Le lendemain, c'est avec le cœur lourd et la tête en feu que Goëric avait pris la route à la suite d'Antoine et Richard. Les deux seigneurs avaient convenu de passer au sud des terres de Tancrède, par le Lyonnesse, pour éviter de tenter le diable. Certes, un chemin plus court s'offrait en passant au nord, mais la capitale du Seigneur était non loin de cette route, et c'est là que le danger serait le plus grand. Quant à passer à travers les terres, il n'en était même pas question.
Le trajet avait été donc long et profondément ennuyant. Ils ne rencontraient que peu de personnes, du fait de la faible fréquentation de cette route, et de la peur que pouvait inspirer toute une colonne d'hommes en arme. Il n'y avait que des cavaliers ici, les hommes de pied et les chariots du seigneur de Norchâteau ayant pris la route de leur seigneurie dès la fin du combat. Les bretonniens allaient donc à bonne allure, ne s'arrêtant que le soir pour se reposer et s'occuper des chevaux. Ils partaient avant l'aube et ne s'arrêtaient que bien après le soleil ne se soit couché. C'est donc totalement lessivé par ce train d'enfer que Goëric arriva finalement sur les terres de Norchâteau.
La route bifurquait peu après, Richard et sa suite laissèrent donc le Seigneur Antoine partir plein nord tandis qu'eux allaient au nord est. Il ne restait plus que sept chevaliers et une quinzaine d'hommes montés. Et les sept chevaliers, ainsi que le même nombre de roturiers, les quittèrent petit à petit, au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient sur les terres de Blancpin. Il ne restait plus que Richard et Goëric, ainsi que leur escorte, qui chevauchaient vers le nord est, là où se trouvaient les terres du nouveau chevalier.
C'était une terre sauvage, couverte de bois de conifères et de landes où paissaient du bétail maigre. Les cours d'eau étaient étroits et rapides. Les quelques éminences étaient dominées par des châteaux, certains en ruine, et aucun plus gros qu'une grande halle. Enfin ils arrivèrent à un petit hameau logé le long d'un torrent. Les habitants étaient plus grands et plus costauds que la moyenne bretonnienne, un fait du à l'apport de sang nordique d'après Richard. La plupart était des bûcherons ou des pêcheurs, même si certains étaient aussi des forestiers aguerris. Ils étaient moins dociles que leurs équivalents des terres du sud, mais plus solides et plus vaillants. Le genre d'hommes dont Goëric allait avoir besoin dans les temps à venir.
Surplombant le village se trouvait une petite colline dominée par une halle de pierre couverte de lierre, avec une petite tour et des écuries adossées à elle. C'était la nouvelle demeure de Goëric. Un homme les attendait sur le perron, son nouvel intendant, un homme brun, de taille moyenne et habillé de laine solide. Devant la halle se tenaient en rangs dix sept hommes d'arme, vêtus d'armures de cuir, avec dans les mains des lances. Quelques uns avaient des casques à nasal, les autres des capuchons de cuir, et leurs boucliers de bois étaient ronds et non rectangulaires, à la mode norse. Ils étaient barbus pour la plupart, et bien bâtis par une vie en plein air.
Richard se tourna sur sa selle pour regarder Goëric.
« Voici vos hommes, Sir Goëric. L'intendant se prénomme Ubba, et le capitaine des vos hommes d'armes Lars. C'est le type avec le casque sous le bras et la barbe blonde. Votre devoir est de protéger vos terres, ce qui regroupe cette place, le village en bas, ainsi qu'un périmètre des terres que vous pouvez parcourir en une heure de chevauchée au trot. Ce n'est pas grand chose je sais, mais c'est déjà ça. Votre peuple se compose d'environ une centaine d'habitants, donc plus des trois-quarts vivent dans ce village-ci, le village de Boscbourg. Et la seigneurie se nomme la seigneur de Boscmarg. Je vais vous laisser là, si vous n'avez pas de question. Ah oui, vous êtes sommés de me rejoindre à Blancpin avec votre ban avant quatre jours. Nous avons de la matière à discuter. »
Et c'est parti pour le deuxième scenario.