C’est l’explorateur Marc Oppoleaux qui l’a déniché, et étudié. Généralement, on date la découverte de la passe en l’An 2104 du couronnement de Sigmar, ou en 1126 de l’An de l’Unification par Gilles le Breton, ça dépend quel calendrier vous utilisez. Mais ça c’est l’explication facile, la date qu’on apprend aux écoliers pour qu’ils aient une culture plus large que profonde ; ça serait camoufler toute la difficulté qu’il a fallu à Oppoleaux pour arriver à venir ici.
Regardez autour de nous, mes amis ; Des massifs acérés, des routes pierreuses qui cassent les genoux-
– Une pluie qui arrête pas de tomber depuis trois jours… Souffla une voix rauque mais féminine, perchée sur une ânesse qui ne cessait de braire hi-han toutes les cinq minutes.
– On ne sait pas à quoi ressemblait tout cet endroit au temps du Dédale, quand toutes les forteresses naines étaient reliées entre elles par d’ingénieux systèmes de tunnels creusés dans la roche. Mais voilà, il y a quatre siècles, il y a un jeune homme du duché de Quenelles qui est arrivé ici.
– C’est le meilleur passage du récit, railla la voix rauque qui pivotait sur son âne pour regarder le groupe qui suivait derrière.
– C’était un roturier. Mais un roturier issu d’une famille riche ; alors que ses grands-parents étaient des paysans crottés, ils avaient accumulé assez d’argent pour offrir les services d’un instituteur pour leurs enfants, et leurs enfants eux-même parvinrent à envoyer l’un de leurs fils, Marc, dans la ville de Château-Quenelles pour pouvoir apprendre un métier et-
– Attend Fabrizio, coupa à nouveau celle juchée sur l’ânesse. Elle change ton histoire ; Il y a trois mois tu racontais que Marco c’était le bâtard du duc, faudrait-
– Bon sang, Contessa, tu vas me laisser terminer mon histoire, oui ?! cria soudainement le guide du groupe, pourtant normalement d’un naturel suave et posé. Moi je t’interromps pas quand tu ennuies tout le monde à raconter tes anecdotes inintéressantes sur comment t’étais mousse à Sartosa ! Neuf fois sur dix tu finis juste par raconter comment tu t’es tassée au rhum avant de frapper des gens !
– Hahaha, j’avoue, c’est tout moi.
– Donc, je reprends ! répéta le guide, avant de s’éclaircir la voix par un ahem bien audible, et de reprendre le cours de son racontar probablement fictif en grande partie d’une petite voix de prestidigitateur. Marc Oppoleaux était un jeune homme talentueux, travailleur, et volontaire – il s’adonnait à cette science artistique si compliquée qu’est la cartographie. Un véritable petit génie, qui manipulait avec adresse le compas et le crayon, que la cour ducale engagea pour parcourir l’entièreté du duché de Quenelles – et il était grand, le duché de Quenelles, le plus grand des duchés Bretonniens. Le jeune érudit se fit donc aussi aventurier, et il devint un fier trappeur, capable de marcher et dormir dans des massifs montagneux comme des forêts vierges. Il se passionnait pour toute la faune et la flore qu’il rencontrait. Il n’aimait pas beaucoup les hommes, alors il avait préféré se consacrer à la nature-
– Ah ! Voilà pourquoi ça allait mieux dans ton récit de dire que c’était un bâtard : ça donnait l’explication de pourquoi il passait ses journées à chier derrière un arbre. Là on sait pas trop pourquoi.
– Mais un jour, repris le guide sans même noter l’interruption de Contessa, alors qu’il était dans une auberge de la rivière Brienne, perché sur son journal sur lequel il grattait des observations et croquait la topographie de la seigneurie où il reposait, il découvrit la plus belle femme qui lui fut jamais donné de voir. Une figure élancée, grande – plus grande que lui – et fine, une personne pleine d’audace et de verve, ce qui tranchait pas mal avec les femmes Bretoniennes.
– J’avoue, qu’est-ce qu’elles sont connes les femmes Bretoniennes.
