Lance d'arçon en avant, Armand se prépara à charger à travers la foule pour se tirer de cette embuscade. Ravel, qui renâclait et tirait sur ses rennes depuis leur entrée dans les faubourgs , n'opposa aucune résistance lorsqu'il comprit que le but de son maître concordait avec ses désirs : s'éloigner au plus vite du danger ! Mais pour cela, il allait falloir traverser le mur de fourches qui s'approchait inexorablement d'eux...
A partir du moment où Armand planta son éperon dans le flanc de son cheval pour lui ordonner de charger, tout se déroula très vite.
Une volée de carreaux en provenance du trio d'écuyers cibla la foule, mais un seul fit mouche, transperçant le dos d'un paysan qui s'écroula au sol. Presque aussitôt, son cadavre se ratatina sur lui-même, ne laissant plus qu'un morceau de chair grisâtre accroché à la terre battue par le trait d'arbalète.
Une bourrasque accompagna la chevauchée du chevalier, soulevant un millier de feuilles mortes qui se mirent à tournoyer autour de lui. Un phénomène étrange, dont il comprit rapidement la provenance magique dès lors que les deux chasseurs décochèrent leurs flèches pour l'abattre : la première le manqua complètement, mais la seconde, ciblant parfaitement le cavalier, se ficha en plein vol dans l'une des feuilles enchantées qui le protégeaient.
Profitant de la faille qu'avait ouvert l'un des écuyers dans le mur de fourches, Armand fonça dans cette direction. S'il manqua magistralement l'homme qu'il ciblait de sa lance, Ravel fut si rapide à les dépasser que ses adversaires n'eurent pas le temps de lui porter le moindre coup.
Sorti du pétrin, Armand put voir que ses compagnons s'étaient eux aussi mis en mouvement, chargeant dans sa direction pour lui venir en aide, Mélaine à leur tête. Le visage plus furieux que jamais, la prophétesse du Graal avait en main une longue lance ambrée, et hurlait à pleins poumons :
- POUR LA DAME !
Effectuant un demi-tour avec sa monture, Armand se joignit à eux pour charger la foule en sens inverse, et cette fois-ci pénétrer les murs de Lyrie. Derrière les faubourgs extérieurs se tenaient les portes de la ville, d'immenses battants en bois épais d'une dizaine de centimètres, bloquées par une poutre plus imposante qui ne pouvait être enlevée que de l'intérieur de la ville. Qu'à cela ne tienne, la prophétesse chargeait, elle avait assurément un plan pour contrer l'édifice - après tout, Casin n'avait-il pas affirmé qu'elle l'avait déjà abattu une fois ?
Sur la route traversant les faubourgs pour aller droit vers les portes, ce n'était plus une petite vingtaine de paysans qui s'interposait, mais toute la population, composée d'une bonne centaine d'habitants, dont une demi-douzaine d'archers qui les ciblaient. Ceux-ci firent feu avant que les cavaliers n'arrivent au contact, mais que ce soit grâce à la magie de Mélaine ou à l'incompétence des tireurs, pas une seule des flèches ne fit mouche.
La charge des chevaliers percuta la foule des faux paysans avec une violence inouïe. La lance d'Armand explosa la poitrine d'un pauvre homme, alors que les sabots de Ravel en piétinaient deux autres ayant eu le malheur de se mettre sur sa route. Quelques coups de couteau, de gourdin ou de fourche réussirent à toucher le sire de Lyrie et sa monture, mais ne firent que rebondir sur son harnois ou la barde de sa monture. A ses côtés, le vieux Rollet démontrait que l'âge ne lui avait pas retiré toute bravoure, bien que son hurlement ressemblait davantage à de la terreur qu'à de la furie guerrière. Sa vieille monture mourante offrait ici son baroud d'honneur, égalant la vitesse des autres chevaux, quand bien même sa langue sortie et ses yeux vides faisaient peur à voir. Dame Mélaine n'était pas en reste : son palefroi traversait la meute de villageois avec aisance, et elle n'hésita pas à utiliser sa lance ambrée comme un javelot : son tir transperça trois villageois comme du beurre, lui ouvrant une voie à travers laquelle elle cavala plus vite que le vent.
