrement, il vit un ciel bleu, plus aucun nuage, ni brouillard ni monstre. Il ne savait pas encore dans quel état se trouvait le reste de son corps, mais ses deux yeux étaient entiers, de peu. Le reste se ferait sentir bien assez tôt, il s'en doutait, alors il lui valait mieux savourer ce court instant avant que des élancements atroces ne se manifestent dans chaque atome de son corps.

Une silhouette s'approcha, rêche, impossible à distinguer clairement. Mais la voix lui sembla celle de l'étranger l'ayant tiré du donjon de Bois-Giron. Il lui intima de se lever, ce que Prestenent s'efforça de faire avec une hésitation, s'attendant presque à ce que ses genoux cèdent sous son poids.

L'homme lui tendit une gourde que Prestenent regarda un instant avec suspicion. Du poison ? Non, absurde. En revanche, si cet homme comme tous les autres qu'il avait rencontré jusque là avait pour habitude de tendre aux autres une gourde à laquelle il venait de boire, ce goulot devait être un parfait transiteur de maladies.

Baste, il avait trop soif.

Le chevalier saisit la gourde et en but plusieurs grandes gorgées. Sa gorge enfin humectée, il chercha à dire quelque chose.

"Mer...ci. J'en avait bien besoin."


Il regarda vers l'endroit que l'homme lui désignait. Il eut un frisson en distinguant des formes humaines qui l'attendaient.
Que voulait-on de lui ? Il n'en savait rien. Qu'est-ce que ça signifiait ? Où était-il ?

"Hem... pardonnez moi, mais avant, pourriez vous me dire où nous sommes ? Je suis un peu perdu."
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[MJ] Le Faussaire
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par [MJ] Le Faussaire »

Alors qu'il engloutissait plus que de raison le contenu neutre et froid de la gourde délavée, il entendit quelque voix qui s'éloignait en disant :

- " Bordeleaux, sur la terre ferme. N'ayez crainte, vous êtes toujours dans le bon pays. Allez, venez."

L'individu qui venait de le réveiller et de l'abreuver n'était nulle autre que celui qui l'avait sorti de sa "chambre" et du marquisat de Bois-Giron durant la nuit... Durant une nuit qui lui semblait être une éternité en arrière. Désormais à plusieurs dizaines de pas du chevalier, l'inconnu s'était retourné et le regardait désormais de loin et de haut, les bras croisés. À cette distance, aucun signe distinctif ne semblait ou ne pouvait être apprécié. Bien qu'il paraisse plus grand que les encapuchonnés au sommet de la falaise, il était aussi plus proche.

Après un tel sommeil, Prestenent n'avait aucune idée de la date de son dernier repas. Et pourtant, il n'avait pas vraiment faim, son ventre mou n'émettant aucun grondement ni aucune crispation. Après un examen rapide de sa situation, il aperçut quelques signes venant de son "libérateur" : rien de bien folichon, juste quelque mouvement de main lui indiquant "venez, par ici". En soi, il n'y avait aucun autre chemin que cet appentis qui serpentait jusqu'au sommet de la paroi, et aucune autre végétation que quelque bois flotté ou motte d'herbe grasse et sèche, balayée par le vent. Au pied de cette falaise, la terre se disloquait en parcelles tantôt sablonneuses, tantôt limoneuses, qui semblaient s'agglutiner et se mélanger aux abords de cette rivière - peut-être fleuve - et de ses courants bleu et brun.

Une fois remis sur pieds - et il en était capable, malgré sa torpeur - et à proximité de l'inconnu, celui-ci lui intima :

- " Vous vous sentez rétabli ? Vos mains m'ont l'air en état. Venez, nous avons à discuter. La marée ne va plus tarder."
Test d'INT : 18, rien.
Quelques pas plus loin, il reprit tout de go :

- " On a fait ce que l'on pouvait pour vos vêtements. Comprenez que nous n'avons pas de rechange à volonté, ni de dortoir attitré à votre aise. Votre mémoire va bien j'espère ? Et appelez-moi Marcus."

Tandis qu'ils discutaient calmement, évitant les replis terreux de la butte, le vent se dissipa sans un bruit, et les nuages s'agglutinèrent au-dessus d'eux, comme des bouts de laine rêche. Une fois à la surface, c'est-à-dire au sommet de la paroi, le terrain alentours s'annonçait enfin : un lieu dégagé, herbeux, grossièrement vallonné ou percé par endroits. La falaise à leurs pieds semblait ainsi serpenter sur des milles et des milles de chaque côté et jusqu'à l'horizon, enveloppant parfois des blocs de terre meuble, les transformant alors en îlots vertigineux.

Au-delà du paysage, l'endroit apparaissait tel un lieu immaculé, où l'Homme n'avait encore pas mis les pieds. Et pourtant, à quelques mètres de là, des individus tantôt tassés tantôt dépenaillé se dirigeaient vers le chevalier, visiblement bien décidé à le rejoindre, lui et son compagnon ébouriffé.

En quelques minutes, une dizaine d'individus - sinon plus - les avait rejoints, et ce fut un catalogue de visages bronzés et embrumés qui se présenta au jeune moussillonais. Tous avaient les cheveux noirs ou brun foncés, le visage rectangulaire ou carré, le front plissé, les yeux secs, la barbe mal taillée, les épaules tombantes, ... En fait, ils avaient tant de points communs entre eux et avec l'inconnu à ses côtés qu'il eût été plus facile de les différencier par leurs ceintures et leurs vêtements plus ou moins rapiécés.

- "Des nouvelles, Marcus ?

- "Aucune, sinon qu'le vent s'est-t'arrêté. On-n'est seuls. M'sire", répondit un des marcheurs d'un ton pressé. Il y eut un silence, un regard gêné, et puis...

- "Bien, et aucune vue de notre intéressée ?

- "Aucune. Manass' la garde, on dirait."

- "C'est-t-tant mieux pour elle qu'pour r'nous !"

- "Tais-tô va, tu va noz'attirer des bricoles. Bientôt c'est-ra la nouvelle lune, faut pas fanfaronner !"

- "Il a raison. Mais attention, avant que l'on s'agite, notre invité est réveillé. Tenez, présentez-vous."

À peine Prestenent eut-il commencé puis terminé de s'annoncer devant cette maigre assemblée que ceux-ci se cherchèrent du regard, croisant leurs mines étonnées et silencieuses. Aucun ne dit mot pendant plusieurs instants, comme s'ils attendaient un accord, où qu'ils cherchaient à comprendre quelque sens caché derrière les paroles prononcées.

Il y eut quelques signes de mains, quelques mimiques enfantines, mais aucun indicateur valable.

Et puis l'un d'eux s'assit par terre, suivi d'un autre, de l'inconnu qui l'avait sauvé, et de tous les autres individus agglutinés, un par un.
Le style vestimentaire de la troupe :

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Prestenent d'Affreloi
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par Prestenent d'Affreloi »

Pour une fois, l'alcool au lieu de l'embrumer encore plus, aida au contraire Prestenent à reprendre pied avec la réalité. Il était là, debout, entier, pas mort ni en train de mourir. Il tenait bon.
Le chevalier rendit la gourde à son propriétaire, puis traina son regard coulant sur sa propre tenue. On ne l'avait pas déshabillé au moins, pour le meilleur mais aussi pour le pire. Le sixième sens de Prestenent spécialement dévolu à l'hygiène détectait une profonde souillure qui couvrait tout son être, le sel de la mer, les éraflures du tissu malmené. Sa pauvre tunique verte était difficilement en état de lui servir s'il se retrouvait à la cour d'un duc. D'instinct, il s'épousseta rapidement, songeant qu'un bon bain, avec une eau propre et non salée, serait le bienvenue.

"Bigre, je ne sais combien de temps a passé pour que les choses soient si confuses dans ma tête. Vous m'auriez répondu que nous étions sur un autre continenet que j'aurais pu vous croire."

On lui fit signe de suivre le chemin qui serpentait jusqu'au promontoire tordu qui surplombait le peu d'horizon dont Prestenent avait conscience. Il eut une hésitation. On ne lui avait pas clairement dit où ils étaient et encore moins qui étaient les gens qui patientaient là haut. Un esprit aussi paranoïaque que celui de Prestenent ne pouvait pas observer cette situation sans s'imaginer déceler les trames d'inquiétants complots. Il ne savait rien de ses sauveurs sinon que l'homme de main venu le secourir à Bois Giron réclamait qu'on l'appelle marcus. Les souvenirs de Prestenent étaient confus à ce sujet, mais il lui semblait que cette nuit là, à Bois Giron, l'étranger avait parlé de Marcus. Était-ce vraiment la même personne ? Le nom évoquait bien sûr à sa mémoire celui de quelques preux chevaliers de l'histoire de Bretonnie, Marcus de Bordeleaux en tête. L'étranger disait aussi que la marée n'allait plus tarder. Qu'est-ce que ça signifiait ? Encore un code ? Une de ces expressions sonnant comme une énigme ? Prestenent ne songea même pas que cela puisse revêtir un sens bien plus littéral.

