Les ablutions parurent à Goëric indispensables ce jour là. Hélas, elles ne l’aidèrent en rien à se sentir purifié. Il se vautra alors sur son lit, inerte. Seul son pied droit remuait encore frénétiquement sous l’action de ses nerfs fatigués par les épreuves qu’il venait de traverser sur une période de temps aussi réduite. Le regard perdu dans la vide, les quelques minutes ou il dut attendre son nécessaire à écriture lui parurent être une éternité.
A son arrivée, il remercia vaguement le jeune homme chargé de lui apporter le matériel avant de s’affairer immédiatement à la conception de la lettre à l’adresse de son père.
Cher père,
Je vous écris depuis ma chambre de Bleuchamp. Je n'ai quitté vos terres que depuis un peu moins d'une semaine, mais tant d'évènements se sont déjà produits. Le seigneur Charles fut un hôte extrêmement plaisant et confia le perfectionnement de mon éducation martiale à feu Sire Arthur, un combattant habile et valeureux. Tuteur grâce auquel je serais adoubé ce soir même. Je t'écrirais volontiers à quel point je suis empli de fierté, mais le deuil ainsi que la gravité de la situation enrayent ma joie.
Avec lui et en l'espace de seulement quatre jours, j'eu l'occasion de venir au secours de la petite bourgade de Ruibriant ou ma lame abattit un centaure qui était à la tête d'une bande de monstres des forêts. Rodéric, la monture qui me fut offerte suite à cette victoire, me fut d'un grand secours. Je fus blessé mais mis entre les mains de guérisseurs des plus compétents. Si bien que le surlendemain déjà étions nous en marche pour un tournoi sur les terres du seigneur Tancrède. Je n'avais encore jamais eu vent des méfaits de ses gens, j'imagine que vous aurez trouvé préférable de me laisser faire l'expérience de la bassesse humaine par moi même.
Le fait est que je fus exposé au jugement de la dame par le combat des sept pour me punir de m'être rangé du côté de Richard lorsqu'il fut outragé par Grégoire, le chien fou de Tancrède dont j'avais appris plus tôt qu'il n'était rien de plus qu'un vulgaire violeur de petites gens. Que la honte soit sur son nom et sa carcasse.
Je mentionne carcasse car comme cette lettre le prouve, mes compagnons et moi sommes sortis vainqueurs du combat ou mon tuteur et Grégoire perdirent la vie. Nous dûmes alors rentrer à Bleuchamp car nous savions que Tancrède ne perdrait pas un seul instant pour ourdir un acte de vengeance.
Le seigneur Charles, mes compagnons et moi même nous accordons sur le fait que la guerre semble une éventualité difficilement évitable à présent. C'est pour cette raison que je vous fais parvenir cette lettre, j'assumerais mes responsabilités nouvelles de chevalier du royaume et accompagnerais Sire Richard sur ses terres qui seront sans aucun doute touchées de plein fouet par les affrontements à venir. J'entend par là que ma décision est déjà prise et que je ne quémande pas votre soutien mais étant donné la puissance de l'ennemi je devais néanmoins vous faire cette demande par acquit de conscience.
Une réponse négative de votre part à ma requête serait tout aussi surprenante qu'attristante, puisque je n'éprouve aucun doute quant à la célérité de la lame de Loïc quand il s'agit de guerroyer pour une noble cause.
Avec tout mon respect et mon affection, votre dévoué fils Goëric.
Une fois chose faite, il resta assis face à la fenêtre, déjà le jour se couchait, donnant au ciel une allure de mer dorée.
« Quel merveilleux cadre pour un adoubement » pensa-t-il.
Gontrand ne tarda pas à se présenter à lui, pourvu d’une tunique blanche.
« Tiens Goëric, enfile cela. Tu dois te présenter vêtu uniquement de ce vêtement. »
Il se saisit de la tunique et remis la lettre qu'il venait d'écrire à Gontrand, le chargeant de la remettre à un messager de confiance au plus vite. Alors que Goëric s’habillait, Gontrand lui rappela comment la cérémonie allait se dérouler. Bien qu’il n’ait jamais assisté à un adoubement, Goëric connaissait néanmoins les us et coutumes liés à cet évènement et se sentait prêt. Dans tous les cas la dernière ligne droite serait la plus aisée à traverser.
Ils descendirent donc dans la grande sale.