Le plus incroyable d'entre eux fut le sire Casin. D'ordinaire si maussade, renfermé, et donnant l'impression d'être plus doué de ses remarques désobligeantes que de son épée, il démontrait ici qu'il n'était pourtant pas chevalier pour rien. Hurlant des imprécations à la chaîne, il semblait animé d'une réelle bravoure : sa lance percutait des rangées de paysans, si bien que son sillage était une voie sécurisée à suivre pour ceux qui le talonnaient.
Mais tous ne s'en sortirent pas aussi bien. Sous la force de l'impact, Artur perdit sa lance dès le premier villageois percuté, et dut alors compter seulement sur l'impact de sa monture pour progresser : par chance, la barde de l'animal et son propre harnois le protégèrent des attaques qu'il ne manqua pas d'encaisser.
Le trio d'écuyers ne bénéficia pas de la même faveur de la part des dieux. La monture de l'un d'eux fut transpercée par une fourche, s'écroulant au sol et faisant choir son cavalier vulnérable. Ce dernier n'eut même pas le temps de se relever que déjà de multiples lames le transperçaient de part en part. Un autre cavalier subit l'impact d'un simple baton de bois en plein torse, le désarçonnant sur le coup. Son cheval poursuivit alors la course, mais sans lui : encerclé, il réussit à se mettre dos au mur d'une maison, hurlant à l'aide tandis qu'il repoussait ses agresseurs du mieux que possible avec son épée. C'était une question de secondes avant qu'il ne se retrouve submergé. Seul le troisième écuyer réussit miraculeusement à survivre à cette charge, profitant de l'héroïsme de sire Casin pour suivre une voie partiellement sécurisée.
Alors qu'ils arrivaient devant la grande porte fermée, dame Mélaine commença à incanter d'une voix gutturale un nouveau sortilège. Un vent similaire à celui qu'avait précédemment ressenti Armand se leva tout à coup... avant de disparaître.
- Bon sang ! hurla Mélaine, alors qu'elle se remettait à incanter.
Les chevaliers étaient à la merci de la foule qu'ils avaient dépassé : au bout de la route des faubourgs, aux pieds de la gigantesque porte de bois, ils étaient dos au mur face à la cohorte de villageois qui s'approchaient d'eux. Une bonne vingtaine d'entre eux était tombée pendant la charge, mais cela ne représentait qu'au maximum un cinquième de leurs effectifs.
Les archers, eux, ne perdirent pas de temps face à l'opportunité que représentaient un groupe d'hommes dépassant de la foule du haut de leur monture, parfaitement immobiles. Ils décochèrent une volée de flèches, dont trois d'entre elles firent mouche : les chevaux de sire Albert et sire Artur furent touchés, tandis qu'un autre projectile réussit à se ficher entre deux plaques du harnois de Casin. Grommelant, ce dernier retira le projectile de l'endroit où il s'était logé avant de le jeter au sol.
A leurs côtés, dame Mélaine hurlait de fureur alors qu'à nouveau, le vent magique qui s'était levé venait de retomber.
- La banshee dissipe mes sortilèges, mais je ne la laisserai pas faire ! Tenez bons chevaliers, je vais montrer à cette dépravée maléfique qu'elle ne peut pas stopper la bravoure des justes !
Et ce disant, alors que les pupilles de la demoiselle devenaient blanches, que ses cheveux se hérissèrent sur sa tête et que de l'énergie se mit à crépiter autour d'elle, le vent se leva à nouveau, la terre se mit à trembler, et une puissance sauvage sembla emplir l'air, une déferlante de rage animale qui était si palpable qu'Armand lui-même pouvait ressentir cette force primitive l'emplir d'une juste colère.
Tout le problème était de savoir combien de temps Mélaine allait avoir besoin pour accumuler assez de puissance : car déjà, les archers se préparaient à tirer à nouveau sur les chevaliers immobiles, et la foule des villageois n'était plus qu'à quelques secondes d'arriver au contact...