Il suivit malgré tout le chemin, parce qu'il n'avait pas beaucoup d'autre choix. Une main s'assurait de retrouver son épée et de la presser amoureusement pour se rassurer tandis qu'il emboitait le pas de l'homme de main.
Au fur et à mesure de l'ascension, Prestenent constata que d'autres hommes qu'il n'avait pas aperçus jusques là émergeaient et se déplaçaient dans la même direction que lui. Le chevalier sentit une froide pression sur ses épaules, l'enserrer et le faire frissonner. C'était une sorte de timidité qui le prenait en voyant tant de monde s'approcher d'un lui même en piteux états, mal vêtu, mal réveillé, encore sous le choc d'avoir perdu lamentablement son premier vrai combat, et ils semblaient tous attendre quelque chose de lui. Quelques jours plus tôt, l'idée aurait plutôt enchanté le chevalier errant, mais ici et maintenant, il eut le pressentiment qu'il ne pourrait que décevoir ces gens. Ce sentiment était extrêmement désagréable.

Finalement il y avait une dizaine au moins de personnes en haut de cette falaise, et aussitôt ils échangèrent entre eux des formules à la limpidité d'obsidienne. Pour une fois ils ne parlaient pas le jargon informe des paysans bordelais ivres morts qui ne permettait pas de distinguer leurs paroles de leurs régurgitations, mais leurs paroles n'en étaient pas pour autant plus faciles à rendre logiques. Prestenent comprit très vite qu'on avait dû se moquer de lui quelque part quand le marcus qu'il connaissait s'adressa à un autre marcus qu'il ne connaissait pas.

"Faut-il que ce soit une secte vénérant Marcus de Bordeleaux, ou une société secrète usant de noms d'emprunts, ou même d'un groupe de hors la loi."

Il essaya bien de suivre leur conversation, mais il comprenait bien que tant qu'il ne serait pas sûr de ce que signifiait "manass" en langage vernaculaire, il ne comprendrait rien à rien. Puis on lui commanda de se présenter. D'un ton légèrement serré, comme il craignait presque qu'on lui saute à la gorge, et au fond l'apparence et les visages hachés de ces hommes n'en présageait pas moins, il se présenta avec une imperceptible inclination du buste pour les saluer.

"Je suis Prestenent d'Affreloi, chevalier errant arrivé récemment, du moins je le crois, en Bordeleau. Au cours de mon errance, après avoir fait la rencontre d'un certain sieur d'Essart, je me suis rendu au chateau de Bois Giron, mais la suite je suppose que vous la connaissez mieux que moi en fait et d'ailleurs..." Il essaya de réfléchir à la meilleure façon de formuler ses questions. Il voulait savoir ce qui était arrivé à la ville de Bois Giron, pourquoi on l'avait extirpé de cet endroit et comment ils avaient su qu'il était là et qui il était. Il décida de commencer par simplement demander : " ...et vous, messieurs, si je puis vous demander de vous présenter ?"

Il vit sur leurs visages un air d'incompréhension qui présageait le pire. Un frisson aurait presque pu le faire frémir si son échine n'avait pas été un piquet inébranlable. Était-il possible que ces gens l'aient sauvé et l'aient trainés ici par erreur ? Que son sauveur à l'emblème du trident se soit trompé de cellule en le tirant de cette cité maudite ?

Les hommes s'assirent sur le sol, les uns après les autres. Prestenent, ne comprenant pas, fut le seul à ne pas les imiter. Il avait, sans s'en apercevoir, retrouvé une grande vivacité dans tous ses membres, et il remuait maintenant une main tout en gardant l'autre sur le pommeau de son épée.

"Si vous le permettez j'apprécierais des explications claires pour une fois. Qui êtes vous tous ? Vous m'avez apparemment sauvé la vie, et je vous en suis éternellement reconnaissant, mais pourquoi m'avoir amené en ce lieu précis ? Et surtout, qu'est-ce donc, diantre, qui a bien pu se produire dans cette ville de Bois Giron pour que mes yeux puissent y voir ce qu'ils y ont vu ?"
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[MJ] Le Faussaire
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par [MJ] Le Faussaire »

Désormais tous assis à-même le sol, ils le regardèrent patiemment se présenter. Un léger alizé s'éleva, dressa quelques mèches de-ci de-là, sans grand effet. Toutes ces têtes hagardes, mal rasées, n'avaient formulées pour seule menace que des regards bien concentrés.

- "Ça, 'peut dire qu'vous avez ben bourlingué, m'sire. Bois-Giron c'pas loin, mais c'pas proche non pu ! Ici c'est rein qu'de l'herbe, et du soufflé !"

Lorsqu'il leur renvoya la balle, ils se levèrent progressivement, chacun y allant de son astuce pour être le plus efficace. Malgré tous les efforts, il était facile de voir sur certains visages les grimaces tirées et les soubresauts dignes d'un corps endolori... Et pourtant, il n'y eut aucun bruit. Une fois redressé, cette petite foule se dispersa un instant, avant qu'un des encapuchonnés s'avance vers le chevalier.

Il y eut peut-être un regard, un réflexe, une goutte de pluie mal tombée, mais de fait, la seule chose que celui-là dégaina fut sa main calleuse et piètrement gantée. Ainsi, la seule chose qui semblait avoir trotté dans la cervelle de ce petit malin, avait été de vouloir lui serrer la main.
Test d'INT : 13 et 17, dommage, c'est raté.

- "Marcus, de Bordeleaux, m'sire" s'épancha-t-il, montrant ses dents droites et sa tignasse poivrée.

Une fois la poignée de mains terminée, un autre lui emboita le pas, agissant de même, sans hésiter.

- "Marcus, du duché ici-même" répliqua-t-il en canon avec son acolyte juste derrière.

- "Marcus d'Bord'lô" entonna le suivant, et le suivant, et celui d'après, mais aussi celui d'encore après...

- "M-Marcus de Bordel-l'eau, m'sire chevalier", murmura l'avant-dernier.

Ainsi, la phrase était répétée. Tous, sans exception, s'appelaient Marcus, venaient de Bordeleau, et c'était ainsi qu'ils s'appelaient entre eux, sinon qu'ils souhaitaient être nommés. L'accentuation changeait de l'un à l'autre, le timbre de voix aussi, mais la différence s'arrêtait là. Toutes ces têtes rêches et masculines portaient le même nom, ce qui ne facilitait aucunement la tâche de les différencier. De fait, ils étaient tous couvert d'habits dépareillés, d'armes bricolées ou usées, et leurs faciès ne divergeaient qu'au niveau de la forme ou de la couleur de leur nez.

- "Vous le savez déjà, n'est-ce pas ? Mon nom est Marcus de Bordeleau." s'écria le dernier.

Il prit une moue pensive, tordant la bouche un instant tout en se plaçant aux cotés du chevalier.

- " Voilà qui nous sommes. Des enfants de Bordeleaux, des fils du Trident, comme il y en a des dizaines ou des milliers. Laissez-moi vous expliquer : plus que notre nom, ce sont nos actes qui importent. Je ne sais pas d'où vous venez, chevalier, et à dire vrai, peu sont ceux qui s'y intéressent ici. Ici-même, Compagnon Marcus a chassé trois fois les pillards jusque dans la baie, et ce sont ses actes et non son nom qui ont couvert les falaises d'accalmies. Et c'est à chacun, sinon personne, de surveiller les marées. Ici-même, ..."

Il hésita une seconde, la voix tremblante.

- " ... Certains y ont perdu un frère..."

Voilà qu'il balaye un à un l'assemblée silencieuse

- "... Une mère... Une attache..."

Et lorsqu'il n'y a plus personne, son bras continue de pivoter.

- "... Tandis que d'autres ont chaviré. Ce que vous avez vu est une des épaves que la mer ne cesse de rejeter. C'est ce pourquoi nous -

- allons tous les y renvoyer, m'sire !

- Çô ben vrai ça ! On est là, on guette les crustacés, on guette, ... Manass' les pousse, et comme on a toujours fait, nous on les -!"

C'est à cet instant que l'un d'eux s'imposa pour s'exprimer. À la voix, il n'y avait aucun doute : c'était lui qui avait sauvé Prestenent.

- "Assez. Le passé importe peu. La marée change chaque jour, non ? Ça ne sert à rien de s'en reposer. La seule chose qui ne change jamais, c'est la lune, la Bien-Aimée du Pêcheur. Même si c'est un cadeau de Manass', c'est la seule chose sur laquelle nous pouvons compter. Messire chevalier, depuis votre escapade...

Peu de choses ont réellement changé. Les misérables que nous avons croisés n'ont plus refait surface, mais la nouvelle-lune approche. Si vous n'êtes pas habitué aux côtes, comprenez que c'est le temps des grandes marées, des vives-eaux. Et les vives-eaux s'annoncent bientôt, c'est bien cela ?