– Tout chez elle, que ce soit son corps ou son âme, la séparait des filles qu’il fréquentait jusque-là. La courtiser n’était pas un jeu, c’était un exercice, où chacune de ses avances était rejetée avec une taquinerie méchante par la femme. Mais le détail le plus important à remarquer, c’était la taille de ses oreilles. Elle était une Fée, une habitante de la forêt interdite d’Athel Loren…
Lorsqu’elle le quitta, il n’avait de pensées que pour elle. Ses voyages à travers Quenelles ne le passionnaient plus autant qu’avant. Et alors que d’autres ducs proposaient de l’argent pour qu’il vienne cartographier leurs propres domaines, il n’avait plus la flamme qui l’avait habité par le passé. Alors, il fit quelque chose d’invraisemblable : Il décida d’entrer dans Athel Loren.
– Qui ici a déjà couché avec une elfe ?
– Marc Oppoleaux n’était pas un aventurier guidé par l’avidité et l’opportunité, continua le guide bien décidé à ne pas supporter les interruptions de sa comparse qui avait déjà dû entendre l’histoire des dizaines de fois, à chaque fois qu’ils passaient les Voûtes avec un nouveau groupe de voyageurs, des petits détails modifiés à chaque fois selon la manière dont le guide appréciait le récit. Il n’entrait pas dans Athel Loren avec le désir insatiable de chercher du bois à couper et des clairières à aménager. Il entrait avec un pieux respect, sans armes, juste son nécessaire de survie et son journal dans lequel il croquait. C’est ainsi que, très étonnés par ce jeune homme bien sensible et respectueux par rapport au reste de sa race-
– Eh, il parle de nous là !
– -ils décidèrent de le garder auprès d’eux. Il passa plus de douze ans dans la forêt, émerveillé par la vie et la magie de ces lieux. Il apprit les coutumes et les manières des Fées, les différences entre leurs tribus, il se mit à s’habiller et à parler comme eux, et hormis ses oreilles, il devint lentement indissociable de ceux qui s’appellent… Asrai. »
Le guide eut un fin sourire après avoir dit ce dernier mot. Il savait bien maîtriser son récit pour laisser des pauses et faire durer le suspense. Il faut dire, son audience crédule était faite de gens qui en majorité n’avaient jamais vu un elfe de leur vie. Même en Bretonnie, de l’autre côté des montagnes qu’ils étaient en train de traverser, la plupart des habitants n’avaient d’eux qu’une image fantasmée, teintée d’éblouissement et de frayeur, et c’était encore plus vrai pour ceux qui vivaient non pas dans les grandes villes à l’architecture grandiose que les humains avaient colonisé, mais qui depuis des siècles hantaient le bois interdit d’Athel Loren. Le mot même Asrai était inconnu pour la plupart d’entre eux.
« Il pouvait à présent aller-et-venir dans la forêt. Et c’est ainsi qu’il décida de la traverser, pour déboucher de l’autre côté. Il découvrit alors avec une grande épouvante les Voûtes…
Ici est une région où règne le chaos. Même les Nains, qui pourtant ont fait de la montagne leur environnement familier, ont des ennuis à garder ces sommets. Mais c’était pire encore au temps d’Oppoleaux. Habillé comme un Asrai, il s’est mit en quête de trouver un passage qui franchirait les collines et les crêtes.
– Aussi dans ta version où c’est un bâtard, tu donnes l’explication de pourquoi ce crétin il est pas resté à Athel Loren à baiser des elfettes : C’est parce que papounet il était dans les Frontalières à casser de l’Orque.
– Il traversa des grottes et grimpa sur des flancs de falaise, se nourrissant uniquement de baies et de fruits séchés durant son périple. Frigorifié, seul face à la nature, il dût échapper aux gobelins qui pullulaient, les harpies qui volaient avec prédation dans le ciel, les trolls qui dormaient dans les profondeurs des caves où il se réfugiait la nuit pour échapper aux tempêtes…
Un jour, il fut attaqué par un cruel orque noir. Une bête gigantesque et épouvantable, alors qu’il n’était qu’un jeune homme affamé et désarmé ! Avec une massue haute comme moi-
– C’est à dire, pas beaucoup.
