Lui qui avait marché si longtemps pour trouver une solution à son tourment, le voilà qui désormais face à la lumière de son salut ne trouvait pas la force de s'en montrer digne. Il en était totalement vidé de toutes ses forces comme si son corps prenait enfin conscience de tous les jours où il avait erré. Combien de nuit avait-il passé sans dormir ni manger ? Combien de fois s'était-il réveillé en plein milieu du crépuscule en croyant que des ennemis cherchaient à l'assassiner tandis qu'il n'y avait que le bruit du vent contre les branches des arbres morts de Moussillon. Depuis combien de temps tout lui faisait-il si peur au point qu'il craignait désormais même les rayons du soleil, astre de lumière par excellence, parce qu'il en était venu à le soupçonner de s'éteindre tous les soirs pour permettre à ceux qui le traquaient de pouvoir l'attraper. Petit à petit, tout s'était éteint en lui, de la plus petite joie à la plus grande, il n'arrivait plus à réfléchir correctement. La seule chose qui arrivait à le ressuer, c'était de voir des morts-vivant sous ses ordres autour de lui. Mais il ne s'était jamais dit que ces mêmes morts-vivants pouvaient être contrôlés par un ennemi et qu'ils pouvaient chercher à le vaincre à leur tour. N'avait-il aucun allié en ce monde ? Tout le monde était donc à ce point lié à La Mort qu'ils en étaient venus à abandonner le combat sans se battre ?
Ishar avait commencé à perdre espoirs dans sa victoire aujourd'hui. Car après tout, n'était-il pas si faible ? Alors, à quoi bon se battre ? L'ennemi allait le vaincre de toute manière... Il y avait bien cet homme qui semblait se moquer de ses ennemis et dont les attaques étaient si puissante qu'elles les découpaient comme des oiseaux collés aux branches. Mais lui aussi n'était-il pas qu'un simple mortel finalement ? Et cette sensation qu'il avait ressentit venant de lui n'était-elle pas au final la même que celle qu'il avait distingué sur l'homme qui avait détruit sa vie ? N'était-ce pas un signe que justement, cette fois encore un homme allait la changer ? Pourtant, rien ne semblait indiquer que ce changement allait se faire dans le bon sens... Allait-il donc mourir ici ? Sans jamais pouvoir revoir sa chère terre natale ? Oh ! Comme ces champs brillants autour de son fief dans les beaux jours d'été lui manquaient. Comme les rues pleines de vie de son village lui manquaient. Son père avait réussi à purger l'eau qui grouillait en abondance grâce à un lac de drainage et le sol en était redevenu sec. Qu'il était drôle de regarder les enfants des paysans courir avec des jouets de bois sans que les morceaux de tissus qui leur servaient de chausses ne se gorgent d'eau et de boue. Les sourires qu'ils affichaient tandis que l'héritier de Sombre-bois marchait près d'eux en les saluant. On était bien loin de ce qu'il avait vu durant son voyage pour ne pas dire sa fuite.
De la terre humide et des gens trop malheureux pour penser à aider autrui. Des nobles qui se terraient dans leur sombre donjon sans jamais voir ce que faisait leurs gueux. Il n'y avait aucune joie dans ce Duché maudit et Ishar en avait rapidement compris la signification. Oui, ces terres étaient maudites, rien n'en sortirait de bon... Pourtant, lui en était ressorti et il ne pouvait pas se dire qu'il n'était pas bon, ni que son village ne l'était pas. Alors qu'elle était la chance qu'il parvienne à le rester tandis que tout était mauvais autour de lui ? Avait-il seulement une chance de parvenir à changer ce duché avant que celui-ci ne le change à la place ? Il n'y croyait pas, pour tout dire, il pensait déjà avoir perdu. La Mort avait fait de ces terres sa demeure éternelle et il faudrait bien plus qu'un seul homme pour parvenir à l'en déloger.
L’apparition du monstre immonde sortant de la cage fut un nouveau choc dans le moral déjà bien bas du nécromancien. En un instant, trois hommes venaient de rendre l'âme sans que l'on ne puisse rien y faire. La bête était immense et sa force semblait plus grande que celle d'un ours ! Comment pouvait-on espérer le vaincre tandis qu'en même temps, des morts-vivants tapaient la barricade qui n'allait pas tarder à céder ! Il n'y avait donc vraiment plus d'espoirs ? Pourtant, cet homme, ce François de Picotin, semblait toujours fier et droit tel un parangon de la vertu. Le chevalier-sorcier le regarda le regard vide sous son masque. Comment était-ce possible qu'il puisse vaincre un monstre même armé d'une épée pareille ? Ça n'avait pas de sens ! Pourquoi ne fuyait-il pas ? C'était pourtant la solution la plus logique... Ishar resserra sa poigne sur le manche de son arme. Avait-il donc perdu tout honneur pour parler de fuir ? Avait-il perdu tout courage qu'il se jugeait incapable de combattre un ennemi, fut-il plus fort que lui ? Non, c'était impossible qu'il puisse accepter cela ! Il se devait de se battre et de mourir en le faisant s'il ne se montrait pas digne de sa tâche, que la fin de sa vie se montre à la hauteur de la désertion qu'elle avait été à ses yeux durant ses moments d'errance.
-Frère de la Dame ! Aujourd'hui nous nous battons non-pas pour sauver nos misérables vies, mais pour vaincre le mal qui sévit au sein de ce Duché maudit ! Voyez comme l'ennemi fait s'abattre toutes ses forces contre nous tel un raz-de-marrée immonde ! Voyez comme votre chevalier et suzerain le combat avec la force de sa foi ! Qui sommes-nous pour en juger ? Qui sommes-nous pour contredire la volonté d'un élu de la Dame ? Nous ne serions pas digne de respirer un gorgé d'air de plus si nous nous défilions aujourd'hui tandis qu'il se bat sans faiblir un instant ! Sus à l'ennemi ! Pour la Dame ! Pour l'élu ! À MORT !
Hurla-t-il avait une ferveur quasiment fanatique tandis qu'ensuite il se jeta sur la barricade pour continuer à frapper les ennemis qui tenteraient de profiter du flottement pour la prendre d'assaut. Il n'était pas question de faiblir. Ishar le refusait et son corps répondit à sa demande retrouvant sous le coup d'une énergie retrouvée toute la force qui l'avait quitté jusqu'alors. Comment avait-il pu penser qu'il allait périr contre son ennemie honnie ! Il ne s'agissait même pas d'une question qu'il devait se poser, car il la vaincrait un jour et jusqu'à ce qu'il arrive, le nécromancien se refusait à La laisser gagner ne serait-ce un combat, car il le savait, il s'agirait alors de ses derniers instants sur cette terre. Rien ne l'arrêterait, dû moins en était-il désormais persuadé, et s'il venait alors à celui qui se disait l'élu de périr face à l'ennemi, alors il déchaînerait sa haine sur-le-champs de bataille avec la même ferveur. Car il ne ferait pas partie de ces chiens qui se rendaient contre La Mort, refusant le combat en le croyant perdu d'avance, non ! Jamais il ne se rendrait ! Il n'en était pas question ! Et il préférait encore être damné un million de fois plutôt que de laisser cette traîtresse gagner le combat qu'il menait contre Elle. La grande faucheuse allait comprendre ce qu'il en coûtait de se battre contre un chevalier bretonnien ayant décider de faire la quête de l'immortalité !