- Ouh-oui-da, s-soir de quatorze, c'est grand'nuité-tée. Douze à dix-sept, faut pas traîner, qu'ils disaient.

- En effet, nous avons peu de temps. Maintenant que vous êtes rétabli, préparons-nous. Nous devons trouver de quoi parcourir l'en-terre...

Il y eut un "Je m'en charge, Marcus." venant d'un encapuchonné.

- Et moi de même, avec Marcus et mon f-

- Bien. Partez de suite, vous savez quoi faire."

Il n'y eut aucun salut, aucune cérémonie. Et d'un coup de vent, ils furent partis.

- "Ensuite, si l'alizé veut bien, il faudra entrer à Ponte-Vileau, tandis que le reste devra surveiller la marée en premier.

- M-moi, M-Marcus, avec Marcus.

- Ce qui ne laisse que ... Prestenent, vous décidez ?"

Un court laps de temps passa, où les différents encapuchonnés se regroupèrent, échangeant quelques mots, regards ou ceinturons. Celui-là donna sa lame contre une bêche et un couteau, celui-ci prit un arc contre une chemise matelassée, etc.

Durant ce temps de réflexion, l'individu qui l'avait tant aidé face aux crustacés se rapprocha d'un pas, lui intimant à minima pour ne pas l'importuner :

- "Je me fiche de qui vous êtes et d’où vous venez. Je sais ce que vous êtes. Tâchez de ne pas trop vous faire remarquer."

Et sans un bruit, il s'éloigna, comme si de rien n'était. Visiblement, la seule chose qu'ils attendaient était que Prestenent choisisse sa route, et ainsi le groupe qu'il accompagnerait.
<< Bah alors, qu'est-ce que tu cherches mon gars ? L'or, les femmes, le pouvoir ?
J'ai tout et plus encore dans ma baraque, viens jeter un œil !
Oh non, ce n'est pas loin, c'est au coin de la rue là-bas.
Mais attends, t'as les moyens j'espère ?

...

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Prestenent d'Affreloi
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par Prestenent d'Affreloi »

Un tressaillement de sa main fit apparaitre que Prestenent venait de se retenir de lever celle-ci pour se gratter la tête. Heureusement, son sens de la tenue lui fit réprimer ce mouvement qui aurait pu paraitre déplacé. Pourtant, il était bien motivé par la plus profonde incompréhension.

"Quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Qu'est-ce donc que ces cornichonneries ?!"

Il ne dit rien pendant plusieurs très longues secondes. Prestenent était trop timide et courtois pour leur dire tout de go qu'il ne comprenait rien. Il ouvrit pourtant légèrement la bouche, sans en laisser sortir de son. Il cligna des yeux. Secoua légèrement la tête. Un instant auparavant, il voulait comprendre, mais maintenanat il voulait juste se tenir éloigné de cette clique de fous.
Il fallut plus de quatre secondes et demi pour qu'il réalise qu'on lui demandait quelque chose.
Ponte-Vileau ? Il avait déjà entendu ce nom. Un des soiffards sur la route de Bois-Giron sans doute. Il devait y avoir du vignoble là bas, une information aussi utile que de savoir que les gobelins sont verts. Décidément, le Bordeleau n'était pas le meilleur pays pour Prestenent.

"J'irai à Ponte Vileau alors. Avec... marcus... et marcus..."

Il dut faire un grand effort pour ne laisser échapper aucun soupir.

"Je n'aime pas l'idée de rester immobile sur place."


Surtout, il espérait retrouver la civilisation, et ne pas rester entièrement à la merci de ces individus douteux. Leur fausser compagnie serait fort malcourtois, surtout sachant que... Marcus... lui avait sauvé la vie. Néanmoins, Prestenent préférait aller là où il aurait l'occasion de voir et de parler à d'autres gens. Qui sait, peut-être seraient-ils capables d'expliquer mieux ce que le chevalier ne comprenait pas.

Prestenent regarda les hommes s'équiper. Arcs et surins, capuches sur la tête, ils faisaient véritablement l'impression d'être des brigands, des hors la loi. Prestenent se demanda alors si ce n'était pas une grave erreur de risquer d'être vu avec de tels individus. De plus, ils avaient l'air dangereux. Non, décidément il ne pourrait pas de sitôt accorder sa pleine et entière confiance à la confrérie des marcus de Bordeleau.

Quand l'un d'entre eux vint lui addresser rapidement quelques mots, il resta un instant plus concentré sur le fait de reconnaitre de qui il s'agissait que sur ce qu'il disait. Quand il se souvint que celui là était le marcus de Bois Giron, Prestenent commença à prêter attention à ce qu'il venait de dire.

"Ce que je suis ? Mais qu'est-ce à dire ?"


Prestenent ne dit rien tandis que le marcus s'éloignait. L'escargot lui tenant lieu de cerveau venait d'avoir une réaction instinctive de défense, se blotissant fermement dans sa coquille et laissant son mucus se solidifier pour bloquer la seule ouverture. Son corps ne parut pas réagir, mais un regard attentif aurait pu révéler que ses doigts se serraient brusquement avec une tension terrifiante. Prestenent lui même ne s'en rendait pas compte.
Il n'avait pas compris ce que l'homme avait voulu dire. Il croyait ne pas avoir compris. Il était intimement, profondément, décidément, persuadé qu'il était impossible qu'il ait compris ce que Marcus venait de dire. Pourtant, quand l'homme s'éloigna, un éclat crissant passa dans les yeux bleus de Prestenent qui le foudroyait du regard.

Puis il haussa les épaules et se mit en marche.
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[MJ] Le Faussaire
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par [MJ] Le Faussaire »

- " Bien. Et bien, allez-y. La côte nous attend."

Aucun d'entre eux ne laissa traîner un regard vers les autres. Ils s'étaient tous mis d'accord à la volée, sans un piaillement, sans un seul désagrément. Toute cette foule débraillée cachait ainsi une discipline rodée et rigoureuse, en plus de toutes ces têtes encapuchonnées. Lorsqu'il fut temps de partir pour de vrai, l'on donna au chevalier un sac - son sac -, une cape longue, et un paquet "pour becquer". Quelle que soit la route la plus proche, le duo qui l'accompagnait avait décidé de l'ignorer, marchant dans l'herbe sans se soucier de ce qui refluait à leurs pieds.

- "Vous pouvez monter ?", lui dit l'un d'eux, alors qu'ils arrivaient en vue de quelques chevaux en liberté.

Les bêtes paissaient tranquillement, rasant le terrain petit à petit, et ne semblait pas du tout intriguée par l'affolant précipice qui les menaçait juste à-côté. La falaise continuait en effet sur sa lancée, serpentant jusqu'à l'horizon, arrachant la terre meuble par endroits pour n'y laisser que des poches calcaires ou ensablées. Si l'on s'y arrêtait quelques minutes, on pourrait sans doute dire que l'eau et l'air étaient en train de dévorer la paroi par bouchées, comme s'il s'agissait d'un immense gâteau de fête, disponible toute l'année.

Loin de s'imaginer tout cela, les deux compères pointèrent les montures déjà harnachées, et grimpèrent dessus lorsqu'ils furent à proximité. Les chevaux ne réagirent qu'à peine, broussant lentement lorsque l'on caressait leur col ou leur crin, sans plus. Il y avait là cinq chevaux de qualité, arborant chacun une robe propre et unie, bien qu'aux couleurs désordonnées : celui-là était un bai bien gris, le suivant était tout-crème, tandis que les trois autres tendaient plus vers les nuances de bleu et de brun, selon l'angle de vue et la lumière environnante.

***
Ils longèrent ainsi la ligne d'érosion pendant le reste de la journée, traversant les bosses herbeuses sans peine et sans grand commentaire à faire. Le vent se réveilla soudainement aux alentours de l'après-midi, décoiffant tout sur son passage, et insufflant à chacun les embruns salés et clairs des grandes étendues marines. Et pour cause, le trio ne lorgnait plus sur cette vaseuse et trouble rivière Grismerie, mais sur un lac démesuré aux abords époustouflants, qui refluait sans cesse, tel un bassin en pente. De fait, il était impossible de voir tout autre bord que celui-ci, comme si le lac dépassait toute taille imaginable.

Là, ils firent signe à Prestenent de s'arrêter, et se désarçonnèrent juste après.

- " Tu va prendre quel nom, c'te fois-ci ?

- Oh j'ê-aime ben Baudre, ça plait aux sires Baudre, et tô ?

- J'a-ra dire Theudis, mais j'suis pas sûr. J'a-ra déjà utilisé ça à Carcassin, alors...

- Ah ben 'tin, tu va pas r'user du même. Qu'ess-tu dis d'paul ? Ca colle ben, paul, non ?

- Ouais, va pour paul. Bon, vu qu'on est bientôt à la ville, faut qu'on honore Manass' "

Là, les regards se tournèrent vers le chevalier.

