[Leuffen] Complot à Quenelles

[[MJ] Le Sombre Garde]

Gontrand eut un sourire sans joie devant la pique de Leuffen et lui fit signe de le suivre. Celui-ci dut donc lui emboiter le pas, avec l'Ungol comme ombre dans son dos. Les trois hommes se dirigèrent vers la tour, où deux soldats se tenaient désormais en faction, le bouquetin de bronze en blason sur des tabards noirs. La porte de bois renforcée de métal était ouverte pour leur laisser le passage et fut refermée derrière eux. La tour était large mais pas si spacieuse que cela. Le sol de pierre était jonché de roseaux plus très frais et des chiens erraient entre les pieds des tables et des chaises. Devant les deux foyers de la pièce, des archers fabriquaient des flèches ou des soldats raccommodaient leurs gambisons de cuirs. Sur la grande table, des reliquats de nourriture et de boisson reposaient en attendant que des serviteurs viennent les chercher.

Au fond de la salle partait un escalier en colimaçon et c'est celui-ci qu'empruntèrent Gontrand et Leuffen. Yevgueni rejoignit les autres soldats de la salle principale. L'escalier montait tout en haut de la tour mais le maitre d'armes et son hôte s'arrêtèrent au troisième pallier. Celui-ci était composé de deux pièces. La première était une vaste antichambre au sol de tapis moelleux et avec des tentures représentant diverses bannières au mur. Gontrand eut un geste envers elles.

« Les bannières de nos ennemis vaincus. Comme vous pouvez le voir, ce sont majoritairement des humains. À croire que nous faisons plus facilement la guerre à nos semblables qu'aux ennemis de la nation. »

En effet, beaucoup de bannières arboraient des couleurs bretonniennes, ainsi que quelques impériales. Ici ou là se trouvait une bannière déchirée faites de mauvais cuir arborant des cranes et d'autres avec un soleil mal dessiné, mais elles étaient rares.

Gontrand ouvrit la porte en face d'eux et pénétra dans ce qui semblait être son bureau. Une grande table de bois avec une carte du duché placée dessus trônait au centre. D'autres cartes étaient accrochées au mur : la Bretonnie entière, Quenelles, l'Empire, le Vieux Monde. Des cartes d'excellentes qualité d'après ce que Leuffen pouvait en juger. Deux fauteuils se trouvait contre un mur. Gontrand s'assit dans une et désigna l'autre au maitre d'armes.

« Je suis désolé mais je n'ai pas de vin à vous proposer. Bon, comme vous l'avez peut-être deviné, je suis le Seigneur de Cornemont. Cet abruti de bâtard a toujours cru que j'étais un roturier mais cela servait mes intérêts de le garder dans le noir. J'ai un profil … atypique pour un seigneur bretonnien. En tant que chevalier errant, j'ai beaucoup voyagé de par le monde. J'ai visité l'Empire, Kislev, la Tilée, les Principautés frontalières. J'y ai appris que notre façon de penser était tellement archaïque. Ce qui fait qu'à la mort de mon père j'ai décidé de moderniser notre maison. Et je n'hésite pas à me salir les mains quand il le faut. Ce qui fait de moi un allié de choix pour Himcar, car son honneur de chevalier l'empêche de faire certaines choses auxquelles je ne rechigne pas. Et j'ai repéré un mode de pensée semblable chez vous. Je suis convaincu que contre espèces sonnantes et trébuchantes vous pourriez m'être d'une grande utilité. »