Goëric marqua un temps d’arrêt à son entrée. Voulant s’imprégner à tout jamais de la beauté de la scène. Le couloir formé par une dizaine de chevaliers lui semblait mesurer des lieues. Charles, accompagné d'une prêtresse de la Dame, avait fière allure, mais le silence et la lumière des flammes qui dansaient sur les personnes présentes dans la grande salle avait quelque chose d'impressionnant. L'éclairage avait visiblement été volontairement amoindri pour donner une atmosphère intimiste à cet évènement. Il s’avança d’un pas tranquille vers le Seigneur et la prêtresse, ses mains étaient jointes et son regard était rivé vers le sol, ce qui lui donnait l’allure d’un moine en pleine procession. Toujours humble, il s’agenouilla devant Charles et courba la nuque.
« Un jeune bretonnien de noble naissance s'avance devant nous. Par sa lame, il a défendu les innocents des fureurs des bois. Par sa lame, il s'est élevé pour la justice contre ceux qui voulaient la renier. Par sa lame, il a défait un chevalier d'expérience. Il a prouvé son intégrité, sa bravoure et ses capacités martiales. Par ses actes, il s'est montré digne de la chevalerie. Quelqu'un a-t-il quelque chose à redire là-dessus ? »
L’assemblée demeura silencieuse. Le contraire eut été pour Goëric un affront impardonnable.
« Alors je déclare Goëric de Bretiniac comme chevalier du Royaume. »
Charles tira son épée et la posa sur chacune des épaules de Goëric, puis la remit au fourreau. Goëric, toujours tête courbée, ne pu réprimer un sourire.
« Relève toi, Sir Goëric, relève toi comme chevalier du royaume de sa majesté Louen Cœur de Lion et prête serment devant la Dame. »
Comme il se redressait, le sourire s'effaça, laissant place à un visage digne.
La prêtresse de la Dame l’observa un instant avant de lui énoncer le serment qu’il devait répéter. Il ne la quitta pas des yeux un instant. Sa voix douce et son regard tendre berçaient le tout nouveau chevalier. Goëric pensait qu’il vivait en cet instant le moment le plus fabuleux de toute son existence. La prêtresse l’avait comme envouté, tant et si bien que les yeux toujours plongés dans les siens, il articula le serment d’une voix si claire et paisible qu’on aurait pu croire avoir affaire à un saint.
«Quand sonnera le clairon, je chevaucherais et combattrais au nom de mon seigneur et de la Dame. Tant que je respirerais, les terres qui me sont dévolues resteront non touchées par le Mal. L'honneur est tout. La chevalerie est tout. »
Une série de hourras s’en suivit, et Goëric reçut quelques tapes amicales dans le dos une fois que les chevaliers eurent rompus leur rang cérémonial . Souriant, Goëric ne cessait d’incliner la tête en signe de remerciement. Il ne savait pas ce qu’il remerciait exactement tant il entendait de termes chaleureux. En tous cas il remerciait leur enthousiasme.
« Bienvenue parmi les chevaliers, Goëric. Tu peux aller te changer puis revenir pour le festin en ton honneur. »
« Messires, c’est trop d’honneur que vous me faites, puissiez-vous en être mille fois récompensés. »
Ainsi, Goëric regagna sa chambre ou il prit soin de se vêtir. Il hésita un instant. Toute sa vie il s’était imaginé qu’il porterait une tenue aux couleurs de sa famille pour cette grande occasion. D’ailleurs il avait dans sa male une sublime cotte noir d’ébène agrémentée de détails rouge sang et or. Une pièce splendide qu’il se refusa cependant à porter. Il orienta son choix vers une cotte moins somptueuse de par la qualité des tissus et des ornementations, mais qui évoquait cependant la maison de Charles de par sa belle couleur azur. Evidemment, Goëric rendait surtout hommage à son tuteur, qui avait pris le risque de mettre sa vie en jeu pour protéger un jeune écuyer. Il avait le coeur lourd de n'avoir pas eu le temps d'apprendre à connaitre mieux Arthur.
Ainsi il s'habilla avant d'aller se promener hors des murs du château histoire de prendre l'air avant le repas.
Celui-ci se déroula dans une ambiance tout à fait euphorique. Cette ambiance était bien sur due au fait que les conviés célébraient le passage de Goëric au rang de chevalier, mais elle était également justifiée par le besoin de se vider l'esprit puisqu'une période de troubles pointait à l'horizon. L'entrain lors des chants s'en trouvait amplifié, les éclats de rires décuplés, et les jarres et pichets vidés.
Goëric regagna sa chambre non sans peine, ivre comme trente-six Kislevites, et s'endormi si tôt qu'il fut dans son lit.
