Rahim Benalloud avait impressionné jusqu’ici. Sa force physique hors du commun n’était un secret pour personne : l’homme était une armoire à glace de près de deux mètres de haut et ses bras étaient plus épais que les jambes de la plupart des paysans bretonniens qu’il fut donné à notre héros de croiser. Psychologiquement, il ne semblait craindre rien ni personne. Sûr de sa force, et soutenu matériellement par toute l’équipe du calife de Copher pour lequel il concourrait, l’arabéen semblait invulnérable. Qui plus était, en dépit de sa grande force, l’homme n’était pas à caricaturer parmi « les bourrins ». Bien sûr, ce n’était pas une lumière, mais il était loin d’être bête et avait une grande expérience des combats. Comme Raël, il serait conseillé par les meilleurs avant le combat. Côté vivacité, Benalloud n’était pas à sous-estimer. Très bien proportionné, sa grande carrure n’était pas un handicap à sa vitesse, et même si elle nuisait forcément un peu à son explosivité, elle lui donnait l’avantage non négligeable de l’allonge pour contrebalancer.
Le maître d’armes chargé de conseiller Khem avait eu des choses à dire sur Benalloud. Il put indiquer, tout d’abord, que si l’homme semblait habile avec toutes les armes, il n’en restait pas moins que Rahim utilisait préférentiellement des armes traditionnelles issues de son pays. Il n’utilisait pas d’épée longue à lame droite de type bretonnien, par exemple, mais leur préférait les cimeterres avec lequel il était redoutable. Aux lances d’arçon et aux armures lourdes complètes, il préférait une lance de cavalier léger du désert et une armure qui n’entravait pas ses mouvements.
Sa monture usuelle, d’ailleurs, était très différente d’Asaph. Là où la jument de Raël Khem était un magnifique destrier à la robe noire, respirant la puissance et impressionnante par sa taille, l’étalon favori de Rahim, nommé Safel, montrait des qualités diamétralement opposées. Petit et rapide, le pur sang arabe était une bête non moins magnifique et tout aussi intelligente qu’Asaph. Plus rapide, plus agile, plus leste que sa concurrente bretonnienne, il compensait ainsi son déficit de force et de taille.
Les deux cultures étaient très différentes vis-à-vis de la cavalerie. En Arabie et dans le désert, le concept de cavalerie lourde caparaçonné en armure complète était étranger… Et pour cause ! Mis à part lors des croisades qui remontaient à des siècles, on n’avait rarement vu des gens assez fous pour se promener sous un soleil de plomb dans ce qui ressemblait à une casserole ou plutôt même un four ambulant ! Un pur sang comme celui de Rahim aurait été gêné par un caparaçon et le poids excessif d’une armure complète de fer. Non, comme dans le désert, il était capable de manœuvrer, de fondre sur sa proie tel le faucon du désert, puis de repartir, intouchable, en misant sur sa vitesse et son accélération.
Point potentiellement intéressant, il semblait que si Rahim n’avait que faire de ses suivants et serviteurs, il tenait en revanche beaucoup à Safel, la bête qui appartenait probablement au calife, mais qui avait été mise à sa disposition pour le tournoi.
L’arabéen était ambidextre. Il était rompu à tous les types de combat : à pied, à cheval, à une arme à deux mains, à deux armes à une main, avec un bouclier,… Chose notable, si Rahim était capable de faire preuve d’adaptation dans une certaine mesure, il restait toujours dans son style. Sûr de sa force à la limite de l’arrogance –la marque des grands champions à en croire le maître d’armes-, il préférait miser sur ses qualités, ses points forts, plutôt que sur les faiblesses de son adversaire. Ce qui n’était pas forcément une bonne nouvelle pour Raël Khem, puisque qu’avec ses armes favorites, et notamment les cimeterres, il était encore meilleur, frappant tel le scorpion, virevoltant comme l’hirondelle.
En conclusion, d’après le maître d’armes, il était probable que Rahim Benalloud s’adapte modérément à Raël Khem. Il serait probablement équipé de manière assez légère au niveau de ses protections et de son cheval, et ne tenterait sans doute pas une joute frontale. Quel choix allait-il faire au niveau de ses armes ? Le maître d’armes n’aurait pu le dire, mais à risquer un pronostic, il prédit quelque chose comme une lance légère et un petit bouclier rond à cheval pour le harceler à la manière traditionnelle des cavaliers légers, ou bien à l’inverse une masse à deux mains pour essayer de projeter Raël au sol d’un seul coup s’il s’approchait trop. A pied, il ne voyait pas l’arabéen rester sur une masse. Ce type d’équipement lourd n’avait en effet pas beaucoup d’intérêt contre les protections moyennes en mailles qu’affectionnait Raël. En revanche, miser sur un grand sabre à deux mains, un duo de cimeterres à une main ou une seule lame à une main et une rondache lui paraissait plus probable, étant donné que c’était avec ce type d’armes qu’il était le plus fort.
Du côté de Raël, il y avait également un point positif que le scythien avait pu noter le lendemain du combat contre Bamorel après sa nuit de sommeil : lorsque le Chacal s’était retiré de lui, il lui avait semblé dans un premier temps que ce dernier ne lui avait rien laissé. Mais c’était sans doute parce que le départ d’une présence aussi importante avait masqué les résidus de pouvoir qui s’étaient accrochés à lui. Ce n’était pas grand-chose par rapport à la puissance de l’avatar d’un dieu, certes, mais c’était déjà quelque chose !
Ce qui était sûr, c’était qu’à cet instant, Raël Khem était plus puissant que jamais, probablement proche de son zénith.