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Au moins, le sieur Gontrand n'était pas dénué du sens de l'humour, ce qui était plutôt d'un bon présage pour la suite car il coïncidait pour l'instant avec l'idée qu'il s'était fait de l'individu. Leuffen le suivit donc sans opposer de résistance, talonné comme une ombre par un Yevgueni sur ses gardes. Après être passé sous le porche au bouquetin de bronze, à présent comme par hasard flanqué d'une paire de gardes, le trio pénétra dans la tour proprement dite... qui a en juger par son aspect délabré aussi bien que par ses occupants ressemblait davantage à un repaire de mercenaires ou à une caserne abandonnée qu'à un véritable domaine seigneurial : pas de valets ni de plat en argent massif à l'horizon, mais simplement des hommes d'arme en train d'aiguiser leurs lames ou d'écarter un chien pouilleux d'un coups de pied.
Pour autant, tout cela ne ressemblait pas à la façon de procéder d'un noble bretonnien même désargenté, et cela aiguisa d'autant plus la curiosité du maître d'arme, qui ne ressentait pour l'heure aucune peur. Il n'y avait après tout que deux raisons possibles pour que Gontrand ne l'ait pas fait tuer dans cette ruelle : soit il comptait l'interroger à l'abri des regards, soit tenter de le débaucher. Après tout, même si il était impossible de savoir depuis quand le kislevite l'observait, le bougre avait probablement dû raconter de quelle manière le bâtard Passeguet avait craché le morceau... et un individu qui n'éprouvait aucun regret à parler de la mort d'un associé encombrant ne pouvait que chercher du personnel qualifié.

La visite se poursuivit alors à l'étage avec pour seule guide un Gontrand débarrassé de son garde du corps. Le maître d'arme, auquel on n'avait même pas pensé à retirer l'épée, se fit la réflexion que si il avait voulu il aurait très bien pu lui sauter dessus et le prendre en otage pour sortir d'ici. Heureusement, il n'était pas assez suicidaire pour cela, curiosité ou non.
Une fois parvenu au troisième étage, il observa comme on lui demandait les blasons qui ne lui rappelaient rien, n'ayant jamais été férus d’héraldique, exception faite de celui au soleil.

- Il faut croire que si des ennemis tels que le Chaos ou les orcs ont le mérite de nous rassembler alors qu'il est presque trop tard, il est toujours plus aisé de faire la guerre à ce que l'on connait le mieux...

La pièce où ils pénétrèrent finalement tous deux, et qui ne pouvait être que les appartements au vu de la cheminée et des magnifiques cartes qui décoraient les murs. Leuffen répondit ensuite à l'invite aimable de celui qui se disait le seigneur de Cornemont et s'assit dans le fauteuil qu'il lui désigna. Ainsi, la deuxième hypothèse était la bonne : il voulait recourir à ses services... la proposition aurait été alléchante, en d'autres circonstances.

- Je vois... je me doutais effectivement que vous étiez quelque chose de plus gros qu'un simple intendant de la maison Cornemont, mais je ne voyais pas quoi.
Je suis flatté que vous pensiez que nous avons la même façon de penser... mais je crains que ce soit en fait que ce ne soit pas aussi simple que vous l'imaginez. Si je vous ai pris en chasse, Passeguet et vous, c'est surtout parce que vous avez tenté de me tuer. Je n'ai compris que plus tard le pourquoi de vos magouilles et que j'ai essayé d'imaginer comment je pourrai en tirer parti.
Fondamentalement, le fait de travailler pour vous ne me dérangerait pas si je n'étais pas déjà engagé auprès de mon maître, le seigneur Gryseracine. Il m'a offert un poste de maître d'arme en son castel alors que je n'étais qu'un simple mercenaire d'une troupe peu connue, et quelle que soit la somme que vous me proposeriez, vous comprendrez que j'aurai une certaine répugnance à réaliser quelque chose qui risquerait d'entacher son nom.
A vous de juger.

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Merci pour l'allusion à Gryseracine, ça me permet de faire un lien avec le RP de Bowen.

Gontrand de Cornemont se carra confortablement dans sa chaise : le temps de la négociation était arrivé. D'habitude il n'y était pas trop mauvais, mais les mercenaires qui avaient de l'honneur comme manifestement ce maître d'armes étaient assez imprévisibles.

