-Ca ne m’étonne guère de la part des impériaux, la plupart d’entre nous ne sont pas très au fait des réalités de la Bretonnie. Savez-vous, par exemple, que lors d’un tournoi, il y a très longtemps de cela, un elfe a participé et y a été terrassé par le Roy de l’époque à la joute ? En vérité, l’orgueil des chevaliers les pousse à vouloir sans cesse prouver à tous qu’ils sont les meilleurs, et un défi supplémentaire ne les rebute pas, au contraire, il les attire.
Quoi qu’il en soit, de toute façon, vous constaterez vite une fois sur place que L’Anguille n’est pas une ville bretonnienne comme les autres. Mon frère, bien que roturieur, dirige de facto la quasi-totalité de la province, les nobles étant avec le Taubert au fin fond du duché, le plus loin possible de la Mer.
A vrai dire, nous aimerions suivre l’exemple de Marienburg, et je pense qu’à plus ou moins court terme, nous y parviendrons. Rarement le pouvoir des nobles a été si affaibli qu’actuellement à L’Anguille, et sous la gouvernance de mon frère, les gens se rendent compte que l’argent a finalement peut-être beaucoup plus d’importance que le sang noble.
C’est aussi une des raisons de l’organisation de ce tournoi. Comme les chevaliers en sont friands, vous pouvez être certain qu’un bon nombre d’entre eux vont participer. Et quoi de mieux qu’un étranger roturier qui gagnerait le trophée en les terrassant, pour prouver au peuple que les nobles bretonniens ne sont peut-être pas la meilleure défense dont ils peuvent rêver ?
C’est pour cela que nous avons invité les meilleurs champions étrangers à y participer. La compétition sera rude, et les bretonniens auront à cœur de prouver qu’ils sont les meilleurs. A voir comment vous vous êtes battu aujourd’hui, vous avez votre place parmi eux, et vous aurez vos chances, nous vous soutiendrons. Mais vous aurez les détails du déroulement plus tard, une fois arrivé à L’Anguille.
Pour l’instant, réglons d’abord les problèmes présents, je vois qu’un jeune homme essaye depuis tout à l’heure de me parler. Oui, vous désirez ?
Un mercenaire venait en effet d’arriver derrière eux et réclamait d’urgence l’attention de Jeannot Fitzgodric.
-Pardon d’vous interrompre, mais j’crois bien qu’il vaudrait mieux pas trop traîner dans l’coin, si j’peux me permettre. On les a repoussés, mais on est salement amochés, et ils pourraient revenir à tout moment. Mieux vaudrait profiter du jour pour avancer.
-Vous avez raison, dans quelques heures à peine, nous serrons en terrain sûr. Je crois que nous sommes à une ou deux heures seulement d’un petit village au bord de la Grisemerie. Une fois que nous l’aurons passé, nous devrions rapidement déboucher sur la Trouée, fortement gardée, où nous ne risquerons plus grand-chose.
Je vais faire donner les ordres pour que nous hâtions notre départ, mais je crains fort qu’il nous faille un peu de temps avant d’être prêts. Il faut d’abord s’occuper des blessés légers pour qu’ils soient en mesure de se battre de nouveau, stabiliser ceux qui le sont plus grièvement pour qu’ils puissent survivre au voyage, et vérifier et réparer les quelques chariots abîmés dans l’assaut.
Puis il fit signe au mercenaire de disposer. Celui-ci remercia d’un signe de tête son employeur et retourna aider ses camarades dans le besoin. De son côté, le marchand prit poliment congé de Raël :
-Excusez-moi de devoir vous quitter, mais je vais donner mes ordres au plus vite et m’assurer que nous puissions repartir dans les plus brefs délais.
Et, tandis que chacun vaquait à ses occupations en prévision du départ prochain, un des mercenaires qui s’y connaissait un peu vint soigner le scythien, pendant qu’un des marchands proposait gratuitement de réparer armes et armures de manière à ce qu’elles soient toujours en parfait état.
Enfin, après quelques heures, alors que le soleil était déjà assez haut dans le ciel, la caravane de marchands était prête à repartir, son escorte sérieusement affaiblie. La marche était plus lente qu’à l’accoutumée. Hommes et bêtes avait souffert et manquaient de sommeil, et la fatigue s’était fortement installée parmi les convoyeurs. De plus, les blessés les plus graves, transportés sur les chariots empêchaient toute précipitation, qui leur aurait été préjudiciable, voire mortelle pour certains.
Au final, le convoi prit du retard, même dans la marche, et il ne fallut pas moins d’une heure et demie pour enfin apercevoir le petit village annoncé, dans un coude de la Grisemerie, à cinq cent mètres devant eux.
-Enfin !
S’exclama Jeannot, soulagé d’arriver à l’extrémité de la zone dangereuse. Dans une petite demi-heure au plus, ils seraient hors de danger. Mais soudain, un des mercenaires de l’arrière garde remonta la colonne au galop et avertit :
-Les peaux-vertes ! Derrière nous ! Nous avons un petit kilomètre d’avance sur eux, tout au plus !
-La peste soit de ces gobelins ! N’abandonnent-ils donc jamais ? En avant, vite, il faut arriver au village avant eux, c’est notre seule chance.
Avec les blessés et la boue qui enlisait les chariots et freinait leur progression, cette avance serait à peine suffisante pour permettre au convoi d’atteindre le village. Jeannot s’en rendait bien compte, c’est pourquoi il se tourna sur sa banquette de chariot en direction du mercenaire, puis de Raël, qui chevauchait à côté :
-Vous, allez prévenir les villageois, vite !
Et dites-moi, monsieur Khem, pourriez-vous faire quelque chose pour nous donner le temps d’atteindre le village ? Je crains fort que sans cela, nous ne soyons pas assurés d’y arriver avant eux, et si par malheur ils nous attaquaient avant que nous ayons pu rejoindre les nôtres, ce serait un véritable carnage ! Je mets la totalité de mes hommes à votre disposition.
En l’occurrence, l’ensemble des mercenaires restants, montés sur leurs chevaux, étaient au nombre de vingt, dix-neuf sans compter celui qui était parti avertir le village. Ces hommes étaient en état de se battre, mais rares, très rares étaient ceux qui étaient complètement indemnes. Toutefois, l’un d’eux, celui qui avait déjà l’alerte cette nuit là et qui avait manié l’arbalète avec réussite, s’exprima au nom de tous, avec un fort accent du Sud, de la Tilée ou l’Estalie :
-Si tu veux tenter quelque chose, on est avec toi, foi de Joachim Vendia !
Test d’INT de Raël : 11. Raté.
En regardant derrière lui, Raël put constater par lui-même qu’effectivement, une importante troupe de peaux-vertes avançait de manière rapide, bien qu’indisciplinée vers eux, couvrant toute la route et le terrain des berges du cours d’eau jusqu’aux contreforts montagneux : toute retraite était impossible de ce côté. Il ne parvint pas en revanche à estimer si à la vitesse où ils allaient, les gobelins rattraperaient ou non le convoi avant le village s’il ne faisait rien. C’était un pari risqué. Il ne parvint pas non plus à estimer ni le nombre, ni la composition des troupes peaux-vertes, sûrement gobelins puisqu’ils en avaient déjà affrontés, mais pas forcément. A priori, ils devaient au moins être deux ou trois cent, ou peut-être deux fois plus. C’était difficile à dire, l’ensemble formait une masse compacte verte et mouvante, avec de gros rochers parmi eux pour ceux qui étaient hors de la route qui rendait difficile toute estimation précise.