– -la peau-verte frappa de grands coups qui sifflaient dans le ciel. Il dût bondir, hop ! En arrière ! Zou, de côté ! Esquivant chacun des assauts de son adversaire !
Et soudain, la bête hurla de douleur, et s’écrasa à terre, raide mort. Perché sur la colline se tenait un nain, portant une magnifique armure ouvragée d’acier et d’or. Un brave guerrier, avec une barbe si longue qu’elle touchait le sol, blanche et épaisse, mais soyeuse et entretenue. Le Nain fit tonner sa voix avec un écho qui pulsait dans les falaises.
Halte-là, elgi ! imita le guide avec ce qu’il imaginait être une voix de Nain, c’est à dire grave et gutturale. Tu entres dans les Voûtes, c’est un endroit dangereux et inhospitalier ! Comment un être chétif et peureux comme toi peut prétendre survivre ici !
Marc Oppoleaux leva ses mains en l’air, et il implora d’une petite voix : brave Nain, grand seigneur, imita cette fois le guide en se pinçant le nez et en prenant l’accent nasillard et snob qu’on prête aux Bretonniens. Je ne suis point un guerrier, je suis un savant. Je viens ici car je sais que vos grands et honorables ancêtres avaient fait de ce pays une arrière-cour, et qu’ils voyageaient sans peine tant leur astuce et leur valeur était inégalable !
Le seigneur Nain ronchonna, en observant celui à qui il avait sauvé la vie en utilisant une magnifique arbalète. Tes mots me plaisent. Mais ! Tu es bien étrange ! Je n’ai jamais vu personne qui te ressemble ! Es-tu elgi, ou umgi ?
Le Bretonnien sourit : Je suis un umgi, qui a appris à connaître les elgi. Je suis ici car je souhaite découvrir le monde et tous ses ouvrages. Je dessinais des cartes et des plans pour un Rik de Bretonnie, et un beau jour, en voyant tout son domaine que j’avais parcouru et soigneusement dessiné, il me dit : Je te maudis, Marc Oppoleaux, car maintenant que je découvre comment mon domaine était en fait plus petit et plus étroit que je ne l’imaginais, tu m’as volé plus de terres que tous mes ennemis réunis !
Le grand Nain rigola gaiement à la plaisanterie, mais il restait malgré tout méfiant envers ce homme-elfe. Alors il demanda : Tu es un elgi, tu es un umgi, vas-tu chercher à devenir un dawi à présent ?
Et Marc plissa ses lèvres, pour faire apparaître un léger sourire. Je ne prétendrai jamais à cela, honorable Nain. Nous Bretonniens préférons la moustache à la barbe.
C’est comme ça que les Nains lui ont montré le secret du chemin de Montdidier, la seule route praticable pour qu’un convoi de chevaux et de chariots parvienne à traverser les montagnes noires depuis Quenelles jusqu’au Wissenland. Et ce Marc Oppoleaux, ce petit érudit courageux même sans armes, était devenu ami des Bretonniens, des Asrai et des Nains. C’est grâce à lui que nous pouvons ainsi traverser les domaines de ces races pourtant si différentes, d'ordinaire si enfermées dans leur inimité naturelle...
C’est quoi pour vous la morale de ce récit ? »
Tout le monde réfléchit. Sauf Contessa.
« Les Elfes elles sont bonnes. »
Parodie de seigneurs et de baronnets, peuplade superstitieuse et affamée, dangers de brigands ou de monstres à chaque tournant… Il fallait n’avoir jamais connu autre chose que la vie dans ces provinces pour oser prétendre qu’il s’agissait de la normalité. Même les plus crottés et les plus martyrisés des paysans Bretonniens y vivaient des vies plus douces et avaient des ventres plus remplis. Franchissant un décor de marais, de forêts hantées, de hameaux encerclés par des palissades en bois, elle se mit en quête d’atteindre le col des Crocs de l’Hiver, afin de commencer le voyage par-delà les Montagnes Noires et atteindre le Royaume fantasmé de la Bretonnie, d’où ses ancêtres étaient venus pour chasser les peaux-vertes et sauver les forts Nains assiégés.