« Ah, vous travaillez pour le compte de Gryseracine. Je serais vous je m'abstiendrais de le dire tout haut en ce moment : les nouvelles sont mauvaises. Un jeune seigneur est arrivé aujourd'hui à Quenelles et ce qu'il avait à dire n'a pas plu au duc, ça non. Il accuse votre seigneur d'avoir attaqué l'un des villages sous sa protection et d'en avoir massacrer les habitants. Pour preuve il a montré un écu arborant les armes de Gryseracine. Non, en ce moment il ne fait pas bon de venir de là-bas. »

Il se servit un verre d'eau d'un pichet à côté de lui.

« Pour ma part, je n'ai pas d'avis sur la question : vous êtes dans le sud du duché, pas dans le nord d'où je viens. Aussi je ne connais pas les réalités de la situation. Et je dois avouer que je m'en moque : Gryseracine comme le jeune seigneur ne sont pas des partisans d'Himcar déclarés, ni de ses ennemis. Qu'ils fassent donc ce qu'ils veulent entre eux. Mais revenons à nos moutons. Vous avez une répugnance à salir le nom de votre protecteur, c'est compréhensible et même normal. Mais le genre de travail que je vous propose repose justement sur l'anonymat. Donc vous ne devriez pas mettre en péril l'honneur de votre employeur. J'ai de l'or, reliquat de mon passé d'aventure en dehors de la Bretonnie. J'ai une armurerie très bien fournie si vous préférez les paiements en nature. Les tâches que j'ai pour vous ne sont pas trop risquées et très lucratives. Mais si vous préférez sauvegarder l'honneur de Gryseracine, la porte est derrière vous, je vous en prie. Sur mon honneur personne ne vous empêchera de sortir. »

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Constatant que sa démonstration de loyauté ne produisait pas de réaction particulière chez son hôte, Leuffen se détendit très légèrement tout en demeurant assis sur le rebord du fauteuil, le fourreau de son épée dressé à la verticale pour éviter qu'il ne batte contre le flanc du meuble de cuir râpé. En revanche, ses mains jointes se crispèrent tandis que ses yeux s'arrondissaient de surprise à la mention des rumeurs courants sur son maître. Sa bouche se plissa amèrement alors que sa voix se mettait à claquer plus sèchement qu'elle n'aurait due, accompagnée par un geste de la mains qui trancha catégoriquement l'air devant lui.

- Foutaises. Cela fait des années que je sers Gryseracine, et je peux vous affirmer que si ce que vous venez de me dire est vrai, il ne peux s'agir que d'un foutu coups monté : mon seigneur est du genre à vouloir avant tout résoudre les conflits à grands coups d'arrangements, et surtout à vouloir à tous prix éviter la multiplication des orphelins.
Foutaises, donc.

Le maître d'arme était à nouveau tendu, troublé qu'il était par cette nouvelle. Il croyait vraiment à ce qu'il disait, et cela ne lui plaisait pas qu'en sus de cette conspiration pour le contrôle du duché à laquelle il se trouvait mêlé malgré lui se profile une autre visant son dernier seigneur et maître en date. Comme il l'avait dit, il ressentait suffisamment de loyauté envers son protecteur pour que cela lui importe.

- Néanmoins, je vous remercie du conseil... même si je ne doute pas que la lumière sera rapidement faite sur cette affaire. Pour en revenir à celle qui nous occupe, je ne vous mentirai pas en vous disant que vous piquez ma curiosité : si les conditions que vous évoquez sont véridiques, je pense que cela pourrait m'aider à passer le temps en attendant l'arrivée de l'équipe que mon seigneur a préparé pour le tournoi.

