Sur le champ des affrontements, l’organisation était débordée. Il fallait empêcher l’envahissement du terrain, et gérer la mise en place d’une petite estrade et d’un podium pour les vainqueurs, le tout en s’assurant que les récompenses soient acheminées sous bonne garde et à temps. Puis ce serait la cérémonie de remise des prix, présidée par l’intendant Godemar Fitzgodric en personne, qui était aussi chef de la Confrérie du Phare.
Cauchemardesques à gérer pour les organisateurs, ces difficultés n’impactaient en rien les participants qui s’y étaient distingués. Et c’est sur un petit nuage que Raël Khem fut conduit, d’abord dans les coulisses situées sous les tribunes pour se refaire une beauté. Après quoi il y eut un certain temps d’attente durant lequel il y eut une valse de personnalités autorisées qui vinrent lui adresser leurs félicitations, personnalités dont il ne connaissait pas la plupart autrement que de vue. Heureusement, cela ne dura guère.
Dehors, on avait installé le podium, et dégagé un espace. Les gens étaient en place, et Godemar était en train d’asséner un discours de clôture assommant au public pour le faire patienter. Des membres de la Confrérie du Phare couraient un peu partout, portant des messages. Lorsque Raël fut conduit par un serviteur à la sortie, espérant enfin pouvoir voir l’arme tant convoitée, un autre membre de la Confrérie leur fit signe de ne pas y aller. Il attendait un feu vert pour les autoriser à rentrer sur le terrain. Apparemment, il y avait une présentation des divers concurrents bien classés, et le grand vainqueur n’entrerait qu’en dernier. Le meilleur pour la fin, comme ils disaient.
Enfin, le moment arriva. Sous les acclamations de la foule, le scythien entra. Arenthil Celian, Rahim Benalloud, Alban de Rochebrume, tous avaient déjà reçu leurs récompenses et leur part des honneurs. Mais, tout aussi appétissants qu’ils fussent, ce n’étaient que des apéritifs avant le plat de résistance.
Nul autre que Raël Khem lui-même n’aurait pu décrire ce qu’il ressentait en pénétrant pour la dernière fois dans l’arène éphémère sous un soleil radieux de fin d’après-midi. Les spectateurs, présents par milliers, scandant son nom, Godemar Fitzgodric, debout devant le podium le désignant de ses mains. Les trompettes jouant l’hymne qu’il avait lui-même choisi quelques jours auparavant, pour une autre épreuve. Les autres concurrents, l’applaudissant eux aussi, avec plus ou moins d’enthousiasme.
Il y eut un petit discours de Godemar pour le féliciter, doublement en tant qu’organisateur pour sa victoire, et en tant que chef de la Confrérie du Phare, pour avoir accepté de concourir pour eux. Le nom de Jeannot fut cité, comme le dénicheur de « cette perle rare, cet inconnu venant des déserts brûlants du Sud, qui a été repéré dans le feu d’une bataille où il a fait preuve d’une bravoure exceptionnelle et de qualités non moindres en tuant maints peaux-vertes, dont des chefs, ainsi que des trolls, et a été révélé au grand public, en exclusivité dans le tournoi de l’Anguille ». Les chaleureuses félicitations de rigueur dispensées, l’on passa à la récompense.
Et quelle récompense ! Il fallait plusieurs personnes pour la transporter, et encore plus pour l’escorter. Il y eut d’abord un coffre qui lui fut présenté, apporté par deux jeunes pages habillés aux couleurs de la Confrérie du Phare. Il s’agissait d’une petite cassette parallélépipédique rectangulaire, d’une cinquantaine de centimètres de longueur sur une trentaine de côté et d’une hauteur d’une bonne vingtaine. Elle était de solide bois de chêne cerclée d’acier trempé, et munie d’une serrure renforcée. Ouvert, le coffre laissait apparaître son contenu qui fut théâtralement annoncé par Godemar : cent écus d’or ! Rien que ça !
Il y avait l’argent, bien sûr, mais c’était loin d’être la seule récompense, ni même la plus belle. Une autre récompense, honorifique, celle-ci, accordait à Raël Khem une citoyenneté d’honneur de la ville de l’Anguille, ainsi qu’un rang de membre honoraire de la Confrérie du Phare, pour service rendu. Cela pouvait paraître anodin, mais ces récompenses avaient leur utilité. Le statut de membre honoraire de la Confrérie du Phare, par exemple, donnait droit à utiliser gratuitement les moyens de transports de la compagnie, ainsi qu’à l’hébergement et au couvert gratuit dans ses bases, et, cerise sur le gâteau, une réduction de dix pour cent au moins sur tous les produits vendus par la Confrérie. Quant à celui de citoyen d’honneur de l’Anguille, c’était une nouveauté dont les prérogatives étaient peu définies, mais qui avait pour but de forger une identité spécifique à la ville, distincte de la Bretonnie. Un habile coup de communication servant les intérêts de la Confrérie, en somme. D’autant que le vainqueur d’un tel tournoi, qui avait été une franche réussite, ne pourrait pas être ignoré, même par la noblesse locale. Ces deux récompenses étaient représentées physiquement par des rouleaux de parchemins marqués de sceaux, ainsi que par deux médaillons.
Mais le principal n’était pas là. Le principal, c’était cette arme amenée dans son long écrin de bois fin, délicatement posée sur coussinet de velours rouge, couleur qui faisait agréablement ressortir les tons de la Lance d’Affliction. L’arme en question était, nous l’avons déjà décrite, une lance antique à la hampe de bois et à la pointe en bronze forgé. Raël l’avait déjà vue, mais là, elle était magnifique.
Arrivée devant Arenthil, elle s’inclina en ouvrant la boite, révélant son contenu : le casque d’ithilmar de ce dernier. Celian prit alors la parole et dit à son vainqueur :
–Ce casque est fait d’un métal très rare que vous ne trouverez nulle part ailleurs qu’en Ulthuan, l’ithilmar, le “Ciel d’Argent” dans votre langue. Il protège aussi bien que l’acier, mais est beaucoup plus léger et ne s’émousse ni ne rouille pas. Ce casque vous protégera sans jamais vous gêner. Seule l’élite de nos troupes et les seigneurs de mon peuple y ont accès. Je vous en fais don, Raël Khem, à vous personnellement, parce que je sais que vous vous en montrerez digne.