Il aurait été peut-être plus prudent de tenter de descendre vers le sud, jusqu’à la cité de Myrmidens, afin de trouver une nave qui l’aurait fait traverser le Golfe Noir afin d’atteindre l’Estalie ; Mais choisir cette voie aurait demandé de l’argent, qui manquait à la seigneuresse, et aurait demandé de traverser les routes très peu sûres des Principautés, d’autant plus lorsqu’on est une jeune fille seule.
Heureusement pour elle, c’est dans le piémont des Crocs de l’Hiver qu’elle fit la connaissance de Fabrizio di Galeazzo.
Fabrizio dirigeait une caravane marchande. Un entrepreneur indépendant, qui n’avait pas la protection d’une guilde, d’une banque ou d’une corporation. Tout seul, avec son argent et ses bêtes de somme, il n’arrêtait pas de traverser le monde dans un sens puis un autre, en faisant des échanges au jour le jour. Il expliquait qu’il n’avait pas d’autre toit que le ciel au-dessus de sa tête. Il racontait être le fils d’un patricien de la ville Tiléenne de Remas, qui avait été exilé de force par ses frères jaloux de son talent.
Elle accepta malgré tout de le suivre. Non pas qu’il avait fait naître chez elle une avidité par ses mensonges. C’était simplement qu’elle savait que traverser les Voûtes était une épreuve, et qu’il valait mieux être nombreux pour espérer passer de l’autre côté en vie. Fabrizio, ravi d’avoir des portes-glaives de plus pour l’escorter, accepta sa compagnie gratuitement. Il ne semblait pas particulièrement choqué par la présence d’une femme armée à ses côtés. Il faut dire, il en avait déjà une dans son entourage : Contessa.
La caravane était constituée de quelques ânes et mulets, d’un tas de bordel qui était empaqueté sur leur dos. En plus de Contessa, Fabrizio s’était assuré le service de six types à la mauvaise dégaine qui étaient issus du coin. Parce qu’ils étaient un peu grand et qu’ils avaient l’air un peu débrouillards, il leur avait proposé une somme ridicule pour le suivre et le protéger. Ils étaient du cru, et avaient des raisons diverses d’être là : Tout comme Jeanne, beaucoup étaient ici parce que, pour une raison ou une autre, ils avaient été obligés de fuir leurs hameaux consanguins et brutaux. L’appel de l’aventure, une vendetta qui les visait, une dispute familiale… Aucun n’avait l’air particulièrement violents, mais comme Jeanne, ils étaient armés, et il était naturel de se méfier des possesseurs de lames. Fabrizio ne les connaissait pas, mais avec son naturel beau parleur, il avait très vite fait leur connaissance. Les veillées au coin du feu, à chaque arrêt pendant les étapes du voyage, étaient le moment parfait pour passer le temps, en même temps qu’une bouteille qui circulait de bouche en bouche, en parlant de sa vie et des raisons pour lesquelles ils étaient là.
Mais il y avait aussi un groupe très étrange qui s’était joint à l’aventure et qui souhaitait traverser les Voûtes : Des pèlerins de Shallya, menés par le père Milan.
Les premiers jours, la montée du croc de l’Hiver fut difficile, mais pas vraiment éprouvante. Ce fut une autre paire de manche lorsqu’il fallut s’engager sur le Col de Montdidier.
Elle était loin d’être la seule. Au fur et à mesure que les jours passaient, Fabrizio avait beaucoup moins d’histoires drôles et sympathiques à raconter, et les heures de marche se firent de plus en plus silencieuses. Le soir, il fallait trouver un endroit où dormir, souvent une grotte qu’il fallait au préalable fouiller avec des torches et des tromblons pour s’assurer qu’il n’y ait pas un monstre qui se cache à l’intérieur. Les Voûtes étaient bel et bien une épreuve à traverser. Mais si Contessa l’endurait avec hargne, quand bien même ce n’était pas la première fois qu’elle était obligée de subir ce parcours, les pèlerins de Shallya acceptèrent cette épreuve avec humilité. La peine et la douleur montrait leur dévotion envers Shallya.