- " Vous priez Manass', m'sire ? On va pas vous déranger 'vec ça, mais p'tet ça lui plaira p'us si on fait çô ensemble

- C'est-y qu'il est pas drôle, le sire-albatross, m'sire. Y'en a qu'a essayé d'y faire des blagues, mais...

- Il aime pas les blagues, ça non."

À cet instant, une bourrasque décrocha leurs capuches, forçant ainsi leurs chevelures mal taillées à virevolter en plein vent. Une fois que le moussillonais eut proclamé son choix, les deux vagabonds se tournèrent face à la pente rocheuse, et s'agenouillèrent au bord du gouffre. En chœur, ils reprirent de vive voix :

- "Sieur de Terre-et-Mer, nous t'remercions pour tes cadeaux. A tô, Prince, aide nouz'aut', guide nouz'aut' dans notre labeur d'ajourd'hui. Sauve-nouz'aut' des chutes, des chavires et de la noyade, pour qu'on puisse 'gader ta Bien-Aimée. Nous te remercions du soufflé, du long-courant, des jours de fortune et de tes dons-vivants. Que foc, chanvre et roc nous gardent de tes colères, sous l'os-et-ancre."
Test secret : 1, réussite critique !

Il y eut un écho de leurs derniers mots, et puis ils prirent une grande inspiration. Juste avant de remonter, l'un d'eux versa un sachet dans le vide. D'un regard, Prestenent reconnut le contenu du sachet - les reflets lumineux ne l'avaient pas trompé - comme des piécettes et coquillages, le tout relié par des ficelles à une tige de bois flotté. Lorsqu'ils remontèrent en selle, le chevalier fut parcouru d'un étrange frisson, suivi d'un coup de vent chaud et tourbillonnant. Cette espèce de micro-tourment dura quelques secondes - secondes durant lesquelles nul ne put retenir ses manches de flotter ou de remonter -, avant de s'effondrer aussi sec. Il leur fallut bien une heure entière avant de retrouver le moindre brin de vent ou le moindre alizé, malgré le fait qu'ils ne quittèrent jamais le littoral. Cette heure d'attente, ils la consacrèrent à leur manière, prétextant une pause pour se rassasier et s'alimenter le gosier. Évidemment, on tendit une gourde bien pleine au chevalier, et ce bien avant que l'un d'entre eux ne s'en serve. Une fois que le vent réapparut, on reprit la chevauchée sans maugréer.

Durant tout le reste de l'après-midi, on aperçut quelque piétaille à l'opposé des falaises, sous la forme de petits points noirs éparpillés dans la plaine. Ces petits pions s'agitaient principalement dans ce qui semblaient être des champs ou des vignes, vu les parcelles brunes que l'on découvrait autour d'eux - bien qu'encore une fois, Prestenent n'avait jamais vu de si grandes étendues de la sorte. Leur position à tous les trois présentait ainsi un décalage certain, puisqu'ils siégeaient à la frontière entre la terre riche, nourricière, avinée... Et l'eau froide, lourde, étourdissante de quantité. Ils siégeaient dans cet entre-deux bordé par les vents, couvert par les nuages et jamais trop loin d'une effroyable chute.

Alors qu'ils apercevaient enfin un autre signe de civilisation, l'un de ses camarades de voyage s'élança au galop, prétextant "qu'il faudra s'assurer de pas se tromper" ...
Test d'END : 20, euh... Soit. Les dés ont décidés ainsi.
Test d'HAB : 8, tout juste !
... Prestenent se surprit lui aussi à prendre une grande inspiration. Après tout, l'air marin avait-il sans doute quelque effet revigorant, ou au moins rafraîchissant, non ? Malheureusement, lorsqu'il se mit à saliver et à tousser, il comprit que quelque chose d'autre s'était réveillé. Il tenta peut-être de se raisonner, de se contrôler, mais rien n'en fût : les flots s'étaient réveillés, les flots seraient libérés. Après les soupirs vinrent les râles, les rots et les picotements dans le torse. Cette sensation chaude, rêche, acide, il ne la connaissait que trop bien, et c'est avec un tournant de la tête qu'il déclencha la marée.

Il n'avait aucun souvenir de ce qu'il avait mangé de la semaine, mais pourtant, ses entrailles avaient décidé de le recracher. D'abord sous forme d'eau claire, les relents prirent une tournure violacée, tantôt vermeil, comme si son ventre avait décidé de s'exercer. Il fut forcé de s'agripper, sans quoi il s'écroulerait au sol, le visage trempé.

- "M'sire, m'sire ! Vous allez bien ? M'sire, ouvrez grand, bouchez le nez ! Vous inquiétez pas, m'sire, Marcus et moi on s'y connait, on va aider."

Le compagnon sauta à terre, l'attrapa par la taille comme s'il cherchait à lui faire perdre pied. En relevant la tête, Prestenent aperçut au loin des murs épais, une grande tour blême, mais surtout un récif, moult écueils en contrebas, et un maigre pont pour tout relier.

Le reste de l'attente, il le passa à gémir, à se débattre contre la marée amère qui lui incendiait les entrailles jusqu'à la trachée.

Image
Tes compères, si besoin :

Image

Image
<< Bah alors, qu'est-ce que tu cherches mon gars ? L'or, les femmes, le pouvoir ?
J'ai tout et plus encore dans ma baraque, viens jeter un œil !
Oh non, ce n'est pas loin, c'est au coin de la rue là-bas.
Mais attends, t'as les moyens j'espère ?

...

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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par Prestenent d'Affreloi »

Il y avait une organisation impressionnate chez ces braves et dépenaillés fripons. Prestenent n'était sans doute pas assez cultivé pour pouvoir faire un quelconque rapprochement avec une confrérie religieuse, mais il lui semblait bien que ces individus superstitieux aux rites aussi inquiétants que loufoques devaient avoir une vocation autant spirituelle que martiale.

Prestenent prit son sac et suivit ceux qu'il avait compris devoir être ses compagnons de route, l'air légèrement distrait comme il tentait de se rappeler de ce qu'il savait de Marcus de Bordeleau. Au moins son éducation n'avait pas le moins du monde manqué de lui inculquer tout ce qu'il y avait à savoir sur les grands chevaliers de Bretonnie, les plus connus et les un peu moins connus mais tout autant louables. Marcus de Bordeleau était l'un des premiers chevaliers à avoir bu au Graal, un duelliste incomparable. C'était lui qui avait affronté et vaincu un colossal chef de guerre du nord en combat singulier. Mais qu'est-ce que tout cela pouvait bien avoir à faire avec la marée, les lunes, et surtout des hordes de mutants amphibies envahissant des villes à la tombée de la nuit ?
Pourquoi tous ces hommes devaient-ils être Marcus de Bordeleau et pas messieurs Tartampion ou autre nom qui siérait mieux à leurs faciès sans prétention ?

Toutes ces pensées s'envolèrent tantôt, puisqu'ils vinrent au devant de chevaux, et Prestenent ne pouvait, pas même par effort, se sentir l'âme préoccupée quand il avait le spectacle réjouissant de ces nobles animaux s'exposant sous ses yeux.

"Bien sûr que je peux monter pardi ! Pour un chevalier, c'est plus naturel que de marcher."

La remembrance de sa dernière rencontre avec un cheval ne lui était heureusement pas de suite revenue. Sans doute le sabot entre les deux yeux avait fort adroitement bousculé l'agencement déjà mal ordonné de ses souvenirs chaotiques de cette nuit de cauchemar.

À la place, Prestenent s'approcha des bêtes et tenta, l'une après l'autre, de les caresser et de les flatter. Il fut presque surpris par leur peu de réactions. Ces chevaux n'étaient ni méfiants ni amicaux. Il se rappela de certaines choses que son père lui avait expliquée une fois sur les chevaux des bandits. Les brigands se faisaient entrainer pour leur usage des chevaux spéciaux, spécifiquement plus endurants et plus rapides que tous ceux des honnêtes gens, afin de pouvoir distancer l'autorité dans n'importe quelle course poursuite, mais aussi à ne jamais paniquer, dut une explosion se produire sous leur nez. Mais à ce prix, ces chevaux étaient des bêtes antipathiques, ne se liants jamais à rien ni à personne et surtout pas à leurs maîtres.
Prestenent voulut chasser ces idées, comme il le faisait presque toujours quand une pensée désagréable entrait dans son cerveau, mais cette fois, se dire "baste" fut insuffisant à dissiper tout le doute qu'il avait. Des gens honnêtes n'auraient pas des chevaux comme ceux là, aussi obéissants et flegmatiques.

