Rédigé par Snorri Sturillson, Assistant MJ
Les trois compères s'arrêtèrent net, comme pétrifiés par la voix de Prestenent. Ils ne prononcèrent pas mot, cherchant maladroitement à se détacher l'un de l'autre, en balbutiant des jurons et des onomatopées. L'une des bouteilles pour laquelle ils se chamaillaient tomba au sol, se brisant sur le sol malléable de la rive. Regardant d'un air dépité le verre craquelé et l'effluve pourpre qui se mêlait désormais au brun fade à leurs pieds, ils levèrent tous les trois leur faciès bruni, et s'exclamèrent l'un après l'autre, comme trois gaillards en pleine complainte :
- "On vôdra seul-m-ment décider-a qui d'nous trô-a-a mérit'ra l'fôveur d'la D-D-Dame d'zô, missire...
- "Vous la connaissez, missire, lô Dame déz-hoc... ? Lô Dam'dai-zô ? Vous s'ra un chavalier, elle a-ra dû vous parler missire, nah?.
- "On s'ra juste des pêcheurs, ma... missire. Rein d'pluss. On est... Quat' gars qui pêchent, missire. Rein d'aut'..."
Alors que le trio se perdait en excuses et en marmonnages qu'ils prononçaient la tête baissée, le chevalier put apercevoir ce qui l'avait obnubilé auparavant : la demoiselle en blanc, et le destrier. Son destrier.
Bien qu'ils soient désormais de l'autre coté du trio de roturiers, soit au bord de l'eau et à même les touffes d'herbes grasses, ils n'avaient visiblement pas bougé par rapport à Prestenent. La demoiselle immaculée avait simplement changé de posture, désormais assise en travers et à cru sur la monture, et l'animal se repaissait tranquillement de la végétation environnante. Elle souriait chaleureusement au jeune errant, et semblait toujours lui faire signe de s'approcher.
Et avec la dame, revint la voix. Et de nouveau, revint la douceur, l'humeur légère et apaisante qui prenait à bras-le-corps, provoquant quelque relâchement des nerfs simplement par audition. L'animal s'ébroua d'un coup sec, sans pour autant déstabiliser qui que ce soit. Tandis que le trio de gens-du-commun continuaient leur plaidoyer, il put entendre la Jouvencelle prononcer :
- "Allons, chevalier, reprends-toi... N'as-tu donc pas assez marché? Tu es loin de ton foyer, et tu n'as pas de quoi guerroyer... Regarde-toi, et regarde-moi. Ne l'as-tu pas mérité ?"
Soudainement, la Dame mit pied à terre, descendant délicatement de sa monture sans un bruit. C'est alors qu'elle commença à s'éloigner de l'errant avec le destrier, sans dire mot. Elle continuait cependant ses gestes accueillants, incitant Prestenent à la suivre, à s'approcher du rivage, et à laisser les trois compères sur place.
Quoiqu'il fasse, la Jouvencelle semblait maintenir son allure, guidant au pas l'animal de jais entre les fourrés. Chose étrange, elle n'avait aucun soulier, et encore moins de bottes ou de vêtements aptes au voyage. En fait, elle n'avait à proprement parler que sa chevelure immaculée et sa robe blanche gaugée d'eau claire.
Au fur et à mesure que le temps passait et qu'elle s'éloignait, le chevalier sentait, ou plutôt ne sentait plus l'amertume qui l'avait déconcentré. Comme si la brume et la demoiselle avaient arraché cela de son bas-ventre, sans qu'il s'en rende compte. Et puis ce fut un bruit étouffé. Pas le bruit d'un choc, ou d'un éclair, ni d'un contenant qui se brise, mais celui d'un objet qui tombe sur un sac, ou un coussin. Un objet... Métallique.
Cherchant du regard la source de ce tumulte, il sentit un picotement, comme un point ou une aiguille soudaine sur sa jambe. Et en tendant sa main droite pour se gratter, la sensation disparut.
Il regarda alors sa main droite, tandis que la dame continuait de l'inviter vers elle.
Elle était là, faite de cinq doigts, gantée de cuir noir, comme d'habitude.
Il serra le poing, le rouvrit après un court instant... Elle n'avait pas changé.
Elle était vide.