Le lendemain, dès l'aube, le carrosse et son « escorte » se remirent en route mais ce ne fut qu'en milieu d'après-midi qu'ils arrivèrent en vue du château.
Avant même de passer l’entrée de la bâtisse, le jeune homme remarqua un vieillard voûté, petit et très dégarni qui le regardait d’un sale œil. Il affichait une vilaine balafre en forme de griffe sur toute la longueur du visage et portait des vêtements grossiers et rapiécés. Gamelin, sans pour autant daigner s’arrêter pour le saluer, le présenta à Balduin comme étant le jardinier du château et garde-forestier du domaine.
Suite à cette « rencontre », ce fut l'arrivée du convoi dans la cour : la baronne suivie de ses deux filles, un jeune homme et des servantes vinrent « accueillir » les nouveaux-venus.
La veille au soir, il avait été décidé que Balduin de Sigoyer serait présenté comme l'escorte de l'intendant et dissimulerait sa véritable identité, ce que Gamelin s'empressa de rappeler discrètement avant que la baronne, une vieille femme dont les traits dénotaient une constante sévérité même si elle avait dû être très belle dans sa jeunesse, ne s'approchât pour l'interpeller vertement :
- Et bien Gamelin, qui est ce « jeune homme » que vous ramenez chez moi ? commença-t-elle sèchement en cherchant à toiser le chevalier. Vous savez que je n'aime guère les étrangers pourtant. Et maintenant que mon pauvre époux n'est plus, j'entends que cela soit ainsi sans discussion. | |
- Baronne, il ne s'agit que d'un jeune homme, fort courageux et compétent au demeurant, que j'ai pris pour escorte pour arriver ici au plus vite et sans embûche, répondit l'intendant dans une révérence appuyée. | |
- Vous n'avez pas trouvé mieux que ce… | |
Elle ne put terminer sa phrase, interrompue par une jeune femme à l'allure ostentatoire. - Je le trouve tout à fait charmant, pour ma part,commença-t-elle avec un sourire enjôleur. Et on ne peut pas dire que nous soyons en sécurité au point de refuser une fine lame de plus, il me semble. Elle parlait avec un léger accent d'une de ces contrées du sud et Balduin n'aurait pas su dire avec exactitude de laquelle elle était originaire si l'intendant ne l'avait aiguillé par le titre qu'il lui donna dans sa langue natale. | |
- J'allais justement y venir, Signora Magdalena, reprit Gamelin en exécutant une autre révérence.Je dois dire que je comptais sur l'aide de ce garçon pour assurer votre protection à toutes et, bien sûr, chasser ce loup-garou. | |
- Allons bon, intervint un jeune homme grand, blond et bien bâti, âgé d'une trentaine d'années tout au plus, dois-je me sentir offenser que vous puissiez me croire à ce point piètre chevalier que je sois incapable de défendre le château ? | |
- Certes non, sire Agualbert, loin de moi cette idée. Au contraire, je pensais... | |
- Bah, laissez tomber les excuses, vieux grigou ! Je plaisantais, bien entendu. Et je dois dire que je commençais à me sentir un peu seul au milieu de toutes ces dames, conclut l'homme, au grand soulagement de l'intendant qui commençait à perdre pieds, assailli de la sorte à peine descendu du carrosse. | |
- Si vous le permettez, baronne, j'aimerai qu'il puisse résider au château afin d'assurer au mieux sa mission. | |
- Ah, ça non ! Il ne saurait en être question, protesta cette dernière. | |
- Mais vous n'allez tout de même pas le laisser à la porte ? coupa à nouveau Magdalena. | |
- Vous, mêlez-vous de ce qui vous regarde, voulez-vous ?! | |
- Ca peut me regarder, « baronne » car, si jamais vous le laissez dehors, je l'accueillerai dans ma chambre et... | |
- Evidemment, maintenant que « mon » Roland est mort, il vous faut une autre épaule sur laquelle « pleurer ». Espèce de… de… | |
- Voyons, mes Dames, cessez donc de vous donner ainsi en spectacle, pour l'amour des dieux… supplia Agualbert qui vint s'interposer entre les deux femmes qui s'étaient rapprochées, l'une furieuse et l'autre provocatrice. | |
- Vous avez raison, mon bon ami, se ressaisit la baronne. Et bien, Gamelin, votre « escorte » peut rester ; je ne voudrais pas qu'il tombe entre les griffes de cette succube tiléenne. Toutefois, je ne tolérerai aucune incartade : il devra être irréprochable tant dans ses paroles que dans ses actes ; vous en serez le garant. Quant à vous « Signora » vous apprendrez bientôt que vous n'êtes plus rien ni personne, ici... |
L'intendant poussa un soupir de délivrance avant de se tourner vers son jeune compagnon :
- Vous venez de faire « connaissance » avec la plupart des occupants du château, mon jeune ami. Vous aurez évidemment reconnu la baronne, Marie-Louise de Blessay, accompagnée de ses deux filles Mathilde, l'aînée, et Constance, la plus jeune. Il y avait également Agualbert de l'Anayrac, arrivé ici il y a quelques mois et accueilli en frère d'armes par le baron ; il a, lui aussi, participé à la bataille de Hurlemer. Depuis, il courtise Mathilde avec la bénédiction de tous. Enfin, la beauté tiléenne, Magdalena di Castelponzone, vit ici depuis cinq ans sous la protection du baron qui la ramena avec lui d'une campagne du côté de Ravola. J'ai bien peur que ce ne soit un secret pour personne qu'elle était la maîtresse de mon bon seigneur. Le reste des personnes venues nous accueillir forme le personnel de compagnie et de chambre des Dames de ce château ; vous serez sûrement amené à faire leur connaissance lors de votre petite enquête. Je vais faire monter vos bagages dans votre chambre, vous avez quelques heures devant vous avant le repas du soir. Si vous avez besoin de quoi que ce soit venez me voir, je serai sûrement dans ma chambre ou à superviser les domestiques aux cuisines. Puis, il se rapprocha de son interlocuteur et murmura : Evidemment, dès que vous apprenez quelque chose, hâtez-vous de venir me trouver. |