C’était une de ces journées de marche comme les autres. Fabrizio assurait qu’il ne restait pas encore beaucoup de distance à parcourir parce qu’il disait reconnaître un des sommets qu’ils dépassaient – mais il avait déjà dit ça trois ou quatre fois au cours de la semaine. Droit devant, les pèlerins de Shallya marchaient, avec un des caravaniers, Lukas, qui devait s’assurer que la voie soit bien ouverte à l’aide d’un gros tromblon. Jeanne était derrière eux, à bonne distance, sur son magnifique cheval qu’elle avait du mal à garder nourrit et en bonne santé : il y avait jusque là des herbes et des prés où il pouvait se repaître, mais à présent, ils traversaient un sentier bien moins herbu. Derrière se trouvait le reste du groupe, qui poussait de toutes leurs forces les mulets et les ânes têtus le long du col.
Rien n’allait se passer comme prévu. Mais nous n’écririons pas ces mots si la traversée s’était effectuée sans aucun ennui.
Alors qu’ils contournaient une falaise, Jeanne entendit un sifflement dans l’air. Elle se retourna et vit une flèche qui avait atterrit derrière elle, qui avait rebondit sur un morceau de pierre sédimentée puis s’était cassé. Elle leva la tête, les yeux écarquillés, et aperçut des gobelins équipés d’arcs sommaires qui se mirent à bander les cordes de leurs armes pour commencer à déverser une grêle d’acier.
« Gaffe ! Là-haut ! » hurla de toutes ses forces Contessa en sortant l’un de ses pistolets. Elle visa, et tira, et alors une détonation terrifiante résonna dans un écho à travers la totalité de la montagne.
Le cheval de Jeanne reçut deux flèches. Il hennit de douleur et de peur, vola en l’air, et projeta sa cavalière au sol.
Elle resta à terre, sonnée, le monde autour d’elle devenant flou et ses oreilles bourdonnant d’acouphènes. Elle n’aperçut que tardivement l’ombre d’un homme qui sprintait vers elle de toutes ses forces en hurlant.
« HEY ! JEANNE ! DEBOUT, ALLEZ ! »
Fabrizio avait sorti un pistolet. Il ouvrit le feu dans la direction des gobelins de sa main gauche, saisit le col de Jeanne de sa droite, et força la chevaleresse en la tirant violemment. Il fonçait avec elle dans l’autre sens, et l’amena jusqu’à un chariot tracté par un âne.
L’un des gardes de la caravane, Woldred, eut l’intelligence de détacher la bête de somme et de lui claquer le croupion afin de le forcer à s’échapper : ça allait être chiant de rattraper et retrouver l’âne, mais c’était mieux que de le laisser exposé, les gobelins l’auraient forcément troué de flèches. Fabrizio jeta Jeanne à couvert derrière le chariot, et se tassa derrière lui aussi, tandis qu’une pluie d’acier tomba et se ficha dans le solide bois derrière lequel ils trouvaient refuge.
« Oh ! Oh bordel ! Oh ! Oh j’suis trop vieux pour ça ! Oh merde ! »
Fabrizio se tenait fermement la poitrine et haletait. Woldred, qui rechargeait difficilement une arquebuse, le foudroya du regard. À ses côtés se tenait le père Milan, qui se couvrait la tête, ainsi que le jeune Erhl, qui ne devait même pas avoir quinze ans, qui était en train de préparer une arbalète. Bien que Woldred avait de bons réflexes, il paniquait et se mettait à crier sur le guide de la caravane :
« Bordel, mais quelle puterelle tu es ! postillonna Woldred. C’était quoi cette idée que t’as eu de nous écarter du chemin ?! Tout ça pour gratter quelques pièces, gros radin !
– Ta gueule, Woldred ! railla le bonimenteur. Tu sais pas qui sont les Bretonniens, leurs collecteurs de taxes sont plus dangereux que les gobelins !
Vous êtes tous en vie, non ?! J’ai même récupéré Jeanne, ça pourrait être pire !
– Sors-nous de là, vieux renard !