Finalement, il s'arrêta devant l'un des coursiers, un dont la robe crème était d'une netteté et d'une clarté effarante. Quels que soient ces chevaux, ils n'avaient nulle trace d'être batards d'une quelconque façon. C'était tout de même impressionnant. Peut-être que c'était à cela que ressemblaient de vrais chevaux alors, d'un âge normal pour la monte, sans blessures ni handicaps. Prestenent avait toujours de la tendresse pour les canassons moussillonnais qu'il avait chevauché durant son enfance, mais à cet instant il se dit que tout de même, chevaucher un cheval en bonne santé ce devait être pour un chevalier tel que lui comme pour un poisson retrouver l'humidité d'un ruisseau après s'être débattu longuement dans l'atmosphère empoisonnée du monde aérien.

"Je vais donc vous emprunter celui ci si vous n'y voyez pas d'inconvénient." lança-t-il aux deux marcus qui étaient déjà montés sur leurs propres montures.

Pendant le trajet, Prestenent cherchait vainement à retrouver le fil de ses pensées. Sans grand succès. Il voulait se souvenir de ce qu'il savait sur Marcus, essayer de démêler le fil de cette affaire, de comprendre qui étaient ces sortes de brigands sacrés sauveurs au trident combattants dépenaillés des marées malfaisante que la lune bien aimée déchainait sur des côtes paisibles... Mais ni l'esprit ni le cerveau de Prestenent ne voulait réfléchir à cela. Il était un chevalier bretonnien, et réfléchir à l'avenir lui était compliqué quand il y avait tant à savourer dans l'instant. Lui qui avait passé la Dame seule sait combien de jours paralysé sans avoir conscience du soleil, du vent et des goutes de pluie, il avait désormais toute liberté de se dresser sur ses étriers pour atteindre un rayon de soleil et le faire jouer sur son visage, d'arrêter parfois sa monture pour regarder les sculptures incroyables que formait la côte érodée dans le bleu mêlé de l'eau et du ciel, et fermer les yeux, malgré la magnificence du paysage, seulement pour mieux sentir le vent caresser son visage et respirer son odeur salée. Cette odeur, âpre mais humide, contre toute attente, Prestenent la trouva à son goût.

Cette odeur semblait éveiller une part de son cerveau depuis toujours endormie. Défiant des barrières infranchissables, un vague à l'âme traversa doucement son être. Cette sensation de la côte lui rappelait confusément quelque chose, confusément, sans qu'il puisse rien y raccrocher réellement. C'était un souvenir sans image, sans plan, sans rien. Un souvenir agréable et confortable, ce qui n'avait donc pas grand chose à voir avec son ancienne vie au Moussillon.
Prestenent n'avait jamais vu la mer. Jamais de ses propres yeux. Il n'en avait eu que des récits, et des illustrations qui n'arrivaient souvent pas à la cheville des vitraux de la chapelle abandonnée rencontrée au début de son voyage. Pourtant, le territoire des d'Affreloi n'était autrefois pas éloigné de la mer. Un des hameaux encore sous la domination du marquisat était d'ailleurs constitué d'anciens habitants des côtes dont les ancêtres avaient fui un danger venu de la mer pour se cacher dans la forêt. La pluie tombait toujours sur cette forêt, changeant son sol en boue et ses étangs en marécages, et on avait parfois dit à Prestenent que ces nuages venaient de la mer. C'était tout ce que Prestenent lui même avait connu de cette chose étonnante qu'est la mer, si bien que même en l'ayant sous les yeux il ne pouvait pas la reconnaitre. Pourtant, quelque chose ressurgissait en lui ce jour là, près des côtes de Bordeleau. Un souvenir invisible, sans matière, sans rien, revenait faire frissonner agréablement les tréfonds de son cerveau. Un souvenir de bien être et de confort. Un souvenir de fierté, d'honneur.
Peut-être quelque chose dans son sang réagissait comme l'avaient fait mille fois ses plus lointains ancêtres, quand ils se rendaient sur les plages du Moussillon, là où se dressait la première, la plus grande, et la plus glorieuse des forteresse de la lignée d'Affreloi. Là où le Roy avait confié aux chevaliers d'Affreloi le devoir de défendre son royaume. Peut-être quelque chose dans son sang se rappelait de ces murailles scintillantes devant le bleu de la mer, maintenant ramenées à l'état de ne plus pouvoir être distinguées des récifs. Peut-être quelque chose dans son sang se rappelait de ce que c'était alors que de parcourir les couloirs de ce castel, où l'odeur du vent marin filtrait par les ouvertures et embaumait toute la forteresse d'un parfum d'humidité puissante. Peut-être quelque chose dans son sang savait qu'en un temps lointain, cette odeur avait été imprimée dans la mémoire et dans la chair de tous ceux qui étaient nés avec le nom d'Affreloi, avant que tout ne change, que tout ne décrépisse puis soit broyé.

Peut-être sinon n'était-ce rien. Pour Prestenent lui même en tout cas, ce parfum devait être tout bonnement celui de la nostalgie. Une alchimie d'éléments dans l'air qui réveillaient ce qui dans son corps produisait ce sentiment d'un passé bienheureux perdu et oublié. Mais il n'avait pas de passé bienheureux, perdu, ou oublié. Prestenent n'avait rien d'autre que son avenir.


Cette balade avait en vérité tant distrait Prestenent qu'il en resta surpris quand on lui annonça qu'ils étaient arrivés. C'est qu'il y avait une destination, en effet. Un objectif à ce trajet. Le jeune chevalier l'avait tout à fait oublié.
Il écouta d'une oreille distraite les deux gaillards parler de s'inventer des noms.

"Palsambleu ! J'espère au moins qu'ils ne réclameront pas de moi de les imiter dans une telle affaire, car je serais fort mal en devant leur refuser cela aussi sèchement qu'il est possible de refuser quelque chose."

Heureusement, ils ne demandèrent pas cet effort de la part du chevalier, qui nota sans trop s'en faire qu'il devait désormais les appeler Paul et Baudre. Pour eux, au fond, ça n'avait rien de gênant, Prestenent ne considérant de toute manière pas que Marcus fut le nom de naissance de chacun de ces hommes. En revanche, ils demandèrent, avec une visible gêne, s'il voulait bien prier avec eux.

Prestenent accepta sur le champs, puis la seconde suivante il réfléchit et se demanda si c'était réellement la bonne décision.
En fait, Prestenent ne connaissait qu'une seule divinité : La Dame du Lac. Il n'y en avait pas d'autres ni dans son cœur, ni dans sa tête, ni dans son esprit. Mais désormais une lumière commençait à se faire jour dans son cerveau. L'escargot dressait une antenne et se disaut "tien, et si Manass n'était pas la Dame du Lac mais un autre dieu ?"
Prestenent n'était pas ignare au point d'ignorer que d'autres dieux étaient vénérés par endroits, mais sans pour autant les connaitre. Le nom de Manass lui disait confusément quelque chose, et la façon dont les hommes en parlaient lui fit songer à un saint patron des bateliers. Baste ! Un dieu restait un dieu, et puisqu'ils disaient qu'il fallait l'implorer, autant ne pas risquer de courroucer un dieu quel qu'il soit. L'esprit naïf de Prestenent ne pouvait pas imaginer qu'il existât une quelconque rivalité entre dieux, et quand bien même il penserait ce type de choses comme anathèmes à la Dame du Lac. Donc, il s'agenouilla, et fit l'effort de prier avec les deux autres, se laissant guider par eux, s'efforçant de répéter en un chuchotement haché ce qu'il comprenait de leurs paroles, mais son incapacité à déchiqueter les mots avec sauvagerie comme le faisaient les gens de basse naissance fit que Prestenent devait avoir quelques instants de retard sur eux comme il faisait l'immense effort intellectuel de traduire les termes en un langage civilisé.

La parole sacrée, ou ce qui en tenait lieu pour des gens tant illettrés que presque incapables de parler, étant effectuée, un des Marcus, et Prestenent eut peine à dire si c'était de Paul ou de Baudre qu'il était question, jeta une offrande au dieu aquatique.

Sans perdre plus de temps, Prestenent et les autres enfourchèrent leurs montures. Prestenent eut une étonnate impression, comme un vent irrationnel qui perturbe les sens par sa soudaineté. Puis plus rien. Un plus rien qui n'était pas moins étrange.

Le reste du trajet se fit au milieu de vastes champs, où l'on pratiquait sans doute la culture des vignes. Sans doute l'une des formes d'agriculture les plus complexes et exigeantes, nécessitant de surveiller et manipuler avec de petites mains les branches de centaines de petits arbustes séparés de quelques pieds les uns des autres. Tout ce mal pour que le peuple de Bordeleau puisse se pochetronner, c'était à la fois impressionnant et désolant.