La vérité, c'est que Leuffen n'avait qu'une confiance très limitée en l'honneur de Cornemont, qui se rengorgeait d'ailleurs de son manque de scrupules qui lui avait permis de gagner l'attention de ses pairs plus argentés, et qu'il préférait donc l'avoir devant lui que dans son dos. Si il pouvait récolter quelques pistoles au passage ce serait toujours ça de pris, mais le principal demeurait de garder les meilleures cartes en main pour demeurer vivant.

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Gontrand de Cornemont haussa les épaules devant l'explosion de Leuffen.

« Comme je vous l'ai dit, je ne m'en soucie guère aussi je n'ai pas fait de recherche approfondie. Et malheureusement pour vous, vrai ou pas, tant que ce ne sera pas fermement démentie, la population croira que les Gryseracines sont responsables. Mais revenons à nos moutons. »

Il se frotta les mains pour se réchauffer et se passa la langue sur les lèvres.

« Je vais être franc avec vous : j'ai besoin de vous pour votre épée et votre talent avec, mais aussi pour votre intelligence. Vous avez vu la bande de soldats en bas. Malheureusement, à part Yevgueni, ils ne sont pas très imaginatifs. De bons soldats, et loyaux, mais qui conviendraient autant pour le travail que je compte vous faire faire qu'un bœuf conviendrait comme monture à un tournoi de chevaliers. Bien. La conspiration dont je fais partie à des ennemis. Qui n'en a pas ? Le problème est que je ne peux pas les faire disparaître aussi facilement que j'ai fait tuer le bâtard Passeguet. Aussi, votre rôle va être de faire taire les dissensions adverses. Et de la façon la plus directe qui soit : une épée à travers le cœur. Votre rôle va être le suivant : vous allez vous approcher des jeunes seigneurs ou fils de seigneurs qui nous sont opposés. Yevgueni vous accompagnera et vous les désignera. Vous allez ensuite vous débrouiller pour les mettre en colère et que l'un d'eux vous attaque, ou vous lance un duel. Nul doute que vous pourrez vous débarrasser d'eux sans trop de soucis. Vous allez répéter cela un certain nombre de fois. Et vous serez grassement payé pour. Vous avez encore la possibilité de refuser. Mais une fois que vous aurez accepté, il n'y aura pas de retour en arrière. »

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Expirant bruyamment dans sa moustache et jetant un regard en biais vers une toile d'araignée qui pendait à côté d'une carte de la Bretonnie, il tenta de retrouver son calme au plus vite. Après tout il avait besoin de toute sa lucidité pour étudier correctement l'offre de Cornemont, laquelle dissimulait un écueil d'une taille peu banale... le maître d'arme fit donc abstraction des calomnies qui pesaient sur son maître et néanmoins ami afin de se concentrer sur son interlocuteur.

- En effet, messire, votre offre s'avère très intéressante dans le sens où nos intérêts se recoupent : il ne fait aucun doute que les individus que vous voudriez que je pourfende devraient participer au tournoi de Quenelle, et chacun d'entre eux représentera un concurrent de moins pour le poulain de mon seigneur. Tout en me permettant de régler quelques comptes et de remplir un peu ma bourse.
Néanmoins...

Les lèvres de Leuffen se tordirent en un rictus mi-amusé, mi-amer tandis qu'il fixait son interlocuteur droit dans les yeux, les mains crispées l'une contre l'autre sur ses genoux.

- Défier des minables en duel, leur trouer le lard dans une ruelle obscure ou devant témoins... cela ne me pose certes aucun problème, mais ce qui m'importe davantage est la suite que cela aura. J'ai pris quelques précautions pour maquiller la mort du bâtard Passeguet, mais ce que vous me proposez implique d'agir le plus souvent à visage découvert. Que se passera-t-il lorsque j'aurai une meute de parents éplorés et revanchards à mes trousses ?
Pourrez-vous m'offrir une quelconque forme de protection par la suite si j'accepte ? Et à combien aurais-je droit par tête que je vous ramènerais ?

