« C’est mon nom le Dogue. »
Il avait répondu ça avec un sourcil levé, et un grognement, comme s’il se contentait de répéter une évidence qui le fatiguait de devoir toujours préciser.
« Et je suis bien un des yeomen de sieur Chlodéric, ouaip. Mais ça va faire des mois que j’ai pas eu de nouvelles de Brossac. Personne vient ici. Pas un seul habitant vient me voir, encore moins des types chargés par le bailli de m’envoyer du courrier. Sûrement la frousse. André Moreau il est marrant de t’avoir dessiné un plan pour venir jusqu’à chez moi : Le type sort jamais de sa petite tour en pierre de Brossac.
Est-ce qu’il t’a prévenu que ça va faire trois semaines que la région est parcourue par des gobelins, au moins ? Qu’il y a une tribu de peaux-vertes qui s’installe et qui menace Karak Skrati ? Évidemment que non, je suis même pas sûr qu’il ait omit ça par malice ; Juste par incompétence. »
Il s’agenouilla devant Tristan, et lui souleva sa tête. Il retroussa une lèvre, et prit un air peiné.
« Ouais, ne m’explique rien. Tu me raconteras tout plus tard. Économise-toi. Finis ta bière.
Ça risque de faire très mal... »
Tristan somnolait, perdu entre la conscience et l’inconscience, entre les cauchemars et un semblant de réalité. Quelque chose pourtant le tira de sa torpeur provoquée par l’alcool et par l’hémorragie : Une douleur, horrible. Une douleur bonne à hurler. Alors le chevalier ouvrit grand ses yeux. Ses cris furent interrompus par quelque chose qui obstruait sa gorge : Un énorme chiffon humide qu’on avait enfoncé dans sa bouche, qu’elle mordait de toutes ses forces. Elle était dans une pièce qui n’était pas le salon de la chaumière ; ça ressemblait plutôt à une toute petite grange. Autour d’elle, elle voyait des moutons rentrés pour la nuit. D’ailleurs il faisait nuit, on ne voyait rien, sinon quelques petits coins de la pièce grâce à des chandelles et des bougies disposées un peu partout.
Elle était nue. Elle put s’en apercevoir en relevant sa tête. On l’avait couchée sur une table et entièrement déshabillée, des pieds à la tête. Son torse était dégoulinant de sang – son sang. Et au-dessus d’elle, le Dogue semblant soudain s’apercevoir qu’elle s’était réveillée. Il s’était mis en chemise, et avait recouvert ses vêtements d’un gros tablier, ce qui laissait apercevoir encore plus de tatouages partout sur son corps, malheureusement moins perceptibles quand il fait nuit noire et qu’on ne pense qu’à hurler. L’archer tenait entre ses incisives un fil, qu’il faisait coulisser dans les plis des blessures de Tristan comme s’il était en train de recoudre une robe. En la sentant soudain se débattre et tenter de crier, il saisit ses mains pour l’immobiliser, et recracha le fil.
« Cesse de bouger ! Cesse ! Je sais que ça fait mal, mais si j’arrête pas l’écoulement de sang, tu meurs ! »
Il tira la petite amulette qu’il avait autour du cou, qui représentait une petite colombe de Shallya. Il la fit passer autour du cou de Tristan, et la déposa sur son front brûlant.
« J’ai encore du lait de pavot. T’es sûre que t’en veux pas, Tristan ? Enfin… Si ton prénom est Tristan, avoue que c'est pas très masculin. À moins que ce soient les orques qui t’aient découpé ce que t’es censée avoir entre les jambes ? »
Complètement atteinte par la douleur, Tristan ne put réellement répondre à la plaisanterie-insulte du Dogue. Tout juste faire « oui » de la tête pour que le Dogue aille lui préparer une concoction de drogue. Il la laissa en plan sur la table, à se contorsionner de douleur, ne revenant qu’un peu plus tard – il était difficile d’avoir une notion du temps avec une affliction aussi atroce.
Il lui releva tendrement la tête. Il lui retira le chiffon qui obstruait la bouche et l’aida à tout boire.
« T’étrangles pas… Bois lentement. Chuuut. Hé. Tout va bien se passer, tiens bon. »
Ouvrir les yeux lui prit des heures. Elle tournait au ralentis. Tout ce qui lui semblait, c’est qu’elle était bien installée. Elle ne sentait plus rien, ni la douleur, ni quoi que ce soit en fait. Elle était comme prisonnière de son corps ; Mais ce n’était pas flippant, ça ne lui donnait pas envie de crier. Tout au contraire : Elle se contentait d’être bien installée où elle était. La conscience ne revenait que petit à petit.
Quand elle commençait à quitter sa torpeur, le monde autour d’elle semblait encore trembler. Elle était nue, mais au chaud : Emmitouflée sous un tas de couvertures en laine. Un regard autour d’elle semblait indiquer qu’elle était dans une chambre. Relever chaque détail était une épreuve de force, alors elle préférait rester dans cette semi-conscience, ni tout à fait endormie, ni tout à fait réveillée. Et toujours en train de planer.
La première sensation qui revint à Isolde, ce fut la soif : Une soif horrible qui lui tiraillait la gorge. Elle pouvait maintenant bouger les bras et les jambes, qui fourmillaient un peu. Mais malheureusement, la douleur à ses lacérations semblaient revenir. Un rapide coup d’œil sur ses blessures les fit apparaître comme solidement recousues et cautérisées ; Mais si l’infection était écartée, ça ne suffisait pas à faire disparaître la douleur. Elle se réveillait en même temps qu’elle.
Elle était dans la chambre à coucher du Dogue. Peu de meubles. Ses vêtements, il les déposait tous ensemble en vrac sur une chaise. Sur un petit meuble juste à côté d’elle, il y avait une petite chandelle à bougie, et quelques petits éléments notables : Un magnifique couteau dans un fourreau de velours, et une médaille avec un ruban qui était déposée sur un petit matelas pourpre. La médaille montrait une petite fleur-de-lys, ainsi que l’armoirie du Roi Louen Cœur-de-Lion en personne.
Peut-être une ou deux heures ensuite, la porte de la chambre s’entrouvrit. Le Dogue entrait. Il était mouillé, ses cheveux dégoulinants d’eau tirés en arrière, et il entrouvrit la bouche en apercevant Isolde.
« Oh beh ! Bouge pas. J’vais te chercher de l’eau. »
Il avait immédiatement deviné ce dont elle avait besoin ; ça devait pas être sa première fois à s’occuper de blessés. Il revint donc dix minutes plus tard avec un pichet rempli d’eau et un godet, et il servi un verre qu’il servit à la chevaleresse. Il ne lui posa pas la moindre question le temps qu’elle termine de boire. Il se contenta d’agiter la tête et de parler quand elle eut terminé.
« Tu dois avoir sacrément envie de pisser, aussi, t’as passé une journée toute entière à dormir. Le fait pas dans mon lit, j’vais te porter jusqu’aux chiottes. »
Il s’installa sur la chaise plein de fringues, et regarda sa patiente.
« J’suis désolé pour le manque de pudeur, mam’zelle, mais fallait que je te soigne. J’ai réussi à te recoudre de partout, t’es tirée d’affaire ; Mais tu vas passer quelques jours faible comme un chaton avec tout le sang que t’as perdu. Pas grave, tu vas rester ici. J’peux roupiller sur le canapé.
Tu veux que je te laisse tranquille ou t’as besoin de quelque chose ? »