Mais la promenade tourna court, lorsque Prestenent sentit brusquement un tressaillement dans son gosier. Il avait beaucoup trop l'habitude de la chose pour ne pas comprendre, mais fut tout de même pris par surprise. Il ne sentit presque pas le faisceau de chaleur tremblotante qui fit vaciller son corps, ni les éruptions de toux qui contractaient sa gorge, une seule idée lui vint à l'esprit : vomir sans tomber de cheval, et si possible de telle sorte que la robe du coursier ne soit pas tâchée, ni ses habits. L'acrobatie n'était pas des plus simple à faire, mais en se cramponnant fermement à ses rênes tandis qu'il laissait son corps se pencher de côté sous l'effet d'un affaiblissement incontrôlable qui le poussait à tourner sa face vers la terre, il parvint à éloigner sa tête assez, et au dernier instant, dans la dernière seconde avant que son corps ne se trouve à glisser mollement et à tomber de sa monture, il parvint à resserrer les jambes, passant outre le moment d'égarement musculaire, pour se retenir de choir comme un tas.
Vomir depuis sa monture était un art, mais en dépit de sa juste réussite Prestenent ne pouvait pas faire grand chose avec le flot qui lui jaillissait de la bouche et du nez. Son corps tremblait, presque moins des causes de la contraction gastrique que de la naturelle inquiétude que l'on peut avoir en voyant des flots vermeil s'échapper de son corps en quantités si absurdes qu'on se demande où sont passés les organes dans le tas.

Heureusement, avec l'aide des deux Marcus, Prestenent put mettre doucement pied à terre. Alors, sans plus songer à la dignité, il se cabra dans un coin, à quatre pattes, expulsa tout son saoul, puis cracha plusieurs fois avant de rester pantelant un instant devant la flaque de vomi infect. Heureusement il savait quoi faire : se rincer la bouche avec de l'eau, beaucoup d'eau, et boire, et surtout vider la gourde après pour en changer l'eau.

"Ces crises vont finir par devenir un vrai handicap" songea-t-il, pour la toute première fois d'ailleurs. Jusqu'alors il avait toujours fait avec en essayant autant que possible de ne pas y penser, de faire comme si le problème n'existait pas ou serait toujours mineur. Qu'étaient ce que quelques minutes désagréables de temps à autre contre tous les désagréments affreux qu'il s'était épargné grâce à cette potion ? Et puis, quelle potion ? Personne ne devait savoir, pas même lui, il ne devait donc pas y penser, pas penser à cette potion, pas penser aux vomissements, tout cela n'existait pas concrètement. Juste quelques crispations gastriques momentanées. Parfois. Rien d'alarmant. Rien qui mérite qu'on s'y attarde. Rien à voir avec une potion. Quelle potion ? Il n'y avait jamais eu de potion.

Mais maintenant qu'il risquait de devoir faire équipe avec des gens, maintenant qu'il n'était plus seul, ces vomissements importuns n'étaient-ils pas devenus soudainement plus gênants ? Pouvait-il vraiment se jeter à quatre patte pour dégobiller et expulser le contenu sale de ses entrailles sur le sol puis se relever sans gêne, se tenir droit, sourire comme la normale, et continuer à faire des manières avec son obsession ridicule pour l'hygiène ? Pour la première fois il se le demanda. Mais pour autant, c'est exactement ce qu'il fit une fois la marée passée. Il se releva, s'épousseta, vérifia qu'il n'y avait pas de taches sur ses habits, et s'excusa avec politesse en demandant une gourde d'eau pour se rincer la bouche. Pourquoi se casser la tête à chercher une solution à ce problème, puisqu'il passait toujours au bout de quelques instants. Après coup, ça ne paraissait pas nécessiter de solution. On pouvait s'y faire n'est-ce pas ? Enfin jusqu'à la prochaine fois.

Une fois son gosier bien rincé, Prestenent reprit calmement son souffle, et demanda comme si de rien n'était quelle était la suite des événements. C'est qu'au fond il n'avait rien compris, pas même à ce qu'ils étaient venus faire à Ponte Vileau. Le vieux Marcus leur avait donné une mission, mais laquelle ? Marcus et Marcus, ou Paul et Baudre selon, pourraient peut-être maintenant lui expliquer quelle était leur mission, ce qu'elle avait à voir avec cette ville, et peut-être même s'il parvient à glisser ça dans la conversation, leur demander ce qui est arrivé à Bois Giron et si cela risque de se produire aussi à Ponte Vileau.
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[MJ] Le Faussaire
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par [MJ] Le Faussaire »

Test de CHA : 4, réussi.
Test d'INT - Paul : résultat caché.

- "C'qu'on vint faire ici ? Qu'on doit entrer à Ponte-Vileau et prévenir la bonne-gens et l'sire qu'y a la nouvelle lune, m'sire. Et qu'cette lune, elle amène l'autre Ignoble et ses miséreux d'marauds.

- C'est çô. 'vec Paul on va rentrer, et pendant qu'il ira s'esspliquer avec les gens, nous on ira voir l'sire Evrard, et l'saluer. Vô z'êtes ben chevalier, m'sire, alors si c'est ça, l'sire Evrard il vous acceptera et vous écoutera quand vous causez-ra. Fau-ra juste dire que j'suis vot' servant ou vot' guide, ou y aller sans nouzaut'. Les chevaliers d'ici ils ont tous un truc, pour pô perdre l'Nord quand-qu'y boivent. Et vin-rat, qu'est-ce qu'y boivent, les m'sires...

- Hééééé-èèèho, t'a-ra bon dos d'dire au m'sire qu'ils boivent beaucoup. Y'a les bonnes gens aussi qui boivent beaucoup. C't'une bonne chose de boire beaucoup m'sire, l'écoutez pas. Ça aide à garde l'pied marin sur terre comme en haute-mer ! Et pis les bonnes gens, ils prient Manass' comme nouzaut', et qu'ils prient bien en plus ! C'pour ça qu'ils ramènent tant d'poisson et d'filets, c'grâce à Manass' !

- Oé oé, ben on verra ben c'que l'sire Evrard il dira d'ça, tiens. L'sire Evrard l'est baron maintenant, c't'un gars du Roy, pas comme nouzaut', hein ? C'est l'bon sire Lou-hein qui l'commande, et pô s'marquis d'marasse."

Les deux braillards se turent quelques instants après la mention du "bon sire Lou-hein", comme par respect ou par peur de fâcher quelque esprit voisin. Devant l'absence de tonnerre ou d'accalmie, Paul reprit :

- "Mais fau-ra pas vous en faire, m'sire. L'sire Evrard il partira pas à la nuit, alors on a pas trop à s'paniquer. Pis si ça s'trouve, l'sire Evrard, il a-ra p'tet un truc pour vous, nan ? C't'un chavalier lui aussi, 'fin..."

Et il ne finit jamais sa phrase, préférant aider le jeune mousillonais à remonter en selle.

- "Bois-Giron ? Bah on sait que c'qu'on a-ra dit à Marcus et ce qu'y nous a dit. Qu'on a vu un chevalier approcher à pied sans nous saluer, et qu'il avait pô l'air marin alors qu'on l'a laissé passer, comme d'habitude. Et qu'en suite Marcus est v'nu vous chercher parss'que l'marquis c't'un gars pas sûr ces temps-ci - paraît qu'il cogne trop souvent, et trop longtemps quand il pleut -, alors il vous a ramené. Après il parait qu'vous avez croisés les miséreux d'la mer, et qu'vous êtes tombé à la renverse comme d'un coup d'vent."
Test d'INT - Baudre : résultat caché.

- Si c'est s'qui vous fait peur, dites vous qu'c'était qu'les miséreux, et pas l'autre Ignoble. Quand c'est l'autre qui s'ramène, faut pas traîner dehors. Il paraît qu'c'est elle qu'a changé l'Grismerie en gris, et qu'avant la rivière elle s'appelait pô comme ça. C't'une bête ignoble, pour sûr qu'elle vit dans l'eau et qu'elle boit pas d'bon vin, c'te saleté.

- Enfin, faut aussi dire qu'nous deux on l'a jamais vu devant nous, m'sire. On a pas envie d'finir séché ou tout-noyé ou pire, alors quand on sait qu'elle vient, on prévient l'bonnes gens. C'est Marcus qui l'a d'jà vu d'ses yeux, et plus d'une fois il paraît et qu'-!

- Mais Marcus l'est pas là ! Alors on fait avec, et on y va. Si on cause trop sans bouger, ils vont s'poser des questions sur nous. Faut qu'l'sire il prévienne l'sire Evrard, et faut pas qu'Evrard il s'mette en tête de nous botter."

Sur ces mots, ils claquèrent les talons, et leurs montures se mirent au trot sans broussement. Le peu de trajet qu'il leur restait avant d'arriver véritablement à Ponte-Vileau, ils le passèrent à petite distance les uns des autres, répondant aux paroles de Prestenent de manière plus succincte, et parfois plus sérieuse. En quelque sorte, on aurait pu croire que la mention de cette "Ignoble" avait refroidi les humeurs joviales et campagnardes des deux compères.

Ce petit laps de temps sérieux permit aussi au ciel de changer son humeur personnelle : le vent reprit de l'allure, et avec lui vinrent les nuages agglomérés, signe d'une pluie prochaine... Pluie qui arriva si tôt qu'elle surprit les trois cavaliers alors qu'ils franchissaient le pont d'entrée.