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Gontrand de Cornemont exultait. Les derniers restes de marchandage importaient peu : le maître d'armes avait accepté l'offre, il avait son homme pour se débarrasser de tous ces opportuns qui gênaient son plan et empêchaient par leur existence la réalisation.

« Les familles ne peuvent rien contre vous si vous tuez leurs enfants en duel honorable et sans tricherie. Bien sûr, il est possible que d'ici quelques mois l'air de Quenelles ne devienne mauvais pour vos poumons, mais je pense que vous aurez quitter la cité d'ici là. Quant à l'argent... Mettons, une couronne par tête pour commencer. Maintenant, si vous vous dépêchez, je pense que vous avez le temps de conclure un duel avant la tombée de la nuit. Yevgueni vous attend en bas. Ah, et pour plus de sécurité, il vaut mieux que vous dormiez à votre auberge et non ici. Comme ça, pas de rapprochement possible. »

Leuffen était donc congédié. Il ne lui restait plus qu'à argumenter une dernière fois ou partir rejoindre l'Ungol qui l'attendait pour lui montrer sa cible.

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Au prime abord méfiant car fort d'une longue expérience de survie forgée autour d'une grande paranoïa, Leuffen dut néanmoins se rendre à l'évidence que représentaient les ultimes arguments de son futur employeur : pourquoi les principaux acteurs du complot faisaient-ils appel à Cornemont ? Parce que malgré leurs sinistres résolutions, leur code de l'honneur leur liait trop les mains pour qu'ils puissent les salir comme il se doit, en bons seigneurs bretonniens qu'ils étaient. Dès lors, tant que les formes étaient respectées comme dans le cadre d'un duel, il n'y avait pas à douter qu'ils ne chercheraient pas de revanche avant d'avoir cerné qui il était et si il y avait un moyen honorable de le faire.

Ensuite, il existait aussi le risque que quelqu'un découvre qu'il avait partie liée avec les conspirateurs, ainsi que le fait qu'il n'était pas foncièrement d'accord avec le fait de dépouiller l'héritier du trône ducal de son titre... mais le maître d'arme n'était pas assez gras et âgé pour ne pas ressentir ce petit frisson caractéristique des mercenaires ayant l'habitude de parier jusqu'à leur vie pour gagner de l'argent sur un coups de dé.
Levant les mains paumes vers le ciel comme dans un geste de désespérance démenti par son sourire gouailleur, Leuffen se fendit d'une dernière remarque à l'adresse de son employeur.

- Eh bien... on dirait que je n'ai pas d'autre choix que de me dévouer pour le bien-être du duché pour la modeste somme d'une couronne par tête de bien-né. J'espère au moins que quelqu'un écrira une chronique sur moi un jour pour cela.

Sur ces mots, il hocha la tête pour saluer Cornemont et sortit de la pièce pour emprunter l'escalier et rejoindre Yevgueni, qui devait sûrement pouvoir le renseigner sur sa cible vu qu'il semblait faire partie des deux (trois à présent) personnes dans cette tour à savoir se tirer les doigts du fondement.

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« J'ai bien peur que nous serons tous les deux oubliés des chroniques. Un duc n'aime pas trop se souvenir que certains se sont sali les mains pour le porter au pouvoir. »

Le ton sarcastique de Gontrand l'accompagna dans les escaliers.

Le Kislevite l'attendait en bas. Assis sur une chaise en train de tailler un bâton, il se leva dès qu'il vit Leuffen apparaître. Les autres soldats restèrent indifférents et continuèrent leurs activités. Égal à lui-même, l'Ungol avait un grand sourire et semblait beaucoup s'amuser.

