À cette distance, pas moyen de les éviter ni de les encaisser sans coup férir, l'usage d'une simple brigandine n’étant moins qu’insuffisant ici. Alors le jeune chevalier tenta une approche qui marchait toujours lorsqu’on était en présence d’inconnus aux nobles intentions, du moins d’après les ballades :
-« Je ne suis pas votre ennemi. Vous savez qui je suis et vous avez vu ce qui se trouve dans cette grotte. Je peux vous aider, c'est pour ça que je suis là. Baisser vos armes et discutons. Personne ici n'y gagnera à ce battre. »
Ce faisant, et en signe de paix, il laissa son épée à sa ceinture pour simplement lever les mains vers le ciel, ne tenant son cheval que par la pression de ses jambes.
-« Oui, nous savons qui vous êtes. »
L’homme qui avait parlé laissa sa phrase en suspens quelques instants jusqu’à ce que la réalisation se fraye un chemin dans l’esprit Bastognois. Il n’avait pas donné son nom aux inconnus et pourtant, vu leur réponse, il le connaissait, lui ou du moins d’autres comme lui.
-« Je suis Gastien de Vagne, fils de Henri de Vagne, je suis ici pour purger le mal qui se terre dans cette grotte et si vous savez qui je suis, vous savez que nous pouvons travailler ensemble pour faire ce que vous n’arrivez pas à faire seul. »
« Qui vous dit que nous sommes là pour le nécromancien ? »
« J’ai appris la nature sacrée de ce lieu et je suis venu dans le but de le purifier de l’engeance qui y sied présentement, n’ayant nulle querelle avec vous. »
L’échange continua encore quelques instants mais Gastien ne restait pas inactif, son esprit galopant plus vite qu’un coursier de fey. Des bruits environnants, des tenues forestières face à lui, en passant par leurs arcs et les masques qui fermaient leurs capuches, le jeune homme identifia à la fois la position d’un sixième larron, dans son angle mort, et la nature des hors-la-loi lui faisant face.
« Vous êtes des Sans-visages. »
« Et vous, vous êtes un peu plus vif que votre réputation le laissait penser »
Les Sans-visages, les compagnons de Bertrand le Brigand, les herrimaults. Mi-bandits, mi-protecteurs, ces camarades erraient dans les forêts de Bretonnie, chassant les bêtes sauvages et informant les seigneurs des méfaits de leurs vassaux. Ils attaquaient aussi les convois transportant les taxes prélevées voire, en quelque funeste occasion, ils assassinaient chez eux les nobles qu’ils jugeaient indignes de leurs fonctions. Des hors-la-lois avec leur propre code primaire de la justice. Et le faucon, visiblement fatigué de tournoyer dans le ciel, finit par se poser sur les canons du chevalier sans plus de préavis.
« Je connais votre histoire et si je connais votre réputation, je sais que vous vous battez pour le bien et je vous propose de travailler ensemble, au-delà de nos préjugés propres. »
Il y eut un silence et son interlocuteur regarda l’air à moitié choqué la scène étrange d’un oiseau de proie qui se curait les plumes, perché sur un chevalier les bras en l’air. Il sembla réfléchir à la proposition de Gastien, longuement, puis il trancha.
-« Il existe trois autres entrées à cette ancienne chapelle, des anfractuosités dans la roche qui peuvent laisser passer un homme mais certainement pas l’un de vos chevaux. Nous pouvons les garder pour vous en nous postant discrètement et en éliminant quiconque cherchant à sortir par là et en en abattant les sentinelles. En échange, nous voulons que vous nous aidiez à purger le mal en nous laissant éliminer ce chien de Gefrelar. »
« Avant toute chose, pourriez-vous abaisser vos arcs pour que nous puissions échanger comme il se doit tandis que je descendrai de ma monture ? »
Un échange rapide au sein du petit groupe, mélange de monosyllabes et de courts signes de la tête ou des mains. Visiblement un accord fut trouvé à la condition que le noble descende d’abord de son cheval, après tout il serait fort discourtois qu’il profite du relâchement pour s’enfuir. Le chevalier descella et se campa face à celui qui lui parlait depuis le début.
-« Pour commencer, et en vous souhaitant le bonjour, auriez-vous l’amabilité de vous présenter ? »
« Soit, je me nomme Jean et voici mes compagnons, François, Bernard, Arthur et Pierre. »
Gastien put tiquer intérieurement, non seulement même un sourd aurait compris que ces noms étaient faux, mais il n’avait même pas eut la décence de nommer son dernier camarade, celui encore posté dans le dos du chevalier. De plus, et si ils avaient effectivement dés-encordés leurs arcs, tous avaient la main posée sur une épée courte ou, à défaut, une lame de chasse.
-« Je n’ai nulle raison de vous faire confiance et vous me demandez de vous laisser abattre un chevalier que je connais depuis peu. Pourriez-vous au moins me donner une raison de vous venir en aide ? » Rien que le silence pour réponse. Un soupir. « Je puis accepter aux conditions que vous laissiez sire Sigurant en dehors de cette épineuse situation et que je puisse rencontrer votre chef, puisque vous ne l’êtes pas. »
Le dénommé Jean plissa les lèvres à travers son masque, peut être vexé d’être reconnu pour ce qu’il n’était en effet pas, mais avant qu’il n’ait pu dire quoi que ce soit, Gastien relevait à nouveau les mains en signe d’apaisement et le faucon, parti chercher quelque mulot, songea à s’y poser à nouveau avant de repartir à ses occupations.
-« Bien sûr, je puis aussi accepter de lui envoyer une lettre si une rencontre s’avérait impossible, lettre que je vous transmettrai après le tragique accident. »
Les herrimaults hochèrent lentement la tête devant ce chevalier retord, prêt à sacrifier un camarade pour des inconnus. Mais à cheval donné, on ne regarde pas les dents. Et Gastien de revenir auprès de ses amis en Ottokar parmi les siens. Il leur expliqua son plan, comment il avait négocier avec les « chasseurs », tout en taisant son pacte, et comment ces derniers feraient remparts aux sorties. Malgré quelques grognements de Grefrelar, maître de chasse, sur ces braconniers sur les terres de son maître, nul ne lui posa de réelles questions et tous semblèrent accepter sa version des faits. Tout comme son projet de charger Jacob de faire diversion pour attirer le maximum de créatures nécromantiques avant de se réfugier dans un arbre tandis qu’eux forceraient l’entrée de la grotte, lame au clair.
Ainsi fut fait et Jacob courut comme si sa vie en dépendait, ce qui était le cas, en agitant son arme et en hurlant des imprécations envers les squelettes et les zombies, attirant près de la moitié d’entre eux. Du coin de l’œil, le Bastognois put voir six ombres furtives longer les fourrés avant qu’il n’entre dans la grotte et de s’arrêter net.
Devant lui, trois grandes créatures difformes s’éveillaient lentement...