***
De fait, au fur et à mesure que l'on se rapprochait de la cité, Ponte-Vileau semblait de plus en plus juchée sur son rocher, siégeant seule et sans aucune autre attache à la terre ferme que cet étonnant pont de pierre blanche. La ville entière apparaissait ainsi à l'écart de toute la richesse du coin, mais en même temps, les parois d'albâtre lui donnaient un ton si impérieux et si indestructible qu'il eut été fou de douter de son ancienneté.

Les passants se contentaient ainsi d'occuper la voie centrale, évitant autant que possible de se perdre sur le bord du précipice, et pour cause : si l'on avait le malheur de glisser ou de sauter de côté, il n'y avait rien d'autre que la pierre lisse pour vous rattraper avant les eaux sombres de l'océan. Par chance, le pont et la ville étaient tous deux pourvus de remparts ou de murets assez hauts, empêchant la plupart des accidents, ainsi que de tours tantôt crénelées tantôt élancées, empêchant la plupart des incidents.
Test de VOL : 1, réussi.

Au final, plus il regardait la ville de loin, plus elle lui communiquait un sentiment de puissance, de beauté, mais aussi de solitude. Sentiment qu'ils pourraient tous les trois ressentir de plein fouet...

... S'il n'y avait pas tant de soucis à l'entrée. En effet, là où il n'y avait eu aucune attente lors de l'entrée à Carcassin, et un moindre mal à pénétrer dans Bois-Giron, l'étape préliminaire s'annonçait cette fois-ci un peu plus corsée. Après tout, puisqu'il n'y avait qu'une seule entrée, il n'y avait aussi qu'une seule issue, et cette unicité amenait avec elle tout un tas de problèmes lorsque ceux qui voulaient entrer croisaient ceux qui voulaient sortir... Pour palier à cela, la milice locale, visiblement habituée à ce genre de tension, formait des nœuds à différentes étapes de la chaussée, et pratiquait une sorte d'interrogatoire cordial avec les futurs résidents. Certains gardes, plus curieux que loquaces, avaient recours à une fouille, bien que celle-ci se limita à planter quelques coups de lance dans la paille, ou à soulever les toiles d'une carriole surchargée.

Avant même d'approcher un de ces nœuds bien gardés, Baudre et Paul retirèrent immédiatement capes et capuches, se révélant ainsi tout entier à la pluie qui arrivait. Une fois arrivé à portée de voix, un des miliciens éructa :

- "Ohé ho - vous, là, cavaliers ! D'oû c'est qu'vous v'nez, et oû qu'c'est qu'vous allez ? Vous avez d'quoi rentrer à lô ville au moins ? C'est pô l'hospice ici, fau-ra payer. V'nez voir plus près, qu'on puisse s'causer..."

Test d'INT - Milicien : résultat secret.

Le temps que les trois compères s'approchent du milicien, celui-ci prit une grande gorgée de sa besace, et s'essuya le visage avec une manche déjà à moitié bariolée.

- "Bon, alors, qu'est-ce que ce s'ra ? L'voyageurs peuvent aller à l'taverne, l'souffreteux à l'hospitalier, l'marins... Hmm, z'êtes pô marin vous trois, donc dans tout cas, ça s'ra 1 piasse par jambe, et une aut' pour vot' canasson. C'est d'ben beaux canassons d'ailleurs, j'vous félicite les trois. Allez, envoyez les piasses, et circulez."

A priori, il n'y aurait pas plus de questionnement vis-à-vis de Prestenent et de ses compagnons, pourvu qu'ils répondent aux interrogations et qu'ils fournissent les pièces demandées. Après cela, ils seraient libres de circuler en ville, de s'intéresser à ce qu'ils souhaiteraient...

... Au moins jusqu'à la nuit tombée.
<< Bah alors, qu'est-ce que tu cherches mon gars ? L'or, les femmes, le pouvoir ?
J'ai tout et plus encore dans ma baraque, viens jeter un œil !
Oh non, ce n'est pas loin, c'est au coin de la rue là-bas.
Mais attends, t'as les moyens j'espère ?

...

Oh, tu sais, on peut toujours s'arranger... >>

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Prestenent d'Affreloi
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Re: [Prestenent d'Affreloi] La mer à boire

Message par Prestenent d'Affreloi »

Comme toujours, il fallut à Prestenent de longs instants d'acrobaties intellectuelles pour que son cerveau rende compréhensible ce que disaient ses deux compagnons, notamment du fait qu'avec ces gens là, il était compliqué de faire la différence entre ce qu'ils racontaient au passé et ce qu'ils racontaient au futur, alors quand les deux se mélangeaient, Prestenent était un peu confus.
Il devait donc rencontrer un certain sire Evrard, pour lui annoncer que la nouvelle lune prédisait l'arrivée des "miséreux". Les deux Marcus ne lui dévoilèrent pas grand chose, mais cette explication était déjà beaucoup, et Prestenent saurait s'en contenter pour un moment. Par contre, un doute lui trottait dans un coin de la tête. Sans doute l'escargot n'était-il pas inconscient du fait que la confrérie des Marcus ressemblait à une assemblée d'illuminés que personne ne croirait. Le sire Evrard susmentionné ne risquait-il pas de les rejeter tous les trois quand ils viendraient lui annoncer qu'à cause de la lune, sa ville serait en danger ?
Ce doute était léger, perdu dans un confin de l'esprit pourtant plutôt plat de Prestenent, mais il suffit pourtant à lui ôter l'envie de poser plus de questions dans un premier temps. Finalement la seule chose qu'il demanda à Paul et Baudre fut:

"Mais si le sire Evrard doit se préparer à la venue des... leur venue... Que doit on lui conseiller de faire concrètement ? Fortifier la ville ? L'évacuer ? Qu'est-ce qui permettra de se protéger contre leur arrivée ? Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé à Bois-Giron, mais je crois que la ville était défendue. Pourtant ça n'a fait aucune différence."


Il écouta ensuite en rougissant presque l'explication très vague qu'on lui faisait sur les évènements de Bois-Giron. C'étaient eux les les étonnants personnages en costumes folkloriques qu'il avait croisé sur la route ? Il lui semblait bien à présent se souvenir que dans les marmonnements vagues de ces individus il y avait le mot "manass". Tout était donc lié. Ou pas. Ce n'était toujours pas très clair dans son esprit. Qui ? Quand ? Pourquoi ? Il ne saisissait toujours pas pourquoi Marcus s'était risqué dans cette ville pour le sauver lui.
Un frisson lui fit relever la tête en un sursaut.

"Dites moi mes braves, à propos de Bois-Giron, Marcus ne vous a-t-il pas parlé d'un autre chevalier ? Un homme en armure qui répondait au nom d'Ancelin d'Essart ? Ce nom vous dit-il quelque chose ? L'avez vous aperçu avant ou après l'arrivée des miséreux ? Ce chevalier a voyagé avec moi, et nous étions tous deux ensemble à notre arrivée à Bois-Giron, mais je ne l'ai plus aperçu depuis lors et j'ignore tout de son sort."

Prestenent se désintéressa ensuite de la conversation entre les deux hommes. Non pas qu'il ne trouvasse point d'intérêt à écouter ce que Paul et Baudre disaient, mais tout bonnement que son attention était maintenant accaparée par ce qui se présentait sous ses yeux.
Ponte-Vileau même, bien plus qu'une ville à ses yeux. Si en voyant Bois-Giron la première fois, les sensations offertes par cette entité vivante et gargantuesque de bois et de chaume avaient éveillées des parts de lui même qu'il ignorait ; cette fois, il vit ce que jamais auparavant il n'avait vu : une foule. Pas une grande foule par rapport à ce qui existait dans les plus grandes cités du Vieux Monde, mais ça ne faisait aucune différence. Il y avait tellement d'êtres humains qu'il était impossible de les compter. Prestenent essaya, mais en vain. C'était une vision réellement hallucinante pour lui, il aurait pu croire que l'ensemble de l'humanité s'était réunie sur ce pont. Il se sentait comme quelqu'un observant pour la première fois de l'histoire un phénomène de physique inexplicable. Une agglutination de personnes qui paraissait contrecarrer les lois de la logique telles qu'elles s'étaient faite une place dans l'esprit étroit de Prestenent.

Il était tant impressionné que sa gorge était comme bloquée. La bouche légèrement entrouverte, il s'engagea sur la route de la ville en tournant la tête de chaque côté pour admirer ce prodige.

Il ne retrouva ses esprits que lorsque le milicien les arrêta pour leur demander de payer la taxe. Le chevalier Moussillonnais ressentit une brève tension dans ses tripes. Il se doutait que ce n'était pas le moment de faire une erreur.

"Pas marins non, mais chevalier errant. Combien cela nous fait il au total ?"