– Oui, deux minutes, je réfléchis, je réfléchis ! »
Il rechargea son pistolet. Puis, le Tiléen eut une illumination. Il se pencha un peu, et siffla de toutes ses forces à l’attention de l’autre chariot où le reste du groupe se tenait à couvert.
« Hey ! Contessa ! T’es encore en vie ?!
– Malheureusement pour toi ! répondit l’écho rauque de l’ancienne pirate, avant qu’elle ne se lève et tire avec son arquebuse dans un fracas sonore.
– Prend le groupe avec toi et retourne en arrière ! J’ai besoin que tu contournes le sentier de tout à l’heure ! Prends les gobelins à revers, on va rester là et les fixer avec notre tir !
– Bien ! Vous arrêtez pas de donner tout ce que vous avez, surtout ! »
Elle aboya ensuite des ordres et des insultes à l’attention des gars qui l’accompagnaient, et tout ce beau monde recula en arrière. Fabrizio se retourna et montra alors un second pistolet à Jeanne et au père Milan.
« Bon, l’un d’entre vous veut bien prendre ce truc et nous aider à les massacrer un peu ?
– J’ai fais le serment de ne pas posséder une arme, maître Fabrizio, se défendit Milan avec un ton calme malgré le déluge de fer provoqué par les gobelins.
– Woah, ça vous dit de sortir de là avec un drapeau blanc pour aller leur expliquer ?
Et toi Jeanne, tu sais tirer avec un pistolet, au moins ? »
Pour un chevalier Bretonnien, utiliser une arme à distance était un déshonneur suprême. Mais les Principautés Frontalières n’étaient pas la Bretonnie, et les parodies de chevaliers qui y vivaient avaient une vision de l’honneur qui pouvait être très variable…
Qu’importe que Jeanne accepte ou refuse de brandir un pistolet à poudre. On entendit un hurlement de terreur, mais qui vint de devant. Les caravaniers levèrent leurs museaux et se rendirent compte d’où ça venait, même si le petit Ernst ne put s’empêcher de dire ce que tout le monde pensait à voix haute.
« C’est les pèlerins de Shallya, ils sont attaqués !
– Lukas est avec eux, ils sont en sécurité, rassura Fabrizio. »
On entendit une détonation d’arme à poudre. Puis à nouveau un autre hurlement qui devait venir d’une des gamines de la lépreuse. Fabrizio soupira.
Le père Milan, qui était calme, se mit en revanche à se relever. Il était en train de manipuler Jeanne pour voir si elle était blessée par sa chute de cheval, mais à présent, il avait arrêté de l’observer pour jeter un regard noir vers l’avant. Les pèlerins s’étaient apparemment cachés derrière un gros rocher, mais des gobelins avec des lances descendaient pour les encercler et tenter de les massacrer.
« Il faut que nous allions les aider !
– Nous ?! Vous voulez dire, vous, hein ? Parce que c’est pas avec votre bonne volonté et sans épée que vous allez aider qui que ce soit !
– Ils sont désarmés, ils vont se faire tuer !
– Oui bah si on courre jusqu’à eux on va se faire tuer aussi ! J’ai déjà donné tout ce que j’avais à sortir la gamine de là, je vais pas y retourner pour aider une lépreuse et ses marmots ! »
Woldred et Ernst restèrent tout aussi passifs, même s’ils étaient plus lâches. Contrairement à Fabrizio qui disait très clairement qu’il allait laisser des gens désarmés mourir, eux décidèrent simplement de tourner la tête pour ne pas avoir à soutenir son regard.
Alors, le père Milan se retourna vers Jeanne. Il lia ses mains et l’implora.
« Pitié ! Ils ne parviendront pas à survivre ! Je vous en supplie, essayez de les sauver ! Si vous sprintez assez vite pour aller sous le sommet les archers ne pourront plus vous atteindre !
– Ah parce que vous êtes spécialiste de tactiques, maintenant ? demanda Fabrizio en se levant pour faire feu avec son pistolet rechargé, et répondre à la pluie de flèches.
– Je vous en supplie, Jeanne ! »