Mousillon, cette terre misérable et miséreuse, voilà l’endroit ou la Cour Noire avait souhaité l’envoyer. Cette maudite assemblée de Nobles tout aussi lâches qu’impuissants avait jugé préférable de l’éloigner de la politique de Sylvanie, lui qui prenait lentement un ascendant tant martial que politique sur ses pairs. La colère de Kergan retentit d’ailleurs lors de la dernière assemblée générale, dans l’une des grandes antichambres du Château Drakenhof, la capitale politique de Sylvanie, colère qui ne fut accueillie que par les sourires satisfaits des autres nobles et d’un silence imperturbable du Comte Mannfred. Le Seigneur des Von Carstein s’était contenté de suivre l’évolution de la discussion sans entrer personnellement dans le débat, jugeant cette affaire sans importance. Ce manque d’implication fut vécue comme une autre trahison de la part de Vladimir, lui qui avait toujours œuvré pour la grandeur de sa noble Famille de part l’Empire et même au-delà, lorsqu’il parcourait jadis les terres glacées du nord. Était-ce vraiment cela qu’était devenue la Descendance de Vlad von Carstein ? Ô Seigneur Vlad, puisses-tu un jour fouler à nouveau cette terre et châtier tes infants comme ils le méritent.
Kergan ne put donc que se résigner et prit congé de l’assemblée, se dirigeant promptement vers l’écurie ou l’attendait son fidèle coursier, le Comte Vampire lui flatta l’encolure avant d’enfourcher sa monture et de quitter le château de Mannfred alors qu’un banquet venait de commencer pour célébrer la fin de l’assemblée. Un festin où jeunes filles et jeunes gens se trouvaient être les victuailles mises à disposition des Aristocrates. La Cour Noire pouvait bien fêter sa petite victoire ce soir et se gorger de sang jusqu’à en être ivre, elle ne saurait toujours le maintenir à l’écart, il reviendrait tôt ou tard et ce jour-là, les aristocrates payeraient cher le prix de leur couardise. Sentant certainement la frustration et la fureur de son Maître, Nahar galopait à vive allure pour le porter loin du Château qui bientôt ne fut plus qu’un point sur un pic escarpé à l’horizon. Le cheval et son cavalier parcoururent plusieurs villages de nuit, les lumières des chaumières s’éteignaient sur le passage du Vampire, les paysans se serrant sans doute les uns contre les autres jusqu’au moment où le martellement des sabots disparaissait à l’horizon.
La brume sylvanienne finit par se dissiper et Kergan su qu’il venait de franchir les frontières de sa province bien-aimée. Il ne lui restait plus qu’à prendre la direction de la Bretonnie, le ciel était couvert et une brise de vent venait lui fouetter le visage, un vent synonyme de fraîcheur et de nouveauté, si sa colère n’était toujours pas retombée, il entrevoyait certaines possibilités dans ce duché maudit, quelque peu apaisé il poursuivit sa route rapidement en direction de la terre du Graal. Quelques lieus plus loin, alors qu’il réfléchissait encore à commencer tourner la situation à son avantage, il remarqua qu’il était suivit d’assez près par une petite troupe de cavaliers, fronçant les sourcils, il finit par reconnaître l’identité de ses poursuivants et d’un coup de talon poussa le coursier sylvanien à accélérer tout en pestant d’une rage cette fois-ci hors de contrôle. La Confrérie du Suaire… Ces chiens se croyant investis d’une mission sacrée étaient à présent à sa poursuite et ils étaient hélas trop nombreux pour que Kergan s’en débarrasse sans risque.
Une course poursuite de longue haleine s’engagea entre le von Carstein et les chasseurs qui dura à peu près deux semaines. N’importe quelle autre personne aurait fini par s’évanouir d’épuisement suite à une telle traque, mais Kergan était un seigneur de la nuit et par conséquent non sujet à une faiblesse si humaine que la fatigue. Nahar tenait bon lui aussi, le long périple dans les terres du nord avait endurcit le cheval qui ne faiblissait pas dans ce galop interminable, soucieux de la sécurité de son Maître. Par trois fois, Vladimir manqua de tomber dans un piège tendu par les Corbeaux, dont l’une ou il s’était retrouvé encerclé et du forcer un passage grâce à un puissant sortilège. Deux éclairs noirs jaillirent des yeux du Vampire et firent chuter l’un des cavaliers, créant une brèche dans leur formation et permettant à Nahar de forcer le passage et d’éloigner son maître du péril dans lequel il se trouvait. Ce n’est qu’aux alentours de Montfort que Vladimir parvint enfin à distancer réellement les Chevaliers du Suaire, sans doute la fatigue commençait-elle à les gagner, ils avaient beau être entraînés, ils ne restaient au final que des Hommes et leurs sens commençaient certainement à fléchir.
La route vers Mousillon devint à partir de ce moment-là beaucoup plus tranquille, le paysage ressemblait beaucoup à celui de la Sylvanie, de pauvres chaumières délabrées, une brume persistante et une oisiveté réelle de la population, un territoire de chasse particulièrement riche pour le prédateur qu’il était. La robe noire de Nahar avait été salie par la boue qui gorgeait le sentier qui serpentait à travers les marécages et Vladimir sentait que sa monture avait grand besoin de se défouler, les Coursiers Sylvaniens étaient nourri de foin, mais aussi de sang frais et cela faisait bien longtemps que Nahar n’avait pu étancher sa soif. Le crissement d’un attelage parvint soudain aux oreilles du Vampire et même Nahar redressa la tête, une lueur étrange au fond des yeux. En contresens, une charrette quelque peu délabrée sorti de la brume, tirée par une vieille carne qu’on exploitait jusqu’à ses dernières forces, à son bord quelques paysans armés de fourches recomposées. La carne s’arrêta et Kergan distingua le conducteur se lever légèrement pour apercevoir celui qui bloquait le chemin, il parlait d’une voix qui se voulait certainement assurée, mais il ne pouvait retenir le tremblement de sa voix.
Qu ... QUI VA LA !
Vladimir porta sa main à la garde de son épée, une expression haineuse sur le visage, les Humains avaient osés le poursuivre pendant plus de deux semaines, le traquant comme l’on traque un gibier lors d’une chasse entre nobles. Il était temps de rétablir à présent l’ordre des choses. Ces pauvres gueux allaient payer pour les autres. Le Vampire dégaina son épée et la pointa vers la cariole et le conducteur. Nahar se cabra majestueusement, retrouvant vigueur à l’approche du carnage qui s’annonçait avant de foncer vers la charrette. Tandis qu’il fonçait vers l’attelage, le Comte Vampire se mit à jouer avec les fils de l’Aethyr, tentant de transformer son visage en celui de la Mort elle-même.