Il fallait un peu de temps à Prestenent pour s'accoutumer à parler d'argent. En Moussillon, les d'Affreloi avaient de l'or. Peu. très peu pour d'anciens seigneurs comme eux, mais ils en avaient tout de même gardé pour la simple et bonne raison qu'ils n'avaient ni moyen ni raison de le dépenser. On l'avait pourvu d'un peu d'or à son départ du marquisat. C'était nécessaire. Néanmoins, il avait le poids de cette bourse sur la conscience. L'or, ça pèse, et un sentiment persistait en lui: l'or est précieux, mais il n'a de la valeur que si on s'en sert.
C'est une des choses que lui avaient enseigné ses parents. Il n'y avait de chemin plus certain vers le déshonneur que la cupidité qui pousse à vouloir augmenter sa fortune par tous les moyens. Rien qu'en ayant de l'or sur lui, Prestenent se sentait presque coupable, mais en même temps il savait qu'il devait à tout prix économiser pour pouvoir s'acheter une armure, et sûrement aussi un cheval si il décidait de finalement ne pas se fier à ceux des Marcus.

Il tira un écu d'or de sa bourse et le regarda d'un coup d'œil rapide. Il n'avait jamais vraiment prêté attention à la façon dont ces objets étaient conçus. Il déglutit en voyant le visage et l'inscription dessus. Diantre, que cette pièce devait être ancienne. Elle avait été frappée au moins deux siècles plus tôt, voire trois. Combien de temps cet or était il demeuré sans servir dans la tour d'Affreloi ? Baste. Raison de plus pour l'utiliser. Prestenent ressentait presque que la pièce gloussait et réclamait ce droit à circuler, passer de main en main comme c'est le destin de toute monnaie qui se respecte. Prestenent donna donc sa pièce d'or au garde, en lui disant de garder le surplus et de le partager avec ses camarades. Puis, se redressant sur sa monture, il en profita pour poser quelques questions au milicien.

"Pourriez vous nous renseigner ? Quel serait le moyen le plus sûr et le plus rapide de rencontrer sire Evrard ? Je dois lui parler de choses très importantes."

Pendant qu'il écoutait la réponse, une autre pensée importante lui vint à l'esprit. Il se souvenait de la façon dont on l'avait reçu à chaque étape de son voyage, et de comment partout on semblait se préoccuper en premier des apparences.
Prestenent était un être suprêmement humble, et le fait qu'il soit le premier à se le dire ne changeait rien en cette question. En effet, à son départ du Moussillon, sa famille avait pris soin de bien le vêtir et le parer. La première étape de son voyage avait dû s'avérer une trempette dans la Grismerie, des vêtements trempés, puis une nuit dans une tente, une nuit dans des cachots. En bref, Prestenent avait bien du mal à supporter des souillures à son honneur, mais du confort ou de son aspect, il s'agissait bien là des derniers de ses problèmes. Jamais il n'avait fait le moindre artifice en se présentant devant quelqu'un, et même ce qui dans sa posture pourrait paraitre à un étranger de la condescendance n'était que le fruit d'habitudes les plus profondément enracinées en sa personne et dont il ne pourrait se débarrasser même avec des efforts. On l'avait entrainé dès sa plus petite enfance à marcher droit avec dignité et à parler autant que possible avec un respect de la langue qui le distinguerait des roturiers. Du reste, les concepts vaniteux comme ceux de la mode vestimentaire ou de cette sorte de choses lui étaient entièrement anathèmes. Prestenent, à priori, n'aurait pas eu honte de se présenter en haillons à la cour du roi Louen, pour peu que ses actes lui vaillent à eux seuls un tel honneur. Prestenent n'était pas tout à fait capable de comprendre la fixation qu'on pouvait faire sur le fait d'associer quelques détails physiques à des concepts pourtant infiniment plus élevés et métaphysique.

Comment pouvait-on n'associer la chevalerie qu'avec le port d'une armure ? La valeur avec la propreté de l'équipage ? La noblesse avec la coquetterie de la tenue ? En vérité, au fond, Prestenent se demandait aussi et surtout chaque jours pourquoi on associait dans les esprits la masculinité avec un organe grossier et trainant qui encombre l'entrejambe.

Quoi qu'il en soit, l'escargot finit en cet instant par mettre le doigt - façon de parler - sur un problème qui s'était déjà posé et qui à n'en point douter se poserait à nouveau. Sans aucun doute, la seule raison pour laquelle Prestenent se préoccupa de cette question était l'importance capitale de sa mission. Il devait rendre visite à sire Evrard et il se devait de le convaincre de l'écouter. Si il finissait rejeté, mal écouté, ou une fois encore bastonné et enfermé, ce n'était pas son sort à lui qui serait décidé mais bien celui de la ville entière. Cela valait bien que l'on fasse un effort intellectuel pour se donner toutes les chances. À présent que ses vêtements étaient rapiécés, sales et abimés, allait-il se présenter ainsi devant un noble sire et lui dire "voici dans quel état je suis après ce qui s'est passé à Bois-Giron." ? Dans son esprit simple, c'était la solution la plus logique, mais pour une fois le doute qui rongeait son cerveau lui fit comprendre que ce n'était pas la bonne idée. Tout comme lui même avait eu des doutes en voyant les Marcus, avait songé qu'ils puissent être des brigands, et avait eu peur qu'on ne les prenne pas au sérieux s'ils parlaient de leur différent avec la lune ; Prestenent dut se rendre à l'évidence: il devait soigner les apparences.

"Une dernière question, après nous ne gênerons plus la circulation : comme vous me voyez j'ai eu des mésaventures terribles, et je voudrais savoir s'il y a dans cette ville un lieu où je puisse acheter de nouveaux vêtements plus présentables pour parler à sire Evrard. En connaissez vous d'abordables ?"

Une fois dans la ville avec ses deux comparses rustiques, Prestenent resta un temps pétrifié devant la vastitude du lieu. Il avait l'impression que tout le marquisat d'Affreloi pouvait tenir plusieurs dizaines de fois dans cette ville. Il eut une seconde de jalousie traversant son esprit, puis un instant de curiosité. Il en vint à se demander à quoi auraient ressemblé les anciennes villes du Marquisat du temps de leur apogée mises à côté de cette cité. Les récits et les contes qu'on lui en avait fait étaient tous très vagues, mais maintenant qu'il avait sous les yeux la preuve qu'une ville de cette taille était physiquement possible, qu'elle ne s’effondrerait pas sous le poids des bâtiments et des gens qui y résident, il se demanda si il était possible que des villes même à moitié aussi grandes aient existé dans les sombres marécages de son pays natal. Il y avait bien cette cité appelée Moussillon. Il n'y avait jamais mis les pieds, et n'avait aucune intention de jamais poser les yeux dessus, à moins que ça soit accompagné d'une armée pour purger tout la ville. Cette pensée le fit frissonner. Il en savait peu sur les grandes villes, mais il en savait assez pour se douter que plus une ville était grande et peuplée, plus grande était la propension de sa population à la dépravation, au banditisme et autres ignominies. Il vérifia bien que sa bourse était en sûreté, et son regard sur la populace changea, plus paranoïaque désormais.

"Bien. Paul, Baudre, si vous avez des besoins immédiats, je suis disposé à vous acheter certaines choses, mais je suis tout sauf riche, alors je ne peux payer que ce qui est vital à la réussite de notre mission. Par exemple, je suis navré mais je n'achèterais aucun alcool d'aucune sorte. Par contre, je pense qu'il est important d'être sûrs que sire Evrard nous accueillera et nous prendra au sérieux, c'est pourquoi je vais devoir faire le sacrifice d'investir dans des vêtements au moins de passablement bonne facture et d'un état qui soit acceptable devant un noble sire."

Il lui fallait régler cette question avant toute autre. Il ne savait pas vraiment à quoi ressemblait une échoppe où l'on achetait des vêtements, et le concept de tailleurs lui était vague et lointain. Néanmoins, en demandant son chemin, il espérait pouvoir conclure cette affaire là assez rapidement pour pouvoir ensuite se précipiter aussi vite que possible chez le susnommé Evrard. C'est que Prestenent se savait vulnérable dans cet environnement urbain et avait tout sauf envie d'errer dans un tel lieux, surtout s'il empestait le vin à chaque coin de rue. De plus, le temps leur était compté.

Le chevalier dirigea son regard vers le ciel. Qu'arriverait-il à la nuit tombée ? Que signifiaient toutes ces prophéties au sujet des lunes ? Il était curieux, et voulait percer ces mystères au plus vite. Tout dans sa nature le vouait à la précipitation, et même l'idée de perdre plusieurs paquets de minutes à chercher et trouver des vêtements le révoltait. Ses épaules se secouaient d'impatience tandis qu'il s'enfonçait avec ses compagnons à l'intérieur de la ville.
FOR 9 / END 8 / HAB 9 / CHAR 9 / INT 8 / INI 9 / ATT 9 / PAR 9 / TIR 8/ NA 1 / PV 20/65
wiki-v2/doku.php?id=wiki:fiche_prestenent_d_affreloi

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