« Ca y est, vous en êtes ? Bien, suivez moi. »

Yevgueni ouvrit la porte du manoir sans un regard en arrière. Il mena Leuffen à travers les rues du quartier riche de Quenelles. Midi était passé depuis longtemps et le soleil entamait sa descente. Il fallait se dépêcher pour faire un duel avant la nuit. Les rues étaient toujours aussi pleines de monde. La composition sociale avait un peu évolué : on voyait plus de seigneurs et de dames accompagnés de leurs gardes qu'auparavant, la plupart à cheval, certains en litière. Les patrouilles de la milice avaient doublés en conséquence pour s'assurer que personne n'importunerait un des puissants du duché.

Mais les deux mercenaires ne s'intéressaient pas à ses gens. Ils étaient trop puissants, leur mort ferait trop de désordre. Qui plus est, beaucoup de seigneurs étaient des fines lames et Leuffen risquerait sa peau à combattre contre eux.

Ils continuèrent leur chemin pendant un moment jusqu'à tomber sur une place de moyenne taille, avec une fontaine en son centre. Un groupe de jeunes chevaliers s'y prélassaient en regardant passer les filles, pour la plupart des servantes, et accompagnant le tout de commentaires grivois.

Yevgueni s'arrêta au coin de la rue et de la place et les désigna.

« Vous voyez le p'tit gars avec un tabard jaune affichant une corne de licorne rouge ? C'est votre cible du jour. Faites comme vous voulez pour le défier. Je m'occupe de couvrir vos arrières. »

Le p'tit gars en question était de taille moyenne, les cheveux bruns coupés au bol et glabre. Son nez était un peu gros.

[Leuffen Histron]

Le kislevite, qui devait probablement s'attendre à ce que Leuffen accepte la proposition de Cornemont de par le simple fait qu'ils étaient globalement taillés dans le même bois (même si le maître d'arme doutait fortement que le mercenaire puisse éprouver envers son maître le lien que lui-même avait avec le sien), le conduisit immédiatement au dehors, vers sa première proie. Tout à ses réflexions concernant le noble mercenaire, le complot, les ennuis de Gryseracine et Sigmar savait quels autres sujets de préoccupation, il ne chercha évidemment pas à faire la conversation avec son guide même si celui -ci aurait vraisemblablement pu répondre à certaines questions.
Il ne fut pas non plus très attentif à ses pas, constatant seulement que le jour commençait à décliner et que la populace qu'ils traversaient se clairsemait de plus en plus pour laisser la place à des nobles se rendant chez eux ou se préparant à une invitation dînatoire, ce qui expliquait la multiplication soudaine des patrouilles de garde dans toute les rues. Cornemont avait bien raison : dans de telles circonstances on ne pouvait tuer quelqu'un que dans un duel pour ne pas attirer l'attention.

Parvenu à une place plaisante que rafraichissait les éclats d'une fontaine, Yevgueni s'empressa de lui désigner discrètement un jeune godelureau entouré de ses amis et fort occupé à assaillir de lazzis et aux sifflements des pauvres servantes qui passaient par là. L'individu n'avait rien de remarquable, ne semblant briller ni par sa force ni par son intellect. Une cible facile dont le principal centre de jugement paraissait se trouver sous la ceinture.

- Je vois... cela risque d'être plus amusant encore que je ne l'avais imaginé.

Posant la paume de sa main droite sur la garde de son épée toujours au fourreau, Leuffen prit son air le plus vindicatif et écarta bien les épaules à la façon du premier matamore venu. Soufflant bruyamment dans sa moustache comme si il ne tenait déjà plus d'impatience, il avança d'un pas raide droit vers celui qu'on lui avait indiqué de tuer avant de se planter devant lui, le regard mauvais et la bouche tordue en un pli amer.

- Enfin, je vous trouve... en être méprisable que vous êtes, je devais me douter que vous seriez déjà en train de choisir votre victime.
Messire, je me nomme Leuffen Histron, de la maison Gryseracine, et je viens laver l'honneur de ma sœur que vous avez avez ignominieusement souillé il y a de cela plusieurs nuits.
Prenez votre arme et voyons si vous savez au moins vous battre en homme.