Il ne lui fallut donc qu’une poignée de secondes pour arriver à la porte du moulin. Là, le guerrier put constater qu’il ne s’était pas trompé dans son estimation. Le bruit de l’eau et de la grande roue à aube produisait un vacarme assourdissant, suffisant, à priori, pour couvrir des éventuels bruits de lutte.
Khem frappa donc à la porte. Malheureusement, personne ne lui répondit. S’impatientant, le scythien réitéra son action, plus fort cette fois-ci. Il n’eut toujours pas de réponse.
Enervé de trouver porte close et de n’obtenir aucune réaction à ses coups de poing sur le panneau de hêtre, notre héros décida de mettre à bas l’obstacle. Prenant un peu d’élan, le costaud maître d’armes ne fit qu’une bouchée du malheureux panneau de bois. La serrure céda dans un bruit de métal froissé et le bois qui la maintenait vola en éclats, formant milles échardes qui volèrent dans un rayon d’un mètre aux alentours de la pièce, projetées vers l’intérieur du bâtiment par le violent choc.Test de FOR : 2. La porte cède du premier coup !
Test d’INT : 8. Réussite.
L’huis tenait encore sur ses gonds, mais il était un peu désaxé et toute la partie autour de la poignée et de la serrure avait été tout bonnement arrachée. Derrière la porte vaincue, la pièce se révéla vide. Le rez-de-chaussée du moulin semblait vide et tout à fait normal. Raël remarqua tout de suite qu’à l’intérieur du bâtiment, le bruit de l’eau et de la roue à aubes étaient bien moindres qu’à l’extérieur, même s’ils formaient quand même un bruit de fond assez sonore.
Dans le fond à gauche, une large meule maintenue par un mécanisme complexe de bois était levée au dessus d’un socle de pierre fixe, légèrement en décalé. Il semblait possible de basculer de droite à gauche, de la descendre ou de la monter en actionnant un simple levier afin de pouvoir à volonté disposer le grain, le moudre puis le récolter. Du mur gauche, celui qui séparait la bâtisse de la rivière, une sorte d’enchaînement d’engrenages qui sortait du mur tournait en produisant des grincements aussi répétitifs qu’énervants. Il n’était pas relié au mécanisme de la meule, mais semblait pouvoir s’y emboîter, de manière à la faire tourner ou à la laisser immobile en fonction des besoins.
L’ensemble était imposant et relativement ingénieux. Les seules choses de comparable que Raël ait vues à Nehekhara, à une échelle plus imposante encore, consistaient en les engins de chantier des nécrotectes, servant notamment à lever des grosses pierres qui normalement auraient été impossibles à soulever en une seule fois, même pour des centaines d’hommes ou des dizaines d’Ushabti. Il semblait, par un étrange miracle, que toutes ces poulies, ces engrenages, ces mécanismes, permettaient de réaliser facilement des choses qui auraient autrement été hors de la portée de la force brute du plus puissant des hommes.
A part la meule et son socle, le reste de la pièce unique, assez imposante, était séparé en deux. Du côté gauche et au fond, près d’une grande porte à double battant qui donnait certainement sur la grange mitoyenne, étaient entreposés un grand nombre de sacs de farine ou de grain à moudre. L’endroit était sinon dégagé et propice au travail. A l’avant et sur la droite, en revanche, la pièce était aménagée différemment. Des tables et des chaises, ainsi qu’un petit comptoir en bois abritant un bar et derrière lequel se trouvait une sorte de petite cuisine, faisaient office de salon de repos et de lieu de convivialité. Les meuniers devaient certainement y faire leurs pauses.
En face de la porte, au fond et au centre de la pièce, une étroite volée d’escaliers flanquée de deux petits murs intérieurs coupait en deux l’espace, séparant le coin bar, cuisine et repos de l’espace de travail. Elle montait vers l’étage.
L’ensemble était bien éclairé par plusieurs torches accrochées sur des torchères intégrées aux murs. Un détail qui aurait pu lui échapper attira alors l’attention de notre champion : sur une table, il y avait bien un pichet vide que l’on avait laissé là. Des traces de boisson avaient dégouliné de ses bords et formaient maintenant une petite couronne liquide à sa base, qui n’avait pas encore séchée, signe que l’homme qui avait consommé n’était pas méticuleux et surtout, qu’il ne s’était pas absenté depuis longtemps. De plus, il n’y avait aucune trace du plateau et du cruchon supplémentaire mentionnés par Delphine.
Soudain, Raël perçut de l’agitation provenant du haut des escaliers. S’il paraissait réaliste que quelqu’un qui se serait trouvé à l’étage n’ait pas ouï ses coups à la porte, son entrée fracassante, elle, avait sûrement été entendue. En tous les cas, il y avait, pour autant qu’il puisse juger, du remue-ménage au premier : des bruits de pas précipités, le son caractéristique d’une céramique se brisant par terre. Et malgré le brouhaha ambiant du mécanisme, de l’eau et de la roue, Khem crut reconnaître pendant quelques instants une voix féminine familière en train de lancer des bordées d’insultes bien senties ainsi que des appels à l’aide, avant qu’elle ne se taise brusquement après un sourd bruit de choc.